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Full text of "Le mahabharata poème épique de KrishnaDwaipayana plus communément appelé VédaVyasa, c'estadire le compilateur et l'ordonnateur des Védas traduit complètament pour la première fois du sanscrit en francais par Hippolite Fauche Vol. 3"

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LE  MAHA-BHARATA 


POÈME  ÉPIQUE. 


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l/i  rr^troduclion  cl  In  traduction  mCmc  de  celte  traduction  sont 
interdites  en  France  et  dans  les  pays  etrangers. 

■ 1 ! 


MEACS.  — IMPRIMERIE  Jl'ULH  CAUO. 


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LE 


MAHA-BHARATA 

POÈME  ÈPIflE 

DE  KRISHNA-DWAIPAYANA 

PLUS  COUMrNKUK'T  APPELÉ 

'VÉnjE.-'V'VAE.SA. 

c’est-a-dire  le  compilateur  et  l’ordonnateur  des  védas 

Traduit  complètement  pour  la  première  fois  du  sanscrit  en  français 

PAS 

HIPPOLYTE  FAUCHE 

Traducteur  du  Ràmiyana,  des  Œuvres  complétée  de  KàlidA&a,  etc. 
Abréviatenr  du  Ràmây&na 


PARIS 

LIBRAIRIE  DE  A.  DURAND 

Rue  de»  Grè«*Sorbonne,  7 

ET  LIBRAIRIE  DE  M"  V”  BENJAMIN  DUPRAT 

Rue  Font, mus  (ancienne  rue  dn  Cloître -Saint- Benoit).  7 

1866 


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TROIS  MOTS  AVANT  DE  COMMENCER. 


En  terminant  l 'avant-propos  de  notre  deuxième 
volume,  nous  disions  à nos  lecteurs,  le  1"  juillet  : 
A revoir  ! à 6 mois  ! et  c'est  aujourd’hui  le  21  jan- 
vier; nous  sommes  donc  en  retard  de  trois  semaines. 
Nous  le  devons  aux  rigueurs  de  l’hiver,  saison  de 
petits  jours,  qui  ne  nous  permet  pas  d’utiliser  nos 
promenades,  dont  la  pluie  et  la  neige  mouillent 
notre  papier,  dont  le  vent  emporte  notre  feuillet, 
dont  le  froid  fait  tomber  le  crayon  de  nos  doigts, 
tandis  que  la  route  à chaque  instant  nous  rappelle 
le  proverbe  : Bonnes  terres  et  mauvais  chemins  I Mais 
nous  serons  plus  exacts  pour  le  quatrième  volume, 
que  nous  allons  commencer,  grâce  à Dieu,  sous  des 


VI 


TROIS  MOTS 


auspices  plus  favorables.  Nous  pourrons  faire  un 
livre  de  feuilles,  de  fleurs,  de  parfums  el  de  soleil  ! 

Dans  cet  intervalle  de  temps,  il  nous  est  tombé 
sous  les  mains  une  brochure,  extraite  de  la  il evue 
d'Orient,  sur  notre  traduction  des  Œuvres  com- 
plètes de  Kdliddsa.  Nous  demandons  la  permission 
d’y  relever  ici  une  petite  erreur. 

L’auteur  pense  que  notre  traduction  française 
du  Rdmdyana  est  postérieure  à la  traduction  ita- 
lienne : il  se  trompe;  elle  est  simultanée.  Les  deux 
œuvres  étaient  imprimées  dans  le  même  temps,  et 
nous  avons  fait  le  dépôt  de  notre  dernier  volume  le 
19  juin  1858,  c’est-à-dire,  plus  de  sept  mois  avant 
que  l’auteur  turinois  ne  fil  le  dépôt  du  sien,  ou  sui- 
vant la  date  officielle,  le  29  janvier  1859.  On  ne 
peut  donc  contester  à la  France  l’honneur  d'ètre  k 
première,  qui,  sans  autre  subside  qu’une  minime 
souscription  de  vingt  exemplaires  ou  deux  cents 
francs,  par  tome,  ait  mené  à fin  cette  laborieuse 
et  vaste  entreprise. 

Mais  alors  nous  étions  absolument  inconnus,  et 
l'erreur  n’a  rien  que  de  simple,  de  facile  et  de  na- 
turel. 

D’après  un  article  du  journal  le  Temps,  à l’occa- 
sion de  mon  tome  premier,  j’avais  consenti  à réim- 


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AVANT  DE  COMMENCER. 


VH 


primer  les  suivants  au  nombre  de  600  exemplaires, 
sous  la  condition  que  M.  Benjamin  Duprat  voudrait 
bien  réimprimer,  à ses  frais,  trois  cents  nouveaux 
tomes  premiers,  dont  je  lui  faisais  présent.  Je  lui 
remis  pour  ce  travail  un  exemplaire,  où  les  fautes 
étaient  corrigées  ; et  je  remplis  mes  nouveaux  enga- 
gements, non  sans  une  certaine  inquiétude. 

Les  acheteurs,  je  l’avoue,  sont  venus,  mais  de  bon 
aloi,  et,  par  conséquent,  en  assez  petit  nombre  ; la 
mort  a frappé  l’honorable  M.  Benjamin  Duprat,  et 
mon  premier  volume  ne  fut  pas  réimprimé. 

Je  suis  donc  libre  de  rompre  maintenant  cette 
convention  hasardée. 

11  m’a  fallu  quinze  années  pour  écouler  une  édi- 
tion du  Mmâyana  à 200  exemplaires  ; il  me  fau- 
drait au  moins  trente  ans  pour  vendre  9,600  vo- 
lumes du  Mahâ-Bhârata  ; et  ce  laps  de  temps  dé- 
passe, certes  ! de  beaucoup,  la  durée  probable  de  ma 
vie  actuelle  ! 

Arrêtons-nous  donc,  quand  il  en  est  temps  encore, 
avant  que  les  dépenses  ne  soient  plus  considérables, 
avant  que  ce  vaste  emmagasinage  ne  soit  devenu  une 
affaire  presque  colossale.  J’ai  imprimé  mon  deuxième 

et  mon  troisième  volumes  à 600  exemplaires;  je  re- 

\ 

viens  à mon  tirage  plus  modeste,  mais  plus  sûr,  de 


vin  TROIS  MOTS  AVANT  DE  COMMENCER. 


500  volumes.  Nous  ne  sommes  pas  nés  pour  une 
brillante  fortune  : nous  avons  peu  de  besoins,  nous 
n’avons  pas  de  désirs  ; Dieu  nous  a gratifié  d’une 
vigoureuse  santé,  la  plus  grande  des  faveurs;  et  notre 
vie  est  l’image  de  notre  caractère  : doux  et  calme,  il 
n’appellerait  auprès  de  lui  dame  Fortune,  que  pour 
lui  demander  quelques  moyens  de  faire  à d’autres 
un  peu  de  bien. 


Juiily,  21  janvier  1865. 


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PETIT  INDEX 


DE  QUELQUES  MOTS  PEU  COSKIS  DASS  CE  PRÉSEKT  VOLUME. 


A 

Adhwaryou,  un  brahme  versé  dans  le  Yadjour-rèda. 

Arjouna,  nom  d’un  prince,  qui  portait  encore  le  surnom 
de  Kdrtlavirya. 

Avabritha,  sacrifice  supplémentaire  pour  obvier  aux 
omissions,  aux  fautes,  aux  imperfections  d’un  sacrifice 
principal  ou  antérieur. 

B 

Bhangâsouride,  nom  patronymique  du  roi  Rîtouparna. 

Bhava,  l’Être,  l’Origine  des  choses,  nom  de  Çiva. 

I) 

Djatà,  coma  impli  cala,  dit  Bopp  ; cheveux  en  gerbe,  rat- 
tachés sur  le  haut  de  la  tête,  coiffure  des  ascètes  et  du 
Dieu  Çiva.  C’est  un  mot,  que  nous  avons  introduit,  faute 
d’un  autre,  dans  la  langue  traductive,  en  lui  donnant  le 
genre  masculin,  quoique,  en  sanscrit,  il  soit  du  genre  fé- 
minin. 


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X 


PETIT  INDEX. 


G 

Gourou,  suivant  la  prononciation,  mais,  suivant  l’orto- 
graphe,  guru,  d'où  est  venu  le  mot  gravis  des  latins,  un 
maître  ou  instituteur  spirituel,  qui  explique  à son  élève 
la  loi  et  la  religion,  lui  enseigne  les  différents  Traités  ou 
Çâstras. 

H 

Hara,  rapicns,  un  surnom  de  Çiva. 

K 

kaàuçika,  un  des  noms,  que  porte  Indra. 

Kapardl  du  mot  kaparda,  the  braided  hoir  of  S ira,  dit 
Wilson,  kapardl  est  un  adjectif,  qui  marque  la  posses- 
sion, celui,  qui  a les  cheveux  nattés,  c'est-à-dire,  Çiva. 

karpati,  adjectif  de  possession,  venant  de  karpata  «avec 
un  T cérébral,  old  and patched  or  ragged  garments  (Wil- 
son) , un  surnom  de  Çiva. 

kinnara,  Demi-Dieu,  attaché  au  service  de  kouvéra,  un 
musicien  céleste,  d’où  est  dérivé  le  féminin  kinnari,  la 
musicienne,  épouse  de  ces  Génies. 

N 

Nandana,  exhilurator,  nom  du  jardin  fortuné  ou  du  Pa- 
radis d’Indra. 

Naraka,  les  enfers,  les  régions  infernales,  le  Tartare  in- 
dien. 

Nâsatva,  rr.  na,  non,  ne  pas,  et  asatya,  faux,  ou,  sui- 
vant Wilson , impur  : c’est  un  nom  donné  aux  deux 
Açv.ins,  médecins  des  Dieux  et  Génies  d’une  admirable 
lreauté. 


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PETIT  INDEX. 


xi 


P 

Pàcoupata,  nom  consacré  îi  l'arme  de  Çiva.  Ce  mot  est 
dérivé  de  paçoupati,  le  maître  des  créatures  vivantes,  un 
surnom  de  Çiva. 

Pounvaçloka,  celui,  de  qui  la  gloire  est  pure , surnom 
du  roi  Nala. 

Pourouhnûta,  eut  multum  sarrificatur,  un  surnom  d’In- 
dra. 

R 

Rishi,  un  saint,  une  sage  personne  sanctifiée. 

Ritouidj,  un  kralime  domestique  ou  de  maison,  un 
prêtre  de  famille. 

S 

Samitpàni,  qui  a la  main  aux  batailles,  un  surnom  de 
Ràma,  le  fils  de  Djauiadagiii. 

T 

Tripisktapa  ou  Trivishtapa,  le  troisième  monde,  le  ciel, 
le  Stvarga  ou  le  Paradis. 

Twashtri,  fuber  lig norias  (Bopp),  un  surnom  de  Viçva- 
karma.  Voyez  ce  mot. 

V 

Viçvéça,  le  maître,  de  tout,  un  des  noms,  que  ]>ortp 
Çiva. 

Vrishi,  le  siège  de  poas  cynosuroîdès ou  le  coussin  d’un 
religieux  ascète. 

Y 

Yaksha,  un  Demi-Dieu,  attaché  au  service  de  Kouvéra 


Ml 


PETIT  INDEX. 


et  chargé  du  soin  de  ses  jardins  et  de  ses  trésors.  L’épouse 
ou  la  fille  de  ces  Génies  est  naturellement  appelée  une 
ytiks/ii. 

Yodjana,  mesure  itinéraire,  cinq  milles  anglais  de 
1 ,609  mètres  chacun. 


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LE  MAHA-BHARATA 


POÈME  SANSCRIT 


LES  CHOSES  QUI  SURVINRENT  A LA  SUITE  DU  JEU 


Djanamédjaya  dit  : 

« Quels  furent  les  sentiments  des  fils  de  Dhritarâshtra 
alors  qu’ils  virent  affranchis  les  Pândouides  avec  leurs 
amas  de  richesses  et  de  pierreries?  » 2452. 

Valçampâyana  lui  répondit  : 

Après  qu’il  eut  vu  les  fils  de  Pândou  remis  en  liberté 
par  le  sage  Dhritarâshtra,  Douççâsana,  sire,  alla  vite 
trouver  son  frère.  2453. 

11  s’avance,  éminent  Bharatide,  vers  Douryodhana  et, 
pénétré  de  chagrin,  il  tient  le  discours  suivant  à l'alné 
de  ces  rejetons  de  Bharata  : 2454. 

« Ce  vieillard,  il  détruit  cette  richesse  amassée  avec  tant 
de  peine  et  la  fait  passer,  héros,  sachez-le,  entre  les 
mains  de  nos  ennemis!  » 2455. 


tIL 


1 


2 


LE  MAHA-BHARATA. 


Alors  Douryodhana,  Karna  et  O.akouni,  le  Soubalide, 
s'étant  abouchés  entr’eux,  animés  de  sentiments  hautains 
à l’égard  des  fils  de  Pândou,  coururent  pleins  de  hâte 
vers  le  fils  de  Vitchitravtrya,  le  sage  Dhritaràshtra,  et  lui 
adressèrent  tous  de  concert  ces  paroles  captieuses  : 

2456 — 2457. 

« N’as-tu  pas  entendu,  sire,  lit  Douryodhana,  ce  que 
dit  le  docte  Vrihaspati,  le  pourohita  des  Dieux,  enseignant 
la  politique  à Çakra?  2458. 

« 11  faut  détruire  vos  ennemis  par  tous  les  moyens,  im- 
molateur  des  ennemis,  avant  qu’ils  n'aient  commencé  à 
vous  nuire,  soit  par  la  guerre,  soit  par  l'accroissement  de 
leur  force.  » 2459. 

» Si  nous  employions  les  richesses  des  Pàndouides  en 
présents  aux  rois  de  la  terre  et  si  nous  achetions  ainsi 
leur  appui  dans  une  guerre,  que  nous  manquerait-il  alors 
pour  la  victoire?  2460. 

» Qui  peut  se  débarrasser  de  serpents  furieux  à la 
dent  vénimeuse,  venus  pour  la  mort,  une  fois  qu’on  les 
a mis  autour  de  son  cou  ou  jetés  sur  ses  épaules?  2461. 

» Montés  sur  des  chars,  les  armes  à la  main,  les  tils 
irrités  de  Pândou  vous  détruiront  jusqu'au  dernier,  tels 
que  des  serpents  courroucés.  2462. 

» Aijouna  s'avance,  revêtu  de  sa  cuirasse,  chargés  de 
ses  deux  carquois  sans  pareils  et,  levant  son  arc  Gândlva 
mainte  et  mainte  fois,  il  jette  autour  de  lui  ses  regards,  en 
poussant  des  soupirs  de  colère.  2463. 

» Vrikaudara,  tenant  levée  sa  pesante  massue,  ayant 
promptement  attelé  son  char,  est  sorti  à la  hâte,  avons- 
nous  appris.  2464. 

» S’étant  armés  d’une  épée  et  d’un  bouclier  pareil  à 


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SABHA-PARVA. 


S 


une  demi-lune,  Nakoula  et  le  roi  Sahadéva  montrent  la 
sécurité  de  l'esprit  dans  leur  attitude  et  leurs  gestes. 

» Ces  héros,  environnés  'de  traits  variés  et  d’une  suite 
nombreuse,  sont  tous  sortis,  sire,  aiguillonnant  leurs  che- 
vaux, pour  assembler  leurs  armées.  2465 — 2466. 

» Ils  ne  pardonneront  jamais  les  vexations,  que  nous 
leur  avons  infligées.  Qui  d'eux  peut  oublier  les  outrages, 
que  Draâupadl  eut  à subir?  8467. 

» Jouons  de  nouveau,  s'il  te  plaît,  avec  les  Pândouides 
à qui  s’en  ira  habiter  dans  les  forêts  : nous  pourrons  de 
cette  manière,  souverain  des  hommes,  les  mettre  sous 
notre  dépendance.  2468. 

» Quiconque  perdra  la  partie , soit  eux , soit  nous- 
mêmes,  entrera  dans  les  grands  bois  pour  y demeurer 
douze  années,  vêtu  d'une  peau  d’antilope.  2469. 

» Quand  le  perdant  aura  vécu  douze  ans,  connu  de 
tous,  au  milieu  des  bois,  il  sera  tenu  de  passer  une  nou- 
velle treizième  année  inconnu  avec  sa  famille.  2470. 

» Nous  devrons,  eux  ou  nous,  accepter  cette  manière 
d’habiter.  Que  le  jeu  se  renouvelle  à cette  condition  ! Que 
les  fds  de  Pândou  jettent  le3  dés  et  recommencent  le  jeu. 

# Cest  là,  éminent  Bharatide,  ce  que  nous  avons  de 
mieux  à faire  ; car  voici  Çakouni,  qui  est  expert  dans  la 
science  des  dés  et  qui  en  connaît  toute  l’excellence. 

2471—2472. 

» Nous  aurons  jeté  déjà  de  vigoureuses  racines  dans  le 
royaume,  acquis  des  amis,  équipé  une  forte,  nombreuse, 
inaffrontable  armée,  qu’ils  auront  encore  à compléter 
leur  treizième  année,  si  l'obligation  est  acceptée  par  eux. 
Nous  les  vaincrons,  sire  ! agrée,  fléau  des  ennemis,  agrée 
cette  proposition.  » 2473 — 2474. 


4 LE  MAHA-BHARATA. 

Dhritarâshtra  lui  répondit  : 

« Hâte-moi  de  me  ramener  ces  hommes,  que  ne  sau- 
rait même  rebuter  la  difficulté  des  routes.  Que  les  Pàn- 
douides  viennentet  qu’ils  recommencent  ici  le  jeu  ! » 2476. 

Ensuite  Drona,  Somadatta,  le  Vàhltkain,  le  Gautamide, 
Vidoura,  le  fils  de  Drona,  et  l’énergique  fils  de  la  vaîçyà, 
Bhoûriçravas,  le  fils  de  Çântanou  et  le  héros  Vikarna,  tous 
sans  exception  de  s’écrier  : « Pas  de  jeu  ! Que  la  paix 
règne  ici  1 # 2476 — 2477. 

Malgré 'cette  opposition  de  tous  ses  amis,  les  yeux  fixés 
sur  son  bien,  Dhritarâshtra,  trop  ami  de  son  fils  aîné,  fit 
porter  aux  Pândouides  le  défi  au  jeu.  2478. 

La  vertueuse  Gândhàri,  déchirée  de  sa  douleur,  tint  à 
Dhritarâshtra,  le  monarque  des  hommes,  ce  langage,  que 
lui  inspirait,  sire,  l’amour  de  ses  fils  : 2470. 

« Douryodhana  était  né  à peine,  quand  Kshattri  à la 
haute  sagesse  : « Allons  ! dit-il  ; qu’on  jette  dans  l’autre 
monde  cet  enfant  né  pour  la  destruction  de  sa  famille  ! » 

» En  effet,  aussitôt  qu’il  vint  à naître,  il  poussa  des 
cris  semblables  à ceux  d’un  chacal  ; c’est  la  mort  de  cette 
famille,  sans  doute,  fils  de  Bharata  ! 2480 — 2481. 

» Ne  vas  pas  te  plonger  par  ta  faute,  rejeton  de  Bha- 
rata, en  ces  eaux  profondes  -,  ne  veuille  point  approuver, 
seigneur,  le  sentiment  de  ces  enfants  mal  élevés  ! 2482. 

» Ne  sois  pas  une  cause  dans  la  ruine  épouvantable  de 
cette  famille  ! Qui  peut  briser  un  pont,y</é  sur  unabyme? 
Qui  peut  ranimer  par  son  souille  un  incendie  éteint  ? 2483. 

» Qui  peut  réveiller,  éminent  Bharatide,  la  colère  as- 
soupie dans  le  cœur  des  enfants  de  Prithà?  Je  rappèlerai 
de  nouveau  à ton  souvenir  Adjamltha,  que  tu  n’as  pas 
oublié.  2484. 


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SABHA-PAKVA. 


5 


» Les  Çàstras  n’instruisent  pas  l'insensé  pour  le  bon- 
heur, ai  de  cette  vie,  ni  de  l’autre  inonde.  L’homme,  de 
qui  sa  nature  condamne  l’esprit  à rester  dans  l'enfance,  ne 
parvient  jamais  à la  vieillesse  de  l'esprit.  2485. 

• Que  tes  fils  soient  tes  yeux  ! Arrachés  de  toi,  puisses- 
tu  n’en  perdre  jamais  la  lumière  ! Rejette  donc  à ma  voix 
ce  fils,  destructeur  de  sa  famille  ! 2486. 

» Ainsi  ton  amour  paternel,  sache-le,  n’aura  pas  changé 
le  fruit  obtenu  dans  tes  fils  en  la  ruine  de  ta  famille! 

» Prends  une  décision,  qui  te  soit  assortie,  homme,  qui 
as  pour  objet  principal  la  raison,  la  paix  et  le  devoir.  Loin 
de  toi  la  négligence  ! Une  grandeur,  qui  s'applique  à la 
cruauté,  pousse  à la  ruine  : a-t-elle  pour  sa  base  la  dou- 
ceur, elle  conduit  au  bonheur  de  posséder  long-temps  et 
des  fils  et  des  petits-fils,  n 2487 — 2488. 

A ces  mots,  le  puissant  monarque  répondit  à la  ver- 
tueuse Gàndhàri  : « Volontiers  ! Arrive  la  perte  de  la  fa- 
mille ! Je  ne  puis  l'empêcher  ! 2489. 

u Qu’il  en  soit  comme  ils  le  désirent  ! Que  les  Pàndouides 
reviennent  ! Que  mes  fils  recommencent  le  jeu  avec  les 
fils  de  Pàndou  ! « 2490. 

Ensuite  Pràtikâmi  rendit  ainsi  les  paroles  du  savant 
Dhritarâshtra  au  fils  de  Prithà,  Youddhishthira,  engagé 
dans  une  mauvaise  route  : 2491. 

« La  salle  est  prête  pour  jeter  les  dés,  sire  : viens, 
Youddhishthira,  fils  de  Pàndou,  et  joue!  » C'est  ainsi  que 
te  parle  ton  oncle,  rejeton  de  Bharata.  » 2492. 

« Tous  les  êtres  obtiennent  la  bonne  ou  la  mauvaise 
fortune,  lui  répondit  Youddhishthira,  suivant  ce  qui  fut 
disposé  par  le  Destin.  S’il  est  écrit  qu’on  jouera,  il  est  im- 
possible d’éviter  l’une  ou  l’autre  chance.  2493. 


0 


LE  MAHA-BHARATA. 


n Ce  défi  de  jouer  aux  dés,  que  m’envoie  le  vieux  roi, 
je  n'ai  pas  la  force  de  le  repousser,  et  je  n'ignore  pas  ce- 
pendant qu’il  doit  causer  ma  ruine  1 » 2494. 

C'est  ainsi  que  dans  l’incident  merveilleux  d'un  animal 
fait  d’or,  Râma  sentit  l’envie  de  posséder  la  gazelle.  Les 
plus  hautes  intelligences  sont  ordinairement  les  plus  as- 
siégées par  de  prochaines  disgrâces.  2495. 

A peine  eut-il  parlé,  le  fils  de  Prithà  reprit  avec  ses 
frères  le  chemin  d'indraprastka  et,  quoiqu’il  n’ignorât 
point  l’adresse  de  Çakouni  pour  fasciner  les  yeux,  le  fils 
de  Pândou  retourna  jouer.  2496. 

Les  héros  de  rentrer  dans  le  palais,  et  les  chefs  des  Bha- 
ratides,  commodément  assis  pour  la  continuation  du  jeu, 
mais  poussés  par  la  force  du  Destin  à la  perte  du  monde 
entier,  d’exposer  les  pensées  de  leurs  amis.  2497 — 2498. 

Çakouni  parla  donc  en  ces  termes  : 

« On  approuve  que  l’auguste  monarque  vous  ait  rendu 
vos  richesses  perdues  ; mais  nous  allons  jouer  une  chose 
précieuse  dans  une  seule  partie  de  dés  : écoute,  éminent 
Bharatide.  2499. 

» Si  nous  sommes  vaincus  au  jeu  par  vous,  nous  entre- 
rons dans  les  grands  bois  pour  y demeurer  douze  années, 
vêtus  d'une  peau  d’antilope.  2500. 

» Nous  passerons  la  treizième  année  avec  nos  familles 
sans  être  connus  de  personne  ; mais  les  douze  autres  an- 
nées de  séjour  au  milieu  des  forêts  ne  seront  pas  obligées 
à l’incognito.  2501. 

» Si  vous  perdez  la  partie  contre  nous,  ce  sera  à vous 
d’habiter  dans  les  bois  avec  Krishnà  douze  années,  revêtus 
de  peaux.  2502. 

» La  treizième  année  se  trouvant  accomplie,  nous  re- 


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SABHA-PARVA. 


7 


couvrerons  nos  royaumes,  comme  il  est  juste,  ou  les  uns 
ou  les  autres.  2503. 

» Entre  au  jeu  avec  nous,  Youddhishthira,  sous  de 
telles  conditions  ; jette  de  nouveau  les  dés  et  joue,  fils  de 
Bharata.  » 2504. 

Alors  tous  les  assistants,  leurs  âmes  troublées,  se  hâ- 
tent de  crier,  élevant  leurs  mains  au  milieu  de  l’as- 
semblée : 2505. 

. » Oh  ! honte  ! Ses  parents  ne  l’avertissent  pas  du  grand 
danger,  où  il  te  précipite,  que  cet  éminent  Bharatide  le 
voie  ou  ne  le  voie  pas  des  yeux  de  son  intelligence!  » 

Quoiqu’il  entendit  bien  ces  rumeurs  si  nombreuses  de 
l’assemblée,  le  puissant  monarque  (ils  de  Prithâ  n’en  re- 
tourna pas  moins  au  jeu  par  pudeur  et  sous  l’impulsion  du 
devoir.  2600 — 2507. 

Quoique  ce  héros  à la  grande  intelligence  en  vit  claire- 
ment toutes  les  conséquences,  il  recommença  le  jeu  : a La 
perte  des  enfants  de  Kourou  serait-elle  au  moment  de  Ut 
saisir?  » pensait-il.  2508. 

« Comment  un  homme  tel  que  moi,  observateur  de  son 
devoir,  lui  répondit  Youddhishthira,  reculerait-il  devant 
une  provocation  ? Je  joue  avec  toi,  Çakouni  ! » 2500. 

« Nos  troupeaux  de  bœufs,  reprit  celui-ci , nos  haras 
de  chevaux,  nos  étables  nombreuses  de  vaches  laitières, 
nos  chèvres  et  nos  brebis  sans  fin,  nos  éléphants,  nos  tré- 
sors, tout  notre  or,  nos  serviteurs  et  nos  servantes,  sans 
rien  excepter,  2510. 

» Seront  notre  enjeu  pour  ce  coup  de  dés.  Maintenant,  fils 
de  Pàndou,  nous  jouons  dans  une  seule  partie  l'habitation 
au  sein  des  forêts.  De  vous  ou  de  nous,  le3  vaincus  iront 
dans  les  bois,  où  ils  devront  mettre  leur  habitation.  2511. 


8 


LE  MAHA-BHARATA. 


» En  outre,  les  perdants  auront  à passer  la  treizième 
année  inconnus  avec  leur  famille.  Jouons,  seigneurs,  à de 
telles  conditions.  » 2512. 

Le  fils  de  Kounti  accepta,  rejeton  de  Bharata,  la  partie 
en  un  seul  coup  pour  l’habitation  daus  les  bois.  Le  fils 
de  Soubala  prit  le  cornet,  jeta  les  dés  et  Çakouni  dit  en- 
core à Youddhishthira  : « Tu  as  perdu!  » 2513. 

Ensuite,  les  (ils  de  Prithâ,  vaincus  au  jeu,  ayant  reçu 
l'initiation  pour  la  vie  d'anachorète,  s’alTublèrent  chacun 
à son  tour  d'une  peau  d’antilope  noire  en  guise  de  vête- 
ment supérieur.  2515. 

Quand  il  vit  ces  héros,  dépouillés  de  leurs  états,  ha- 
billés de  peaux  et  foulant  déjà  la  route,  qui  devait  les  con- 
duire aux  bois,  Douççàsana  tint  alors  ce  langage  : 2515, 

u Voici  l'empire  tombé  aux  mains  du  magnanime  roi, 
fds  de  Dhritaràshtra  ! Les  Pàndouides  vaincus  sont  plon- 
gés dans  une  profonde  infortune  ! 2516. 

» Maintenant  qu'ils  s’avancent,  ces  rois,  parles  plaines, 
les  chemins  et  les  déserts,  nous  voici,  nous!  devenus  les 
aînés,  les  plus  distingués  par  leurs  qualités,  les  maîtres 
de  nos  ennemis  ! 2517. 

» Les  fils  de  Prithà  sont  précipités  dans  le  Naraka  pour 
un  long  temps,  pour  un  temps  infini  : sans  plaisirs,  sans 
royaume,  ils  sont  perdus  pour  des  années  éternelles! 

» Les  fils  de  Pândou,  qui,  enivrés  de  leurs  richesses, 
ont  raillé  les  fils  de  Dhritaràshtra,  aujourd'hui  vaincus 
au  jeu,  dépouillés  de  leurs  biens,  s'en  iront  dans  les 
forêts!  2518—2519. 

» Qu'ils  déposent  maintenant  leurs  cuirasses  admi- 
rables, leurs  habits  splendides  et  célestes,  et  que  tons  se  . 
revêtent  avec  la  peau  des  antilopes,  puisqu’ils  n’ont  pas 


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SABHA-PARVA. 


9 


craint  de  s'aventurer  au  jeu  de  dés  contre  le  fils  de  Sou- 
balal  2520. 

« Il  n’existe  pas  de  tels  hommes  dans  tous  les  mondes  ; 
ils  atteignent,  dit-on,  au  sommet  de  l’intelligence.  » Eh 
bien!  ils  apprendront  à se  connaitre  dans  cette  catas- 
trophe; ils  sauront  qu’ils  sont  des  arbre»  stériles  et,  à 
peu  près,  des  eunuques!  2521. 

» Voyez  donc  ces  habits  de  peau  et  ces  dépouilles  de 
gazelles  sur  les  Pàndouides  si  intelligents,  d’une  telle 
vaillance  au  milieu  des  combats,  si  vigoureux,  et  qui  n’a- 
vaient jamais  goûté  à la  vie  des  henni  tes  ! 2522. 

» Yajnaséna  le  Sonakide  à la  vaste  science,  qui  a 
donné  aux  Pàndouides  la  vierge  Krishnâ,  n’en  a point  re- 
tiré une  bien  grande  récompense,  car  les  (ils  de  Prithà, 
époux  d’ Yajnaséni,  ne  sont  que  des  eunuques  ! 2523. 

« Maintenant  que  tu  les  as  vus  s’en  aller  dans  les  bois, 
vêtus  de  manteaux  légers  et  d’une  peau,  comme  vêtement 
supérieur,  quelle  satisfaction  peux-tu  espérer,  Yajnaséni  ? 
Fais  choix  ici  d'un  autre  époux  à ta  fantaisie  ! 252A. 

» Tous  ces  enfants  de  Kourou,  rassemblés  devant  toi, 
sont  patients,  domptés,  bien  pourvus  de  richesses  : choisis 
l’un  deux  pour  ton  époux;  ne  te  laisse  pas  entraîner  par 
l'adversité  des  circonstances.  2525. 

» Les  Pàndouides  ressemblent  tous  à des  arbres  sans 
fruits,  à du  sésame  stérile,  à des  animaux  empaillés,  à des 
épis  sans  grains.  2526. 

» Partager  la  couche  des  fils  de  Pàndou,  ou  partager 
celle  des  hommes,  qui  portent  la  cicatrice  de  l'eunuque, 
n’est-ce  pas  une  peine  également  stérile.  >i  Ainsi  le  cruel 
fils  de  Dhritaràstra  frappait  de  ces  paroles  blessantes  les 
oreilles  des  Pàndouides.  2527. 


10 


LE  MAHA-BHARATA. 


A ces  mots,  Bhtmaséna  au  comble  de  la  colère,  s’avança 
vers  lui  à grands  pas,  les  menaces  à la  bouche,  comme  un 
lion  de  l’Himâlaya  vers  un  chacal,  et  lui  jeta  ces  mots 
dans  la  fureur,  qui  dominait  son  âme  : 2528. 

« Cruel,  tu  dis  une  chose,  qui  plaît  à des  gens  vicieux, 
mais  qui  n’aura  pas  son  accomplissement;  tu  t’enorgueillis 
de  la  science  de  Gândhâra  au  milieu  des  rois!  2520. 

» De  même  que  tu  blesses  horriblement  nos  membres 
avec  les  flèches  de  ta  voix,  tel  un  jour,  moi  ! je  te  rappel- 
lerai ces  paroles  dans  la  guerre,  où  je  trancherai  tes  mem- 
bres sans  pilii.  2630. 

» Tes  défenseurs,  qui  marchent  sur  tes  pas,  soumis  au 
pouvoir  de  l'avarice  et  de  la  colère,  je  les  conduirai  avec 
leurs  parents  dans  le  séjour  d’Yama!  » 2531. 

Tandis  que,  déjà  revêtu  de  la  peau  d’antilope,  le  héros, 
de  qui  la  route  était  tracée  par  le  devoir,  tenait  ce  lan- 
gage, Douççâsana,  foulant  aux  pieds  toute  retenue,  dan- 
sait autour  de  lui  et  le  provoquait  en  criant  : « Le  tau- 
reau ! le  taureau  ! » 2532. 

« Méchant  Douççâsana,  lui  dit  Bhimaséna,  est-il  pos- 
sible à toi  de  me  jeter  ces  paroles  injurieuses  ! Qui  peut  se 
glorifier  des  richesses,  qu’il  doit  à la  fraude?  2533. 

» Que  Vrikaudara,  fils  de  Prithà,  n’entre  jamais  dans 
les  mondes  bienheureux,  s'il  ne  boit  ton  sang  un  jour, 
qu’il  aura  brisé  ta  poitrine  dans  un  combat!  2534. 

» Après  que  j’aurai  tué,  — et  ce  ne  sera  pas  long,  — 
malgré  tous  les  archers,  les  fils  de  Dhritarâshtra  sur  le 
champ  de  bataille,  alors  seulement  je  déposerai  ma  co- 
lère. Ce  que  je  dis  là,  c’est  la  vérité  ! » 2536. 

Tandis  que  les  Pândouides  sortaient  de  l’assemblée, 
Douryodhaua,  l'insensé  monarque,  contrefit  de  son  pas, 


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SABHA-PARVA. 


11 


en  se  moquant,  le  pas  vacillant  de  Bhlmaséna  à la  marche 
de  lion.  2536. 

Mais  Ventre-de-loup,  tournant  à demi  son  corps , lui 
dit  : « Tout  ne  finit  pas  de  cette  manière  I Je  te  répondrai, 
insensé,  quand  je  t’aurai  fait  souvenir  de  celte  moquerie 
en  te  donnant  la  mort,  à toi  et  à tes  parents  ! » 2537. 

Quand  il  se  fut  ainsi  vu  le  jouet  du  mépris,  le  vigou- 
reux et  fier  Bhîoia,  comprimant  sa  colère  en  lui-même, 
dit  encore  ces  paroles  dans  l’assemblée  des  Kourouides, 
en  sortant  à la  suite  de  son  roi  : 2538. 

a Je  tuerai  Douryodhana  ; Dhanandjaya  lui-mème  sera 
le  meurtrier  de  Karna  ; et  f.akouni,  le  tricheur  aux  dés, 
mourra  sous  les  coups  de  Sahadéva  ! 2530. 

» J'ajouterai  en  outre  cette  grande  parole  de  vérité  au 
milieu  de  cette  assemblée  : les  Dieux  allumeront  eux- 
mêmes  le  feu  des  combats  entre  nous!  2540. 

» Je  tuerai  dans  une  bataille  ce  pervers  Souyodhana 
d’un  coup  de  massue,  et,  sur  le  sol  de  la  terre,  je  m’ap- 
puierai de  mon  pied  sur  sa  tête!  2541. 

» Quant  à ce  héros  en  paroles  seulement,  ce  méchant, 
cet  injurieux  Douççâsana,  je  veux  un  jour  boire  son 
sang  comme  un  lion  ! » 2542. 

Arjouna  dit  : 

« On  n’entrevoit  pas  dam  l’avenir , Bhlma,  ce  qui  est 
ainsi  décrété  par  la  voix  des  gens  de  bien  ; mais  dans  qua- 
torze ans,  à compter  de  ce  jour,  on  verra  alors  ce  qui 
arrivera!  » 2543. 

« Douryodhana,  Karna,  le  fourbe  Çakouni  et  Douççâ- 
sana, reprit  Bhlmaséna,  en  voilà  quatre,  de  qui  la  terre 
boira  le  sang  ! » 2544. 

« Suivant  ton  ordre,  Bhlmaséna,  lui  répondit  Arjouna, 


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12 


LE  MAHA-BHARATA. 


j’immolerai  sur  le  champ  de  bataille  le  détracteur,  le 
glorieux,  le  provocateur,  le  haineux  Karna  ! 2545. 

» Je  le  jure,  moi  Arjouna,  par  le  désir  de  faire  une 
chose  agréable  à Bhlmaséna,  j'abattrai  dans  le  combat 
sous  mes  flèches  Karna  et  les  suivants  de  Karna  ! 2546. 

» Et  tous  les  autres  souverains,  qui  oseront  lutter 
contre  moi,  je  les  plongerai  sous  mes  dards  au  séjour 
d’Yama!  2547. 

» On  verra  l’Himâlaya  changer  de  place,  l’auteur  du 
jour  perdre  sa  clarté,  la  fraîcheur  abandonner  l’astre  des 
nuits,  si  ma  parole  s’écarte  de  la  vérité!  2548, 

» Si  Douryodhana  au  commencement  de  la  quatorzième 
année,  à partir  d’aujourd’hui,  ne  rend  pas  le  royaume, 
qu’il  devra  bien  gouverner  dans  l’intervalle,  ce  que  j’ai 
dit  là  deviendra  une  vérité  ! » 2549. 

Quand  le  fils  de  Prithâ  eut  fini  de  parler,  le  fils  char- 
mant de  Mâdravatl,  l’auguste  Sahadéva  étendit  un  long 
bras,  et,  les  yeux  rouges  de  colère,  soufflant  comme  un 
serpent,  il  articula  ces  mots,  brûlant  de  porter  la  mort  au 
fils  de  Soubala  ; 2560 — 2551. 

« Insensé,  qui  effaces  la  gloire  des  Gàndhârides,  ces 
dés,  que  tu  prises  tant,  sont  pour  toi  des  flèches  acérées  ; 
ce  sont  les  armes,  dont  tu  fais  choix  pour  les  combats. 

» Toi  et  tes  parents,  comme  Bhlma  lui-même  a dit, 
vous  serez  mon  but  : c'est  moi,  qui  accomplirai  cet 
exploit;  fais  tes  affaires  complètement  ! 2552 — 2555. 

» Je  vous  aurai  bientôt  ici  même  exterminé  tous  dans 
un  combat,  toi  et  tes  parents,  si  tu  peux,  Soubalide,  tenir 
ferme  devant  moi  avec  la  vertu  du  kshatrya.  » 2554. 

A ces  mots  de  Sahadéva,  Nakoula,  le  plus  admirable 
des  hommes,  sire,  de  parler  en  ces  termes  ; 2555. 


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SABHA-PARVA. 


1S 


« Voici  la  fille  d’Yajnaséna,  contre  qui  les  -fils  de  Dhri- 
tarâshtra, empressés  de  complaire  à Douryodhana,  ont 
prononcé  dans  le  jeu  des  paroles  choquantes.  2558. 

» Je  plongerai,  moi!  dans  les  demeures  du  fils  de  Vi- 
vasvat  ces  Dhritarâshtrides  en  si  grand  nombre,  vicieux, 
qui,  poussés  par  le  Destin,  courent  à la  mort  ! 2557. 

» Marchant  à l’ordre  d’Youddhishthira  dans  la  voie  de 
Draâupadl,  je  dépeuplerai  la  "terre  de  tous  ses  Dhrita- 
râshtrides avant  qu’il  ne  s’écoule  beaucoup  de  temps!  » 

Après  que  tous  ces  héroïques  princes  aux  longs  bras 
eurent  ainsi  formulé  de  nombreuses  menaces,  ils  s’ap- 
prochèrent du  roi  Dhritarâshtra.  2558—2559. 

Youddhishthira  lui  dit  : 

» J'adresse  ici  mes  adieux  aux  enfants  de  Bharata,  à 
mon  vieux  grand-oncle,  au  roi  Somadatta  et  au  puissant 
monarque  le  Vâhlikain,  2580. 

» A Drona,  à Kripa  et  aux  autres  souverains,  à Açvat- 
thftman  lui-même,  à Vidoura,  à Dhritarâshtra  et  à tous 
ses  fils  sans  exception  ! 2661. 

» Je  salue  Youyoutsou , Sandjaya , tous  les  autres 
membres  de  l’assemblée  et  je  pars  : je  devrai  à mon  re- 
tour le  bonheur  de  vous  voir!  » 2582. 

Tous,  remplis  de  honte,  ils  ne  répondirent  pas  un  seul 
mot  à Youddhishthira  ; mais,  dans  leurs  âmes,  ils  com- 
blaient le  sage  de  bénédictions.  2588. 

« La  noble  Prithà,  cette  fille  du  roi,  dit  Vidoura,  ne 
doit  pas  s’exiler  dans  les  forêts,  elle  si  délicate,  parvenue 
à la  vieillesse,  accoutumée  à des  plaisirs  continuels  dans 
la  vie!  2564. 

• L’illustre  Kountî,  sachez-le,  habitera  ici  dignement 


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14 


LE  51AHA-BHARATA. 


honorée  dans  mon  palais.  Que  la  félicité  vous  accompagne, 
vous!  entièrement!  » 2565. 

A ces  mots,  tous  les  fils  de  Pàndou  répondent  : * Qu'il 
en  soit  comme  tu  nous  dis,  mortel  sans  péché  ! Tu  es 
notre  oncle  paternel,  tu  es  pour  nous  à l'égal  d'un  père, 
et  nous  sommes  dévoués  à ton  altesse.  2566. 

» Tu  prescris  tes  ordres  avec  connaissance;  tu  es  notre 
gourou  suprême.  Décide,"  homme  à la  grande  sagesse, 
quelle  autre  chose  il  nous  reste  à faire.  » 2567. 

« Youddhishthira,  le  plus  grand  des  Bharatides,  ap- 
prends de  moi  cette  vérité,  reprit  Vidoura.  Quiconque  n’a 
pas  été  vaincu  loyalement  supporte  sans  trouble  sa 
défaite.  2568. 

» Tu  as  la  science  du  devoir,  Dhanandjaya  est  victo- 
rieux dans  la  guerre  ; Bhimaséna  est  l'exterminateur  des 
ennemis  ; l'utile  s’est  personnifié  dans  Nakoula.  2569. 

u Sahadéva  sait  dompter  les  sens,  Dhaâumya  est  le 
plus  grand  des  honnucs  instruits  dans  les  Yédas,  la  ver- 
tueuse Draâupadi  est  versée  dans  le  juste  et  l’utile.  2570. 

« Tous,  vous  vous  aimez  l’un  l'autre,  vous  offrez  aux 
regards  un  extérieur  aimable,  vous  êtes  invincibles  à vos 
ennemis,  vous  avez  l’esprit  satisfait  : qui  donc  ici  ne  vous 
porterait  envie  ? 2571. 

» Tu  possèdes  une  telle  réunion  de  tous  les  dons  heu- 
reux qu’un  ennemi  ne  peut  la  soutenir,  fût-il  en  vérité 
l’égal  même  de  Çakra  ! 2672. 

b Tu  fus  instruit  jadis  sur  l'Himâlaya  par  Mérousâ- 
varni  et  dans  la  ville  de  Vàranàvata,  par  Krishna-Dwal- 
pâyana  ; 2573. 

b Sur  le  plateau  de  Bhrigou  par  le  Djamadagnide  et 


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SABH  A.-PAUVA. 


15 


dans  Drishadvatl  par  (’.ambou.  Tu  as  entendu  même  le 
grand  anachorète  Asita  près  du  mont  Andjana.  2574. 

» Tu  es  allé  te  faire  le  disciple  de  Bhrigou  sur  les  rives 
de  la  Kalmàshl  ; Nàrada  tient  continuellement  ses  yeux 
fixés  sur  toi,  et  voici  Dhaâumya,  qui  est  ton  archi- 
brahme.  2575. 

» N'abandonne  pas  dans  l’avenir,  fils  de  Pândou,  l’in- 
telligence, que  le  saint  honora  ! Surpasse  en  intelligence 
Pouroûravas,  le  fils  d’Ilâ  1 2576. 

# Surpasse  les  autres  rois  en  vigueur,  les  rishis  en 
dévouement  à la  vertu  ; aies  une  âme  élevée,  comme  Indra, 
dans  la  victoire,  comme  Vania  dans  la  compression  de  la 
colère,  2577. 

» Comme  Kouvéra  en  largesses,  comme  Varouna  dans 
l'enchaînement,  comme  la  lune  pour  te  prodiguer  toi- 
même  1 Tel  que  des  eaux  viennent  les  subsistances,  que 
de  la  terre  vient  la  faculté  de  porter,  que  du  disque  so- 
laire vient  toute  la  lumière  et  que  du  vent  naît  la  force, 
sache  que  l’excellence  de  l’àme  est  ainsi  la  vie  pour  tous 
les  êtres.  2578 — 2579. 

» Que  la  santé  vous  accompagne  ! Que  le  bonheur 
vous  suive  ! Déjà  je  vous  vois  de  retour.  L’infortune  s’at- 
tache aux  difficultés  de  l'utile  et  du  juste,  ou  même  encore 
à toutes  les  choses.  2580. 

» Puisses-tu  obtenir  en  chaque  saison,  Youddhishthira, 
ce  qui  lui  est  propre.  Je  te  fais  ici  mes  adieux,  fils  de 
Kountl  : que  la  félicité  soit  ton  partage,  rejeton  de  Bha- 
rata! 2581. 

» Nous  te  verrons  enfin  revenir,  content,  heureux  : en 
effet,  personne  ne  connaît  aucun  péché,  que  vous  ayez 
jamais  commis.  » 2582. 


16 


I.E  MAHA-BHÀRATA. 


A ces  mots  : u Qu'il  en  soit  ainsi  ! » répondit  le  Pân- 
douide  Youddhishthira  au  courage  infaillible  ; et,  quand 
il  eut  présenté  ses  hommages  à Bhlshma  et  à Drona,  il 
se  mit  en  route.  2583, 

Krishnà,  au  moment  qu’il  partit,  s’approcha  de  la  noble 
Pritbà  et,  tourmentée  d’une  cruelle  douleur,  salua  Kountt 
et  les  autres  femmes,  qui  étaient  15.  258â. 

Quand  elle  eut,  suivant  les  convenances,  mis  ses  bai- 
sers sur  leurs  bouches,  elle  désira  partir  : aussitôt  un 
bien  grand  bruit  s'éleva  dans  le  gynœcée  des  Pàndouides. 

Consumée  d'une  vive  douleur  à la  vue  de  Draâupadt, 
qui  s'éloignait,  Kountl  prononça  ces  mots  avec  peine 
d’une  voix  émue  par  le  chagrin  : 2585 — 2580. 

» Ma  fille,  la  grande  infortune,  où  tu  es  tombée,  ne 
doit  pas  te  causer  de  chagrin.  Tu  connais  les  devoirs  des 
femmes,  comme  une  dame  attachée  à la  pratique  des 
vertus.  2587. 

» 11  ne  me  sied  pas,  femme  au  candide  sourire,  de  te 
présenter  des  conseils  à l'égard  de  tes  époux.  Tu  es  ver- 
tueuse, tu  es  douée  richement  de  qualités,  tu  es  l'orne- 
ment de  tes  deux  familles.  2588. 

» Heureux  ces  princes  de  Eourou,  que  tu  n’as  pas 
voulu  consumer,  irréprochable  dame  ! Accomplis  sans 
accident  ton  voyage,  escortée  de  mes  pensées.  2689. 

>i  Jamais,  noble  dame,  l’intérét  n’engendre  le  dégoût 
au  sein  des  femmes  de  bien.  Défendue  par  la  vertu  de  ton 
époux,  tu  obtiendras  bientôt  la  félicité.  2590. 

» 11  faut  tenir  tes  yeux  fixés  continuellement  sur  Saha- 
déva,  mon  fils , dans  son  exil  au  milieu  des  forêts  afin 
que  le  malheur,  où  il  est  tombé,  ne  jette  pas  dans  le  dé- 
sespoir ce  jeune  prince  à la  grande  intelligence.  » 2691. 


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SABHA-PARVA. 


il 


» H en  sera  ainsi  ! » répondit  ia  reine,  qui  sortit,  les 
cheveux  détachés,  vêtue  d’une  seule  robe,  teinte  dans  la 
couleur  du  safran  et  les  yeux  troublés  par  l’eau,  qui  ruis- 
selait de  ses  paupières.  2592. 

Prithâ  suivit  les  pas  de  sa  bru,  poussant  des  cris  d’an- 
goisse et  vit  tous  ses  fils  vêtus  d’habits,  dont  les  parures 
étaient  enlevées,  les  membres  couverts  sous  des  peaux 
d’antilope,  baissant  un  peu  la  tête  de  confusion,  envi- 
ronnés d’ennemis  joyeux,  et  pleurés  de  leurs  amis. 

2593—2594. 

Poussée  de  la  plus  vive  tendresse,  elle  s’avança  vers 
tous  ses  fils,  réduits  à cette  condition,  les  embrassa  et, 
répandue  en  lamentations,  prononça  de  telles  et  telles 
paroles  : 2595. 

« Comment  l'infortune  vous  a-t-elle  visités,  vous,  de 
qui  la  vertu  pure  avait  réglé  les  mœurs,  vous,  princes  au 
cœur  noble,  à la  dévotion  ferme,  qui  aviez  pour  objet 
principal  les  sacrifices  des  Dieux  et  faisiez  votre  parure  de 
la  constance  dans  une  bonne  conduite!  Quelle  est  cette 
adversité  du  sort?  De  qui  l’esprit  a-t-il  conçu  la  mauvaise 
pensée,  dont  le  péché  met  cette  infortune  sous  mes  yeux? 

2596—2697. 

» Mais  la  faute  est  sans  doute  celle  de  ma  destinée, 
moi,  qui  vous  ai  enfantés  pour  manger  jusqu’à  satiété  la 
misère  du  chagrin,  quoique  doués  des  plus  hautes  qua- 
lités. 2598. 

» Comment  habiterez-vous  dans  la  forêt,  au  milieu  de 
ces  fourrés  inextricables,  abandonnés  de  vos  prospérités, 
réduits  à la  maigreur,  vous,  si  riches  de  splendeur,  de 
force,  de  vigueur,  de  courage  et  d’énergie?  2599. 

» Si  j’avais  bien  su  que  votre  habitation  dans  les  bois 
ni  2 


18  LE  MAHA-BHARATA. 

était  sûre  à tel  point,  certes  ! après  la  mort  de  Pândou,  je 
ne  fusse  pas  revenue  du  mont  Çataçringa  dans  la  ville, 
qui  tire  son  nom  des  éléphants  ! 2600. 

» Heureux  fut  votre  père,  à mon  sentiment,  lui,  qui, 
nche  de  sacrifices  et  de  pénitences,  lit  goûter  à son  désir 
du  ciel  les  douceurs  du  Swarga  avant  qu’il  eut  éprouvé 
les  soucis,  que  donnent  les  fils!  2601. 

» Heureuse  de  toute  manière  fut,  à mon  sentiment,  la 
noble,  la  vertueuse  Mâdrt,  versée  dans  les  choses,  où  l’on 
ne  peut  s’élever  par  les  sens,  elle,  qui  entra  dans  la  voie 
supérieure  à celles  d'ici- bas!  2602. 

» Elle,  qui  m'a  vaincue  par  la  volupté,  par  son  intelli- 
gence, par  sa  voie  céleste!  Honte  à cet  amour,  que  j’ai 
eu,  de  la  vie  ! Honte  à moi,  qui  ai  les  chagrins  en  par- 
tage! 2603. 

» Je  ne  vous  abandonnerai  pas,  ma  fille,  aujourd’hui 
quele  malheur  vous  accable,  vous  chéris  et  bons  ; je  m’en 
irai  dans  les  bois  avec  vous.  Ah!  Krishnâ!  Pourquoi  m’a- 
bandonnes-tu dans  ton  dévouement  à cet  exil  temporaire 
et  qui  n’est  pas  le  juste  devoir.  Brahma  n’a  point  fixé  ici 
le  terme  de  ma  vie  : est-ce  par  négligence?  Mais  la  vie 
ne  m’abandonne  pas?  2604 — 2605. 

» Ah,  Krishna!  où  es-tu,  frère  puîné  de  Sankarshana, 
toi,  qui  habitais  à Dwàrakà?  Pourquoi  ne  sauves-tu  pas 
de  la  peine,  et  moi,  et  ces  héros,  les  plus  grands  des 
hommes?  2606. 

a Tu  sauves  les  hommes,  dit-on , s’ils  tournent  leur 
pensée  vers  toi,  qui  n’a  pas  eu  de  commencement  et  qui 
n’auras  pas  de  fin!  » Comment  cette  vérité  devient-elle 
aujourd'hui  un  mot,  qui  n’a  plus  de  sens?  2607. 

» Voici  des  hommes,  qui  suivent  les  pas  de  l'héroïsme, 


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SABHA-PARVA. 


19 


de  la  magnanimité,  des  bonnes  moeurs,  de  la  renommée  : 
ils  ne  méritent  pas  de  manger  l’infortune.  Ne  dois-tu  pas 
leur  accorder  ta  pitié?  *2608. 

» Comment  ce  malheur  a-t-il  pu  frapper  Bhlshma, 
Drona,  Kripa  et  les  autres,  puissants  défenseurs  de  cette 
famille,  versés  dans  les  choses  de  la  science  politique  ? 2609. 

» Ah,  Pândou!  ah,  grand  roi  ! où  es-tu?  Vois  tu  donc 
avec  indifférence  que  tes  vertueux  fils  soient  vaincus  au 
jeu  par  leurs  ennemis,  et  qu’ils  se  préparent  à l'exil? 

» Reviens , Sahadéva  ! N’es-tu  pas  à mes  yeux  plus 
cher  que  mon  corps  lui-même?  Ne  veuille  pas,  fils  de  Mâ- 
drt,  m’abandonner  comme  un  mauvais  fils!  2610 — 2611. 

» Que  tes  frères  s'en  aillent,  s’ils  veulent  rester  dans  la 
vérité  de  leur  convention  : obtiens  ici,  toi!  le  mérite,  qui 
naîtra  de  mon  salut!  » 2612. 

Tandis  que  Prithâ  gémissait  ainsi,  les  Pàndouides  sans 
joie  de  s’incliner  devant  elle,  d'embrasser  ses  pieds  et  de 
s’acheminer  vers  les  bois.  2613. 

Le  fils  de  la  femme  esclave,  Vidoura,  encore  plus  affligé 
lui-même,  consola  Kouuti  désolée,  et  la  fit  rentrer  peu  à 
peu  dans  son  palais.  261  i. 

Témoins  de  toutes  ces  scènes,  les  épouses  des  Dhrita- 
râshtrides , qui  avaient  vu  conduire  dans  l'assemblée  et 
traîner  Krishna  autour  de  la  salle,  pleurèrent  toutes  à 
grand  bruit,  et,  blâmant  à l’envi  les  Kourouides,  elles 
tinrent  long-temps  le  lotus  de  leur  visage,  caché  dans 
leurs  mains!  2615 — 2616. 

Le  roi  Dhritaràshtra,  méditant  sur  les  désordres  de  ses 
fils,  ne  put  dès  lors  trouver  dans  le  trouble  de  son  cœur  la 
tranquillité  d’esprit.  2617. 

L’âme  continuellement  occupée  de  cette  pensée  et  l’es- 


20 


tE  MAHA-BHARATA. 


prit  consumé  de  chagrin,  il  manda  Kshattri  : « Qu’on  le 
fasse  venir  au  plus  vile  ! » 2618. 

Vidoura  accourut  au  palais  du  roi  et  le  puissant  mo- 
narque de  l'interroger  avec  inquiétude  : 2619. 

A peine  fut-il  arrivé,  que  ces  demaudes  furent  adres- 
sées avec  doute  au  sage  à la  vue  longue  par  Dhritaràshtra, 
le  fils  d'Ambikâ  : 2020. 

« De  quel  air  s'en  vont  Youddhishthira,  ce  fils  d’Yama 
et  de  Kountl,  Bhimaséna,  l’Ambidextre  et  les  deux  Pàn- 
douides,  fils  de  Màdrt  ? 2621. 

» De  quel  air  s'éloignent  Dhaàumya  et  l'illustre  Draàu- 
padt?  Je  veux  savoir  tout  cela,  Kshattri  : dépeins-moi 
leur  contenance.  » 2622. 

Vidoura  lui  fit  cette  réponse  : 

« Youddhishthira,  le  fils  de  Kountl,  marche,  couvrant 
sa  ligure  de  son  vêtement,  et  Bhimaséna,  le  fils  de  Tan- 
don, regardant  ses  deux  longs  bras.  2023. 

» Éparpillant  de  son  pied  le  sable,  Arjouna  suit  le  roi, 
son  frère,  et  Sahadéva,  le  (ils  de  Màdrt,  s’avance  le  visage- 
tout  barbouillé.  262 Y 

» Nakoula,  le  plus  beau  des  hommes,  tous  ses  mem- 
bres souillés  de  poussière  , marche  , l’esprit  dans  le 
trouble,  sur  les  pas  du  roi.  2025. 

» L’admirable  Krishnà  aux  grands  yeux , la  figure 
voilée  de  ses  cheveux  épais,  marche  toute  en  pleurs  sur 
les  pas  du  roi.  2620. 

» Tenant  à la  main  une  poignée  de  kouças,  Dhaàumya, 
sire,  occupe  ses  routes  avec  les  chants  du  Sàma-Véda 
et  psalmodie  les  hymnes  sur  Y'ama  et  sur  le  terrible 
Çiva.  » 2627. 

« Pourquoi,  Vidoura,  les  fils  de  Pândou.  reprit  Dhri- 


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SABHA-PARVA. 


21 


tar&shtra,  ont-ils  pris  dans  leur  voyage  ces  différents 
extérieurs?  Dis-moi  cela  : pourquoi  font-ils  route  ainsi?  » 

« Dépouillé  par  tes  fils  de  son  royaume  et  de  ses  ri- 
chesses, lui  répondit  Vidoura,  l'Ame  du  sage  Youddhish- 
thira  ne  peut  être  écartée  de  son  devoir,  bien  qu'il  soit 
victime  d’une  tricherie.  2628 — 2629. 

» Renversé  par  la  fraude,  ce  roi,  toujours  plein  de 
miséricorde  à l’égard  de  tes  fils,  n’ouvre  pas  ses  yeux, 
rejeton  de  Bharata,  sons  l’empire  de  la  colère.  2630. 

» Je  ne  dois  pas  incendier  le  monde,  se  dit-il,  avec  le 
regard  de  mes  yeux  irrités  ! » C’est  pourquoi  ce  roi  fils 
de  Pândou  s’avance,  la  figure  voilée.  2631 . 

» Écoute  de  ma  bouche,  éminent  Bharatide,  quelle  est 
la  démarche  de  Bhimaséna.  11  n’existe  pas  au  monde, 
pense-t-il,  un  homme  égal  à moi  pour  la  force  des  bras  ! 

» Bhlina  s’avance  donc  allongeant  ses  bras  et,  fier  de 
la  force  de  ses  bras,  sire,  il  étale  ses  bras  à tous  les  yeux, 
désirant  accomplir  un  exploit  assorti  à la  vigueur  de  ses 
bras.  Arjouna,  l’ambidextre  fils  de  Kountl,  montre  dans 
les  sables,  qu’il  dissémine,  l'image  de  flèches,  qui  volent 
éparses.  Tel  qu’il  éparpille  ces  grains  de  sable,  tel,  enfant 
de  Bharata,  il  versera  sur  les  ennemis  des  pluies  de  traits 
aux  flèches  séparées  ! « Je  ne  veux  plus  que  personne  au 
inonde  reconnaisse  mon  visage  ! » 

2632— 2633— 263â— 2635— 2636. 

» A dit  Sahadéva.  11  a donc  passé  un  onguent  sur  sa 
face  avant  de  commencer  ce  voyage.  « 11  ne  faut  pas  que 
j’entraine  les  âmes  des  femmes  dans  ma  route  ! » a pensé 
Nakoula  : aussi  marche-t-il,  tous  ses  membres  souillés  de 
poussière.  2637. 

» Couverte  d’un  seul  vêtement,  les  cheveux  déliés,  en 


22 


LE  MAHA-BHARATA. 


pleurs,  sa  robe  d'anachorète  mouillée  de  sang,  Draàupadl, 
affligée  de  son  mois,  a soupiré  ses  mots  : 2638. 

n En  châtiment  des  outrages,  qu’ils  m’ont  infligés,  on 
verra  dans  la  quatorzième  année  leurs  épouses  veuves, 
ayant  vaqué  pour  le  salut  de  leurs  mânes  à la  cérémonie 
de  l’eau  funèbre,  pleurant  la  mort  de  leurs  amis  et  de 
leurs  parents,  la  mort  de  tous  leurs  Gis,  la  mort  de  leurs 
époux,  rentrer  dans  la  ville  de  Uastinapoura,  les  cheveux 
sans  liens,  affligées  par  l’indisposition  du  mois  et  les  mem- 
bres souillés  par  des  ruisseaux  de  sang  ! » 2630 — 2640. 

» Ohaâumya,  le  sage  pourohita,  marche  devant  eux, 
auguste Bharatide,  psalmodiant  les  hymnes  duSàma-Véda 
en  l’honneur  d' Varna,  et  tenant  à la  main  des  graminées 
darbhas,  la  pointe  tournée  au  sud-ouest.  » 2641. 

« Les  Gourous  chanteront  de  cette  manière  les  hymnes 
du  Sâma-Véda,  quand  les  rejetons  de  Kourou  seront  cou- 
chés morts  sur  le  champ  de  bataille  ! » Ainsi  parle  Dhaàu- 
mya  et  il  marche.  2642. 

» Ah  ! ah  ! nos  défenseurs,  qui  s’en  vont!  Voyez  quel 
spectacle  ! Honte  aux  actions  des  vieillards  de  Kourou, 
pareilles,  hélas  ! à celles  des  enfants,  eux,  que  l’avarice 
pousse  à chasser  de  leurs  états  les  héritiers  de  Pàndou  ! 
Et  nous,  séparés  des  fils  de  Pàndou,  nous  voilà  tous  sans 
protecteurs  ! 264 3 — 264 4 . 

n Quelle  satisfaction  pouvons-nous  espérer  de  ces  Kou- 
rouides  avares  et  mal  élevés?»  Ainsi,  mainte  et  mainte 
fois  ont  crié  les  citadins,  frappés  de  la  plus  vive  dou- 
leur. 2646. 

» Tout  en  racontant  de  cette  manière,  avec  l’expression 
des  attitudes,  la  résolution  arrêtée  dans  leur  âme,  les  sages 
fils  de  Kounti  se  dirigeaient  vers  la  grande  forêt. 


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SABHA-PARVA. 


23 


» Au  moment  où  ces  princes  héroïques  sortaient  ainsi 
de  la  ville,  qui  tire  son  nom  des  éléphants,  un  éclair 
jaillit  d’un  ciel  sans  nuage  et  la  terre  fut  agitée  d'un  trem- 
blement. — 2646 — 2647. 

» Le  soleil  fut  voilé  par  une  éclipse,  dans  un  temps,  où 
la  lune  ne  se  trouvait  pas  à l’un  ou  l'autre  point  de  ses 
nœuds,  un  météore  igné  décrivit  un  pradakshina  autour 
de  la  ville  et  s’évanouit.  2648. 

« Des  carnassiers,  des  vautours,  des  chacals,  des  cor- 
neilles hurlèrent,  glapirent,  croassèrent  sur  les  tchaltyas, 
les  temples  des  Dieux,  les  remparts  et  les  palais.  2649. 

» Tels  se  manifestèrent  ces  grands,  ces  inéluctables 
prodiges,  annonçant  la  perte  des  Bharatides,  sire,  dans 
les  mauvaises  inspirations  de  tes  conseils  ! » 2650. 

Tandis  que  le  roi  Dhritarâshtra,  sire,  et  le  sage  Vidoura 
s'entretenaient  ainsi  dans  le  palais,  Nârada,  environné  des 
Maharshis,  parut  soudain  au  milieu  de  la  salle,  en  face 
des  princes  de  Kourou  et  prononça  ces  effrayantes  paroles  : 

o Dans  quatorze  ans,  à compter  de  ce  jour,  tous  les 
Kourouides,  qui  sont  ici,  périront,  grâce  à la  faute  de 
Douryodhana,  écrasés  par  la  force  de  Bhtma  et  d’Ar- 
joumal»  2651 — 2652 — 2653. 

A peine  eut-il  articulé  ces  mots,  le  plus  saint  des  Dé- 
varshis,  éclatant  de  l’immense  beauté,  qu'il  tenait  de 
Brahma,  non  père,  remonta  légèrement  au  ciel  et  dis- 
parut. 2654. 

Ensuite  Douryodhana,  Karna  et  Çakouni  même,  le  fils 
de  Soubala,  rendirent  hommage  à Drona  et  lui  offrirent 
la  souveraineté  du  monde  connu  ou  Dwlpa  ! 2655. 

Alors  celui-ci  dit  à l'irascible  Douryodhana,  à Douççà- 
sana,  à Karna,  à tous  les  Bharathides  : 2656. 


24 


LE  MAHA-BHARATA. 


« Les  brahmes  ont  dit  qu'on  ne  peut  donner  la  mort 
aux  Pàndouides,  fils  des  Dieux;  et  moi,  qui  ai  la  puissance 
d'une  armée,  je  n’ai  [>as  la  force  d’abandonner  les  Dhri- 
tarâshtrides  avec  cette  réunion  des  rois,  qui  sont  venus 
de  toute  leur  âme  et  pleins  de  foi  se  mettre  sous  ma  pro- 
tection ; le  Destiu  est  plus  fort  ! 2657 — 2653. 

» Les  fils  de  Pândou,  vaincus  au  jeu,  vont,  comme  c'est 
leur  devoir,  se  rendre  au  milieu  des  forêts  : les  Pân- 
douides  habiteront  douze  années  dans  les  bois  , obser- 
vant le  vœu  de  continence;  mais,  une  fois  sortis  de  là, 
tombés  sous  le  pouvoir  du  ressentiment  et  de  la  colère, 
ils  embrasseront  l'inimitié  par  une  cruelle  douleur. 

2658—2660. 

» Droupada  fut  renversé  par  moi,  sire,  dans  une  guerre, 
dont  notre  amitié  fut  la  causa  Ce  prince  alors  de  sacri- 
fier aux  Dieux  pour  obtenir  un  fils,  qui  me  donnât  la 
mort.  2661. 

» Le  feu  récompensa  par  un  fils  sa  pénitence,  les  sacri- 
fices d’animaux,  les  offrandes  de  nourriture,  qu’il  jeta 
dans  son  brasier.  Drishtadyoumna  et  la  vertueuse  Draâu- 
padi  naquirent  du  milieu  de  l'autel.  2662. 

» Dhrishtadyoumna,  le  frère  de  Krishna,  est  en  grande 
estime  auprès  des  fils  de  Prithà,  ses  beaux-frères;  il  met 
son  plaisir  en  ce  qui  est  agréable  aux  fils  de  Pândou; 
le  danger  est  donc  suspendu  sur  ma  tête  ! 2663. 

» Couleur  du  feu,  accordé  par  ce  Dieu  même,  habile 
archer,  maître  des  flèches  d'Agni,  armé  d’une  cuirasse 
naturelle,  il  m’inspire  une  profonde  terreur  dans  ma  con- 
dition mortelle.  2664. 

b Immolateur  des  héros  ennemis,  te  Prishatide  a donc 
embrassé  le  parti  des  fils  de  Pândou  : toujours  le  premier 


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SABHA-PARVA. 


26 

à la  tête  des  multitudes  de  guerriers,  qui  combattent  sur 
des  chars,  c'est  un  jeune  Arjourna.  2666. 

» S’il  arrive  que  je  me  rencontre  avec  lui  sur  un  champ 
de  bataille,  il  est  très-sûr  que  je  ne  pourrai  sauver  ma 
vie  : est-il  pour  moi,  fils  de  kourou,  une  autre  infortune 
plus  grande,  plus  profonde  sur  la  terre  ! 2666. 

« Dhrishtadyoumna  est  la  mort  de  Drona  ! » ce  mot  est 
répandu  en  tous  lieux.  Il  est  célèbre  et  même  déjà,  plus 
que  célèbre  dans  le  monde  comme  l'être  destiné  à me 
donner  la  mort.  2667. 

» Sans  doute  ce  temps  suprême  arrive  à cause  de  toi. 
Hâtez-vous  ! Que  cette  félicité  n'ait  point  ainsi  la  durée 
d'un  moment  ! Que  ce  plaisir  ne  soit  pas  aussi  fugitif  que 
l’ombre  fraîche  d'un  palmier!  Célébrez  de  grands  sacri- 
fices, goûtez  les  plaisirs,  faites  des  largesses  : dans  qua- 
torze années  à compter  d’aujourd’hui,  vous  serez  enve- 
loppés d’un  vaste  carnage  ! » 

A ces  paroles  de  Drona,  le  roi  Dhritarâshtra  fit  cette 
réponse  : 2668 — 2669 — 2670. 

b II  fut  dit  à propos  parleur  oncle  et  père  : « Kshattri, 
fais  revenir  les  fils  de  Pândou  ; et  si,  reçus  d'un  accueil 
hospitalier,  ils  ne  s’abstiennent  pas,  que  mes  fils  jouissent 
de  leur  fortune,  armes,  chars  et  fantassins  ! » 2671. 

Vaîçampâyana  dit,  continuant  sa  narration  : 

Quand  les  Pàndouides  furent  partis,  vaincus  au  jeu, 
pour  les  forêts,  le  souci,  puissant  roi,  s'empara  du  vieux 
Dhritarâshtra.  2672. 

Sandjaya  dit  alors  au  souverain  des  hommes  assis, 
rêveur,  poussant  des  soupirs,  roulant  mainte  et  mainte 
pensée  dans  son  cœur  : 2673. 

« Après  que  le  suzerain  de  la  terre  a réuni  dans  ses 


26  LE  MAHA-BHARATA. 

mains  la  terre  pleine  de  richesses,  après  qu'il  a banni  de 
leurs  états  les  fils  de  Pândou,  pourquoi  ta  majesté  sou- 
pire-t-elle dans  l'affliction  ? » 2674. 

« D'où  viendrait,  fit  Dhritarâshtra,  la  joie  à des  hommes, 
qui  doivent  un  jour  se  trouver  en  guerre  avec  les  héros 
Pàndouides,  vigoureux,  ivres  de  combats?  » 2675. 

Sandjaya  répondit  : 

« Cette  grande  et  prochaine  guerre,  qui  doit  entraîner 
la  perte  des  hommes,  accompagnés  de  leurs  fils,  elle  est, 
sire,  ta  récompense.  2676. 

» En  effet,  malgré  l’opposition  de  Bhishma,  de  Drona  et 
de  Vidoura,  ton  fils  Douryodhana  sans  pudeur,  l’âme 
toute  pleine  de  folie,  a dit  au  fils  du  cocher  Pràlikàmi  : 
« Amène  ici  la  vertueuse  Draàupadi,  cette  épouse  chérie 
des  fils  de  Pândou  ! » 2677—2678. 

» Ont-ils  décrété  la  ruine  d'un  homme,  les  Dieux  lui 
ravissent  l'intelligence,  et  il  voit  les  adversités  ! 2679. 

» L'heure  venue  de  la  ruine,  son  esprit  se  trouble,  et  la 
démence,  qu’il  regarde  comme  sagesse,  ne  sort  pas  de 
son  cœur.  2680. 

» Les  maux  lui  paraissent  des  biens,  les  biens  lui 
semblent  des  maux,  et  sou  âme  se  complaît  vraiment  dans 
ces  idées  pour  sa  ruine.  2681. 

» La  mort,  sans  lever  son  spectre,  coupe  la  vie  de  tout 
être  animé.  Telle  est  la  puissance  de  la  mort  qu’elle 
montre  les  choses  sous  un  aspect  différent.  2682. 

» Son  approche  inspire  le  trouble,  il  est  horrible,  épou- 
vantable ! La  vertueuse,  la  belle  Pântchâll,  née  dans  la 
race  du  soleil  et  qui  n’avait  pas  été  conçue  au  sein  d’une 
femme,  on  l’a  traînée  au  milieu  d’une  assemblée!  Quel 
autre  bomme  qu'un  tricheur  au  jeu  aurait  pu  mépriser, 


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SABHA-PARVA. 


27 


au  point  de  la  traîner  autour  d'une  salle,  cette  dame 
illustre,  qui  a la  science  de  tous  les  devoirs?  A peine 
couverte  d'un  seul  vêtement,  inondée  de  sang,  Pântchàll 
à la  taille  gracieuse,  remplie  de  pudeur  (1),  tenait  ses 
regards  fixés  sur  les  fils  de  Pàodou,  dépouillés  de  leurs 
biens,  dépouillés  du  royaume,  dépouillés  de  leurs  vête- 
ments, dépouillés  de  toute  splendeur, 

2685—2684—2685—2886, 

» Privés  de  toutes  les  choses,  qu'on  peut  souhaiter, 
réduits  à la  condition  d'esclave,  liés  partout  des  chaînes 
du  devoir  et  comme  paralysés  dans  le  courage  ! 2687. 

» Douryodhana  et  karna  ont  jeté  des  mots  amers  aux 
Pândouides  irrités  et  à Krishnà  désolée,  indigne  de  ce 
traitement.  Tout  cela,  sire,  semble  plein  de  trouble  à mes 
yeux.  » 2688. 

o Ses  yeux,  si  pleins  de  tendresse,  reprit  Dhritaràsh- 
tra,  incendieraient  la  terre  : puisse-t-il,  Sandjaya,  échap- 
per aujourd'hui  un  reste  de  mes  fils  ! 2680. 

» Réunies  avec  Gândhàri,  toutes  les  épouses  des  Bha- 
ratides  ont  poussé  des  cris  effroyables  à la  vue  de  Krishnà 
conduite  dans  l’assemblée.  2690. 

» Elles  déplorent  continuellement  avec  tous  mes  sujets 
cette  dame,  la  plus  vertueuse  des  femmes,  légitime 
épouse,  douée  de  jeunesse  et  de  beauté.  2691. 

» Les  brahmes  furent  indignés  qu’on  eût  traîné  ainsi 
l’infortunée  Draàupadl,  et  le  soir  ils  n'excitaient  plus  les 
feux  sacrés.  2602. 

» Il  s’éleva  un  effroyable  murmure,  une  grande  tem- 
pête de  vent  souffla,  des  météores  ignés  tombèrent  du 

(I)  Stridhartninij  littéralement  : ayant  la  vertu  des  femme*. 


28 


LE  MAHA-BHARATA. 


ciel;  l’éclipse,  inspirant  aux  créatures  une  terreur  im- 
mense, dévora  le  soleil  au  temps  où  la  lune  n'était  pas 
arrivée  à l’un  de  ses  nœuds,  et  le  feu  s’alluma  de  lui- 
même  dans  les  remises  des  chars.  2693 — 209â. 

» On  vit  les  drapeaux  mêmes  se  déchirer  dans  l’infor- 
tune des  Bharatides,  et  l'on  entendit  les  chacals  glapir 
d'une  manière  épouvantable  dans  le  sanctuaire  du  feu 
sacré  au  palais  de  Douryodhana  ; 2095. 

» Et  les  braiements  des  ânes  répondirent  à ces  glapis- 
sements par  tous  les  points  de  l’espace.  Ensuite  Bhtshma, 
accompagné  par  Drona,  Kripa,  Somadatta  et  le  magna- 
nime Vâhlika,  s'approchèrent  de  moi,  et,  suivant  les 
conseils  de  Vidoura,  je  parlai  en  ces  termes  : 

« Je  veux  accorder  une  grâce  à Krishnâ.  Demande  ! 
quelle  que  soit  la  chose,  que  tu  souhaites  d’obtenir.  » La 
Pântchâlaine  opta  pour  l’alfranchissement  des  fils  de  Pân- 
dou.  2096—2097—2698. 

» Je  l’accordai  avec  les  chars  et  les  archers.  Cela  fait, 
Vidoura  à la  grande  science,  versé  dans  tous  les  devoirs, 
me  tint  ce  langage  : 2699. 

o Puisse  en  rester  là  ce  malheur,  enfants  de  Bharata, 
que  Krishna  soit  venue  dans  votre  assemblée;  elle,  qui 
est  la  fille  du  roi  des  Pàntchâlains,  cette  beauté,  à la- 
quelle il  n’est  rien  de  supérieur  ! 2700. 

» Pàntchàll  fut  poussée  par  le  Destin,  qui  l’a  créée, 
vers  les  (ils  Pàndou;  mais  ni  ces  enfants  irrités  de  Kountî, 
ni  les  Vrishnides  aux  grands  arcs,  ni  les  Pàntchâlains  aux 
grands  chars,  défendus  par  ce  Vasoudévide,  fidèle  obser- 
vateur de  la  vérité,  ne  pardonneront  jamais  les  outrages, 
dont  elle  fut  abreuvée.  2701 — 2702. 

» Bibhatsou,  environné  des  Pàntchâlains,  conduira  ici 


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SABHA-PAJWA. 


29 


leurs  armées  : au  milieu  d'elles  marchera  le  héros  Bhi- 
maséna  à l’immense  vigueur.  2703. 

» Il  conduira  ici  leurs  armées,  tenant  sa  massue  bran- 
die, comme  le  Dieu  de  la  mort  brandit  son  bâton  ; et  l’on 
entendra  le  bruit  épouvantable  de  l’arc  Gàndiva,  manié 
par  le  sage  fils  de  Prithà.  2704. 

» Les  rois  sont  incapables  de  supporter  la  massue  im- 
pétueuse de  Bhima  : c’est  donc  la  paix,  qui  me  sourit, 
non  la  guerre  avec  les  fils  de  Kountl.  2705. 

» Les  Pàndouides  sont  toujours  plus  forts,  à mon  sen- 
timent, que  les  Kourouides.  11  avait  de  la  vigueur  ce  roi 
Djaràsandha  à la  grande  splendeur  ; et  cependant  il  fut 
tué  dans  le  combat  par  un  coup  du  bras  de  Bhlmaséna. 
Conserve  donc,  chef  des  Bharatides,  la  paix  avec  les  fils 
de  Pàndou.  2700 — 2707. 

» Qu’une  alliance  soit  conclue,  sans  balancer,  entre 
les  deux  partis.  Si  tu  agis  de  cette  manière,  tu  atteindras, 
puissant  monarque,  au  sommet  du  bonheur  ! » 2708. 

» Après  que  Kshattri  m'eut  adressé,  fils  de  Gavalgana, 
ce  langage  conforme  à l’utile  et  au  juste,  moi,  je  ne  sus 
pas  l’accueillir  dans  mon  désir  aveugle  pour  le  bien  de 
mes  fils.  » 2700. 


FIN  Dl'  SABHA-PARVA. 


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LE  VANA-PARVA 


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LE  VANAPARVA. 


Honorez  d’abord  Nârûyana,  et  Nara,  le  plus  grand  des 
hommes,  la  déesse  Sarasvatî  et  Vyàsa;  ensuite,  récitez  ce 
poème , qui  donne  la  victoire  ! 

Djanamédjaya  dit  : 

« Quelle  profonde  inimitié  embrassèrent,  6 le  plus  saint 
des  Brahmes,  ces  fds  de  Rountl,  rejetons  de  Kourou,  mes 
ancêtres,  quand  ces  méchants  Dhritarâshtrides,  dont  la 
tricherie  les  avait  gagnés  au  jeu,  eurent  excité  leur  co- 
lère en  jetant  à leurs  oreilles  des  paroles  outrageantes  ? 

1-2. 

» Comment,  tombés  de  la  puissance  et  ti  miraculeuse- 
ment jetés  dans  la  peine,  les  fds  de  Prithâ  vécurent-ils 
dans  la  forêt,  eux,  de  qui  la  force  égalait  celle  de  Çakra?  3. 

» Quels  gens  suivirent  ces  hommes  réduits  à la  plus 

3 


in 


34 


LE  MVHA-BHARATA. 


grande  des  infortunes  ? Quelle  fut  leur  manière  de  vivre  ? 
Quelle  était  leur  nourriture?  Où  fut  l’habitation  de  ces 
magnanimes  ? â. 

» Comment  ont  passé  dans  le  bois,  éminent  brahme 
à la  haute  sagesse,  les  douze  années  de  ces  héros,  iinmo- 
lateurs  des  ennemis?  5. 

» Comment  cette  fille  de  roi,  fidèle  à son  mari,  la  plus 
noble  de  toutes  les  épouses,  cette  dame  si  vertueuse,  qui 
ne  méritait  pas  de  soufTrir,  elle,  de  qui  la  bouche  ne  pro- 
nonça jamais  que  des  paroles  de  vérité,  eudura-t-clle  cette 
effroyable  habitation  dans  un  bois?  Raconte-moi  tout 
cela  en  détail,  hermite,  qui  as  thésaurisé  la  pénitence? 

» J'ai  envie  d'entendre,  contée  par  toi,  brahme,  la 
conduite  de  ces  hommes  si  grands  par  la  splendeur  et  la 
force.  Assurément!  ma  curiosité  est  extrême.  » 6 — 7 — 8. 

Valçampàyana  lui  répondit  : 

Ainsi  vaincus  au  jeu  et  la  colère  excitée  par  ces  vicieux 
Dhritarâshtrides  et  leurs  conseillers,  les  fils  de  Prithà 
sortirent  de  la  ville,  qui  prit  son  nom  des  éléphants.  9. 

Quand  ils  eurent  franchi  la  porte  de  l'opulente  cité,  les 
Pândouides,  accompagnés  de  krishnà,  se  dirigèrent,  por- 
tant leurs  armes,  la  face  tournée  au  septentrion.  10. 

Indraséna  et  les  autres  serviteurs  les  suivaient,  ayant 
rassemblé  entièrement  leurs  épouses  sur  quatorze  rapides 
chars  environ.  11. 

A la  nouvelle  qu’ils  s’en  allaient,  les  habitants  de  la 
cité,  accablés  de  chagrins,  se  répandent  maintes  fois  en 
blâmes  sur  Bhîshma,  Vidoura  etDrona  leGotamide;  ils  se 
rassemblent  et,  secouant  toute  crainte,  ils  se  disent  l'un  à 
l'autre  : « Cen  est  fait  de  cette  race,  et  de  nous,  et  de  nos 


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VANA-PARVA. 


35 


maisons,  puisque  le  méchant  Douryodhana  veut  gouver- 
ner cet  empire,  assisté  du  Soubalide,  de  Rarna  et  de  Douç- 
çâsana!  12 — 13 — IA. 

• » C’en  est  fait  de  cette  race,  et  des  bonnes  mœurs,  et 
du  juste,  et  de  l’utile  ! D’où  le  bonheur  pourrait-il  venir 
là  où  un  méchant , secondé  par  des  méchants , veut 
exercer  l'empire?  15. 

» Douryodhana  est  vil,  insolent,  avide  de  richesses, 
sans  pitié  pour  les  sujets;  il  abandonne  ses  amis  ; il  dé- 
serte la  vertu;  il  hait  ceux  qu’il  devrait  honorer.  16. 

» Là,  où  Douryodhana  est  roi , cette  terre  entière 
n’existe  plus.  Eh  bien  ! allons  aussi,  tous  ! aux  lieux  où 
s’eu  vont  les  fils  de  Pàndou  ! 17. 

» Ces  princes  magnanimes,  pleins  de  miséricorde,  rem- 
plis de  pudeur,  couverts  de  gloire,  adonnés  à la  culture 
de  la  vertu  et  qui  ont  vaincu  les  organes  des  sens,  comme 
des  ennemis  ! » 18. 

Ce  disant,  ils  se  rassemblent,  ils  suivent  les  Pândouides 
et  tous,  joignant  les  paumes  de  leurs  mains  aux  tempes, 
ils  disaient  aux  fils  de  Kountî  et  aux  deux  enfants  de  Mà- 
dri  ; 19. 

« Où  irez-vous,  s'il  vous  plaît,  quand  vous  nous  aurez 
abandonnés,  nous  laissant  l'affliction  en  partage?  Nous 
vous  suivrons  aux  fieux  où  vous  irez  ! 20. 

» Un  trouble  violent  a frappé  tousnos  esprits  à la  nou- 
velle que  vos  ennemis,  bannissant  toute  pitié,  vous  avaient 
déloyalement  vaincus.  Ne  veuillez  pas  nous  abandonner, 
nous,  vos  amis  dévoués,  pleins  d’amour,  qui  mettons 
notre  plaisir  en  ce  qui  vous  est  utile  ou  agréable  ! Sau- 
vez-nous  d’une  entière  destruction  dans  ce  royaume,  que 
va  gouverner  le  prince  des  Kourouides.  21 — 22. 


36 


LE  MAHÀ-BHARATA. 


» Que  vos  nobles  personnes  écoutent!  Nous  définirons 
les  vertus  et  les  vices,  en  disant  qu’elles  sont  le  résultat  du 
contact  avec  les  influences  des  choses  bonnes  et  mauvaises. 

» De  même  que  l'odeur  acquise,  au  temps  où  elles  prê- 
taient une  habitation  aux  fleurs,  communique  son  parfum 
à la  terre,  aux  huiles,  aux  robes  et  à l’eau  ; ainsi  les  socié- 
tés, que  l’on  fréquente,  donnent  naissance  à diverses  qua- 
lités. 23—24. 

» Une  liaison  avec  les  méchants  est  la  source  d’où  jail- 
lit une  foule  de  vices  ; mais  une  liaison  journalière  avec 
les  bons  est  la  matrice,  où  naissent  les  vertus.  25. 

» 11  faut  donc  s’unir  de  société  avec  des  savants,  des 
vieillards,  des  hommes  bien  nés,  des  ascètes,  des  gens 
vertueux,  adonnés  au  calme  des  passions.  26. 

» On  doit  cultiver  les  hommes,  dont  ces  trois  choses 
n’ont  aucune  tache  : la  science,  l’origine  et  les  œuvres. 
11  vaut  mieux  s’entretenir  avec  eux  qu’avec  des  livres.  27. 

n Tel  que  l’on  gagne  des  vices  par  sa  liaison  avec  des 
gens  vicieux,  tels,  sans  aucun  effort  de  nous-mêmes,  puis- 
sions-nous obtenir  ici  la  vertu  par  notre  seul  commerce 
avec  des  hommes  bons  et  doués  eux-mêmes  de  vertus  ! 28. 

» Les  habitudes  de  bonnes  mœurs  s'affaiblissent  dans 
la  vue,  le  contact,  les  entretiens  et  la  cohabitation  avec 
les  gens  dépravés  ; et  les  enfants  de  Manou  n’avancent 
point  alors  dans  la  perfection.  29. 

» L’intelligence  des  hommes  se  rapetisse  par  le  com- 
merce avec  des  hommes  vils  ; elle  descend  à la  médiocrité 
par  la  fréquentation  des  gens  médiocres  ; elle  s’élève  à 
toute  sa  hauteur  dans  une  liaison  avec  des  hommes  supé- 
rieurs. 30. 

» Elle  s'ennoblit  même  dans  une  intimité  avec  les  ob- 


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VANA-PARVA.  37 

jets  des  sens,  pourvu  qu'ils  ne  soient  pas  surtout  associés 
aux  vices.  Les  vertus,  qui  dérivent  de  l'utile,  de  l'amour  et 
du  juste,  sont  vantées  dans  le  monde;  celles  qui,  recom- 
mandées par  le  Véda,  se  marient  aux  lois  du  monde,  sont 
réputées  les  principales.  31. 

» Nous  voyons  toutes  les  bonnes  qualités  réunies  en 
vous  ici-même  ; et,  comme  le  salut  rat  le  but  où  nous  as- 
pirons, notre  vœu  est  d'habiter  avec  des  hommes  ver- 
tueux. » 32. 

Youddbishthira  de  répondre  à ce  langage  : 

« Nous  sommes  heureux  que  votre  amour  et  votre  pitié 
pour  nous  tiennent  enchaînés  les  méchants  eux-mêmes  ; 
sujets,  qui  avez  les  brahmes  à votre  tête,  vous  avez  bien 
défini  les  vertus.  33. 

» Accompagné  de  mes  frères,  je  vous  donne  ce  con- 
seil à tous  ; la  tendresse  et  la  compassion  pour  nous  ne 
doivent  pas  vous  engager  à tenir  une  autre  conduite.  33. 

k Bhlshma,  mon  grand-oncle,  le  roi,  Vidoura,  ma 
mère  et  mes  amis  habitent  pour  la  plus  grande  partie 
dans  la  ville,  qui  prit  son  nom  des  éléphants.  35. 

» Ils  sont  tous  de  compagnie  troublés  par  la  douleur 
et  le  chagrin  ; c’est  à vous,  de  tous  vos  efforts,  à les  dé- 
fendre pour  l'amour  du  bien.  30. 

» Vous  êtes  venus  loin,  retournez-vous-en;  mais  cette 
pensée,  que  m’inspire  la  tendresse,  à l’égard  de  mes  pa- 
rents, dont  je  vous  confie  le  dépôt,  vous  devez  l’accomplir, 
jurez-le-moi  sur  cette  entrevue.  37. 

» Cette  chose  est  placée  dans  mon  cœur  comme  la  plus 
importante  de  mes  affaires.  Si  vous  l’exécutez,  vous  m'au- 
rez donné  par  elle  honneur  et  satisfaction.  » 38. 

A cet  adieu,  qfie  leur  adressait  le  fils  d’Yama,  les  su- 


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38 


LE  MAHA-BHARATA. 


jets  de  pousser  un  épouvantable  cri  de  désespoir  : « Hà  ! 
disaient-ils  de  concert  ; hà,  sire  ! hà,  roi  ! » 8». 

Accablés  de  chagrin,  tombés  dans  une  extrême  défail- 
lance au  souvenir  de  ses  vertus,  ils  s'en  revinrent  malgré 
eux  de  cette  entrevue  avec  les  fils  de  Pàndou.  40. 

Les  citadins  partis,  les  fils  de  Pàndou  montés  sur  leurs 
chars  arrivent  sur  les  bords  du  Gange  vers  un  grand 
figuier  sacré,  qui  portait  le  nom  de  Pramâna.  41. 

Faisant  halte  là  sur  la  fin  du  jour,  les  cinq  héros  tou- 
chent l'eau  sainte  et  passent  la  nuit  au  pied  de  cet 
arbre.  42. 

Ils  habitèrent  là  près  de  l'eau  toute  l’absence  du  jour, 
torturés  de  chagrins.  Quelques  brahmes  y vinrent  les 
trouver,  conduits  par  un  sentiment  d'affection.  43. 

Ceux-ci  avaient  des  feux,  ceux-là  n'en  avaient  pas  ; 
mais  tous  étaient  suivis  de  leurs  familles  et  des  troupes 
de  leurs  disciples.  L'auguste  Youddhishthira,  environné 
de  ces  récitateurs  des  Védas,  éclatait  de  splendeur.  44. 

A l’heure  délicieuse  et  terrible  où  ces  brahmes  tiraient 
leurs  feux  du  sommeil,  il  s'éleva  un  murmure  de  prières, 
sur  lesquelles  dominait  le  bruit  des  V’édas.  45. 

Ces  brahmes  éminents  passèrent  là  toute  la  nuit,  con- 
solant d’une  voix  douce,  comme  le  chant  des  cygnes,  ce 
royal  banni , le  plus  grand  des  Kourouides.  46. 

Quand  l'aube  fut  venue  blanchir  la  nuit,  les  hommes, 
qui  mangent  l’aumôue,  partirent  en  avant  de  ces  princes 
aux  travaux  infatigables,  qui  désiraient  arriver  bientôt 
sur  l’orée  du  bois.  47. 

Alors,  le  royal  fils  de  Kountl,  Youddhishthira  leur  tint 
ce  langage s Nous  sommes  privés  de  nos  biens,  privés 
de  nos  états,  privés  de  toute  félicité.  48. 


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VANA-PARVA. 


39 


» Nous  allons  dans  la  forêt  sous  le  poids  de  la  douleur, 
n’ayant  pour  viande  et  nourriture  que  des  racines  et  des 
fruits.  La  forêt  est  pleine  de  périls  ; elle  est  infestée  par 
des  foules  de  serpents  et  de  carnassiers.  49. 

» Vous  y seriez  sans  doute,  c’est  mon  sentiment,  assié- 
gés de  misères;  et  les  fatigues  des  brahmes  nuieraient  au 
service  des  Dieux.  50. 

» Combien  plus  en  souffrirais  - je  ! Retournez  donc, 
brahmes,  où  vous  conduiront  vos  désirs.  » — « Nous 
nous  efforcerons,  sire,  de  marcher  sur  la  route,  que  tien- 
nent vos  altesses,  lui  répondirent  les  brahmes.  51. 

» Ne  veuille  pas  nous  abandonner,  nous,  qui  te  sommes 
dévoués  et  qui  avons  la  vue  des  bonnes  vertus  ; car  les 
Dieux  environnent  de  leur  compassion  les  hommes  dé- 
voués, surtout  quand  ce  sont  des  brahmes,  de  qui  le  pied 
toujours  s’appuie  sur  la  base  du  bien  1 » — « Brahmes, 
mon  premier  dévouement,  reprit  Youddhisbthira,  aura 
toujours  les  brahmes  pour  objet.  52-53. 

» Mais  cette  ruine  de  mes  compagnons  fait  mon  tour- 
ment; car  d’un  côté,  il  vous  faut  des  fruits,  des  racines, 
des  animaux  pour  les  offrir  en  sacriüce;  d’une  autre  part, 
mes  frères  ont  comme  l’esprit  aliéné  par  les  peines,  qui 
naissent  du  chagrin,  les  outrages  infligés  à Krishna  et  la 
perte  du  royaume  enlevé.  64 — 55. 

» Je  n'ai  pas  la  force  d’imposer  le  joug  des  fatigues  à 
ces  hommes  rongés  de  tristesse.  » — « Fils  de  Prithà, 
dirent  à leur  tour  ces  brahmes,  ferme  ton  cœur  au  souci 
des  aliments  pour  nous.  56. 

» Nous  mangerons  des  nourritures,  que  nous  offrirons 
de  nous-mêmes  aux  Dieux  ; et  nous  ierons  descendre  la 
félicité  sur  toi  par  nos  méditations  et  nos  prières.  57, 


40  LE  MAHA-BHARATA. 

n Enfin  nous  t'amuserons  avec  de  charmantes  his- 
toires. » — « C’est  ainsi  ! Il  n'y  a là  aucun  doute,  ré- 
pondit Youddhishthira;  j'ai  toujours  du  plaisir  avec  les 
brahmes.  58. 

» Mais  je  me  vois  rejeté  moi-même  de  cet  état  possible 
des  choses  : comment  pourrais-je  donc  alors  voir  de  mes 
yeux  que  vous  vous  nourrissiez  tous  des  oblations  fournies 
de  vous-mêmes,  souffrant  par  dévouement  pour  moi  des 
maux,  que  vous  ne  méritez  pas.  Honnis  soient  les  mé- 
chants Dhritarâshtrides  ! n A ces  mots,  le  roi  s’assit,  en 
gémissant,  sur  le  sol  de  la  terre.  59 — 60. 

Alors  un  brahme  nommé  Çaâunaka,  versé  dans  l’yoga 
et  la  philosophie  Sânkhya , savant , qui  trouvait  son 
bonheur  dans  la  contemplation  de  l’Ame  suprême,  adressa 
au  monarqüe  infortuné  ces  paroles  : 61. 

« Des  milliers  de  sujets  de  chagrin  et  des  centaines  de 
sujets  de  crainte  entrent  tous  les  jours  chez  l’ignorant, 
mais  non  chez  l'homme  instruit.  62. 

» Les  personnes  douées  d’intelligence  et  semblables  à 
ta  majesté  ne  s’attachent  point  à des  choses,  qui  font 
naître  beaucoup  de  péchés,  mettent  obstacle  à la  science 
et  causent  la  ruine  du  salut.  63. 

» En  toi,  sire,  habite  l’intelligence,  que  l’on  dit  com- 
posée de  huit  membres,  l’ennemie  de  toutes  les  imperfec- 
tions, l’alliée  des  Védas  et  des  lois.  64. 

» Les  hommes  de  ta  condition  ne  se  laissent  point 
abattre  par  les  peines  du  corps  et  de  l’âme  dans  les  dé- 
tresses, les  angoisses  et  les  infortunes  de  leurs  parents. 

» Écoute,  tels  qu’ils  furent  chantés  jadis  par  le  magna- 
nime Djanaka,  des  çlokas,  qui  assurent  la  stabilité  de 
l’âme.  65—66. 


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VANA-PARVA. 


Al 


« Le  monde  est  tourmenté  par  des  peines,  qui  naissent 
de  l’Ame  et  du  corps  ; elles  sont  la  somme  de  l’extension 
de  ces  deux  substances.  Écoute  ! voici  un  moyen  de  les 
adoucir.  67. 

s La  maladie,  le  contact  des  choses  désagréables,  la 
«fatigue,  la  privation  des  objets  de  son  désir  : voilà  quelles 
sont  les  quatre  sources,  d'où  naissent  les  peines  du  corps. 

» Alors,  pour  éloigner  ce  qui  blesse  et  pour  empêcher 
d’y  penser  continuellement,  on  procède  avec  deux  moyens 
de  traitement  à calmer  la  maladie  et  le  souci.  68 — 69. 

» Mais  d'abord  les  médecins  intelligents  s'occupent  de 
rendre  la  tranquillité  à l’âme  par  des  contes  agréables,  qui 
procurent  du  plaisir  à l’homme.  70. 

» En  effet,  tel  que  l'eau  contenue  dans  un  bassin  est 
échauffée  par  une  boule  de  fer,  rougie  au  feu,  ainsi  le 
corps  est  consumé  lui-même  par  les  soucis  de  l’esprit.  71. 

» Calmez  donc  votre  âme  avec  la  science  comme  on 
éteint  le  feu  avec  l’eau;  car,  l’âme  une  fois  calmée,  le 
corps  cesse  d’être  agité  lui-même.  » 72. 

» La  peine  de  l’âme  a pour  sa  racine  le  désir,  — c’est 
une  idée  reçue.  — En  partant  du  désir,  l'homme  arrive  à 
s’unir  avec  la  peine.  78. 

» Le  principe  des  peines,  c'est  le  désir  ; les  craintes  sont 
les  filles  du  désir  : la  tristesse  ou  la  joie,  tout  mouvement 
de  l'âme  ou  du  corps  a pour  sa  cause  le  désir.  74. 

» La  passion  et  l'amour  sont  engendrés  par  le  désir  au 
sein  de  toute  chose  des  sens  ; l’une  et  l’autre  sont  deux 
sentiments  bas,  s’il  faut  rappeler  ici  un  antique  gourou. 

» Si  minime  que  soit  une  faute  d’amour,  elle  peut  dé- 
truire le  juste  et  l'utile,  comme  le  feu  dans  le  creux  d’un 


42 


LE  MAHA-BHARATA. 


arbre  finit  par  dévorer  le  végétal  entier  avec  sa  racine. 

75—76. 

» L’homme,  qui,  dans  la  séparation,  abandonne  sans 
regret  les  choses  et  qui,  dans  son  commerce  avec  elles, 
en  distingue  les  inconvénients,  sans  haine,  sans  amour, 
s’élève  à l’indifférence.  77. 

» Ainsi,  qu'il  ne  veuille  pas  devoir  à l’accumulation  de 
ses  richesses  l’attachement  de  ses  amis  et  qu’il  éteigne 
avec  la  science  le  désir,  qui  s'est  allumé  dans  son  corps. 

n Tel  que  l’eau  ne  s'attache  pas  aux  feuilles  des  lotus, 
ainsi  le  désir  n’entre  pas  dans  les  hommes  attentifs,  qui 
ont  vaincu  leur  âme,  qui  sont  versés  dans  les  Çâstras  et 
qui  sont  riches  de  science.  78 — 7». 

» L’homme,  surmonté  par  le  désir,  est  traioé  en  tous 
sens  par  l'amour  : son  désir  à peine  né  redouble  sa  soif. 

» Celle-ci  est,  dit-on,  la  plus  criminelle  de  toutes  les 
choses,  elle  cause  un  trouble  continuel,  elle  est  horrible, 
remplie  d’injustices,  enchaînée  au  péché.  80 — 81. 

» Les  insensés  ont  de  la  peine  à s’en  débarrasser  ; elle 
ne  vieillit  pas  dans  la  vieillesse  de  l’homme.  La  passion 
est  destructive  de  la  vie  : heureux  qui  peut  rejeter  sa 
soif.  82. 

» Elle  est  éternelle,  elle  est  inhérente  aux  corps  des 
hommes,  elle  tue  les  êtres  comme  le  feu  détruit  le  fer,  au- 
quel il  s’attache.  83. 

» l)e  même  que  le  feu,  allumé  dans  sa  substance,  con- 
duit le  bois  à sa  perte,  de  même  sa  convoitise  innée  mène 
à sa  ruine  l’insensé.  84. 

» Le  roi,  l’eau,  le  feu,  les  voleurs,  ses  gens  eux-mêmes 
agitent  l'homme  riche  d'une  crainte  incessante,  comme  la 


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VANA-PARVA. 


43 

peur  de  la  mort  ne  cesse  d'agiter  les  êtres,  qui  ont  la  vie. 

» Tel  que  la  chair  est  mangée  par  les  oiseaux  dans  les 
airs,  par  les  carnivores  sur  la  terre  et,  dans  les  eaux,  par 
les  poissons  : ainsi  l’homme  riche  est  dévoré  de  tous  les 
côtés.  85 — 86. 

» La  fortune  de  certains  hommes  devient  elle-même 
une  misère  : en  effet,  trop  attachés  à la  jouissance  des 
biens  passagers,  ils  n’obtiennent  pas  les  biens  éternels. 

» Par  conséquent  toutes  les  acquisitions  de  richesses, 
qui  augmentent  le  délire  de  la  convoitise,  ne  sont  que 
trouble,  crainte,  orgueil,  arrogance  et  misère.  87 — 88. 

» Les  doctes  savent  que  ces  peines  des  mortels  sont  les 
filles  des  richesses.  Ils  sont  en  proie  à de  grands  soucis 
dans  l’acquisition,  la  conservation  et  la  perte  des  biens. 
Mais,  au  lieu  d'abandonner  les  soucis  des  richesses,  ils  se 
plaisent  à les  nourrir  comme  des  ennemis,  qui  les  tuent  à 
cause  des  richesses  mêmes.  89 — 90. 

» On  les  amasse  avec  peine  : « 11  ne  faut  pas  songer  à 
la  mort  ! » se  dit-on  ; et,  tandis  que  les  fous  s'enivrent 
d’une  fausse  joie,  les  sages  goûtent  la  joie  véritable.  91. 

» La  soif  des  richesses  n'a  pas  de  fin  ! Le  contentement 
est  le  plus  grand  des  plaisirs  : aussi  les  sages  regardent- 
ils  la  satisfaction  comme  ce  qu’il  y a de  plus  grand  ici- 
bas.  92. 

» La  jeunesse,  la  beauté,  la  vie,  un  trésor  de  pierreries, 
la  puissance,  le  séjour  au  milieu  des  choses  agréables 
n’ont  pas  une  continuelle  durée  : et  le  sage  ne  met  point 
là  son  envie.  93. 

» 11  faut  donc  renoncer  aux  trésors,  ou  se  dévouer  aux 
soucis,  qui  en  sont  les  résultats  ; car  on  ne  voit  personne  en 
possession  de  grandes  richesses,  qui  soit  à l'abri  des  vio- 


LE  MAHA-BHARATA. 


44 

lences  : aussi  la  condition,  que  recommandent  les  hommes 
vertueux,  est-elle  une  situation,  où  n'entrent  pas  les  désirs. 

» Être  sans  désir  vaut  mieux  que  désirer  les  richesses, 
fût-ce  pour  les  employer  même  au  devoir  : ce  n’est  point 
en  lavant  de  la  boue,  que  les  hommes  peuvent  arriver  au 
salut.  94 — 96. 

# Ne  veuille  pas,  Youddhishthira,  mettre  aussi  ton 
désir  en  toutes  ce*  choses.  Si  tu  veux  mener  une  conduite 
assortie  au  devoir,  garde  ton  âme  affranchie  à l'égard  des 
richesses.  » 96. 

« Ce  désir  de  richesses,  lui  répondit  Y'ouddhishthira, 
ne  m'est  pas  inspiré,  deux  fois  né,  par  le  désir  des  jouis- 
sances, que  procurent  les  richesses.  Ce  n’est  point  l'ava- 
rice, mais  le  désir  de  les  appliquer  à la  nourriture  des 
brahmes,  qui  me  fait  désirer  les  richesses.  97. 

.>  Comment  un  homme  tel  que  je  suis  et  qui  a changé 
son  palais  pour  un  hermitage,  ne  s’occuperait-il  pas  de 
nourrir  et  de  protéger  ceux,  qui  ont  suivi  ses  pas?  98. 

» Tel  est  en  effet  le  partage  de  tous  les  êtres  : il  faut 
que  le  maître  de  maison  donne  à Y indigent,  qui  n'a  pas 
d'aliments  à mettre  sur  le  feu.  99. 

» Les  herbes,  la  terre,  l'eau,  une  parole  obligeante, 
quatrième  don  : ces  choses  ne  sont  jamais  refusées  dans 
la  maison  des  hommes  de  bien.  100. 

» Il  faut  donner  un  lit  au  malade,  un  siège  à l'homme 
fatigué,  de  l’eau  à qui  a soif,  des  aliments  à qui  a faim. 
Il  faut  donner  ses  yeux,  il  faut  donner  son  âme,  il  faut 
donner  sa  parole  gracieusement  dite,  il  faut  se  lever  et 
donner  son  siège  : c’est  la  loi  établie  pour  l'éternité. 

101—102. 

» Qu’on  se  lève  devant  la  personne,  qui  arrive.  Allez  à 


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VANA-PARVA. 


45 


sa  rencontre,  suivant  l’étiquette  et  rendez-lui  vos  hom- 
mages. Le  feu  sacré,  les  taureaux  saints,  les  parents,  les 
hôtes,  les  alliés,  les  fils,  les  épouses,  les  serviteurs  mêmes 
pourraient  vous  consumer,  si  vous  manquiez  à l’honneur, 
qui  leur  est  justement  dû.  Que  l'homme  s’abstienne  de 
manger  la  chair  crue  ; qu’il  ne  fasse  pas  tuer  les  animaux 
inutilement,  et  qu’il  ne  consacre  point  à sa  bouche  les 
aliments,  qu’il  n'a  pas  répandus,  suivant  les  rites,  en 
l’honneur  de  tous  les  êtres.  103 — 104. 

» Qu’il  sème  l’offrande  sur  la  terre,  et  pour  les  chiens, 
et  pour  les  hommes  dégradés,  et  pour  les  oiseaux  ; car  le 
moment  du  soir  et  du  matin  est  attribué  aux  Viçvadé- 
vas.  105. 

» Qu’il  vive  de  vighasas  et  qu'il  mange  continuellement 
des  amritas.  « On  appelle  vighasas  le  reste  des  offrandes; 
les  reliefs  du  sacrifice  sont  appelés  amritas  (1).  » 106. 

» Qu’il  donne  ses  yeux,  qu’il  donne  sa  pensée,  qu'il 
donne  une  parole  obligeante  ; qu’il  suive,  qu’il  serve  le 
prêtre  à l’autel,  et  qu’il  récompense  par  les  honoraires  de 
cinq  vaches  laitières  le  sacrifice,  qu’il  fait  célébrer.  107. 

» Quiconque  donne  sans  regret  des  aliments  au  voya- 
geur fatigué  de  sa  route  et  qu’il  n’a  jamais  vu,  recueillera 
un  jour  une  belle  récompense  de  sa  bonne  action.  108. 

» On  dit  supérieure  la  vertu  de  l'homme,  qui,  vivant 
sous  le  toit  d’un  hermitage,  observe  une  telle  conduite. 
Quelle  est,  brahme,  ta  pensée?  » 109. 

Çaùunaka  répondit  : 

u Hélas!  quel  grand  malheur!  Ce  monde  est  divisé  par 


(i)  Cet  entre-guillemet  n'est-il  pas  évidemment  une  simple  note  de  cal- 
ligraphe,  qui  de  la  marge  est  passée  mal  à propos  dans  le  texte  même. 


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âtf  LE  MAHA-BHAJRATA. 

la  contradiction  : ce  qui  est  la  honte  du  bon  fait  la  joie  du 
méchant!  110. 

» Soumis  au  pouvoir  des  objets  sensuels,  esclaves  de  la 
passion  et  de  la  folie,  l’ignorant  estime  beaucoup,  par 
luxure  et  par  gourmandise,  les  reliefs  des  offrandes  et  des 
sacrifices.  111. 

« L’homme,  frappé  par  les  séductions  des  objets  de 
nos  sens,  est  entraîné,  l'âme  égarée,  comme  le  cocher  par 
des  chevaux  fougueux,  excités  à coup  d'aiguillon.  112. 

» Quand  les  objets  sensuels  attirent  vers  eux  les  cinq 
organes  des  sens,  l’âme  se  manifeste  aussilôtavec  l'amour, 
dont  le  germe  déjà  existait  en  elle-même.  113. 

» D’abord  le  sens,  dont  l’âme  se  porte  à savourer  les 
objets  agréables,  fait  sentir  son  appétit  ; ensuite  naît  la 
conduite  /Dialogue  tiu  désir.  115. 

» L’amour,  né  d’une  semence  de  l’âme,  le  blesse  avec 
les  flèches  des  objets  sensuels  ; et  il  tombe  dans  le  feu  de 
la  concupiscence,  comme  le  moucheron,  qu'attire  l'éclat 
d'une  lumière.  115. 

» Puis,  égarée  par  la  fumée  des  mets  et  l’ivresse  des 
amusements  au  gré  de  tous  ses  désirs,  plongée  dans  le 
plaisir,  qui  est  la  source  d'une  grande  folie,  l’âme  ne  se 
reconnaît  plus  elle-même.  llfl. 

« Elle  subit  donc  au  milieu  du  monde  ici-bas  mainte  et 
mainte  renaissance , tournoyant  comme  un  disque  de 
guerre  sous  l’ impulsion  des  appétits,  des  œuvres  et  de 
l’ignorance.  117. 

» Elle  circule,  renaissant  mille  fois  dans  les  eaux,  sur 
la  terre,  dans  les  airs,  tantôt  dans  les  brahmes  ou  les 
autres  castes,  tantôt  dans  les  plantes,  enfin  dans  tous  les 
êtres.  118. 


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VANA-PARVA. 


47 


• Telle  est  donc  la  voie,  où  entrent  les  doctes  et  les  igno- 
rants. Ecoute-moi  1 Ceux,  qui  se  plaisent  à cultiver  le  su- 
prême devoir,  goûtent  le  bonheur  de  la  délivrance.  119. 

» Renonce  aux  œuvres  !»  a dit  le  Véda.  Obéis  donc  à 
sa  parole;  mais  l'orgueil  ne  doit  pas  conduire  l'homme  à 
l'accomplissement  de  tous  ces  devoirs.  120. 

» Le  sacrifice,  la  lecture,  l'aumône,  la  pénitence,  la 
vérité,  la  patience,  la  répression  des  sens,  le  mépris  des 
richesses,  sont  les  huit  branches,  dit-on,  entre  lesquelles 
se  partage  le  chemin  du  devoir.  121. 

» Dans  les  anciens  temps,  les  hommes  des  quatre  castes, 
fermes  dans  la  route  du  char,  qui  avait  porté  leurs  ayeux 
au  Swarga,  se  disaient  à l'égard  de  ces  lignes  : « 11  faut 
les  suivre  I » et  l’orgueil  n’était  pas  le  stimulant  des 
choses,  qu'on  avait  à faire.  122. 

» La  route  sublime,  où  roulent  les  chars  des  Dieux, 
fut  toujours  celle,  qu’ont  préférée  les  gens  de  bien.  Qui- 
conque a purifié  son  âme  doit  s'engager  dans  le  chemin 
aux  huit  branches.  123. 

» Bien  il  advient  de  son  absorption  dans  la  pensée  ! 
Bien  il  advient  de  la  compression  des  sens  ! Bien  il  ad- 
vient de  l’excellence  dans  un  vœu  ! Bien  il  advient  de  la 
soumission  à son  guide  spirituel  ! 124. 

» Bien  il  advient  de  l'union  du  corps  avec  la  nourriture  ! 
Bien  il  advient  de  prendre  en  main  ses  livres!  Bien  il  ad- 
vient du  renoncement  aux  œuvres  ! Bien  il  advient  d' en- 
chaîner la  dissipation  de  la  pensée  ! 125. 

» Voilà  de  quelle  manière  se  conduisent  les  hommes, 
qui  veulent  remporter  la  victoire  dans  le  monde.  Passés 
dans  la  condition  divine,  affranchis  de  la  haine  et  de 
l'amour,  ils  obtiennent  la  souveraine  puissance.  126. 


48  LE  MAHA-BH  ARVTA. 

» C’est  ainsi  que  les  Roudras,  les  Sâdhyas,  les  Adityas, 
les  Vasous  et  les  deux  Açwins,  aidés  par  la  puissance  de 
l'yoga,  ont  mérité  d’être  en  ce  monde  les  soutiens  des 
créatures.  127. 

» Embrasse  donc  une  éminente  quiétude,  lils  de  Kountt  ; 
recherche  la  perfection  au  moyen  de  la  pénitence,  efforce- 
toi  d'obtenir,  puissant  Bharathide,  la  perfection  de  l’yoga. 

» Tu  possèdes  la  perfection  de  la  naissance  dans  les 
deux  lignes  paternelle  et  maternelle,  tu  possèdes  la  per- 
fection das  bonnes  œuvres;  aspire  à t'élever,  pour  la  nour- 
riture des  brahmes,  à la  perfection  par  la  pénitence. 

128—12». 

» Car  les  hommes  parfaits  savent  réaliser,  grâce  à elle, 
tous  les  vœux  de  leurs  désirs.  Embrasse  donc  la  pénitence 
et  accomplis  toutes  les  choses,  où  aspire  ton  cœur  ! » 130. 

A ces  paroles  de  Çaâunaka,  Youddhishthira,  le  fils  de 
Kountt,  s’approche  de  son  archibrahme  et  lui  dit  ces 
mots  au  milieu  de  ses  frères  : 131. 

« Ces  brahmes,  qui  sont  parvenus  à la  rive  ultérieure 
des  Védas,  désirent  m'accompagner  dans  ma  route  ; mais 
je  n'ai  pas  les  moyens  suffisants  pour  les  nourrir,  et 
cette  pensée  m’afflige  d’une  cruelle  douleur.  132. 

» Je  ne  puis  me  séparer  d'eux  et  je  n’ai  rien  à leur 
donner.  Que  dois-je  faire ?Dis-le-moi,  vénérable.  » 133. 

Dhaâumya,  le  plus  vertueux  des  hommes  vertueux,  ré- 
fléchit un  instant  et,  quand  il  a cherché  une  ressource 
dans  une  pensée  honnête,  il  adresse  à Youddhishthira  ce 
langage  : 134. 

« Jadis,  à peine  sorti  de  la  création,  une  cruelle  famine 
affligea  tous  les  êtres,  alors,  touché  de  compassion  pour 
eux  comme  leur  père,  le  soleil  monta  au  solstice  d'été, 


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VANA-PARVA. 


49 

absorba  par  ses  rayons  les  sucs  de  fécondité  et,  descendu 
au  solstice  d’hiver,  il  entra  dans  la  terre.  135 — 135. 

» Là,  devenu  un  champ,  après  qu’il  eut  extrait  du  ciel 
toute  sa  vigueur,  la  lune,  y versant  les  pluies,  en  fit  naître 
les  plantes  annuelles.  137. 

» Son  frère  étant  sorti  des  nuages , le  soleil,  arrosé  par 
les  rayons  de  Lunus,  produisit  les  herbes  des  six  saveurs, 
celles  dont  se  composent  les  offrandes,  et  ce  qui  sert  d'ali- 
ments sur  la  terre  aux  êtres  animés.  138. 

» Ainsi,  la  nourriture,  qui  soutient  la  vie  des  animaux, 
est  faite  du  soleil;  c'est  le  père  de  tous  les  êtres  : aie 
donc  recours  à sa  protection.  139. 

» En  effet,  c’est  en  s’infligeant  une  éminente  pénitence 
que  les  rois  magnanimes,  purifiés  par  la  cérémonie  au 
sortir  du  sein  maternel,  peuvent  sauver  leuis  sujets.  140. 

» C'est  en  s’attachant  à la  méditation,  à la  pénitence,  à 
la  contemplation  que  llhima , Kârttavlrya , Vainya  et 
Nahousha  ont  arraché  leurs  peuples  aux  serres  de  l’infor- 
tune. 141. 

» Agis  de  cette  manière,  (ils  de  Bharata  ; embrasse  sain- 
tement la  pénitence,  âme  juste,  que  les  œuvres  ont  puri- 
fiée; et  quelle  te  procure  les  moyens  de  nourrir  ces 
brahmes.  » 142. 

Djanamédjaya  dit  : 

« Comment  le  roi  Youddhishthira,  le  chef  des  Kou- 
rouides,  s’est-il  concilié  en  faveur  des  brahmes  le  soleil  à 
l'aspect  admirable?»  143. 

Valçampàyaua  lui  répondit  : 

Écoute,  sire,  avec  attention;  rends-toi  pur,  applique 
ton  esprit;  accorde-moi  un  instant,  je  vais  tout  raconter, 
Indra  des  rois,  sans  rien  omettre.  144- 

îu  4 


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50 


I,E  M AH  A -BHARATA. 


Écoute,  prince  à la  vaste  intelligence,  cette  litanie  des 
cent  huit  noms  du  soleil,  dans  l'ordre,  où  Dhaàutnya  les 
récita  lui-même  au  très-m  ignanime  fils  de  Prithâ  : 145. 

« Aum  1 dit  le  Pieux  Dhaâumaya. 

» Sourya,  Aryaman,  Bhaga,  Twashtri,  le  fabricateur, 
Poûsha,  le  nourricier,  Arka,  Savitri,  Ravi,  (labhastiman, 
le  radieux,  Adja,  Kâla.  Mrityou,  la  mort,  Dhàlri,  Prabhà- 
kara,  l'auteur  de  la  lumière,  146. 

n La  terre,  l'eau,  la  splendeur,  l’air,  le  vent,  la  voie 
suprême,  la  lune,  Vrihaspati,  Çoukra  (1),  Boudha  (2),  et 
Angàraka  (3)  lui-même,  147. 

» Indra,  Vivasvat,  L'iptânçou  aux  rayons  enflammés, 
Çoutchi  Çiàuri,  Çanalçtchara  (4),  Brahma,  Vishnou, 
Roudra,  Skanda,  Varouna,  Yama,  148. 

» Le  Feu-au-sein-des-éclairs , le  Calorique-enfermé- 
dans-le-bois,  le  roi  des  splendeurs,  le  Drapeau  du  devoir, 
l'auteur  des  Védas,  le  corps  des  Védas,  le  char  des 
Védas,  149. 

» L’âge  Krita,  le  cycle  d’or,  le  Trétâ,  l’âge  d’argent, 
le  Dwâpara,  le  siècle  d’airain,  et  Kali,  Mge  de  fer,  le 
creuset  de  toutes  les  souillures,  la  seconde,  la  minute,  le 
moment,  l'heure,  la  nuit,  la  veille,  150. 

» L’auteur  de  l’année,  Açvattha,  la  roue  du  temps,  Vi- 
bhàvasou,  la  substance  de  la  lumière,  Pourousha,  l’Éter- 
nel,  l’Yogi,  l’invisible-apparent,  le  sempiternel,  151. 

» L'inspecteur  du  temps,  l’inspecteur  des  créatures, 
Viçvakarma,  t astre,  qui  dissipe  les  nuages,  Varouna, 
l'océan,  le  diviseur  des  temps,  la  nuée,  le  donateur  de  la 
vie,  l’exterminateur  des  ennemis,  152. 


(i— 2— 3—4)  Les  planètes  de  Vénus,  Mercure,Mars  et  Saturne. 


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VAN.Y-PVRVA. 


51 


» L’azyle  des  êtres,  le  souverain  des  êtres,  le  Dieu 
adoré  de  tous  les  mondes,  celui  qui  crée  et  celui  qui 
nourrit,  le  feu,  le  commencement  de  tout,  l'affranchi  de 
tout  désir,  153. 

» Celui,  qui  n’a  pas  de  fin,  Kopila,  Bhànon,  celui,  qui 
satisfait  les  désirs,  l’astre,  qui  fait  plaisir  de  tous  les 
côtés,  la  victoire,  le  grand,  celui,  qui  départ  les  grâces; 
celui,  qui  arrose  de  se»  rayons  tous  les  éléments,  15â. 

» L’âme,  Souparna,  le  commencement  des  êtres,  l'astre 
à la  marche  rapide,  celui  qui  soutient  le  souille  de  vie, 
Dhanvantari,  le  médecin  des  Dieux,  la  comète,  le  Dieu 
primitif,  le  fils  de  Diti,  155. 

>>  Le  Dieu  en  douze  personnes,  le  Dieu  aux  yeux  de 
lotus,  le  père,  la  mère,  l’aïeul , la  porte  du  Swarga,  la 
porte  des  créatures,  la  porte  de  la  délivrance,  le  Tri- 
vishtapa,  le  ciel  d'Indra,  150. 

» Le  fabricateur  des  corps,  l’être  à l’âme  paisible,  l'âme 
de  tout,  la  bouche  de  la  sphère,  l’âme  de  ce  qui  est  mo- 
bile et  immobile,  l'âme  subtile,  Maitréya  sensible  à la 
pitié.  157. 

» C’est  Swayambou  lui-même,  qui  a dit  le  premier 
cette  litanie  des  cent  huit  noms  du  soleil,  à la  splendeur 
sans  mesure  et  vraiment  digne  qu’on  célèbre  son  nom. 

n Je  me  prosterne  devant  toi,  père  du  jour,  toi,  qu’a- 
dorent les  Yakshas,  les  Pitris,  les  Ganas  et  les  Dieux; 
toi,  que  vénèrent  les  Siddhas,  les  Génies  nocturnes  et  le3 
Démons;  toi,  de  qui  la  splendeur  égale  celle  du  feu  ou  de 
l’or  sans  mélange.  » 158 — 159. 

L’homme,  qui,  au  lever  du  soleil,  récitera  cette  litanie 
avec  recueillement,  ne  peut  manquer  d’obtenir  des  fils, 
des  épouses,  des  amas  d'or  et  de  pierreries,  la  vie  dans  le 


62 


LE  MAHA-BHARATA. 


souvenir  de  ses  parents,  la  fermeté  et  l'intelligence  ! 160. 

L'enfant  de  Manou,  qui,  d'une  voix  pure  et  dévote,  pro- 
nonce cet  éloge  du  plus  grand  des  Dieux,  échappera  à 
l’océan  de  feux,  qui  dévore  la  forêt  des  chagrins,  et 
verra  s’accomplir  tous  ses  vœux  suivant  les  désirs  de  son 
âme.  161. 

A peine  Dhaâumya  eut-il  parlé  en  ces  termes  assortis 
au  temps,  Dharmarâdja  aux  vœux  inébranlables,  à l’es- 
prit dompté,  embrassa  d'une  volonté  pure  la  plus  haute 
pénitence,  et  se  mit  h glorifier  l’auteur  du  jour  avec  des 
fleure,  des  offrandes  et  des  sacrifices,  pour  obtenir  les  fa- 
veurs, dont  il  voulait  combler  ces  brahuies.  162 — 163. 

Les  sens  réfrénés,  plongé  dans  l’eau,  son  visage  tourné 
vers  le  soleil,  et  n'ayant  pour  sa  nourriture  que  le  souffle 
du  vent,  le  pieux  roi  s'absorba  dans  l'unification  en  Dieu. 

Ensuite,  la  bouche  purifiée  avec  l’eau  du  Gange,  l’une 
de  ses  narines  close  avec  l'extrémité  du  pouce,  exempt  de 
souillure,  il  articula  cet  éloge  d'une  voix  dévote  : 

164—165. 

« Soleil,  tu  es  l'œil  du  monde,  tu  es  l'àme  de  tous  les 
mortels,  tu  es  la  matrice  de  tous  les  êtres,  tu  es  la  régie  de 
quiconque  a des  affaires.  166. 

» Tu  es  la  route  de  tous  les  raisonnements  de  la  philo- 
sophie Sànkhya,  tu  es  la  voie  suprême  des  yogis,  tu  es  la 
porte,  dont  la  barrière  n’est  jamais  abaissée,  tu  es  le  che- 
min de  ceux,  qui  aspirent  à la  délivrance.  167. 

s G’ est  toi,  qui  soutiens  le  monde;  c’est  par  toi  que  le 
monde  est  éclairé;  c’est  de  toi  qu’il  reçoit  la  purification  ; 
c’est  toi,  qui  ôte  son  voile  à la  fraude.  168. 

» Des  brahmes,  qui  ont  lu  complètement  les  Védas,  se 
tournent  au  temps  fixé  vers  toi  et  ils  t'adorent  avec  des 


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VANA  PARVA. 


53 


hymnes  distribués  en  leurs  sections  particulières,  toi, 
qu'honorent  les  chœurs  des  rishis.  189. 

# Les  Siddhas,  les  Tchàranas  et  les  Gandharvas,  les 
Yakshas,  les  Gouhyakas  et  les  Pannagas  suivent  ton  char 
céleste,  en  sollicitant  tes  grâces.  170. 

» Les  trente-trois  Dieux  et  les  chœurs,  qui  montent 
dan3  les  chars  du  ciel,  et  Mahéndra  lui-même  avec  Ou- 
péndra  ont  dû  aux  sacrifices  célébrés  en  ton  honneur  de 
s’élever  jusqu’à  la  perfection.  171. 

» Les  plus  grands  des  Vidyâdharas,  aux  guirlandes  de 
fleurs  cueillies  sur  les  divins  Mandàras,  composent  ta  cour, 
et  voient  tous  leurs  vœux  accomplis  aussitôt  qu'ils  ont 
acquitté  l'adoration  envers  toi.  172. 

» A peine  ont-elles  payé  l’honneur,  qui  t’est  dû,  les 
sept  troupes  mystérieuses  des  Mânes,  divines  et  humaines, 
atteignent  bien  vite  à la  prééminence.  173. 

» Devenus  parfaits,  grâce  à toi,  les  Vasous,  les  Ma- 
routes,  les  Roudras,  les  Sàdhyas,  les  Maritchitas,  les 
Balikhilyas  et  les  autres  ont  acquis  l'excellence  sur  tous 
les  êtres  animés.  17â. 

» Dans  les  sept  mondes  entiers  joints  à celui  de 
Brahma,  il  n'existe  rien,  je  pense,  qui  excelle  par-dessus 
le  soleil!  175. 

» 11  est  d'autres  natures  grandes,  énergiques,  mais  au- 
cune ne  possède  une  splendeur  et  une  puissance  égales  à 
celles,  dont  ta  personne  est  douée.  176. 

» Toutes  les  lumières  sont  renfermées  en  toi  ; tu  es  le 
souverain  de  toutes  les  lumières  : en  toi  sont  la  vérité, 
l'énergie  et  tous  les  sentiments,  qui  naissent  de  la  qualité 
sattwa.  177. 

n Viçvakarma  fit  de  ta  splendeur  un  tchakra  au  magni- 


fii)  LE  MAHA-BHYRATA. 

fique  ombilic,  armé,  duquel  le  Dieu  à l’arc  ÇArnga  ter- 
rassa l’orgueil  des  ennemis  des  Immortels.  178. 

» Dans  la  saison  chaude,  tu  enlèves  par  tes  rayons  la 
vigueur  de  tous  les  animaux  et  les  sucs  de  toutes  les 
herbes  ; ensuite,  dans  la  saison  des  pluies,  tu  les  verses 
de  nouveau  tur  la  terre.  179. 

> i De  tes  rayons,  ceux-ci  échauffent,  il  en  est  qui  brû- 
lent, ceux-là  tonnent  sous  forme  de  nuages,  les  uns 
éclairent,  les  autres,  dans  la  saison  des  pluies,  se  répan- 
dent en  averses.  180. 

» Ni  feu,  ni  vêtement,  ni  couverture  ne  donnent  autant 
de  plaisir  au  monde  que  tes  rayons,  si  l’on  est  affligé  d’un 
vent  froid.  181. 

» Tu  illumines  de  tes  rayons  la  terre  et  ses  treize  con- 
tinents : tu  parcours  sans  compagnie  pour  le  bien  des 
trois  mondes  ta  splendide  carrière.  182. 

» Si  ton  lever  ne  venait  apporter  ta  lumière  au  monde, 
ses  yeux  seraient  condamnés  à la  cécité,  et  les  êtres  doués 
de  la  raison  ne  pourraient  marcher  dans  les  routes  du 
juste,  de  l’utile  et  de  l'amour.  183. 

» C’est  avec  l'aide  de  ta  grâce  que  les  castes  des 
brahmes,  des  kshatryas  et  des  valçyas  accomplissent  les 
cérémonies,  la  pénitence,  les  sacrifices,  la  prière,  les  of- 
frandes, l'immolation  des  animaux  et  l'entretien  du  feu 
sacré.  184. 

» Les  doctes,  qui  ont  la  science  des  temps,  te  nom- 
ment le  commencement  et  la  fin  de  cette  durée,  qu'on  ap- 
pelle un  jour  de  Brahma  et  dont  la  mesure  est  égale  à un 
millier  d’yougas.  185. 

» Tu  es  le  souverain  de  tous  les  souverains,  celui  des 
Manous.  des  enfants  de  Manou,  du  monde  et  des  Man- 


VANA-PARVA. 


55 


wattaras,  qui  ont  régné  sur  le  genre  humain.  180. 

» Alors  qu’est  arrivée  la  fin  du  monde,  ta  colère  vomit 
le  feu  sous-marin,  et  bientôt  les  trois  mondes  ne  sont  plus 
qu’une  masse  de  cendres.  187. 

» Nés  de  tes  rayons,  des  nuages  aux  cent  couleurs,  avec 
des  serpents  de  feu  et  des  tonnerres,  couvrent  sous  un 
déluge  les  êtres,  qui  ne  sont  plus.  188. 

» Tu  divises  ta  personne  en  douze  parts  et  lu  deviens 
les  douze  Adilyas.  Tu  sèches  par  tes  rayons  l’univers,  dont 
tu  n'avais  plus  fait  qu'une  grande  mer.  189. 

» On  dit  que  tu  es  Indra  ; tu  es  Vishnou  ; les  Roudras 
eux-mêmes,  c’est  encore  toi!  Tu  es  le  Pradjàpati,  tu  es 
Agni,  tu  es  l'âme  subtile,  tu  es  le  Seigneur,  tu  es  l'éternel 
Brahman.  190. 

..  Tu  es  Hansa,  te  cygne  du  ciel,  Savitri,  Bhânou,  l'ètre 
aux  guirlandes  de  rayons,  Vrishakapi,  Yivasvat,  Mihira, 
Poûshan,  le  nourricier.  Mi thra  etDharma  lui-même.  191. 

» Tu  es  l'astre  aux  mille  rayons,  tu  es  Aditya,  Tapana, 
le  roi  des  rayons  lumineux,  Màrttanda,  Arka,  Ravi,  Soû- 
rya,  le  secourable,  et  le  père  du  jour.  192. 

» On  t’appelle  Dinankara,  C auteur  du  jour,  le  Dieu 
aux  sept  cousiers,  à la  chevelure  de  rayons,  Virotchana, 
à la  course  rapide,  le  destructeur  des  ténèbres,  le  Dieu 
aux  coursiers  verts.  193. 

» La  Déesse  de  la  fortune  vient  elle-même  sans  orgueil 
visiter  le  mortel  indigent,  qui  t’adore  pieusement  à la 
sixième  ou  â la  septième  heure.  194. 

» Les  maladies,  les  infortunes  et  les  soucis  n’appro- 
chent jamais  des  hommes,  qui  t'apportent  un  hommage 
avec  une  âme  recueillie.  195. 


66 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Quiconque  a mis  en  toi  une  dévotion  du  cœur, 
exempt  de  toute  maladie,  pur  de  tout  péché,  goûte  le  bon- 
heur et  jouit  d’une  longue  vie.  196. 

» Maître  des  aliments,  daigne  par  la  foi  m’en  accorder, 
à moi,  que  l’envie  d'exercer  l'hospitalité  envers  tous,  porte 
à désirer  une  abondante  nourriture.  197. 

» La  tête  prosternée,  je  salue  Màthara,  Arouna,  banda 
et  les  autres,  qui,  tes  suivants  et  tous  armés  de  la  foudre, 
sont  rassemblés  auprès  de  tes  pieds  ! 198. 

» Je  présente  mon  adoration  à Maitrl,  sans  la  séparer 
de  Kshoubhâ,  et  à toutes  les  autres  mères  des  éléments, 
afin  qu’elles  me  protègent  réfugié  sous  leur  protection  ! » 

Soudain  le  père  du  jour  satisfait,  sa  personne  toute 
flamboyante,  comme  le  feu  allumé,  s’offrit  ai  x yeux  du 
fils  de  Pàndou.  199 — 200. 

« Toute,  chose,  que  tu  désires,  lui  dit  le  soleil,  tu  l'ob- 
liendras,  quelle  quelle  soit;  et  pendant  sept  ans,  ajoutés  à 
cinq  années,  je  subviendrai  à ta  nourriture.  201. 

» Prends,  souverain  des  hommes,  cette  marmite  de 
cuivre,  qui  t’est  donnée  par  moi.  Tant  que  Draàupadt  se 
servira  de  ce  vase,  prince  fidèle  à tes  vœux,  tu  en  reti- 
reras la  nourriture  inépuisable  et  supérieure,  que  l'on 
prépare  dans  une  cuisine  et  qui  est  de  ces  quatre  sortes  ; 
légumes,  viandes,  fruits  et  racines.  202 — 203. 

» Dans  quatorze  années,  à compter  de  celle-ci,  turecou- 
vreras  ton  royaume  ! » A ces  mots,  le  vénérable  Dieu  s’é- 
vanouit à ses  regards.  204. 

Quelque  soit  l’homme,  qui,  dans  le  silence  et  d’une 
âme  recueillie, Jlira  cette  louange,  s'il  désire  une  grâce* 
elle  sera  accordée  par  le  soleil  ; et  la  chose  presque  im- 


VANA-PARVA. 


67 


possible,  où  aspirent  les  vœux  de  son  cœur,  il  en  obtiendra 
la  possession  ! 205. 

A quiconque,  homme  ou  femme,  la  porte  continuelle- 
ment sur  lui  ou  passe  chaque  instant  à l’écouter,  il  sera 
donné  des  fils,  s'il  désire  des  tils;  il  aura  des  richesses, 
s’il  veut  des  richesses  ! Est-ce  de  la  science  qu’il  souhaite? 
il  obtiendra  la  science  ! Quiconque,  homme  ou  femme, 
lit  cet  éloge,  sans  y manquer  aux  deux  crépuscules  du  soir 
et  du  matin,  est  délivré  de  l’infortune,  s’il  gémit  dans 
l’infortune  ; est  délivré  des  chaînes,  s’il  porte  le  poids  des 
chainesl  Le  premier,  à qui  Brahma  lui-même  donna  cette 
louange,  fut  le  bien  magnanime  Indra.  206—207 — 208. 

Celui-ci  la  transmit  à Nàrada,  de  qui  elle  passa  immé- 
diatement à Dha&uuiya.  Elle  vint  de  ce  dernier  à Youd- 
dhishthira,  qui  obtint  par  elle  l’objet  de  tous  ses  désirs. 

Quiconque  la  récitera  continuellement,  remportera  la 
victoire  dans  les  batailles;  il  acquerra  d’immenses  ri- 
chesses. Il  est  purifié  de  tous  ses  péchés,  il  entre  dans  le 
monde  du  soleil  ! 200 — 210. 

Quand  le  soleil  eut  comblé  de  cette  grâce  le  fils  de 
Kountt,  ce  prince,  versé  dans  la  science  de  la  vertu,  sortit 
de  l’eau,  prit  les  deux  pieds  deDhaàumyaet  embrassa  ses 
frères.  211. 

11  passa  chez  Draâupadi  et,  salué  par  elle,  l'auguste  lils 
de  Pândou  se  mit  aussitôt  à faire  l’expérience  du  vase 
dans  la  cuisine.  212. 

D’abord  le  mets  préparé,  que  produit  sa  marmite,  ap- 
paraît en  bien  petite  quantité.  Ensuite  la  nourriture  aug- 
mente dans  les  quatre  sortes,  elle  devient  inépuisable,  et 
il  en  tire  des  aliments  pour  tous  les  brahmes.  213. 

Ceux-ci  rassasiés,  il  distribua  de  nouvelles  victuailles 


58 


LE  MAHA-BHARATA. 


à ses  frères  et  compagnons;  ensuite  Youddhishthira  de 
manger  le  reste,  qu'on  appelle  le  vighasa.  214. 

Quand  elle  eut  servi  son  repas  à Youddhishthira,  la 
petite-fille  de  Prishata  elle-nièuie  de  manger  ce  qui  res- 
tait; et,  quand  Draàupadi  eut  entièrement  satisfait  à sa 
faim,  la  nourriture  cessa  au  fond  du  rase.  215. 

Ainsi,  grâce  au  don,  qu’il  avait  reçu  du  soleil,  cet  au- 
guste prince,  aussi  brillant  que  l'astre  même,  put  donner 
au  cœur  des  brahmes  la  réalisation  de  tous  leurs  désirs  ; 

Et,  l’archibrahme  les  présidant,  on  vit  célébrer,  sous 
l'autorité  des  prières  du  Véda,  les  cérémonies  du  sacri- 
fices suivant  les  phases  de  la  lune  et  son  passage  dans  les 
astérismes.  210 — 217. 

Enfin  et  dès  qu’on  eut  prononcé  les  bénédictions  pour 
le  voyage, les  fils  de  Pàndou, accompagnés  de  Dhaâumya, 
s’acheminèrent,  environnés  par  ces  troupes  de  brahmes, 
vers  la  forêt  Kàmyaka.  218. 

Après  le  départ  des  Pàndouides  pour  les  bois,  le  fils 
d'Ambikà,  aveugle  éclairé  par  la  science,  commodément 
assis,  mais  tourmenté  d'inquiétudes,  parla  en  ces  termes 
au  vertueux  Vidoura  à l'inteliigence  profonde  : 219. 

u Ta  science  immaculée  ressemble  à celle  de  llâma,  le 
petit-fils  de  Brighou;  tu  connais  ce  que  le  devoir  a de 
plus  haut  et  de  plus  délicat;  tu  es  regardé  comme  l’égal 
de  nous  -même.  Dis-moi  donc,  Vidoura,  ce  que,  dans  l’é- 
tat actuel  des  choses,  on  peut  faire  de  convenable  à ces 
princes  de  Kourou,  mes  fils,  afin  de  ramener  à nous  les 
habitants  de  la  cité  et  pour  empêcher  qu'ils  ne  nous  arra- 
chent de  terre  avec  nos  racines.  Parle  ! tu  sais  les  choses, 
qui  sont  à faire.  » 220  —221. 

Vidoura  lui  fit  cette  réponse  : 


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VANA-PARVA. 


59 


« Le  devoir,  udra  des  hommes,  est  la  racine  du  triple 
objet,  que  poursuit  le  cœur  humain  ; le  sceptre  même, 
que  tu  portes,  a le  devoir  pour  sa  racine.  Maintiens-toi 
dans  le  devoir,  sire,  et  couvre-les  tous  d’une  protection 
égale,  qu’ils  soient  tes  fils  ou  les  fils  de  Pàndou  ! 222. 

u Le  devoir  fut  violé  en  pleine  assemblée  par  des  âmes 
iniques,  dont  le  fils  de  Soubala  était  le  premier;  et,  défié 
à jouer,  Youddhishthira,  qui  ne  dévie  jamais  de  la  vérité, 
fut  naguère  vaincu  par  ton  fils.  223. 

» Quel  moyen  reste-t-il  après  ton  imprévoyante  con- 
duite? Ce  que  je  trouve  dans  mes  idées,  sire,  pour  que 
ton  fils,  absous  de  sa  perfidie,  se  tienne  dans  le  monde  sur 
le  pied  de  l’honneur,  le  voici  ! 224. 

» Que  les  fils  de  Pàndou  rentrent  en  possession  des 
biens,  que  leur  a donnés  ta  majesté.  Le  plus  grand  des 
devoirs,  sire,  est  celui-ci  : u Que  le  roi  se  contente  de  ce 
qu’il  a,  et  n’envie  pas  ce  qui  est  à autrui!  » 225. 

» Que  la  renommée  de  Kourou  soit  sauve!  Loin  de 
nous  la  désunion  des  parents!  Vive  le  devoir!  11  mourra, 
si  tu  n'agis  pas  de  cette  façon.  De  toutes  les  choses,  celle, 
qu’il  te  faut  regarder  comme  la  première,  c'est  la  satis- 
faction des  Pàudouides  et  le  mépris  de  Çakouni  ! 226. 

» Si  tu  veux  conserver  tes  fijs,  hàte-toi,  sire , d’em- 
brasser une  telle  conduite!  Agis-tud'uneautre manière,  la 
perte  de  tous  les  Kourouides  est  assurée.  227. 

» En  effet,  Arjouna  et  Bhimaséna  en  courroux  ne  lais- 
seront pas  échapper  un  seul  homme  dans  l’armée  de  leurs 
ennemis!  L'arc  Gândiva,  l'essence  même  du  monde,  ap- 
partient à ceux,  qui  ont  pour  soldat  l’Ambidextre,  con- 
sommé dans  la  science  des  armes.  228. 

» Quelle  chose  est  inexpugnable  dans  le  monde  à ceux, 


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LE  MAHA-BHARATA. 


qui  ont  pour  soldat  Bhlmaséna,  doué  de  bras  si  vigoureux? 
Ton  fils  venait  à peine  de  naître,  quand  je  te  fis  entendre 
une  parole  salutaire  : 229. 

u Abandonne  cet  enfant,  disais-je,  la  ruine  de  sa  fa- 
mille! » Tu  ne  voulus  pas  écouter  ce  haut  langage,  qui 
devait  la  sauver.  « C’est  un  utile  conseil,  ajoulai-je.  Si  tu 
ne  le  suis  pas,  tu  seras  dans  l'avenir  consumé  de  re- 
grets. « 230. 

» Le  malheur  ne  tombera  pas  sur  toi,  si  ton  fils  con- 
sent avec  plaisir  à rendre  la  monarchie  aux  Pàndouides. 
Retiens  ton  fils,  sinon  par  un  sentiment  d’afiection  pour 
eux,  du  moins  dans  l’intérêt  de  la  tranquillité.  231. 

« Une  fois  comprimé  ton  méchant  fils,  rétablis  celui  de 
Pândou  sur  le  trône  de  l’empire,  et  qu’Adjâtaçatrou,  sire, 
affranchi  des  passions,  gouverne  justement  cette  terre. 

n Qu’aussitôt  cette  révolution  accomplie , tous  les 
princes  s’approchent  de  nous  comme  des  valçyas;  et  que 
Douryodhana,  Çakouni  et  le  fils  du  cocher  cultivent  avec 
amour  les  fils  de  Pândou.  232 — 233. 

» Que  Douçcâsana  demande  son  pardon  au  milieu  de 
l'assemblée  à Bhlmaséna  et  à la  lille  du  roi  Droupada. 
Apaise,  loi  ! honore  Youddhishthira  et  restaure-le  sur  le 
trône.  Interrogé  par  toi, .quelle  autre  chose  pouvais-je  te 
répondre?  Si  tu  fais  cela,  sire,  tu  reviendras  au  bon- 
heur. » 2. A A. 

I,e  monarque  aveugle  repartit  : 

» Tu  as  déjà  tenu,  Vidoura,  ce  langage  ici  dans  l’as- 
semblée en  présence  des  Pàndouides  et  de  moi  : est-il  bon 
pour  eux?  Est-il  funeste  aux  miens?  Mon  esprit  ne  sait 
rien  comprendre  à toutes  ces  choses.  235. 

» Mais  par  cela  même  que  tu  viens  me  répéter  mainte- 


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VANA-PARVA. 


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nant  cette  idée  fixe  de  ion  Ame  dajis  l’intérêt  des  Pàn- 
douides,  je  pense  que  tu  ne  veux  pas  mon  bien.  En  effet, 
comment  pourrais-je  sacrifier  mon  fils  à celui  de  Pàn- 
dou?  286. 

» Tes  fils  sans  doute  sont  aussi  les  miens  ; mais  Dou- 
ryodhana  est  né  de  mon  corps.  Quel  homme,  s'il  a con- 
sidéré que  te  pire  et  le  fils  ne  sont  qu’une  seule  et  même 
chose,  oserait  dire  : » Abandonne  ton  corps  en  faveur  d'un 
autre?  » 237. 

» Tu  ne  me  dis  rien,  qui  ne  soit  à contre-sens,  Vidoura; 
mais  je  supporte  ton  arrogance  extrême.  Reste,  ou  va-t-en 
où  bon  te  semblera.  On  a beau  flatter  la  courtisane  sans 
mœurs,  elle  vous  abandonne  ! n 238. 

A ces  mots,  s'étant  levé  précipitamment,  Dhrilarâshtra 
aussitôt  entra  dans  ses  appartements  intérieurs.  Vidoura 
eut  à peine  le  temps  de  lui  dire  : « 11  n’en  est  pas  ainsi  ! » 
et  il  courut,  sire,  là  où  il  devait  rencontrer  les  fils  de 
Prithà.  239. 

Ces  rejetons  de  Bharata  et  de  Pândou,  ayant  pour  but 
d'habiter  au  milieu  des  bois,  s'avançaient  de  la  rive  du 
Gange,  accompagnés  de  leur  suite,  vers  le  kouroukshétra. 

Après  qu'ils  eurent  fait  halte  près  de  l'Yamounâ,  sur  la 
Driçadvalt,  et  sur  les  bords  de  la  Sarasvatl,  ils  chemi- 
nèrent de  forêt  en  forêt  sans  quitter  leur  direction  à l’oc- 
cident. 240 — 241. 

Ensuite,  sur  le  rivage  de  la  Sarasvatl,  en  des  plaines  et 
sur  une  terre  sablonneuse,  ils  virent  le  bois  appelé  Kà- 
tnyaka,  cher  au  peuple  des  anachorètes.  242. 

Là,  ces  héros,  avoisinés  des  solitaires  et  consolés  par 
eux,  mirent  leur  habitation  dans  un  bois  rempli  de  vola- 
tiles et  de  quadrupèdes.  243. 


«2 


LE  MAHA-BHARATA. 


Alors,  monté  sur  un  noble  char  et  désireux  d’obtenir  la 
vue  des  Pàndouides,  Vidoura  s’avançait  vers  la  riche  forêt 
de  Kâmyaka.  ‘lit  h. 

Arrivé  en  ce  lieu  sur  son  léger  véhicule,  attelé  de 
rapides  chevaux,  il  vit  le  pieux  Youddhishthira , assis 
dans  un  endroit  solitaire  avec  Draàupadt,  scs  frères  et 
les  brahmes.  245. 

Le  monarque  observateur  de  la  vérité  aperçut  de  loin 
Vidoura,  qui  s'avançait  au  galop  et  dit  à son  frère  Bhîina- 
séna  : « Vidoura  vient  nous  trouver  : que  va-t-il  nous  dire? 

» Ne  viendrait-il  pas  envoyé  par  le  fils  de  Soubala,  nous 
porter  un  défi  au  jeu?  Est-ce  que  le  vil  Çakouni  voudrait 
encore  nous  gagner  nos  armes  elles-mêmes  au  jeu  des  dés? 

» Devant  quiconque  me  jette  ce  défi  : •>  Accours!  » je 
n’ai  point  la  force  de  reculer,  Bhlmaséna.  Mais,  quand  on 
doute  de  l’arc  Gàndiva,  comment  pourrions-nous  espérer 
d’obtenir  le  royaume  ? » 240 — 247 — 248. 

Alors,  s’étant  levés,  tous  les  Pàndouides  embrassent 
Vidoura,  et,  honoré  par  eux,  l’Adjamithide  entre  d'une 
manière  digne  en  conférence  avec  les  fils  de  Pàndou.  249. 

Les  princes  interrogent  sur  la  cause  de  son  arrivée  en 
ces  lieux  Vidoura  soupirant,  et  celui-ci  raconte  avec  éten- 
due quelle  fut  à son  égard  la  conduite  du  fils  d'Ambikâ  : 

« Adjâtaçatroa,  le  roi  Dhritarâshtra  m’a  embrassé,  m’a 
honoré  et,  me  couvrant  de  sa  faveur,  m’a  dit  : « Tiens  la 
balance  égale  et  fais-moi  connaître  ce  qui,  dans  l’état  des 
choses,  est  convenable  et  à mes  neveux  et  à moi.  » 

» Je  dis  alors  ce  qui  était  digne,  utile  aux  Kourouides, 
séant  à Dhritarâshtra  ; mais  ces  conseils  ne  réussirent  pas 
à lui  plaire.  Je  n’imagine  pas,  repris-je,  autre  chose  de 
convenable.  250 — 251 — 262. 


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VAMA-PARVA. 


61 


» Je  lui  dis  ce  qui  était  son  bonheur  le  plus  grand, 
mais  le  fils  d'Ambikà  me  ferma  ses  oreilles;  et,  tel  qu’un 
malade  repousse  les  aliments,  ainsi  tout  ce  que  je  sus  lui 
dire  ne  plut  pas  à mon  frère.  253. 

» On  ne  pent  l’amener  à son  salut,  comme  il  est  impos- 
sible de  conduire  une  femme  de  mauvaise  vie  dans  la 
maison  d’un  homme  bien  élevé.  La  vérité  n’est  pas  moins 
désagréable  au  chef  des  Bharatides  qu’un  époux  sexagé- 
naire à une  vierge  adolescente.  25â. 

» La  ruine  des  Kourouides  est  certaine,  sire,  puisque 
Dhritarâshtra  s’obstine  à repousser  le  salut.  Les  bonnes 
paroles  ne  trouvent  pas  à se  fixer  en  lui,  telle  que  l’eau  du 
bassin  ne  s’attache  pas  aux  feuilles  du  lotus.  255. 

» Ensuite  Dhritarâshtra  m’a  dit  avec  colère  ; «Va-t-en, 
Bharatidc,  vers  l’homme,  en  qui  tu  as  foi!  Je  neveux 
plus  de  ton  aide  pour  gouverner  cette  terre  ou  la  ville!  » 

» Rejeté  ainsi  par  le  roi , je  suis  venu,  Indra  des 
hommes,  porter  ces  choses  à ta  connaissance.  Rappelle  à 
ton  souvenir  tout  ce  qui  fut  dit  par  moi  dans  l’assemblée. 
Je  vais  encore  y ajouter  ces  paroles  ; 256 — 257. 

» L'homme,  que  ses  ennemis  ont  lié  sous  le  joug  de 
maux  cruels,  oppose  à ses  peines  la  patience,  observe  les 
temps  et,  s’accroissant  comme  un  incendie  faible  à sa 
naissance,  il  finit  par  dévorer  seul  toute  la  terre.  258. 

» lin  roi  ne  donne  à ses  alliés  aucune  part  de  ses  ri- 
chesses ; mais  les  alliés  prennent  une  part  dans  ses  peines. 
L’appui,  trouvé  dans  une  réunion  d’alliés,  sire,  est  tel 
qu’il  a fait  dire  : a L’acquisition  de  la  terre  est  dans  l’ac- 
quisition des  alliés.  » 259. 

» Il  faut  manger  par  égales  portions  avec  ses  alliés 
comme  une  nourriture,  fils  de  Pândou,  la  querelle,  la  for- 


«4 


LE  Al  A HA-BH  ARATA . 


tune  et  la  vérité.  Un  roi,  qui  d'abord  ne  méritait  pas  d’hon- 
neur en  face  d’eux,  s’accroît  de  plus  en  plus  sous  l’influence 
d’une  telle  conduite.  » 260. 

Youddhishtliira  lui  répondit  : 

« M’élevant  à une  pensée  supérieure,  je  vais  agir  sans 
négligence,  comme  tu  le  dis  ; et  j’exécuterai  complètement 
toute  autre  parole,  qui  sera  opportune  au  temps  et  au 
lieu.  » 261. 

Cependant,  auguste  Bharatide,  après  que  Vidoura  s’en 
fut  allé  vers  les  fils  de  Pàndou  à l’hermitage,  Dhritaràsli- 
tra  à la  vaste  science  fut  tout  consumé  de  regrets;  262. 

Et,  songeant  à la  puissance  de  Vidoura,  l’arbitre  de  la 
paix  et  de  la  guerre,  il  pensa  qu’elle  serait  un  immense 
accroissement  pour  les  fds  de  Pàndou.  263. 

Agité  par  le  souvenir  de  Vidoura,  il  vint  à la  ]Kirte  du 
conseil,  et,  l’âme  pénétrée  de  celle  douloureuse  image,  il 
tomba  en  présence  des  Indras  des  rois.  264. 

Dès  qu’il  eut  repris  sa  connaissance  et  qu’on  l’eut 
relevé  du  sol  de  la  terre  , le  monarque  adressa  les 
paroles  suivantes  à Sandjaya,  qui  s’était  approché  de 
lui  ; 265. 

Mon  frère!  mon  and  ! lui,  qui  est  un  second  Dharrna, 
visible  aux  jeux!  Au  souvenir  de  lui,  mou  cœur  est  bien 
cruellement  déchiré!  266. 

» Amène  vite  auprès  de  moi  ce  vertueux  frère!  # Et, 
parlant  ainsi , le  souverain  des  hommes  se  lamentait 
pitoyablement.  267. 

Ensuite,  consumé  de  chagrin  et  rendu  comme  fou  au 
souvenir  de  Vidoura,  le  monarque  dit  encore  à Sandjaya 
ces  mots,  que  lui  inspirait  l’amour  de  son  frère  ; 268. 

« Va,  Sandjaya  ! Sache  si  Vidoura,  mon  frère,  vit  en- 


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VANA-PARVA. 


05 

core,  agité  par  la  colère,  que  ma  cruauté  alluma  dans  son 
cœur.  269. 

» Jusqu'à  ce  jour,  assurément  ! ce  frère  savant  à l’in- 
telligence sans  mesure  ne  m'a  jamais  causé  une  peine 
quelconque,  si  légère  fût-elle.  270. 

» Et  c’est  moi,  qui  l’ai  précipité  au  fond  de  l'infortune, 
cet  homme  d’un  esprit  supérieur!  Va,  docte  Sandjaya! 
Ramène-le  moi,  ou  je  vais  abandonner  la  vie  ! » 271. 

A ces  paroles  du  roi,  qu’il  reçut  avec  révérence,  San- 
djaya répondit  : n Soit  ! » et  courut  au  Ràmyaka.  272. 

11  arriva  bientôt  à la  forêt,  où  habitaient  les  iils  de  Pàn- 
don,  et  vit  Youddhishthira,  vêtu  d'une  peau  d’antilope, 
assis  en  compagnie  de  Vidoura  et  des  brahmes  par  mil- 
liers ; et  défendu  par  ses  frères  comme  Pourandara  est  dé- 
fendu par  les  Dieux.  273 — 27A. 

Sandjaya  de  s'avancer  vers  Youddhishthira  et  de  lui 
présenter  ses  respects.  Bhimaséna,  Arjouna  et  les  deux 
jumeaux  s'approchèrent  de  l’homme  envoyé  dans  cette 
affaire.  275. 

Le  monarque  anachorète  demanda  à l'ambassadeur 
commodément  assis  comment  il  se  portait;  celui-ci  exposa 
la  cause  de  sa  venue  et  tint  ce  langage  : 276. 

a Le  roi,  (ils  d’Ambikà,  Dhritarâihtra  se  souvient  de 
toi,  Kshaitri  : voici  l'affaire  ! Reviens  au  plus  vite  et  rends 
ce  monarque  à la  vie!  277. 

» Offre  tes  salutations  d’adieu  aux  princes  fils  de  Pân- 
dou  ; et  veuille  bien  revenir  à cet  ordre  du  lion  des  rois,  ô 
le  plus  vertueux  des  enfants  de  Kourou  ! » 278. 

A ces  mots,  Vidoura,  le  sage  plein  de  tendresse  pour 
ses  parents,  se  mit  en  route  avec  la  permission  d’Youd- 
dhishlhira  pour  la  ville,  qui  prit  son  nom  des  éléphants, 
ut  & 


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66 


LE  MAHA-BHARATA. 


L’auguste  Dhritarâshtra  à la  grande  splendeur  de  s’écrier 
à sa  vue:  a Oh  ! bonheur!  te  voici  revenu,  prince  ver- 
tueux. Oh!  bonheur!  tu  ne  m’avais  donc  pas  oublié, 
mortel  sans  péché  ! 279 — 280. 

» Maintenant,  toujours  éveillé,  le  jour  et  la  nuit,  à 
cause  de  toi,  je  vois  sans  cesse  ta  charmante  personne 
devant  moi!»  281. 

Et  d’attirer  Vidoura  dans  son  anka  et  de  le  baiser  sur 
sa  tête  : « Pardonne  ce  qui  te  fut  dit  par  moi,  soupira-t-il, 
homme  pur  de  toute  faute  ! » 282. 

« J’ai  déjà  pardonné,  sire!  Ta  majesté,  lui  répondit 
Vidoura,  n'est-elle  pas  la  première  des  personnes,  à qui 
mon  respect  est  dû?  Me  voici  accouru  plein  de  hâte,  ne 
pensant  qu'à  jouir  de  ta  vue.  2S3. 

» 11  y a des  hommes,  puissant  roi,  de  qui  la  pensée  est 
tournée  vers  le  devoir  et  qui  vivent  dans  la  tristesse, 
plongés  dans  l'infortune  : il  ne  faut  pas  mettre  ici  d’indif-' 
férence.  284. 

» Les  fils  de  Pàndou  sont  pour  toi,  puissant  Bharalide, 
au  même  degré  qu’ils  sont  pour  moi  ; et  c’est  cruellement 
affligée  que  ma  pensée  maintenant  se  reporte  vers  eux.  » 

Après  cette  mutuelle  réconciliation,  les  deux  frères  à la 
grande  splendeur,  Dhritarâshtra  et  Vidoura,  en  ressen- 
tirent une  joie  suprême.  285 — 280. 

A peine  eut-il  appris  le  retour  de  Vidoura  et  les  caresses, 
qu’il  avait  reçues  du  roi,  l’insensé  fils  de  celui-ci  fut  con- 
sumé de  chagrins.  287. 

Il  lit  appeler  Douççàsana,  Karna  et  le  (ils  de  Soubâla; 
ensuite  l’esprit  offusqué  par  les  ténèbres  de  l’ignorance,  ce 
roi  pervers  leur  tint  ce  langage  : 288. 

« Voici  revenu  le  conseiller  du  sage  Dhritarâshtra , le 


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VANA-PARVA. 


67 


docte  Vidoura,  l’ami  des  fils  de  Pândou,  l’homme,  qui  fait 
son  plaisir  de  leur  bien.  289. 

» Tandis  qu’il  n'a  point  encore  incliné  mon  père  à la 
pensée  du  rappel  des  Pàndouides,  délibérez  sur  ce  qu’il 
m’est  utile  de  faire.  290. 

» Si  je  vois  jamais  les  fils  de  Kountl  revenus  ici,  je  me 
donnerai  une  phthisie  en  me  refusant  tout  breuvage  à moi- 
même,  je  me  précipiterai  dans  le  feu,  je  tournerai  une 
arme  contre  moi,  j’avalerai  du  poison  ou  je  me  pendrai  ; 
car  je  n’ai  pas  la  force  de  revoir  ici  ces  riches  insolents  ! » 

291—292. 

p Pourquoi  t’arrêter,  sire , à ces  résolutions  d’enfant  ? 
répondit  Çakouni.  Les  Pàndouides  sont  partis,  souverain 
des  hommes,  suivant  les  termes  de  nos  conventions  : il 
n’en  peut  donc  être  ainsi  que  lu  dis.  293. 

» Tous  les  fils  de  Pàndou  respectent  la  vérité  de  leur 
parole,  éminent  Bharatide,  et  jamais  ils  n’accepteront, 
mon  enfant,  les  paroles  de  ton  père.  29i. 

» Cependant,  s’ils  l'acceptent  et  reviennent  à la  ville, 
ils  auront  violé  tous  la  convention,  et  leur  gage  alors  nous 
appartient.  295. 

» Tenons-nous  au  milieu  de  la  scène,  obéissants  au  dé- 
sir du  roi,  notre  chef,  et  tous,  bien  couverts,  épiant  une 
grande  faute  des  Pàndouides.  » 296. 

» Frère  de  ma  mère  à la  grande  science,  reprit  Douççâ- 
sana,  il  en  sera  comme  tu  dis;  car  les  pensées,  que  ta 
voix  exprime,  ont  toujours  mon  approbation,  o 297. 

« Nous  voyons  tous  notre  désir  en  ce  qui  est  l’objet  du 
tien,  Douryodhana,  lui  répondit  karna  : je  vois  en  effet, 
sire,  que  nous  avons  tous  une  même  opinion.  298. 

» Ces  hommes  délicats  ne  reviendront  pas  sans  avoir 


«8 


LE  MAHA-BHARATA. 


accompli  tout  le  temps  exigé  par  nos  conventions.  Si  leur 
imprudence  nous  les  ramène,  gagne-lcs  encore  au  jeu  ! » 

A ces  roots  de  Kama,  le  roi  Douryodhana,  de  qui  l’âme 
n'était  pas  extrêmement  satisfaite,  détourna  soudain  la 
tête.  299—300. 

Karna,  ayant  compris  ce  mouvement,  ouvrit  ses  yeux 
brillants  de  fureur  et,  monté  au  plus  haut  point  de  la  t o- 
lère, il  dit,  se  glorifiant  soi-même,  àPouççàsana  et  au  fils 
de  Soubala  : « Écoutez,  rois  de  la  terre,  quel  est  mon  sen- 
timent. 301 — 302. 

n Nous  ferons  tous  avec  nos  mains  de  serviteurs  ce  qui 
est  agréable  au  roi  ! Ne  pouvons-nous  rester  avec  une  per- 
sévérance infatigable  tous  en  ce  qui  lui  est  agréable?  303. 

» Montés  sur  nos  chars,  les  armes  à la  main,  revêtus  de 
nos  cuirasses,  allons  de  compagnie  dans  ces  forêts,  qu’ils 
habitent,  tuer  ces  fils  de  Pândou  ! 304. 

» Tous  une  fois  morts,  une  fois  entrés  dans  la  route  in- 
connue, nous  voilà  débarrassés  des  querelles,  nous  et  les 
fils  de  Dhritaràshtra.  305. 

» 11  est  possible  de  les  abattre  maintenant,  qu’ils  sont 
tristes,  qu’ils  sont  plongés  dans  le  chagrin  et  qu'ils  man- 
quent d'amis  : tel  est  mon  sentiment.  » 30fi. 

Ces  paroles  dites,  tous  honorent  mainte  et  mainte  lois 
le  fils  du  cocher  et  lui  répondent  : « Qu'il  en  soit  ainsi  ! » 

Tous,  à ces  mots,  prononcés  avec  colère,  ils  montent 
chacun  dans  son  char  et  sortent  de  compagnie,  déterminés 
à tuer  les  Pàndouides.  307 — 308. 

L'aup  liste  Rrishna-Dwatpâyana  à l'âme  sainte  les  vit 
avec  l’œil  de  sa  science  et,  discernant  la  cause  de  leur  dé- 
part, il  accourut.  309. 

Le  vénérable,  honoré  par  le  monde,  arrêta  les  pas  de 


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VANA-PARVA. 


69 


tous  les  guerriers  et  se  rendit  à la  hâte  au  palais,  où  trô- 
nait Y aveugle,  éclairé  par  la  science.  310. 

Vyâsa  lui  dit  : 

« Dbritaràshtra  aux  vastes  connaissances,  écoute  mon 
langage;  je  vais  te  dire  ce  qui  est  le  plus  grand  bien  de 
tous  les  Kourouides.  311. 

» 11  ne  m'est  pas  agréable,  monarque  aux  longs  bras, 
que  les  fils  de  Pàndou  soient  allés  dans  les  forêts,  dé- 
pouillés par  la  tricherie  de  joueurs,  qu'inspirait  Douryo- 
dhana.  312. 

» Les  victimes,  gardant  le  souvenir  de  ces  vexations, 
fils  de  Bharata,  une  fois  la  treizième  année  accomplie,  vo- 
miront sur  les  Kourouides  le  poison  de  leur  colère.  313. 

» 11  y a plus  encore  : ton  fils,,  ce  méchant  à la  bien 
faible  intelligence , veut,  excité  par  l’envie  de  posséder 
seul  tout  l'empire,  ôter  la  vie  aux  fils  de  Pândou,  contre 
lesquels  jamais  il  ne  désarme  sa  colère.  314. 

» Retiens  cet  insensé!  Allons!  que  ton  fils  revienne  à 
la  paix!  Il  perdra  la  vie,  s'il  veut  satisfaire  son  désir  de 
tuer  ces  nobles  habitants  de  la  forêt.  316. 

» Ta  majesté  est  bonne  comme  le  docte  Vidoura , 
comme  Bhtshma,  comme  nous,  et  Kripa,  et  Drona.  316. 

» La  guerre  avec  ses  parents  est  une  chose,  qui  mérite 
le  blâme,  assurément  1 Ainsi,  monarque  à la  grande 
science,  ne  fais  pas  ce  qui  est  injuste  et  déshonorant.  31 7. 

» Ton  fils,  qui  porte  de  tels  sentiments  à l’égard  des 
fils  de  Pândou,  tombera,  si  l’on  n'y  met  garde,  noble 
Bharatide,  au  milieu  d’une  grande  infortune.  318. 

» Mais  que  ton  insensé  fils  s’en  aille  dans  la  forêt,  sire, 
tout  à fait  seul  et  sans  compagnon,  vivre  dans  la  société 
des  Pàndouides.  319. 


70 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Là,  de  sa  fréquentation  journalière  avec  les  fils  de 
Pàndou,  naîtra  l’amitié  du  tien  ; et,  s'il  en  arrive  ainsi, 
puissant  monarque,  tu|  n’auras  plus  rien  à désirer.  320. 

» On  dit  cependant,  auguste  roi  : « L’homme  natt  d’a- 
bord ; ensuite  naît  le  caractère  ; et  celui-ci  ne  meurt  pas 
tant  que  l’homme  vit.  » 321. 

» Que  pense*  là-dessus  Bhishma,  et  Drona,  ou  Vidoura 
lui-même,  ou  ta  majesté?  On  doit  faire  ce  qui  est  conve- 
nable avant  que  le  temps  opportun  ne  vous  soit 
échappé.  » 322. 

« Révérend,  lui  répondit  le  monarque  aveugle,  je  n’ai 
pas  approuvé  le  jeu  à sa  naissance;  mais  voici,  anacho- 
rète, quelle  fut  ma  pensée  : « C.’est  le  Destin,  qui  m’en- 
traîne; il  me  force  à consentir!  » me  suis-je  dit.  323. 

•>  Ni  Bhishma,  ni  Drona,  ni  Vidoura  n’ont  approuvé,  ni 
Gândhàri  elle-même  n’a  désiré  ce  jeu,  dont  le  délire  fut 
ici  la  cause.  324. 

» Mais  l'amour  naturel  au  cœur  d’un  père  m’empêche 
d'abandonner,  vénérable,  qui  te  complais  en  tes  vœux, 
mon  insensé  Douryodhana,  sachant  bien  cependant  qu’il 
nous  entraîne  à ta  ruine.  » 325. 

« Fils  de  Vitchitravirya,  lui  répondit  Vyàsa,  nous  sa- 
vous  parfaitement  que  ta  majesté  a dit  la  vérité  : un  (ils 
est  le  plus  grand  des  biens  ; il  n’est  rien  de  plus  grand 
qu’un  fils.  326. 

» Instruit  par  les  pleure,  que  répandait  Sourabhl,  Indra 
eut  la  pensée  qu’un  fils  l’emportait  sur  tous  les  autres 
avantages,  quelque  grands  fussent-ils.  327. 

» Je  te  raconterai  ici,  monarque  des  hommes,  cette 
haute  et  sublime  légende,  la  conversation  d'Indra  et  de 
Sourabhl.  328. 


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VANA-PARVA. 


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» Jadis,  assure-t-on,  Sourabht,  la  mère  de  la  race  bo- 
vine, se  présenta,  versant  des  larmes,  dans  le  Tripishtapa, 
et  toucha  de  compassion  pour  elle  le  monarque  des  Dieux. 

» Pourquoi  répands-tu  ces  pleurs,  noble  quadrupède  T 
lui  dit  Indra.  Est-il  arrivé  un  malheur  aux  habitants  du 
ciel?  Tu  ne  pleures  pas  sans  doute  pour  un  léger  accident 
au  milieu  des  hommes  et  des  Nâgas  ? » 329 — 330. 

« On  ne  voit  nulle  part  un  malheur,  qui  soit  tombé  sur 
toi,  monarque  des  Dieux,  répondit  Sourabhî.  C'est  mon 
fils  qui  m'afllige,  Raàuçika,  et  c’est  pour  lui  que  je  verse 
des  larmes.  331. 

» Vois  cet  abject  laboureur,  qui  frappe  à coups  d'ai- 
guillon mon  fils,  à qui  manque  la  force,  accablé  sous  le 
poids  de  la  charrue,  triste,  battu,  s'affaissant  sur  la  terre. 
J'en  suis  pénétrée  de  compassion,  roi  des  Dieux,  et  mon 
âme  en  est  troublée.  332 — 333. 

» Un  autre  ici,  doué  de  vigueur,  porte  une  charge  plus 
grande  que  sa  force;  là,  haletant,  épuisé,  maigre,  le  cou 
tendu,  celui-là  traîne  avec  peine  sou  fardeau.  Je  plains  ce 
mal/ieureuj , fils  de  Vasou  ! Maltraité,  déchiré  mainte  et 
mainte  fois  par  l’aiguillon,  vois!  il  n’a  plus  la  force  de  voi- 
turer  ce  faix  pesant!  Voilà  pourquoi  je  gémis,  profondé- 
ment affligée,  saisie  de  pitié,  consumée  de  chagrin,  et 
noyant  mes  yeux  de  larmes.  » 334 — 335 — 336. 

« Tu  as  des  milliers  de  fils,  qui  sont  dans  l’oppression, 
ma  belle,  reprit  Indra.  Pourquoi  cette  plainte  ici,  dans  un 
seul  endroit,  où  pâtit  un  seul  de  tes  fils?  » 337. 

« Si  j’ai  partout  des  milliers  de  fils,  j'ai  pour  tous  un 
égal  amour,  lui  répondit  Sourabhî  ; mais  la  pitié,  Çakra, 
est  plus  grande  pour  un  fils,  quand  on  en  voit  l’infor- 
tune. » 338. 


72 


LE  MAHA-BHARATA. 


A peine  eut-il  entendu  ce  langage,  Indra,  plein  d’une 
vive  admiration,  comprit.,  enfant  de  Kourou,  qu’un  fils 
est  plus  cher  que  la  vie  même.  339. 

Soudain  l'adorable  Pâkaçâsana  de  verser  là  une  pluie 
torrentielle,  qui  mit  un  obstacle  aux  travaux  du  labou- 
reur. 340. 

» Aies  donc,  comme  Sourabhl,  une  tendresse  égale  pour 
tous  tes  fils,  mais  une  pitié  plus  grande,  sire,  pour  les 
malheureux.  341. 

» De  même  que  Pândou  était  mon  fils,  ainsi  êtes- 
vous  mes  fils,  toi  et  Vidoura  à la  vaste  science  : c'est 
l’amour,  qui  m’inspire  ce  langage,  mon  fils.  342. 

» Enfin,  on  te  vit,  rejeton  de  Bharata,  une  centaine  de 
fils;  il  naquit  cinq  fils  à Pândou,  mais  dans  l’infortune  et 
plongés  dans  une  profonde  affliction.  343. 

s Comment  pourraient-ils  vivre?  Comment  pourraient- 
ils  croître  dans  ces  maux  outre  mesure?  » me  disais-je. 
Et  maintenant  que  les  fils  de  Prithâ  sont  encore  malheu- 
reux, mon  âme  est  consumée  par  la  douleur.  344. 

» Prince,  désires-tu  ici  la  vie  des  rejetons  de  Kourou  : 
que  ton  fils  Douryodhana  fasse  la  paix  avec  les  fils  de 
Pândou  ! a 345.  * 

Dbritarâshtra  lui  répondit  : 

« Il  en  est  ainsi  que  tu  nous  dis,  anachorète  à la  grande 
science  ; je  le  sais  bien,  moi  et  tous  ces  princes.  346. 

» Ta  sainteté  pense  qu  il  y a de  l’orgueil  dans  les  Kou- 
rouides  : c’est  aussi,  pieux  anachorète,  ce  que  m’ont  dit 
Drona,  Bhlshma  et  Vidoura  lui-mème.  347. 

» Mais  si  j’ai  mérité  ta  faveur,  si  tu  as  compassion  des 
fils  de  Kourou,  veuille  bien  instruire  Douryodhana,  mon 
fils  à l’âme  perverse.  » 348. 


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VANA-PARVA. 


75 


a Voici  Maitréya,  le  vénérable  anachorète,  qui  vient, 
sire,  lui  dit  Vyâsa  ; il  a vu  les  cinq  frères,  fils  de  Pàndou  ; 
et  c’est  le  désir  de  tous  voir,  qui  l'amène  ici.  349. 

» Ce  grand  rishi  donnera  à ton  fils  Oourvodhana,  sire, 
des  lumières  conformes  à la  droite  raison  pour  la  paix  de 
cette  famille.  SâO. 

» 11  dira  sans  doute,  rejeton  de  Kourou,  ce  qu’on  doit 
faire  ici;  mais,  si  ton  fils  néglige  de  l’accomplir,  il  sera 
maudit  par  cet  homme  dans  sa  colère.  <>  351. 

A ces  mots,  Vyâsa  partit  et  Maltréva  se  montra.  Le 
monarque,  accompagné  de  son  fils,  reçut  respectueuse- 
ment le  vertueux  anachorète  fatigué,  avec  l’arghya  et  les 
autres  cérémonies.  Ensuite  le  fils  d'Ambikâ,  le  roi  Dhrita- 
râsthra  lui  dit  avec  modestie  ; 352 — 353. 

« As-tu  fait  joyeusement  ta  route  du  Kouroudjângala? 
Les  cinq  frères,  héroïques  fils  de  Pândou,  sont-ils  en 
bonne  santé?  354. 

» Est-ce  que  les  princes  de  Bharata  veulent  rester 
fermes  dans  le  traité?  La  fraternité  avec  les  fils  de  Kou- 
rou n’en  sera-t-elle  point  brisée?  » 355. 

a Je  suis  venu  du  Kouroudjângala,  répondit  Maitréya, 
en  suivant  le  chemin  des  ttrthas.  J’ai  vu  dans  la  forêt  Kâ- 
myaka  au  gré  de  ma  volonté  Dharmaràdja,  habitantle  bois 
d’anachorète,  vêtue  de  la  peau  d’antilope,  et  coiffé  de  la 
djatâ.  Une  foule  d’hermites,  seigneur,  était  venu  visiter  ce 
magnanime.  356 — 357. 

» Là,  j’ai  ouï  raconter,  grand  roi,  l’égarement  de  tes 
fils,  le  vice  sous  les  formes  du  jeu,  et  l’immense  danger, 
qui  en  était  né  pour  vous.  368. 

» Alors,  je  suis  venu,  conduit  par  l’envie  de  voir  les 


74 


LE  MAHA-BHARATA. 


princes  de  Kourou  ; car  aucune  chose  n'égale  l'affection  et 
l’amour,  que  j'ai  toujours  en  toi,  seigneur.  359. 

» Il  ne  sied  pas,  sire,  que  tes  fils,  de  ton  vivant  et  du 
vivant  môme  de  Bhlshma,  se  fassent  d'aucune  manière  l’un 
à l’autre  un  obstacle.  3(50. 

» Insensé  es-tu,  sire,  toi,  qui  as  accepté  cette  guerre  de 
toi-même!  Pourquoi  n’as-tu  pas  veillé  sur  cette  horrible 
calamité  au  moment  qu’elle  s’élevait.  361. 

i Tu  ne  brilles  pas,  rejeton  de  Kourou,  dans  la  réunion 
des  ascètes  par  cette  conduite,  qui  ressemble,  sire,  à celle 
observée  dans  une  assemblée  de  voleurs.  » 362. 

Ensuite,  ayant  arrêté  le  roi  Douryodhana,  Mailréya, 
le  vénérable  rishi,  lui  dit  avec  une  voix  caressante  : 363. 

« Douryodhana  aux  longs  bras,  le  plus  éloquent  des 
êtres  doués  de  la  voix,  écoute,  homme  éminent,  je  vais 
dire  ce  qui  est  vraiment  utile  pour  toi.  364. 

» Ne  vexe  pas  les  Pàndouides,  sire!  Fais  ce  qui  est 
utile  pour  toi-même,  pour  les  fils  de  Pàndou,  pour  les 
Kourouides  et  pour  le  monde.  365. 

» Car  tous  ces  princes  sont  des  héros,  des  guerriers 
vaillants;  tous  ont  la  vie  d’une  myriade  de  grands  ser- 
pents, tous  sont  forts  avec  des  corps  de  diamant.  366. 

» Tous  observent  le  vœu  de  la  vérité,  tous  ont  la  fierté 
d'hommes,  tous  détruisent  les  ennemis  des  Dieux,  les 
Rakshasas,  qui  changent  de  forme  à leur  volonté,  367. 

» De  qui  les  principaux  étaient  Hidimba,  Vakaet  le  Dé- 
mon Kinn iras.  Tandis  que  ces  magnanimes  couraient 
d’ici  pendant  la  nuit,  Bhima  à l’àme  terrible,  orgueilleux 
de  combats,  lui,  que  sa  force  rendait  le  plus  distingué 
entre  les  vigoureux,  se  tint,  immobile  comme  une  mon- 
tagne, leur  fermant  le  chemin.  368 — 369. 


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VANA-PARVA. 


75 


» Le  tigre  les  tua  de  la  mort  des  troupeaux,  comine 
une  vile  gazelle.  Vois,  sire,  comme  tomba  dans  la  con- 
quête du  monde  sous  le  bras  de  Bhlrna  dans  la  guerre  le 
héros  Djarâsandha,  qui  avait  la  force  d'une  myriade  de 
serpents.  Le  Vasoudévide  est  le  parent  et  tous  les  reje- 
tons de  Prishat  sont  les  beaux-frères  de  ces  guerriers. 

370-371. 

» Quel  homme,  soumis  à la  vieillesse  et  à la  mort,  eut 
approché  d’eux  pendant  une  bataille  ? Que  la  paix  règne 
donc  maintenant,  éminent  Bharatide,  entre  toi  et  les  fils 
de  Pàndou.  372. 

» Suis  ma  parole,  sire,  et  ne  te  livre  pas  au  pouvoir 
de  la  colère.  » Tandis  que  Mattréya,  puissant  monarque, 
tenait  ce  langage,  Douryodhana,  frappant  de  la  main  sa 
cuisse,  qui  ressemblait  à la  trompe  des  éléphants  et,  le 
rire  sur  la  bouche,  gravant  des  lignes  avec  la  pointe  du 
pied  sur  la  terre,  restait  là  sans  répondre  un  seul  mot,  la 
tête  baissée  à terre,  et  semblait  ne  rien  comprendre. 

A la  vue  de  Douryodhana,  qui  ne  voulait  rien  entendre 
et  qui  écrivait  sur  le  sol  de  la  terre,  la  colère  saisit  Maî- 
tréva  ; et,  sous  le  pouvoir  du  ressentiment,  le  plus  ver- 
tueux des  anachorètes,  poussé  par  le  Destin,  appliqua  son 
esprit  à la  pensée  de  le  maudire.  Il  toucha  l’eau  de  sa 
bouche  et,  les  yeux  rouges  de  colère,  Maitréya  de  lancer 
une  imprécation  sur  le  Dhritarâshtride  à l'âme  méchante  : 
o Puisque,  sans  faire  aucune  attention  à moi,  tu  ne  veux 
pas  suivre  ma  parole,  reçois  à l’instant  même  le  fruit  de 
cet  orgueil.  (De  la  373'  stance  à la  378'.) 

» Il  s’élèvera  un  grand  combat,  dont  tu  subiras  l’op- 
pression : là,  ce  vigoureux  Bhtma,  sous  les  coups  de  sa 
massue,  brisera  ta  cuisse.  379. 


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70 


LE  MAHA-BHARATA. 


A peine  eut-il  articulé  cette  parole,  le  monarque  de  la 
terre,  Dhritarâshtra  de  supplier  l’anachorète  : « Qu'il  n’en 
soit  pas  ainsi  ! » 3S0. 

Mattréya  dit  : 

a Si  ton  fils  revient  à des  sentiments  de  paix,  c'est 
alors,  sire,  que  la  malédiction  n'aura  pas  lieu  ; mais,  dans 
le  cas  contraire,  il  en  sortira  son  effet.  » 381. 

Le  père  de  Douryodhana,  l' Indra  des  rois,  tenant  ses 
yeux  fixés  sur  Mattréya,  lui  dit  : « Comment  Kirmtra  est- 
il  tombé  sous  les  coups  de  Bhitna  ? » 382. 

« Je  ne  te  le  dirai  pas,  lui  répondit  Mattréya;  car  ton 
(ils  ne  veut  pas  en  écouter  davantage.  Mais  v ici  Vidoura  ; 
il  te  racontera  tout,  quand  je  serai  parti.  » 383. 

A ces  mots,  il  s'en  alla  comme  il  était  venu,  et  Douryo- 
dhana sortit,  tout  troublé  par  la  mort  de  Kirmira.  384. 


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LA  MORT  DE  KIRMIRA 


Dhritaràshtra  dit  alors  : 

r Kshattri,  je  veux  entendre  la  mort  de  Kirmira.  Ra- 
conte ! Comment  eut  lieu  cette  rencontre  de  Bhlmaséna 
avec  le  Rakshasa  1 » 385. 

« Écoute,  répondit  Vidoura,  cette  aventure  de  Bhtma 
aux  actions  plus  qu'humaines  ; je  l'ai  entendue  mainte 
et  mainte  fols  déjà  racontée  à la  fin  de  leurs  récits.  380. 

» Partis  de  ces  lieux,  puissant  roi,  les  fils  de  Pàndou, 
vaincus  au  jeu,  arrivèrent  au  bout  de  trois  jours  et  de 
trois  nuits  vers  le  bois  appelé  Kâuiyaka.  387. 

» C'était  la  nuit  ; on  ouchait  au  milieu  de  sa  carrière; 
il  était  minuit,  heure  épouvantable  par  les  incursions  des 
Rakshasas  anthropophages,  aux  actions  féroces.  388. 

» Les  habitants  des  forêts,  pâtres  et  pénitents,  évi- 
taient ce  bois  par  un  grand  détour,  sans  doute,  dans  la 
crainte  des  momtre * anthropophages.  3S9. 


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78 


LE  MAHA-BHARATA. 


u A peine  y entraient-ils,  le  Rakshasa,  leur  ayant  fermé 
la  sortie,  se  montra,  la  torche  à sa  main,  avec  ses  yeux 
enflammés  et  sa  mine  épouvantable.  390. 

» S'étant  fait  deux  longs  bras  et  un  aspect  horrible,  il 
se  tenait,  ayant  fermé  la  route,  par  où  s'avançaient  les 
descendants  de  Kourou.  391. 

» Rakshasa  aux  dix  dents  jointes,  à la  tête  enflammée, 
à la  chevelure  à moitié  rasée,  tel  qu’un  nuage  environné 
de  grues,  ou  tel  que  le  tchakra  de  la  foudre,  entouré  par 
les  rayons  du  soleil,  il  produisait  un  vaste  bruit,  comme 
une  nuée  pluvieuse,  qui  vomit  un  immense  fracas  ; et  il 
avait  donné  le  jour  à la  Raksbasl  Màyâ.  392 — 393. 

» Épouvantés  à cette  clameur,  on  voyait  tomber  à tous 
les  points  des  cieux  les  oiseaux  sans  voix,  comme  des 
lotus  dans  une  terre  sèche.  394. 

» Rempli  d'ours,  de  buffles,  d’éléphants  et  de  gazelles, 
courant  effrayées,  le  bois  semblait  u'être  composé  que  de 
ce  bruit.  395. 

» Les  lianes,  avec  leurs  bras  de  pousses  vermeilles, 
agitées  par  le  grand  vent,  sorti  de  sa  bouche,  s’en  al- 
laient embrasser  les  arbres,  quoique  nés  cependant  loin 
d'elles.  390. 

» Tristement  épouvantable,  un  vent  soufflait  en  ce  mo- 
ment, et  le  ciel,  couvert  par  ce  Rakshasa,  avait  perdu  sa 
clarté.  397. 

» Le  grand  ennemi  des  hommes,  sans  distinguer  les 
cinq  lils  de  Pàndou,  comme  un  malade  gravement  plongé 
dans  l'indifférence  des  choses,  qui  concernent  les  cinq 
sens,  ayant  vu  de  loin  ces  Pàndouides,  revêtus  de  la  peau 
d’antilope  noire,  leur  ferma , comme  le  mont  Mainaka, 
la  porte  de  la  forêt.  398 — 399. 


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VVNA-PARVA. 


70 


» Krishnâ  effrayée,  aux  yeux  de  lotus  bleu,  rencon- 
trant alors  ce  monstre , qu’elle  n'avait  pas  encore  vu,  en 
ferma  ses  regards  d’épouvante.  400. 

» Les  cheveux  épars  sur  ses  épaules  dans  l’état  où  les 
avait  tirés  la  main  du  cruel  Douççâsana,  elle  se  troubla 
soudain , comme  une  rivière , placée  au  milieu  de  cinq 
montagnes.  401. 

» Les  cinq  fils  de  Pàndou  la  reçurent,  elle  vivement 
émue,  au  milieu  d’eux  : tels  les  cinq  organes  des  sens 
reçoivent  la  volupté  attachée  à un  objet  sensuel.  402. 

» Ensuite  le  vigoureux  ühaàumya  avec  des  mantras 
divers,  destructeurs  des  Démons,  sagement  employés,  fit 
périr,  il  a vue  des  Pàndouides,  la  Rakshasî  Màyà,  qui  s’é- 
tait élevée  d’une  forme  épouvantable.  Vainqueur  de  Maya 
et  doué  d’une  force  immense,  les  yeux  enflammés  de  co- 
lère, cruel,  et  porteur  d’une  forme,  qu’il  pouvait  changer  à 
son  gré,  il  paraissait  semblable  au  temps.  Le  roi  à la  grande 
science,  Youddhishthira  lui  dit  alors  : 403 — 404 — 405. 

«Qui  est  ta  majesté?  De  qui  sort-elle?  Que  veut-elle 
qui  soit  fait?  » Le  Rakshasa  répondit  alors  4 Youddhish- 
thira, le  roi  de  la  justice  : 406. 

« Je  suis  le  frère  de  Vaka,  on  m’appelle  Kirmira  ; j'ha- 
bite, exempt  de  maladie,  dans  Kàmyaka,  cette  forêt  soli- 
taire. 407. 

» Je  me  repais  continuellement  des  hommes,  que  j'ai 
vaincus  dans  un  combat.  Qui  êtes-vous  donc,  vous,  qui 
venez  près  de  moi,  destinés  à me  servir  d'aliments?  408. 

» Je  vous  vaincrai  tous  dans  une  bataille,  et  je  vous 
mangerai  de  bon  appétit.  » A ces  paroles  du  monstre, 
Youddhishthira  de  lui  exposer  tous  les  noms  de  sa  famille 
et  le  reste,  fils  de  Bharata  : « Je  suis  Dharmarâdja,  le  fils 


80 


LF.  MAHA-BHAR  VTA. 


de  Pândtu,  lui  dit-il,  si  mon  nom  est  venu  à tes  oreilles. 

409 — 410. 

» Accompagné  de  tous  mes  frères,  Bhlmaséna,  Arjouna 
et  les  deux  jumeaux,  dépouillé  de  mon  royaume,  j’ai  l'in- 
tention de  mettre  mon  habitation  dans  ces  forêts.  411. 

# t’est  pour  cela  que  je  suis  venu  dans  ce  bois  épou- 
vantable, qui  t’est  soumis.  » Kirmira  lui  répondit:  «Quel 
bonheur!  Ce  sont  les  Dieux,  qui  ont  fait  naître  ici  main- 
tenant pour  moi  cette  aventure,  qui  était  dans  mon  cœur 
depuis  long-temps  ; car,  si  je  liens  mes  armes  continuelle- 
ment levées,  c’est  pour  ôter  la  vie  à Bhlmaséna. 

» J'ai  parcouru  toute  la  terre,  où  je  n’ai  pu  le  rencon- 
trer jamais;  mais,  ô bonheur!  le  voici  arrivé,  ce  meur- 
trier de  mon  frère,  si  long-temps  désiré  412 — 413 — 414. 

» En  effet,  revêtu  de  la  forme  empruntée  d'un  brahme, 
il  a tué  dans  les  bois  de  Vétrakya,  sire,  Vaka,  mon  frère 
bien-aimé.  415. 

» La  force  ne  lui  était  pas  naturelle,  il  devait  sa  force  à 
la  science.  Hidimba,  le  rôdeur  des  bois,  était  aussi  mon 
cher  ami.  416. 

a Ce  pervers  jadis  l’a  tué  et  il  a ravi  sa  sœur;  mais  le 
voici  arrivé,  cet  insensé,  dans  ma  forêt  inextricable.  417. 

» Dans  le  temps  de  nos  excursions,  à l'heure  de  minuit, 
ce  moment,  où  nous  sommes  égaux  il  nous-mêmes,  j'abat- 
trai soudain  son  inimitié,  qui  aurait  dù  mourir,  il  y a long- 
temps. 418. 

» Je  rassasierai  Vakra  de  son  sang,  répandu  h torrents, 
et  j'acquitterai  ma  dette  à mon  frère  et  à mon  ami.  419. 

» Après  que  j'aurai  tué  cet  ennemi  des  Rakshasas,  je 
jouirai  d’une  paix  suprême,  si  Bhlmaséna  commence  par 
s'acquitter  à l’égard  de  Vaka.  420. 


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VANA-PARVA. 


81 


» Je  le  dévorerai  sous  les  yeux  aujourd’hui  même, 
Youddhishthira,  car  je  vais  tuer  ce  Vrikaudara  au  grand 
souffle  de  vie.  A21. 

» Je  le  mangerai  et  je  le  digérerai  comme  Agastya  jadis 
a digéré  le  grand  Asoura  Vitûpi,  » A ces  mots,  Dliarma- 
ràdja- Youddhishthira,  fidèle  à la  vérité,  s’écria  : « Il  n’en 
sera  point  ainsi!  » et  il  menaça  le  Démon  avec  colère. 
Ensuite  Bhima  aux  longs  bras  de  casser  un  arbre  avec 
force.  A22 — A23. 

11  dépouilla  de  ses  feuilles  le  végétal  rompu,  qui  me- 
surait dix  brasses;  mais,  dans  l’intervalle  d’un  clin-d’œil, 
le  victorieux  Arjouna  avait  déjà  passé  la  corde  à son  arc 
Gàndiva,  qui  frappait  d’un  coup  pesant  comme  la  chute 
de  la  foudre.  Bhima  d’arrêter  Djishnou  et  de  courir  sur 
le  Uahshasa,  bruyant  comme  un  nuage,  en  criant  : «Tiens 
ferme!  tiens  ferme!  » A peine  eut-il  articulé  ces  mots, 
fils  de  Bharata,  le  Pândouide,  bouillant  de  colère,  arrêta 
dans  la  ceinture  l’extrémité  de  son  vêtement  supérieur. 

A2A — A25 — A20. 

Broyant  ses  mains  l’une  contre  l'autre,  mordant  la 
coupe  de  ses  lèvres,  armé  de  son  arbre,  le  vigoureux 
Bhima  courut  sur  lui  précipitamment;  A27. 

Et  lit  tomber  rapidement  sur  sa  tête,  comme  un  nuage, 
cette  foudre  pareille  au  bâton  d’Y'ama.  A28. 

Le  Rakshasa  ne  parut  pas  ému  du  coup  dans  le  combat, 
et  lui  jeta  sa  torche  ardente  comme  un  tonnerre  enflammé. 

Bhima  soudain  évita  cette  torche  par  un  écart  du  pied 
gauche,  et  le  Rakshasa  de  nouveau  s’avança.  A29 — A30. 

Kir  mira , irrité  dans  ce  combat , arrachant  vite  un 
arbre,  de  s'élancer,  semblable  à Y’ama,  sur  le  lils  de 
Pàndou.  A31. 

m d 


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8*2 


LE  MAHA-BHARATA. 


Ce  combat,  où  l’on  se  servait  d'arbres  en  guise  d'armes, 
était  la  destruction  des  arbres,  comme  celui,  où  jadis 
Sougrîva  et  Bàli  se  disputaient  une  femme  (1).  432. 

Ils  brisaient  en  plusieurs  morceaux  les  arbres  abattus 
sur  leurs  têtes,  comme  deux  éléphants , ivres  d’amour , 
brisent  des  guirlandes  de  lotus  bleus.  433. 

Devenus  faibles  comme  des  moundjas  (2),  beaucoup 
d’arbres  ne  se  montraient  plus  alors  dans  le  grand  bois, 
revêtus  de  leurs  écorces  enlevées.  434. 

Cette  guerre  à coups  d'arbres,  éminent  Bhar&tide,  dura 
une  heure  pour  le  chef  des  Rakshasas  et  le  plus  grand 
des  hommes.  435. 

Ensuite  le  Démon,  ayant  levé  un  rocher,  l'envoya  tom- 
ber sur  Bhitna,  ferme  dans  le  combat;  niais  celui-ci  en 
colère  reçut  le  coup  et  ne  broncha  pas.  43À. 

Le  Rakshasa  courut  autour  du  héros,  étourdi  par  la 
chute  du  roc,  cherchant  à le  prendre  dans  ses  bras, 
comme  Ràhou,  qui  veut  embrasser  les  rayons  du  soleil. 

Tous  deux,  enlacés  d’une  étreinte  mutuelle  et  s'entre- 
tirant l’un  l’autre,  ils  ressemblaient  à deux  taureaux  vi- 
goureux. 437 — 438. 

Le  combat  de  ces  guerriers  fut  très-épouvantable  et 
bien  tumultueux,  comme  celui  de  deux  tigres  fiers,  munis 
d’ongles,  armés  de  dents.  439. 

Aigri  par  les  vexations  de  Douryodhana,  enorgueilli  de 
la  force  de  ses  bras,  encouragé  par  les  regards  de  Krishna, 
Bhlma  se  surpassa  lui-même.  440. 

il  fond  sur  son  adversaire  et  le  reçoit  irrité  dans  ses 


(1}  Voyez  ma  traduction  du  Ràmàvaua,  tome  V,  pages  73  et  suivante». 
(2)  Saccharum  munja. 


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VANA-PARVA. 


83 


bras,  comme  uu  éléphant  reçoit  un  éléphant,  de  qui  la 
face  et  les  joues  ruissellent  de  mada.  AAI. 

Le  vigoureux  Rakshasa  le  prit  même  dans  ses  deux 
bras  ouverts,  et  Bhîmaséna,  le  plus  fort  des  hommes  forts, 
l’étreignit  fortement.  AA*2. 

Alors  ce  couple  de  robustes  guerriers  se  livra  un  épou- 
vantable combat,  où  le  broyement  des  bras  imitait  le  fra- 
cas du  brisement  des  bambous.  AA3. 

Puis,  Vrikaudara  l’étreignit  fortement,  l’éleva  au  mi- 
lieu de  son  corps  et  l'agita  rapidement,  tel  qu'un  vent  fu- 
rieux secoue  un  arbre.  AAA. 

Le  faible  Démon  enlevé  ainsi  dans  le  combat  par  le  vi- 
goureux Bhlma,  résistait  de  toutes  ses  forces  ; il  entraînait 
çà  et  là  ce  fils  de  Pândou.  AA5. 

Quand  Vrikaudara  le  vit  fatigué,  il  enchaîna  le  Rakshasa 
avec  ses  bras,  comme  on  lie  un  bétail  avec  une  corde. 

L'homme  fort  le  fit  tourner  bien  long-temps,  la  pensée 
perdue,  tremblant,  poussant  de  vastes  clameurs,  sem- 
blables au  son  d’un  tambour  double.  AA<5 — AA7. 

A peine  le  fils  de  Pàndou  eut-il  senti  le  Rakshasa  éva- 
noui, il  le  prit  avec  force  dans  ses  bras  et  le  fit  périr  de  la 
mort  des  bestiaux.  AA8. 

Vrikaudara  de  poser  un  genou  sur  les  reins  du  vil  Dé- 
mon et  de  lui  serrer  le  cou  avec  ses  deux  mains.  AAO. 

11  retourna  sur  le  sol  de  la  terre  son  ennemi,  tous  les 
membres  rompus,  le  ciel  des  yeux  déchiré  et  lui  jeta  ces 
mots  : A50. 

«Maintenant  que  tu  es  parti,  scélérat,  pour  habiter 
chez  Varna,  ce  n’est  pas  toi,  qui  essuiera  les  pleurs  de 
Vaka  et  de  Hiditnba!  « A51. 

A ces  mots,  le  héros  des  hommes,  l’àme  enveloppée  de 


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LE  MAHA-BHARATA. 


84 

colère,  abandonna  le  corps  du  Rakshasa,  les  parures  de 
se9  vêtements  tombées,  la  pensée  éteinte,  palpitant,  mais 
privé  de  vie.  452. 

Après  qu'il  eut  tué  ce  monstre  aux  formes  semblables  à 
celles  d’un  nuage,  les  lils  de  l'Indra  des  hommes  mirent 
Krishnàà  leur  tête,  louèrent  Bhtma  et,  joyeux  de  9es  nom- 
breuses qualités,  reprirent  leur  chemin  vers  le  Dwaîta- 
vana.  453. 

C’est  ainsi,  roi,  qui  descends  de  Kourou,  c’est  ainsi  que 
Bhlinaséna  a tué  dans  un  combat  kirmira  sur  la  parole  de 
Dharmarddja.  454. 

Quand  l’invaincu  eut  dépeuplé  d’ennemis  cette  lorêt, 
le  vertueux  Y ouddhishthira  y mit  son  habitation  avec 
Draàupadl.  455. 

Les  princes,  ayant  rassuré  celle-ci,  louèrent  tous 
Ventre-de-Loup  avec  affection  et  l'âme  joyeuse.  450. 

Le  Rakshasa  mort,  broyé  sous  la  force  des  bras  de 
Bhtma,  les  héros  habitèrent  paisiblement  ces  bois,  purgés 
d’ennemis.  457. 

Je  l’ai  rencontré  dans  la  route,  où  je  marchais,  ce 
Démon  pervers,  épouvantable,  étendu  dans  la  grande  fo- 
rêt, tué  sous  la  force  de  Bhtma.  458. 

C’est  là  que  j’entendis  raconter  aux  brahmes,  qui  s'é- 
taient réunis  en  ce  lieu,  fils  de  Bharata,  ce  grand  exploit 
de  Rhlmaséna.  459. 

Aussitôt  qu’il  eut  appris  que  le  roi  même  des  Rakshasas, 
Kirmira,  avait  succombé  dans  le  combat,  le  roi  soupira, 
plongé  dans  la  rêverie  et  livré  à la  douleur.  480. 


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LE  VOYAGE  D'ARJOUNA. 


Vaiçampâyana  dit  : 

Ayant  appris  que  les  fils  de  Pàndou  exilés  étaient  con- 
sumés de  chagrins,  les  princes  Vrishnides  et  Andakides 
vinrent  les  trouver  dans  la  grande  forêt.  461. 

Les  fils  du  roi  de  Pantchàla,  Dhritakétou,  le  roi  de 
Tchédi,  les  frères  Kalkéyides  à la  grande  vigueur,  re- 
nommés dans  le  monde,  vinrent  aussi  voir  dans  le  bois  les 
Pàndouides,  pleins  de  ressentiment  et  de  colère.  Ils  me- 
naçaient les  fils  de  Dhritarâshtra  : « Que  faisons-nous?  » 
disaient-ils.  462 — 463. 

Tous,  le  Vasoudévide  à leur  tête,  ils  environnent  Youd- 
dhishthira,  le  fils  d’Yama,  prennent  des  sièges  inférieurs, 
et  Kéçava,  l'ayant  salué,  adresse  au  plus  grand  des  Kou- 
rouides  ce  langage  avec  tristesse  : 464. 

« Douryodhana,  Kama,  le  pervers  Çakouni  et  Douççà- 
sana,  en  voilà  quatre,  de  qui  la  terre  boira  le  sang!  465. 


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86 


LE  MUR-BHARATA. 


» Une  fois  tués  dans  la  bataille,  eux  et  leurs  suivants, 
une  fois  soumis  tous  les  monarques,  leurs  alliés,  hâtons- 
nous  tous  de  sacrer  Youddhishthira-Dharmaràdja. 
L’homme,  qui  use  de  tricherie,  mérite  la  mort  : c’est  la 
loi  éternelle  ! » 466 — 467. 

Arjouna  de  calmer  Djanârdana,  irrité  de  la  défaite  des 
Pàndouides  et  qui  voulait  comme  incendier  les  créatures. 

Phàlgoûna,  voyant  sa  colère,  se  mit  à raconter  dans  ses 
précédentes  naissances  la  gloire  pure  de  ce  magnanime, 
l’homme  sans  mesure,  véridique,  à la  splendeur  infinie,  le 
maître  des  Pradjâpatis,  le  sage  Vishnou,  le  seigneur  du 
monde  : 468 — 469 — 470. 

e Jadis,  il  y a dix  mille  années,  Krishna,  tu  errais  sur 
le  mont  Gàndhamàdana  sous  le  nom  du  solitaire  Sayan- 
griha.  471. 

» Jadis,  il  y a dix  centaines  d’ années  par-dessus  dix 
mille  ans,  tu  habitais,  Krishna,  sur  le  bord  des  piscines, 
faisant  de  l’eau  ta  nourriture.  472. 

» Tu  es  resté  cent  années  sur  un  seul  pied,  meurtrierde 
Madhou,  tes  bras  levés  en  haut,  n’ayant  que  l'air  pour 
aliment.  473. 

» Dépouillé  de  ton  vêtement  supérieur,  Krishna,  maigre, 
les  veines  dessinées  au-dehors,  tu  assistas  au  sacrifice  de 
douze  ans,  sur  le  bord  de  la  Sarasvatl.  474. 

«Venu  sur  la  rive  du  tlrtha  Prabhâsa,  hanté  des  hommes 
vertueux,  Krishna,  tu  y restas  ferme  sur  un  seul  pied  un 
millier  d’années  divines,  plein  d'une  grande  splendeur, 
inébranlable  en  ton  vœu,  pour  obtenir  la  durée  du  monde. 
C’est  Vyâsa  même,  qui  me  l’a  dit.  Tu  es  habile,  Kéçava; 
tu  es  le  commencement  et  la  fin  de  tous  les  êtres.  47Ô-476. 

» Tu  es  le  trésor  des  pénitences,  tu  es  le  sacrifice  éter- 


VANA-PARVA. 


87 


nel  ! Après  que  tu  eus  arraché  la  vie  au  Démon  Naraka  et 
euievé  à ce  Bhaàutna  ses  girandoles  de  diamant,  tu  mis  en 
liberté  le  cheval  premier  né,  convenable  au  sacrifice,  477. 

» Couvert  de  cet  exploit  en  faveur  des  mondes,  être 
excellent,  qui  as  la  connaissance  des  mondes,  tu  as  immolé 
dans  une  bataille  tous  les  D&ltyas  et  les  Dânavas  réunis. 

» Ensuite,  quand  tu  eus  remis  la  souveraine  puissance 
à l’époux  de  Catch!,  tu  manifestas  ainsi,  Dieu  chevelu,  la 
force  de  tes  bras  au  milieu  des  hommes.  478 — 470. 

» Tu  fus  d'abord  Nàrâvana,  fléau  des  ennemis;  tu 
es  maintenant  Hari,  Brahma,  Lunus,  Soùrya,  Dharnia, 
Dhâtri,  Yama,  Anala,  480. 

» Vâyou,  Kouvéra,  Roudra,  le  Temps,  l'Air,  la  Terre, 
les  points  cardinaux,  Adja,  le  gourou  des  êtres  immobiles 
et  mobiles,  le  Créateur,  toi,  le  plus  grand  des  hommes. 

» Tu  es,  meurtrier  de  Madhou,  la  route  suprême  à la 
tète  des  Dieux  ; tu  es  né  de  la  bonne  fortune  ; ta  splen- 
deur est  immense,  Krishna,  dans  les  bosquets  du  Tchal- 
traratha.  481 — 482. 

» Cent  centaines  de  mille  souvamas  d’or  complets, 
Djan&rdana,  furent  alors  distribués  l'un  à l'autre  dans  ton 
sacrifice.  483. 

» Tu  es  descendu,  joie  des  Yadouides,  dans  la  condi- 
tion de  fils  d’Aditi;  c’est  toi,  qu'on  appelle  Vishnou,  le 
Seigneur,  le  frère  puîné  d'Indra.  484. 

» Transformé  en  nain,  iléau  des  ennemis,  trois  pas 
t’ont  sulli,  Krishna,  pour  traverser  avec  vigueur  la  terre, 
l’atmosphère  et  le  ciel.  485. 

» Arrivé  dans  l’atmosphère  et  dans  les  cieux,  âme  de 
tous  les  êtres,  placé  même  dans  cette  demeure  du  soleil. 
Ut  surpassas  l'astre  lumineux  par  ta  propre  splendeur. 


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88 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Tu  détruisis  par  centaines,  auguste  Krishna,  les  Asou- 
ras  aux  clartés  menteuses  par  tes  mille  et  mille  appa- 
rences aux  clartés  certaines.  486 — 487. 

» Tu  rompis  les  chaînes  de  Mourou,  tu  immolas  Nisin- 
dou  et  Naraka,  et  la  route  à la  cité  de  Pradjyotisha  re- 
trouva la  paix.  488. 

u Tu  battis  sur  les  rives  de  la  Djarith!  Kratha,  Avhriti, 
Çiçoupàla  accompagné  de  ses  gens,  Djaràsandha,  Çatvya 
et  Çatadanvat.  489. 

» Monté  sur  ton  char,  bruyant  comme  le  nuage  et  bril- 
lant comme  le  soleil,  tu  domptas  Roukuii  dans,  une  ba- 
taille par  le  désir  de  posséder  une  royale  épouse.  490. 

» Dans  ta  colère,  tu  as  tué  Indradyoumna  et  l'Yavana 
Kasérouuat,  tu  as  tué  Çâlva,  le  souverain  de  Saàubha,  et 
tu  fis  crouler  des  nuages  cette  ville  enchantée.  491. 

» Au  bord  de  lTràvali,  tu  as  donné  la  mort  à Bhodja, 
l'égal  de  Kartavlrya  dans  la  guerre  : Gopati  et  Tàlakétou 
ont  reçu  tous  deux  la  mort  de  toi.  492. 

» Maintenant  que  tu  as  réduit  sous  ta  puissance  Dwà- 
rakà,  ville  charmante,  sainte,  digne  des  Riahis,  rien  ne 
s'oppose,  Djanàrdana,  à tes  incursions  vers  les  mers. 

» 11  n’existe  en  toi,  meurtrier  de  Madhou,  ni  colère,  ni 
envie,  ni  mensonge,  ni  cruauté;  et  comment,  Dâçârhain, 
pourrais-tu  manquer  de  droiture?  493 — 494. 

■>  lin  jour  que  tu  étais  assis  au  milieu  d’un  tchaitya, 
que  tu  enflammais  de  ta  propre  lumière,  tous  les  rishis 
sont  venus  auprès  de  toi,  Atchyouta,  et  t'ont  demandé 
l'assurance.  495. 

» A la  fin  d'un  vouga,  meurtrier  de  Madhou,  tu  retires 
tous  les  êtres  en  toi,  et  tu  es  alors  ce  monde,  fléau 
des  ennemis,  que  tu  as  fait  passer  en  toi-même.  496. 


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VANA-PARVA. 


80 


» Au  commencement  d'un  vouga,  c'est  du  Jotus  de  ton 
nombril  que  naît  Brahma,  le  père  des  choses  immobiles  et 
mobiles,  auquel  appartient  ce  monde  entier.  âf>7. 

» Deux  horribles  Dànavas,  Madhou  et  Kaltabha,  s'éle- 
vèrent pour  le  tuer  ; mais,  à la  vue  de  leur  abominable 
crime,  Çambhou,  sa  lance  au  poing,  et  Trilotchana  jail- 
lirent du  front  de  Hari  courroucé.  C’est  ainsi  que  de  ton 
corps  naquirent  ces  deux  souverains  des  Dieux.  498-â9ft. 

« Ce  sont  là  ses  deux  trompes,  m’a  dit  Nàrada,  pour 
exécuter  ses  volontés.  » Tu  fus  jadis  Nàr&yana  par  des 
sacrifices  aux  riches  honoraires.  500. 

» Tu  as  offert  dans  le  bois  du  Tchaitraratha  un  grand 
sacrifice.  Ni  ceux,  qui  ont  vécu  avant,  ni  ceux, qui  vivront 
après  nous,  Krishna  , n’ont  accompli  et  n’accompliront 
des  œuvres  ainsi  faites.  501. 

» Et  ces  actions,  Dieu  aux  yeux  de  nymphéas,  tu  les  as 
exécutées,  n’étant  qu'un  enfant,  déjà  doué  d’une  grande 
force,  avec  le  secours  de  Baladéva.  502. 

» Tu  habitais  avec  les  brahmes  dans  le  palais  du  Kal- 
làsa.  » Après  ces  mots  à Krishna,  le  fils  de  Pàndou  garda 
le  silence  et  Djanârdana  de  tenir  lui-mème  ce  langage  au 
magnanime  fils  de  Prithâ  : « Ce  qui  est  à moi  est  à toi,  et 
les  miens  sont  aussi  les  tiens.  505 — 50â. 

» Tout  homme,  qui  te  hait,  uie  hait.  Quiconque  me  suit, 
te  suit.  En  effet,  héros  difficile  à vaincre,  tu  es  Hari  et 
moi  Nàràyana.  505. 

■»  C’est  à propos  que  les  deux  rishis,  Nara  et  Nàràyana, 
sont  venus  dans  ce  monde  : tu  n’es  pas  autre  que  moi  et 
je  ne  suis  pas  autre  que  toi.  500. 

» La  distinction,  éminent  Bharalide , est  impossible 
entre  deux  nacelles.  » A ces  paroles  dites  par  le  magna- 


90 


LE  M4HA-BHARATA. 


nime  Kéçava,  la  Pàntcbàlaine,  dans  cette  assemblée  de 
héros,  au  milieu  de  ces  rois  irrités,  environnée  de  ses  vail- 
lants frères,  à la  tète  desquels  était  Dhristadyoumna,  s’ap- 
proche et  dit  avec  colère  ces  mots  au  prince  secourable, 
elle,  qui  avait  besoin  de  secours,  à Poundarika,  assis  au 
milieu  des  frères,  tes  cinq  époux  : 507 — 508 — 509. 

« On  dit  que,  dans  la  première  création  des  êtres,  lu 
lus  le  seul  Prajàjiati  : « Tu  fus,  m’a  dit  Asita-Dévaia,  le 
créateur  de  tous  les  mondes.  » 510. 

» Tu  es  Vishnou  ! « Tu  es  le  sacrifice,  invincible  meur- 
trier de  Aladhou,  le  sacrificateur  et  la  victime!  » comme 
l'a  dit  le  fils  d'ïamadagni.  511. 

» La  patience,  la  vérité,  c'est  toi,  ont  dit  les  rishis, 
ê le  plus  grand  des  hommes.  « Tn  es  le  sacrifice  adéquate 
à la  vérité  !»  a dit  kaçvapa  lui-même.  512. 

» Tu  es  le  souverain  de  ceux,  qui  régnent  sur  les  Sà- 
dhyas,  les  Dieux  et  les  (jivas.  a Tu  es,  suivant  la  défi- 
nition de  Mârada,  le  palais  des  êtres  et  le  seigneur  des 
êtres,  u 513. 

» Tu  joues  mainte  et  mainte  fois,  tigre  des  hommes, 
avec  Brahma,  Çankara,  Çakra  et  les  autres  chœurs  des 
Dieux,  comme  un  enfant  joue  avec  des  marionnettes. 

» Ta  tête  occupe  le  ciel,  tes  pieds  sont  la  terre,  ton 
ventre,  seigneur,  est  ces  trois  inondes;  tu  es  l’homme 
éternel.  51 A — 515. 

» Tu  es  le  plus  vertueux  des  rishis,  rassasiés  par  la 
vue  de  l'Ame  universelle,  méditants  parla  pénitence,  cou- 
sumés  de  mortifications  et  de  science.  510. 

» Tu  es  le  chemin,  où  marchent,  ô le  plus  grand  des 
hommes,  les  rishis  doués  de  toutes  les  vertus,  qui  ne 
reculeut  jamais  dans  les  combats  des  gens  de  bien  ; tu  es 


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VANA-PARVA. 


91 


le  seigneur,  tu  es  l'auguste,  tu  es  l'âme  des  êtres,  tu  es 
sans  cesse  en  action.  517. 

» Les  constellations,  les  dix  points  de  l'espace,  le  ciel, 
la  lune,  le  soleil,  les  mondes  et  les  gardiens  des  inondes, 
tout  entin  subsiste  en  toi.  518. 

» La  mortalité  des  êtres  et  l'immortalité  des  habitants 
du  ciel,  toutes  les  affaires  des  mondes,  guerrier  aux  longs 
bras,  subsistent  en  toi.  519. 

» Je  te  raconterai  mon  infortune  par  un  sentiment 
d'affection,  meurtrier  de  Madhou  ; tu  es  le  seigneur  de 
tous  les  êtres,  et  de  ceux,  qui  sont  tes  Dieux,  et  de  ceux, 
qui  sont  nés  de  Manou.  520. 

» Comment  l'épouse  des  fils  de  Prithà  ne  serai t-el le 
pas  ton  amie,  auguste  Krishna?  On  a pu  traîner  en 
pleine  assemblée  une  femme  de  ma  sorte,  la  sœur  de 
Dbristadyoumna  ! 521. 

» Moi,  tremblante,  remplie  de  pudeur,  affligée,  vêtue 
d'une  seule  robe,  souillée  de  sang,  inondée  par  mes  régies, 
je  fus  traînée  dans  le  palais  des  Kourouides,  au  milieu 
des  rois,  en  pleine  assemblée  ; et  les  (ils  de  Dbritaràshtra, 
ces  hommes  aux  pensées  criminelles,  ont  ri  à ma  vue  I 

522—523. 

» ils  ont  désiré  jouir  de  mes  services  dans  la  condition 
d'une  esclave,  meurtrier  de  Madhou,  et  les  tils  de  Pàndou 
vivaient,  et  les  Pântchàlains,  et  les  enfants  de  Yrishui  ! 

» N'appartiens-je  pas,  Krishna,  à Blüshma  et  à Dhrita- 
ràsthra,  et  ne  suis-je  pas  légitimement  la  bru  de  ces  deux 
princes,  quoiqu’on  m’ait  réduite  de  force  en  esclavage  ? 

525—525. 

» Mais  je  blâme  les  fils  de  Pàndou;  car,  doués  d’une 
grande  force  et  les  meilleurs  dans  un  combat,  ils  ont  pu 


92 


LE  M4HA-BHABATA. 


voir  livrée  au  mépris  leur  épouse  illustre  et  légitime. 

» Honnie  soit  la  force  de  Bhimaséna!  Honni  soit  l’arc 
Gftndlva  dans  la  main  d'Arjouna,  puisqu'ils  ont  souffert, 
Djarnàrdana,  que  je  fusse  en  proie  aux  vexations  des 
hommes  vils  ! 520—527. 

» Des  époux,  quelque  faibles  qu'ils  puissent  être  , 
doivent  protéger  leur  femme  : c’est  là  le  devoir  étemel, 
toujours  suivi  par  les  gens  de  bien.  528. 

u Défendre  sa  femme,  c'est  défendre  son  fils,  et  dé- 
fendre son  fils,  c’est  se  défendre  soi-même.  629. 

» En  effet,  un  époux  renaît,  djàyatai , au  sein  de  sa 
femme,  c’est  pour  cela  qu’elle  est  appelée  djdyâ.  line 
épouse  doit  sauver  son  époux  : t'il  n’en  était  ainsi , com- 
ment naltrait-il  dans  mon  sein  7 5S0. 

» Jamais  on  ne  verra  les  Pàndouides  abandonner  le  mal- 
heureux, qui  s’est  réfugié  sous  leur  protection;  m'ont-ils 
aimée,  moi,  qui  avais  besoin  de  leur  secours?  531. 

» Des  fils,  jeunes  princes  à la  grande  force,  sont  nés  de 
moi  à mes  cinq  époux  : ne  dois-je  pas  être  sauvée  par 
considération  pour  eux,  Djanàrdana  ? 532. 

•>  J'ai  donné  Prativindhva  à Youddhishthira;  Souta- 
soma  à Vrikaudara  ; Çroutaktrti  à Arjourna  ; mais  Çatâ- 
nfka  est  le  fils  de  Nakoula,  533. 

>>  Et  Çroutakarman  est  né  du  plus  jeune.  Tous  ces 
héros  ont  un  courage,  qui  ne  se  dément  jamais  : ils  sont 
pour  moi,  Krishna,  ce  que  Pradyoumna  est  pour  toi.  53â. 

» Ces  guerriers  n'excellent-ils  pas  à manier  l'arc?  Ne 
sont-ils  pas  invincibles  aux  ennemis  dans  la  guerre?  Pour- 
quoi donc  épargneraient- ils  les  Dhritarâshtrides,  beau- 
coup plus  faibles  qu’eux  ? 535. 

» On  les  a dépouillés  injustement  de  leur  royaume  : 


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VANA-PARV  A. 


9» 


tous,  on  les  a faits  esclaves  ; et  moi,  dans  l'affliction  du 
mois,  on  m’a  traînée,  vêtue  d'une  seule  robe,  en  pleine 
assemblée.  536. 

» Honnie  soit  la  force  de  Bhlmaséna!  Honni  soit  le  cou- 
rage d'Arjouna!  puisque  Douryodhana  vit  encore,  ne  fût- 
ce  qu’une  heure,  Krishna,  quand  nul  autre  ne  peut  mettre 
sa  corde  à l’arc  Gàndlva,  si  ce  n’est  Arjouna,  Bbima  ou 
toi,  meurtrier  de  Madhou!  537 — 538. 

» Ce  Douryodhana,  qui  jadis,  meurtrier  de  Madhou, 
les  a chassés  du  royaume  avec  leur  mère,  eux  enfants,  as- 
treints à des  vœux,  étudiants,  incapables  de  nuire  1 539. 

u Le  scélérat,  il  jeta  dans  les  aliments  de  Bhlmaséna 
un  poison  nouveau,  subtil,  bien  préparé,  l'épouvantable 
kâlakoûta.  550. 

» Mais  Bhtma  aux  longs  bras,  Djanârdana,  ù le  plus 
grand  des  hommes,  digéra  ce  poison  avec  le  reste  des 
mets,  soutien  de  la  vie  commune.  551. 

» Ensuite,  il  attacha  Ventre-de-loup,  endormi  sans  dé- 
fiance au  sommet  du  promontoire,  le  précipita  dans  le 
Gange,  Krishna,  et  s’en  revint  tranquillement.  552. 

» Aussitôt  que  le  fils  de  Kountt  à la  grande  force,  aux 
longs  bras,  Bhlmaséna  se  fut  réveillé  et  qu'il  eût  rompu 
ses  liens,  il  revint  à la  vie.  553. 

» Il  fit  mordre  Bhlmaséna  par  des  serpents  à la  dent 
venimeuse  ; mais,  Krishna,  quoique  entamé  à toutes  les 
places  du  corps,  l’immoiateur  des  ennemis  n’en  mourut 
pas.  555. 

» 11  se  réveille  et  il  écrase  tous  les  serpents.  Vrikaudara 
chasse  encore  du  siège  le  cocher  favori  de  Douryo- 
dhana. 555. 

» Eu  lin,  dans  Yàran&vala,  il  consuma  les  tils  endormis 


LE  MAHA-BHAR  ATA. 


«4 

sur  une  couche  avec  la  Nishadt,  leur  mire.  Qui  aurait 
pu  accomplir  cette  action  au  môme  temps  qu'une  noble 
dame,  agitée  par  la  crainte  et  versant  des  larmes,  tenait 
ce  langage  aux  fds  de  Pàndou  : « Environnée  par  le  feu, 
je  suis  tombée  dans  une  grande  infortune.  546 — 547. 

» Hélas  ! c'en  est  fait  de  moi  ! Qui  pourrait  ici  me  sau- 
ver du  feu  ; je  vais  périr  sans  défense  avec  mes  lils  enfants 
dans  les  flammes!  » 548. 

» Alors,  Bhimaséna  le  Ventre-de-loup,  qui  avait  la 
vitesse  et  la  force  du  vent,  releva  le  courage  de  la  noble 
dame  et  de  ses  frères  : 549. 

« Tel  que  l’oiseau,  fils  de  Vinatâ,  Girouda,  le  roi  des 
volatiles,  tel  je  m’envolerai  d'ici.  Hassnre-loi 11  n’y  a 
ici  aucun  danger  pour  vous  ! » 550. 

» 11  prit  sa  mère  à son  flanc  gauche,  le  roi  Yonddhüh- 
thira  & son  flanc  droit;  il  fit  monter  les  deux  jumeaux  sur 
ses  deux  épaules  et  Bibhatsou  sur  son  dos.  551. 

« Quand  l’énergique  guerrier  les  eut  ainsi  enlevés  tous 
promptement,  il  s'élança  rapidement  hors  du  feu,  et 
l'homme  fort  sauva  de  l'incendie  sa  mère  et  ses  frères. 

» Partis  la  nuit  avec  leur  mère,  tous  ces  princes  illus- 
tres arrivèrent  dans  une  grande  forêt,  voisine  du  bois,  où 
demeurait  Hidimba.  552 — 553. 

» Accablés  de  chagrins  et  de  fatigue,  ils  s’endormirent 
là  en  compagnie  de  Prithà.  Une  Rakshasl,  nommée  Hi- 
dimbà,  vint  les  trouver  dans  leur  sommeil.  554. 

» A la  vue  des  fils  de  Pàndou,  qui  dormaient  là  avec 
Kounti,  la  passion  se  glissa  dans  son  cœur,  et  elle  s'en- 
amoura de  Bhimaséna.  555. 

» Elle  prit  les  pieds  de  Bhlma,  les  mit  dans  son  sein, 
et  l'illustre  dame  joyeuse  les  massa  d’une  main  douce. 


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VANA-FARVV. 


95 

u L'homme  fort,  au  cœur  immense,  à l’énergie  infail- 
lible, s’en  aperçut  et  lui  demanda  : « Que  désires-tu, 
femme  vertueuse?  » 56(1 — 567. 

» A ces  mots  du  magnanime,  la  Rakslutsl  aux  formes 
aimables  de  lui  répondre  ainsi  : 558. 

« Fuyez  d’ici  promptement  : voici  mon  robuste  frère! 
Il  vient  vous  tuer  : allez-vous-en  au  plus  vite  ! » 559. 

» Bhlmaséna  de  répondre  en  ces  termes,  à cette  femme 
si  pleine  d'affection  : « Je  ne  le  crains  pas!  S’il  vient,  je 
le  tuerai  1 » 500. 

» Le  vil  Rakshasa,  qui  les  entendit  parler,  poussant  de 
grands  cris,  les  formes  épouvantables,  horrible  à voir  : 

«Avec  qui  parles-tu,  Hidimbà?  lui  dit-il.  Amène-le 
devant  moi  ! Mangeons-le,  et  ne  veuille  pas  tarder  ! » 

501—562. 

» L’intelligente  et  vertueuse  Rakshasl,  de  qui  la  pitié 
avait  séduit  le  cœur,  ne  voulut  point  accéder  à sa  de- 
mande par  compassion.  503. 

» Vomissant  d’effrayantes  clameurs,  le  Rakshasa  an- 
thropophage courut  alors  de  toute  sa  vîtesse  contre  Bht- 
maséna.  505. 

» Le  vigoureux  Démon,  qui,  d'une  grande  rapidité, 
s'élançait  irrité  sur  lui,  saisit  de  sa  main  la  main  de  Bht- 
maséna.  505. 

» A peine  eut-il  pris  à Bhima  cette  main  puissante,  at- 
tachée à un  corps  de  diamant,  et  dont  le  toucher  égalait 
celui  de  la  foudre,  il  la  rejeta  bien  vite.  600. 

» Yentre-de-loup  ne  put  supporter  que  le  Rakshasa 
eût  saisi  de  sa  main  la  main  de  Bhlmaséna,  et  la  colère 
alors  s'empara  de  lui.  507. 

u Le  combat  de  ces  deux  guerriers,  Hidiml>a  et  Bhima- 


96 


LE  M AHA-BHAKATA. 


séua,  instruits  à manier  toutes  les  armes,  fut  en  ce  mo- 
ment tumultueux,  épouvantable,  tel  que  celui  de  Vitra  et 
du  fds  de  Vasou.  568. 

i>  Après  que  Bhirna,  à la  grande  vigueur,  se  fut  joué 
bien  long-temps  avec  le  Rakshasa,  mortel  sans  péché, 
l'homme  fort  ôta  la  vie  au  faible  Démon.  569. 

» Hidimba  mort,  le  vainqueur  continua  sa  route  avec 
ses  frères,  ayant  mis  à leur  tête  Hidiinbà,  qui  fut  la  mère 
de  Ghatautkatcba.  570. 

» Ensuite,  environnés  par  des  foules  de  brabmes,  tous 
ces  héros  courent  avec  leur  mère,  le  visage  tourné  vers 
Ékatchakrà.  571. 

» Vyàsa,  leur  conseiller,  qui  mettait  son  plaisir  eu  ce 
qui  leur  était  agréable  ou  utile,  vint  les  trouver  dans  ce 
voyage,  à Ékatchakrà.  Là,  ces  iils  de  Pàndou,  aux  vœux 
inébranlables,  attaquèrent  un  anthropophage  terrible,  à 
la  grande  v igueur,  l'égal  même  de  Hidimba  : il  se  nom- 
mait Vaka.  672 — 573. 

» Cet  effroyable  Rakshasa,  tombé  sous  les  coups  de 
Bblma,  le  plus  fort  des  combattants,  celui-ci,  accompa- 
gné de  tous  ses  frères,  se  rendit  à la  ville  de  Droupada. 

u Comme  l'Ambidextre  habitait  ces  lieux,  je  fus  gagnée 
par  lui  : tel  Krishna,  la  belle  Roukminl,  fille  de  Bhts- 
rnaka,  fut  conquise  par  toi.  574 — 576. 

» Le  fils  de  Prithâ  s'est  ainsi  montré  digne  de  ma  main 
dans  la  joûte  d'un  swayamvara;  mais  ce  grand  exploit, 
meurtrier  de  Madhou,  ne  réjouit  pas  ses  rivaux.  576. 

» C'est  ainsi  que  j'habite,  privée  d’une  mère,  assiégée 
par  mille  et  mille  chagrins.  Comment  ces  héros  à la  force 
supérieure , Krishna,  qui  ont  le  courage  des  lions  et 
Dhaàumva  à leur  tête,  n'abaissent-ils  pas  leurs  regards 


Oigiti. 


VANA-PARVA. 


97 


sur  moi,  opprimée  par  de  vils  ennemis.  577  — 578. 

» En  but  à de  tels  maux,  depuis  long-temps  je  suis  con- 
sumée par  ces  méchants  aux  œuvres  coupables,  à la  force 
nulle.  579. 

» Et  cependant,  je  suis  née  dans  une  grande  famille, 
mon  destin  est  céleste  ; je  suis  l’épouse  chérie  des  Pâli  - 
douides,  et  la  bru  de  leur  magnanime  père  ! 580. 

» Et,  toute  princesse  que  je  fusse,  meurtrier  de  Ma- 
dliou,  je  me  suis  vue  traînée  par  les  cheveux  sous  les 
yeux  mêmes  des  cinq  fils  de  Pàndou  ! » 581. 

Disant  ces  mots,  Krishna  pleurait,  couvrant  son  visage 
de  sa  main,  elle,  qui  savait  dire  les  choses  douces  avec 
une  douceur  pareille  au  bouton  des  lotus.  582. 

Pàntchàlî  arrosait  avec  les  gouttes  des  larmes,  nées  de 
sa  douleur,  ses  deux  seins  relevés,  potelés,  arrondis  par 
la  nature  et  doués  des  signes  de  la  beauté.  583. 

Elle  essuya  ses  yeux,  et,  poussant  maint  et  maint  sou- 
pir, elle  dit  avec  colère  ces  paroles  d'un  gosier  plein  de 
larmes  : 581. 

« Mes  époux  ne  sont  ni  des  fils,  ni  des  parents,  ni  des 
frères,  ni  des  pères,  ni  même  toi,  meurtrier  de  Madhou  ; 

» Eux,  qui  ont  pu  tranquillement  me  voir  en  but  aux 
vexations  d'hommes  vils,  et  n’ont  pas  adouci  la  peine,  que 
j’éprouvais,  d’ètre  l’objet  des  risées  de  Karna  ! 585-588. 

>»  Je  mérite  d’être,  Krishna,  défendue  par  toi  sans  cesse 
pour  ces  quatre  causes  : la  parenté,  le  rang,  l’amitié,  la 
puissance  elle-même,  Dieu  chevelu.  » 587. 

Le  Vasoudévide  lui  répondit  en  ces  termes  dans  cette 
assemblée  de  héros  : « Les  femmes  des  princes,  qui  ont 
allumé  ainsi  ta  colère,  pleureront  un  jour,  femme  il- 
lustre, 588. 

in  7 


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98 


LE  MAHA-BHARATA. 


» A la  vue  de  leurs  époux  étendus  morts  sur  la  face  de 
la  terre,  inondés  par  des  fleuves  de  sang,  ensevelis  sous 
les  flèches  de  Blbhatsou  ! 589. 

« Je  ferai,  ne  t’afflige  pas,  ce  qui  est  convenable  aux 
fils  de  Pàndou  ; ce  que  je  te  promets  est  la  vérité  : tu 
seras  la  reine  des  rois.  590. 

» On  verrait  plutôt  le  ciel  tomber,  l’ Himalaya  se  fendre, 
la  terre  n'être  plus  que  des  fragments  et  le  grand  bassin 
des  eaux  se  dessécher,  que  ma  parole  être  vaine,  Krishna  ! » 

Quand  Pàntchàli  entendit  ces  paroles  de  promesses 
tombées  de  la  bouche  d’Atchyouta,  elle  tourna  un  regard 
oblique  sur  le  troisième  de  ses  époux.  591 — 592. 

Arjouna  dit  alors,  puissant  roi,  à belle  Draâupadt  : 
« Ne  pleure  pas,  ravissante  kokilà  ; il  en  sera  comme  te  l'a 
promis  le  meurtrier  de  Madhou,  et  non  autrement,  reine 
et  femme  de  la  plus  haute  condition.  » Dhrishtadyoumna 
dit  à son  tour  : o Moi,  Çikhaudl,  je  tuerai  le  vieux  Drona. 

595— 594. 

» Bhlmaséna  ôtera  la  vie  à Douryodhana,  et  Dhanan- 
djaya  à Karna.  Nous  sommes  invincibles  dans  les  com- 
bats, ma  sœur,  sous  la  protection  de  Krishna  et  de 
Balarâma.  595. 

» Le  meurtrier  de  Vritra  lui-même  ne  pourrait  nous 
vaincre  dans  la  guerre,  combien  moins  les  fils  de  Dbrita- 
râshtra  I » A ces  mots,  les  héros  se  tiennent  la  face  tournée 
vers  le  Vasoudévide  ; et  Kéçava  aux  longs  bras  de  pro- 
noncer au  milieu  d’eux  les  paroles  suivantes  : 590, 

« Ta  majesté  ne  serait  pas  tombée  dans  cette  calamité, 
monarque  de  la  terre,  si  alors  j’eusse  été  à Dwârakâ,  non 
loin  de  toi,  sire.  597. 

» Je  serais  accouru  au  jeu,  sans  y être  invité  même, 


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VANA-PARVA. 


99 


héros  invincible,  ni  par  les  enfants  de  Kourou,  ni  par  le 
roi  fils  d'Ambikâ,  ni  par  Douryodhana.  508. 

» J’eusse  arrêté  le  jeu  en  mettant  sous  vos  yeux  ses 
nombreux  inconvénients  : j'eusse  amené  là  Bhlsbma , 
Drona,  Kripa  et  Vâlhika  même.  590. 

» J’eusse  dit  alors,  seigneur,  au  roi  fils  de  Vitchitra- 
vlrya  : « Loin  d'ici  ce  jeu  de  tes  fils!  Qu’il  cesse  à cause 
de  toi,  Indra  des  rois  1 » 800. 

» J'eusse  dit  là  toutes  ces  fautes,  sous  le  poids  des- 
quelles tu  es  enseveli  aujourd’hui,  et  grâce  auxquelles  tu 
fus  naguère  dépouillé  de  ton  royaume.  601. 

a Les  femmes,  les  dés,  la  chasse  et  les  liqueurs,  quatre 
peines,  qui  ont  leur  principe  dans  l’amour,  précipitent 
les  hommes  du  sommet  de  leur  prospérité.  602 — 603. 

» Les  hommes,  qui  ont  la  science  des  Traités,  pensent 
que  là  il  y a partout  du  mal  ; mais  c’est  dans  le  jeu  prin- 
cipalement que  le  blâmable  existe  aux  yeux  des  savants. 

» La  perte  de  ses  biens  dans  l’intervalle  d’un  seul  jour 
est  pour  sûr  une  calamité  ; et  la  perte  de  ces  richesses, 
desquelles  on  n’a  pu  jouir,  ne  peut  qu’exciter  l’âcreté  des 
paroles.  604 — 605. 

» Telle  chose  et  telle  autre,  qui  sortent  d’une  source 
désagréable  au  goût,  voilà,  kourouide  aux  longs  bras,  au- 
rais-je dit  au  (ils  d'Ambikâ,  ce  que  tu  peux  recueillir  du 
jeu.  606. 

» Si,  d’après  mon  discours,  il  avait  accepté  ma  parole, 
il  aurait  sauvé  les  kourouides  et  accompli  le  devoir,  reje- 
ton de  kourou  ; 607. 

» Et,  s’il  n’eût  pas  reçu  ma  parole  douce  et  convenable, 
Indra  des  rois,  je  l’y  eusse  contraint  par  la  force,  6 le  plus 
grand  des  Bharatides.  608. 


100 


LE  MAHA-BHAR ATA. 


» J’eusse  conduit  ici  une  armée  pour  contraindre  à le 
suivre  ses  ennemis  déguisés  sous  le  nom  d’amis,  et  j’eusse 
immolé  ces  joueurs.  809. 

» Mais  alors,  descendant  de  Kourou , j’étais  éloigné  chez 
les  Anartas,  et  mon  absence  fit  tomber  vos  altesses  dans 
cette  infortune  causée  parle  jeu.  610. 

» A peine  étais-je  arrivé  à Dwârakà,  éminent  Bharatide, 
que  j'appris  là  d’un  Youyoudluina  suivant  la  vérité,  fils  de 
Pàndou,  quel  malheur  t'avait  frappé.  611. 

n A cette  nouvelle,  Indra  des  rois,  l’Ame  troublée  au 
plus  haut  degré,  je  suis  accouru  bien  vite,  amené  ici,  mo- 
narque des  hommes,  par  le  désir  de  te  voir.  61  2. 

» Hélas!  nous  tous,  nous  t’avons  suivi  dans  la  peine, 
6 le  plus  vertueux  des  Bharatides  ; car  je  te  vois  plongé 
dans  l’infortune  avec  mes  parents.  » 613. 

o Pourquoi  t’éloignas-tu?  lui  répondit  Youddhishthira. 
En  quel  pays  étranger  demeuras-tu,  Krishna,  rejeton  de 
Vrishni  ? et  que  fis-tu  dans  ton  absence?  » 614. 

Krishna  lui  dit  alors  : 

« J’étais  allé  à Sàaubha,  la  ville  de  Ç.àlva,  éminent 
Bharatide.  Ecoute  ici  quelle  raison,  puissant  Kourouide, 
j’avais  pour  lui  donner  la  mort.  615. 

» J’avais  tué  le  héros  Çiçoupâla,  fils  de  Damaghosha; 
ce  fut  un  roi  à la  grande  splendeur,  aux  longs  bras,  à la 
grande  renommée.  616. 

» Dans  ton  sacrifice  du  Râdjasoùya,  invincible  Bhara- 
tide, ce  prince  à l’àme  criminelle,  tombé  sons  le  pouvoir  de 
la  colère,  n’avait  pu  souffrir  l'hommage,  qui  me  fut  rendu. 

» Le  vaillant  Çâlva,  ayant  appris  que  je  l'avais  tué,  vint, 
pénétré  d’une  bouillante  colère,  à Dwârakà,  où  je  n’étais 
pas,  car  je  me  trouvais  ici,  Bharatide.  617 — 618. 


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VANA-PARVA. 


101 


» 11  vint  donc,  grâce  à Saàubha,  qui  allait  où  il  voulait; 
il  combattit,  sire,  avec  de  jeunes  princes  nés  de  Vrishni  ; 
et,  comme  un  barbare,  il  leur  ôta  la  vie.  619. 

» L’insensé  alors  immola  une  foule  d’enfants,  les  plus 
distingués  de  Vrishni,  et  ravagea  tous  les  jardins  publics 
de  la  ville.  620. 

« Où  est,  dit  le  guerrier  aux  longs  bras,  ce  Vasoudé- 
vide,  cet  homme  stupide,  qui  est  né  fils  de  Vasoudéva, 
mais  qui  est  le  dernier  dans  la  race  de  Vrishni.  621. 

» C'est  moi,  qui  rabattrai  son  orgueil  dans  une  bataille, 
s’il  veut  un  combat.  Les  Anartas  m’ont  dit  la  vérité,  je 
suis  venu  où  il  est.  622. 

» Je  m’en  retournerai  après  que  j’aurai  tué  ce  meurtrier 
de  Kéçi  et  de  Kansa  : je  ne  m’en  irai  pas  sans  l’avoir 
tué  ; je  ne  m'en  irai  pas  que  je  n’aie  obtenu,  en  vérité  1 
un  combat  avec  lui.  623. 

» Où  est-il  ? où  est-il  ? répétait  Çàlva.  Le  roi  de  Saàubha 
doit-il  courir  çà  et  là,  quand  Mâdhaca  désire  engager  un 
combat  avec  moi  ? 624. 

» Dès  aujourd'hui,  par  la  colère,  que  m’inspire  la  mort 
de  Çiçoupàla , j’enverrai  dans  les  demeures  d’ Varna,  cet 
homme  vil , aux  œuvres  criminelles , le  meurtrier  de  la 
confiance!  625. 

» Je  tuerai  sur  la  face  de  la  terre  celui,  de  qui  la 
nature  vicieuse  y renversa  mort  Çiçoupàla  , ce  roi,  mon 
frère.  626. 

» Je  le  tuerai , ce  Djanârdana  , par  qui  mon  héroïque 
frère,  ce  monarque  adolescent,  fut  tué , quand  il  n’était, 
ni  sur  ses  gardes,  ni  sur  un  champ  de  bataille.  » 627. 

» Dès  qu’il  eut  articulé  ces  menaces  et  d’autres  sem- 
blables, rejeton  de  Kourou,  il  me  chargea  d’invectives  et 


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( 


102  LE  MÀHÀ-BHARATA. 

s’éleva  dans  le  ciel  avec  le  secours  de  Saàubha,  douée 
d’un  mouvement  spontané.  628. 

» J'appris  à mon  retour  les  choses  exactement , et  je 
sus  que  le  monarque  insensé  à l'âme  méchante  avait  l'in- 
tention de  m’ôter  la  vie.  629. 

» Ensuite  moi,  petit  fils  de  Kourou,  moi,  de  qui  la 
pensée  était  troublée  par  la  colère,  j’arrêtai  ma  résolution 
dans  mon  âme  et  je  tournai  mon  esprit  à la  mort  de  cet 
homme  aux  actions  criminelles  , pour  empêcher  la  ruine 
des  Anartains,  le  mépris  de  moi-même  et  son  extrême 
arrogance.  630 — 631. 

» Quand  je  fus  arrivé  à la  pensée  de  porter  la  ruine  à 
Saâubha,  je  l’aperçus , monarque  de  la  terre , dans  un 
tourbillon  de  la  mer , au  moment  que  je  désirais  le  ren- 
contrer. 632. 

» Mon  souffle  ensuite  donna  une  voix  à Pàntchadjanya, 
ma  conque  , née  au  sein  des  eaux  ; je  provoquai  Çâlva  et 
je  l'attendis  de  pied  ferme  au  combat.  633. 

» 11  ne  dura  qu’un  instant.  J’eus  une  autre  bataille  à 
soutenir  avec  les  Dànavas  : ils  furent  bientôt  réduits  sous 
ma  puissance  et  tombèrent  tous  sur  le  sol  de  la  terre.  634. 

» Voilà  pour  quelle  affaire,  guerrier  aux  longs  bras,  je 
ne  suis  pas  venu  alors.  Dès  que  j’eus  appris  qu’un  jeu  sans 
pitié  se  livrait  à Haslinapoura , je  suis  promptement 
accouru,  plein  du  désir  de  vous  voir;  et  je  cou»  vis, 
plongés  dans  la  plus  grande  affliction.  » 635. 

Youddhishthira  lui  dit  : 

« Vasoudévide  aux  longs  bras , à la  grande  sagesse, 
raconte-moi  avec  détail  comment  périt  celte  ville  de  Saâu- 
bha; car  je  ne  puis  me  rassasier  de  t’entendre  parler.»  636. 

Le  Vasoudévide  répondit  : 


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VANA-PARVA. 


103 


« A la  nouvelle  que  j’avais  tué  Çraàutaçrava,  vertueux 
Bharatide  aux  longs  bras,  Çàlva  se  rendit  à la  ville  de 
Dwàr&vait.  037. 

» Ce  prince  à l’âme  très-méchante  l'assiégea , fils  de 
Pândou,  et  demeura  là,  ayant  disposé  des  troupes  tout  à 
l’entour  de  sa  ville  aérienne.  638. 

» Tandis  que  le  monarque  se  tenait  là,  il  fit  la  guerre  à 
cette  capitale  ; et  des  combats  y furent  livrés  avec  toute  la 
vigueur.  639 

» Autour  de  la  ville,  disposée  de  tous  les  côtés  avec  ses 
drapeaux,  ses  portes  arcadées,  ses  tchacras , ses  moyens 
d’appels , ses  machines  et  ses  pionniers,  640. 

» Ses  places  devant  elle  , ses  grandes  rues  , ses  belvé- 
dères, ses  hautes  portes,  ses  arsenaux  et  même  ses  tisons 
de  feux  pour  détruire,  641. 

» Avec  ses  aiguillons,  ses  tambourins,  ses  panavas,  ses 
tambours,  sire,  avec  ses  leviers  de  fer  et  ses  crocs,  ses  ça- 
taghniset  ses  kalângoulas,  642. 

» Avec  ses  bhouçoundîs,  ses  pierres,  ses  balles,  avec  ses 
armes,  avec  ses  haches,  avec  ses  cuirasses  de  fer,  avec  ses 
feux  allumés,  avec  ses  cimes  de  coupole,  643. 

» Munie  de  règles  enseignées  par  les  Castras,  abritée, 
éminent  Bharatide,  par  une  foule  de  chars  divers,  par  Gada, 
Çàmba,  Ouddhava  et  les  autres,  644. 

# I’ar  des  hommes,  tigre  de  Kourou,  capables  dans 
la  défense,  par  des  héros  d’une  vigueur  démontrée  dans 
la  guerre  et  de  familles  illustres,  645. 

» Bien  protégée  par  des  gardes,  par  un  corps  de  trou- 
pes mis  au  centre  de  la  ville,  par  un  corps  d’armée  jeté 
en  avant  et  par  des  coursiers,  ornés  de  leurs  étendards.  646. 

•i  Ougraséna,  Ouddhava  et  les  autres,  chargés  de  veiller 


104  LE  MAHA-BHARATA. 

sur  l'inobservation  de  la  loi,  firent  proclamer  dans  la 
ville  : a 11  est  défendu  de  boire  la  souri  ! 647. 

» Car  le  roi  Çalvà  n’épargnerait  pas  ceux,  qui  néglige- 
raient cette  défense!  u Cela  dit,  tous  les  Vrishnides  et  les 
Andhakas  se  tinrent  sur  leurs  gardes.  6A8. 

» Et  tous  les  Anartains,  danseurs,  histrions  et  chan- 
teurs, furent  bientôt  forcés  d'habiter  au-deliors  par  ceux, 
qui  gardaient  leurs  richesses  amassées.  649. 

» Tous  les  défilés  lurent  coupés,  les  barques  écartées, 
fils  de  ktf>urou,  et  les  fossés  bien  couverts  d’estacades.  650. 

» On  creusa  des  puits  grands  comme  le  ciel  môme,  et, 
de  tous  les  côtés,  la  terre  fut  rendue  inégale  à la  distance 
d'un  kroça.  651. 

» La  citadelle,  escarpée  de  sa  nature,  fut  bien  défendue 
par  les  sept  parties  nécessaires  de  l’administration  royale, 
et  surtout,  mortel  sans  péché,  bien  munie  d'armes  par 
elles.  652. 

» La  ville  enfin  était  bien  abritée,  bien  protégée,  bien 
pourvue  de  toutes  lesarmes,  comme  le  palais  d'Indra.  653. 

» Nul  convoi  n’entre  alors,  sire,  dans  la  ville  des  Vrish- 
nides et  des  Andhakains,  nul  convoi  n’en  sort  en  présence 
de  Saàubba.  654. 

» Sur  le  bord  de  toutes  les  rues  et  dans  tous  ses  carre- 
fours était,  Indra  des  rois,  une  armée  remplie  de  nombreux 
coursiers  et  d’éléphants.  655. 

» Cette  armée  eut  alors,  guerrier  aux  longs  bras,  ses 
oreillers  faits,  ses  armes  et  ses  valets  assignés  ; elle  était 
dévouée  aux  ordres,  qu'on  lui  donnait.  666. 

» Personne  n’y  reçut  la  solde  en  un  vil  métal,  ou  ne 
vit  négliger  la  solde  ; personne  ne  s’éleva  par  la  faveur, 
ou  n'eut  pas  un  témoin  de  sa  vaillance.  657. 


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VANA-PARVA. 


108 


» C/est  ainsi,  monarque  aux  yeux  de  lotus,  que  Dwà- 
rakà,  bien  connue  et  pourvue  d’une  solde  opulente,  fut 
bien  défendue  par  le  roi  Abouka.  058. 

» Çàlva,  le  souverain  de  Saàubha,  arrivé  devant  cette 
ville,  Indra  des  rois,  l’assiégea  avec  une  armée,  remplie 
d’hommes  et  de  nombreux  éléphants.  650. 

» Composée  de  quatre  corps,  cette  armée,  campée  en 
plaine,  auprès  de  la  mer  intarissable,  avait  pour  défense 
le  courage  du  roi  Çàlva.  060. 

» L’armée  de  camper  là  partout,  à l’exception  des  ci- 
metières, des  temples,  consacrés  aux  Dieux,  des  arbres 
tchaltyas  et  des  boulevards.  601. 

» Le  chemin  était  couvert  par  les  divisions  des 
armées;  mais  il  n’y  en  avait  pas,  sire,  dans  le  camp  même 
de  Çàlva  à cause  de  sa  déclivité.  062. 

» Elles  étaient  douées  de  toutes  les  armes , habiles  à 
manier  tous  les  traits,  encombrées  de  chevaux , d'élé- 
phants, de  chars,  ombragées  d’étendards  et  de  dra- 
peaux : 603. 

» Armée  grasse  et  joyeuse,  qui  se  montrait  avec  les 
caractères  de  l’héroïsme , pourvue  de  cuirasses  et  de  dra- 
peaux aux  couleurs  variées,  avec  des  arcs  et  des  chars 
différemment  peints.  00â. 

» Installées  dans  Dwàrakâ,  éminent  Kourouide,  il  étendit 
promptement  ses  divisions,  comme  le  roi  des  oiseaux  { tend 
ses  ailes.  665. 

» Alors  qu’ils  eurent  vu  accourir  l'armée  du  roi  Çàlva, 
les  jeunes  princes,  fils  de  Vrishni , sortirent  aussitôt  pour 
combattre.  006. 

» Tchàroudéshna,  Çàmba  et  le  héros  Pradyoumna  ne 
supportèrent  pas  cette  incursion  du  roi  Çàlva.  667. 

•>  Tous  revêtus  de  cuirasses,  montés  sur  des  chars, 


106 


LE  MAHA-BHARATA. 


ornés  de  drapeaux  et  de  parures  diverses,  ils  s'attachèrent 
à de  nombreux  et  vaillants  guerriers  du  roi  Çàlva.  668. 

» Armé  de  son  arc  , Çâinba  combattit  avec  ardeur 
Kshémavriddhi,  le  général  des  armées  et  le  compagnon 
de  Çàlva,  dans  les  combats.  669. 

» Tel  que  le  Dieu  aux  mille  regards  déverse  la  pluie, 
tel,  ô le  plus  vertueux  des  Bharatides,  le  fils  de  la  Djàm- 
bavatide  l’inonda  avec  une  averse  de  flèches.  670. 

n Le  général  de  l’armée  assiégeante,  Kshémavriddhi, 
endura  cette  efirayante  pluie  de  traits,  puissant  monarque, 
comme  le  mont  Himalaya.  671. 

» Ensuite,  Indra  des  rois,  Kshémavriddhi  envoya  lui- 
mème  à Çàlva  une  plus  grande  quantité  de  flèches , à la 
création  desquelles  avait  présidé  la  magie.  672. 

» Çâinba  rompit  avec  la  magie  même  ce  nombreux 
ouvrage  de  magie  et  fit  tomber  sur  le  char  de  l’ennemi 
une  grêle  de  mille  dards.  673. 

» Blessé  par  cet  ouragan , le  général  des  armées,  Kshé- 
mavriddhi, de  s’enfuir  sur  ses  rapides  coursiers,  accablé 
par  les  flèches  de  Çàmba.  674. 

a Tandis  que  ce  général  des  armées  de  Çàlva  se  retirait 
courroucé,  un  vigoureux  Daitya,  nommé  Végavat,  de 
fondre  sur  mon  fils.  675. 

» Çàmba,  le  propagateur  des  enfants  de  Vrishni,  sur 
lequel,  sire,  il  courait,  tint  bon  et  soutint  héroïquement, 
Indra  des  rois,  le  choc  impétueux  de  Végavat.  676. 

» Le  robuste  Çâinba  au  courage  infaillible  brandit  une 
rapide  massue,  fils  de  Kounti,  et  l’adressa  vigoureuse- 
ment à Végavat.  677. 

» Sous  le  coup  de  cette  arme  , Végavat  tomba  sur  la 
terre,  sire,  comme  un  arbre,  le  roi  des  forêts,  aux  racines 
vieillies,  tombe  vaincu,  brisé  par  le  vent.  678. 


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VANA-PARVA. 


107 


» Une  fois  ce  héros  mort,  une  fois  ce  grand  Asoura 
écarté  par  la  massue,  mon  fils  pénétra  dans  la  grande 
armée  et  y livra  des  combats.  679. 

» A Tcharoudéshna  s'attacha,  grand  roi,  un  Dànava, 
nommé  Vivindhya,  au  grand  char,  au  grand  arc  et  parfai- 
tement connu.  680. 

n Alors  il  s’éleva  entre  Tcharoudéshna  et  Vivindhya 
une  bataille  bien  remplie  de  tumulte  : telle  fut  jadis  celle, 
que  se  livrèrent  le  fils  de  Vasou  et  Vritra.  681. 

» Irrités  l’un  contre  l’autre  et  poussant  de  grands  cris, 
comme  deux  lions  en  fureur , ils  se  frappèrent  mutuelle- 
ment à coups  de  flèches.  682. 

» Ensuite,  le  fils  de  Roukminl  enchanta  avec  un  puis- 
sant astra  un  dard,  qui  avait  la  splendeur  du  soleil  ou 
du  feu,  et  l’encocha  pour  la  mort  de  l’ennemi.  683. 

» Le  héros,  mon  fils,  provoque  Vivindhya,  lui  envoie 
sa  flèche  avec  colère , et  le  Dànava,  sire,  tombe  sans 
vie.  684. 

» A la  vue  de  Vivindhya  tué  et  de  son  armée  dans  le 
trouble,  Çàlva  de  se  retirer  avec  Saàubha  à la  marche 
spontanée.  685. 

» La  terreur  saisit  toute  son  armée  campée  à Dwârakà, 
guerrier  aux  longs  bras , quand  elle  vit  Çàlva  rester  dans 
Saàubha.  686. 

» Alors,  grand  roi  de  Kourou,  sorti  de  la  ville,  Pra- 
dyoumna,  ayant  raiTermi  son  armée,  adresse  aux  Anartains 
ce  discours  : 687. 

« Que  toutes  vas  excellences  tiennent  ferme  et  qu’ elles 
me  voient  toutes  dans  la  bataille  arrêter  de  force  en  plein 
combat  Saàubha  avec  son  roi.  688. 

» Enfants  d’Yadhou,  je  vais  détruire  aujourd’hui  cette 


108 


LE  MAHA-BHARATA. 


armée  du  monarque  de  Saàubha,  comme  avec  des  serpents 
de  fer,  envoyés  par  les  bras  de  mon  arc.  689. 

» Prenez  confiance  ! Il  ne  faut  pas  concevoir  de  crainte 
ici  : le  roi  de  Saàubha  va  périr  ! Atteinte  par  moi , il  faut 
que  cette  âme  méchante  expire  ici  avec  Saàubha.  » 090. 

h Tandis  que  Pradyoumna  parlait  ainsi  transporté  , 
héroïque  fils  de  Pàndou,  son  armée,  tenant  pied,  combat- 
tait à plaisir  ; 691. 

» Et,  quand  il  eut  dit  ces  mots  aux  rejetons  d’ Yadou,  le 
fils  de  Roukminl  monta  dans  un  char  d'or  , attelé  de 
chevaux  cuirassés.  692. 

» 11  arbora  le  Makara,  son  étendard,  qui  était  comme  la 
mort,  labouche  ouverte,  et  poursuivit  les  ennemis  avec  ces 
coursiers  à la  grande  force,  qui  semblaient  voler  au  sein 
de  l'atmosphère.  Héros,  portant  le  cimeterre  et  le  carquois, 
la  manique  attachée,  défense  de  ses  doigts,  il  faisait  vibrer 
le  plus  excellent  des  arcs  et  poussait  des  cris.  693 — 69â. 

u Frappant  tour  à tour  son  arc  peint  des  couleurs  de 
l’éclair  et  l'une  de  ses  paumes  avec  l’autre  paume,  il  fit 
tomber  en  pâmoison  tous  les  Daityas , qui  habitaient  à 
Saàubha.  695. 

» Qui  que  ce  fût  ne  pouvait  dans  ce  combat  distinguer 
un  intervalle  entre  décharger  son  arc,  l'encocher  et  frapper 
ses  ennemis.  096. 

» La  couleur  de  son  visage  resta  la  même,  ses  membres 
ne  tremblèrent  pas  : le  monde  vit  en  lui  une  fermeté  supé- 
rieure et  prodigieuse  à menacer  avec  le  cri  du  lion.  097. 

» Son  poisson  d’or,  qui  se  tenait  la  gueule  ouverte, 
fléau  de  toutes  les  baleines,  au  bout  de  la  verge,  resplen- 
dissait , éminent  drapeau  , à son  excellent  char , en  face 
de  l'armée  de  Çâlva.  698. 


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VANA-PARVA. 


109 


• Ensuite  Pradyoumna , qui  traîne  les  ennemis , sorti 
précipitamment,  sire,  et  désireux  d’engager  un  combat, 
fondit  sur  Çâlva.  690. 

» Celui-ci  irrité  ne  put  endurer,  incrément  du  sang  de 
Kourou,  cette  incursion  du  héros  Pradyoumna  dans  la 
grande  bataille.  700. 

» Enivré  d’orgueil  et  de  colère,  il  descendit  de  sa  ville 
à la  marche  spontanée  et  Çâlva,  le  conquérant  des  cités 
ennemies,  combattit  Pradyoumna.  701. 

» Les  mondes  réunis  virent  alors  s’élever  une  bataille, 
d'un  effrayant  tumulte , entre  Çâlva  et  ce  héros  des 
Vrishnides  : telle  était  celle,  qui  jadis  partagea  Bali  et  le 
fils  de  Vasou.  702. 

» L’ennemi  possédait  un  char  d'or,  avec  des  ornements 
d’or,  des  drapeaux,  des  étendards,  des  incantations  et  des 
carquois.  Le  fortuné  seigneur  à la  grande  force,  monté 
dans  le  plus  riche  des  chars,  envoya  donc,  héroïque  en- 
fant de  Kourou,  ses  flèches  à Pradyoumna.  703 — 70A. 

» Celui-ci  fait  tomber  rapide  au  milieu  du  combat  une 
pluie  de  traits  et  ravit,  pour  ainsi  dire,  l’esprit  à Çâlva 
par  la  vitesse  de  son  bras.  705. 

» Le  roi  de  Saàubha  n’endura  point  de  se  laisser  frap- 
per dans  la  bataille  par  ces  dards  ; et  il  renvoya  à mon 
fils  des  flèches  semblables  â des  feux  embrâsés.  700. 

» Le  puissant  héros  de  trancher  dans  leur  chûte  cette 
averse  de  traits  ; mais  l'autre  décocha  à mon  fils  de  nou- 
veaux dards  flamboyants.  707. 

» Blessé  dans  ce  combat  par  les  flèches  de  Çâlva,  le  fils 
de  Roukminl  lui  adresse , Indra  des  rois,  un  dard,  qui 
tranche  les  articulations.  708. 

» Le  trait,  lancé  par  mon  fils,  eut  bientôt  produit  son 


110  LE  M AHA-BHAR  AT  A . 

effet  : sa  flèche  le  frappe  au  cœur  ; il  perd  connaissance, 
et  tombe.  709. 

» L’héroïque  monarque  Çâlva  renversé,  hors  de  sens, 
les  rois  des  Dànavas  s'enfuirent,  ouvrant  la  terre,  pour  t'y 
cacher.  710. 

« Le  roi,  maître  de  Saâubha,  abattu  sans  connaissance, 
son  armée,  souverain  de  la  terre,  se  mit  à pousser  des 
cris  plaintifs.  711. 

» Mais,  revenu  à lui-même,  ce  puissant  héros  se 
relève  et  fait  pleuvoir  aussitôt  une  grêle  de  traits  sur 
Pradyoumna.  712. 

» Blessé  grièvement  par  eux  à la  clavicule,  le  guerrier 
aux  longs  bras,  ferme  dans  le  combat,  s’affaisse  alors  dans 
son  char.  713. 

» A peine  eut-il  vu  qu’il  avait  frappé  le  fils  de  Rouk- 
mini,  le  grand  roi  Çàlva  de  pousser  un  cri  de  victoire,  et 
il  remplit  de  ce  bruit  toute  la  terre.  714. 

» Quand  mon  fils,  Bharatide,  fut  tombé  dans  l’éva- 
nouissement, le  cruel,  il  se  hâta  de  lui  envoyer  d’autres 
flèches  insurmontables.  715. 

» Blessé  par  elles  et  la  connaissance  enlevée  par  lui,  0 
le  plus  vertueux  des  Bharatides,  Pradyoumna  était  en  ce 
moment  privé  de  sentiment  sur  le  champ  de  bataille.  716. 

» Tandis  que  ce  prince,  le  plus  excellent  des  combat- 
tants, gisait  sous  l'oppression  des  flèches  de  Çàlva,  les 
Vrishnides,  membres  de  l’armée,  s’abandonnaient  à la  ter- 
reur, la  pensée  toute  brisée.  717. 

» Dans  le  temps  où  Pradyoumna  était  privé  de  senti- 
ment, toute  son  armée  jetait  de  tristes  hélas  ! et  les  enne- 
mis étaient  dans  les  transports  de  la  joie.  718. 

» Instruit  des  règles  de  la  guerre,  le  fils  de  Dàrouka, 


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VANA-PARVA. 


111 


son  cocher,  le  voyant  évanoui,  retira  promptement  du 
combat  Pradvoumna,  à l’aide  de  ses  coursiers  rapides. 

» Le  char,  ce  meilleur  des  chars,  ne  s'était  pas  encore 
écarté  bien  loin,  quand  le  maitre,  revenu  à lf  connais- 
sance et  saisissant  son  arc,  adressa  à son  cocher  ces  pa- 
roles : 719 — 720. 

« A quoi  penses-tu,  fils  du  cocher?  Pourquoi  tournes- 
tu  le  dos  au  combat?  Ce  n’est  point  là  ce  qu'on  appelle  le 
devoir  des  héros  Vrishnides  dans  la  bataille.  721. 

» La  vue  de  Çâlva  dans  ce  grand  combat  n’aurait-elle 
pas  troublé  ton  esprit? ou  la  vue  seule  de  cette  bataille  ne 
t'inspire-t-elle  pas  de  la  crainte  ? Parle-moi  avec  sincérité.  » 

« Djauârdanide,  répondit  le  fils  du  cocher,  ni  le  trou- 
ble, ni  la  crainte  n'ont  pénétré  dans  mon  esprit  ; mais 
Çâlva  est  pour  toi,  je  pense,  une  charge  trop  pesante  dans 
un  combat,  fils  de  Kéçava.  722 — 723. 

» Ce  scélérat  est  fort  ; aussi  t’éloigné-je,  héros,  peu  à 
peu  du  combat  ; car  le  devoir  du  cocher  est  de  sauver  le 
héros,  maître  du  char,  qui  s’évanouit  dans  la  bataille.  724. 

« C'est  à moi  de  te  sauver,  seigneur,  et  mon  salut  est 
dans  tes  mains.  On  doit  toujours  sauver  le  maître  d’un 
char!  me  suis-je  dit,  et  je  t'ai  éloigné  du  combat.  725. 

» Tu  es  seul,  fils  de  Roukmini,  mais  les  Dànavâs  sont 
en  grand  nombre  ; j’ai  pensé,  guerrier  aux  longs  bras, 
que  c’était  un  combat  inégal,  et  je  me  suis  retiré.  » 726. 

» Tandis  que  le  cocher  parlait  ainsi,  rejeton  de  Kourou, 
le  héros,  qui  a pour  enseigne  le  makara,  lui  dit  : a Re- 
tourne au  combat.  727. 

« Fils  de  Dârouka,  ne  recommence  aucunement  à faire 
cela  ; je  ne  dois  jamais,  fils  du  cocher,  sortir  vivant  de  la 
bataille.  723. 


112 


LE  MAHA-BHAR  VÏA. 


» Le  guerrier,  né  dans  la  famille  de  Vrishni,  n’aban- 
donne jamais  le  champ  de  bataille  ; il  ne  frappe  pas  un 
homme  renversé  à terre,  ou  qui  dit  : « Je  me  rends  à toi!  » 
ni  une  femme,  un  enfant  ou  un  vieillard,  ni  un  guerrier  sans 
char,  et  qui  fuit,  ses  armes  et  ses  dards  brisés.  729 — 730. 

» Toi,  qui,  né  dans  la  race  d’un  cocher,  y fus  instruit 
des  choses  de  ta  profession , tu  connais  les  devoirs  des 
Vrishnides  dans  les  combats,  fils  de  Dârouka.  731. 

n Puisque  tu  connais  toute  la  conduite  des  Vrishnides, 
ne  fais  donc  jamais  ainsi,  fils  du  cocher,  ta  retraite  à la 
tête  des  armées.  732. 

» Que  dira  le  meurtrier  de  Madhou , cet  invincible 
frère  de  Gada,  quand  il  me  verra  fuyant,  retiré  du  com- 
bat, blessé  par  derrière?  733. 

» Que  dira  même,  quand  il  me  verra,  le  frère  atné  de 
kéçava,  ce  lîaladéva  aux  longs  bras,  au  manteau  noir,  à 
l’ivresse  furieuse  ? 73â. 

» Que  me  dira,  au  retour  de  la  bataille,  Je  petit-fils  de 
Çivi,  ce  tigre  des  hommes  au  grand  arc?  Et  Gamba,  vic- 
torieux dans  les  combats?  736. 

» Que  me  diront,  cocher,  l’inaflrontable  Tcharou- 
désbna,  et  Gada,  et  Sàrana,  et  Akroûra  aux  longs  bras  ? 

» Moi,  qu'on  estime  un  héros,  toujours  calme,  tou- 
jours plein  de  la  fierté  humaine  ! Que  vont  me  dire  de 
concert  les  épouses  des  guerriers  Vrishnides?  736 — 737. 

« Le  voilà,  qui  se  retire, ce  Pradyoumna,  effrayé  d’une 
grande  bataille,  diront-elles!  Ilonte  à lui  ! » mais  elles  ne 
diront  pas  : « G’ est  un  brave  I » 738. 

» Fi  donc!  cette  parole  de  moquerie,  elle  est  pire  que 
la  mort  à mes  yeux  ou  devant  un  homme  tel  que  moi  ; 
cocher,  ne  t’en  va  pas  ! 739. 


\ 


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VANA-PARVA. 


IIS 


» Maintenant  que  Hari,  le  meurtrier  de  Madhou,  est 
venu  déposer  entre  mes  mains  cette  charge,  je  ne  puis 
endurer  le  sacrilice  du  lion  des  Bliaratides.  740. 

» J’ai  arrêté  le  héros  Kritavarman  au  moment  qu'il  sor- 
tait, j’arrêterai  de  même  Ç.àlva  ; tiens  bon,  fils  du  cocher. 

» Le  fils  de  Hridika  a cessé  do  m'honorer  : que  dirai-je 
à ce  héros,  quand  je  le  reverrai, ayant  déserté  le  combat? 

741 — 742. 

» Que  dirai-je  à Pourousha  aux  longs  bras,  aux  yeux 
de  poundarlka,  quand  il  viendra  cet  inaffrontabie,  armé 
de  la  massue,  du  tchakra  et  de  la  conque?  743. 

» Que  dirai-je  à Sâtyaki,  à Baladéva  et  aces  autres 
Andhakas  et  Vrishnides,  que  l'émulation  met  sans  cesse 
en  rivalité  avec  moi?  744. 

o Déserteur  de  ce  combat,  emmené  par  toi,  n'ayant 
plus  de  volonté,  frappé  au  dos  par  des  flèches,  il  est  im- 
possible que  je  vive.  745. 

» Ramène  donc  promptement  ton  char  au  combat,  fils 
de  Dàrouka!  il  ne  faut  agir  ainsi  d'aucune  manière,  fût- 
ce  dans  les  malheurs  mêmes.  740. 

» Ma  vie  ne  sera  pas  longue,  je  pense,  fils  du  cocher, 
emmené  tremblant  hors  du  combat,  le  dos  exposé  aux 
flèches.  747. 

» Et  quand  m'as-tu  vu  en  but  à la  crainte  pour  me  con- 
duire ainsi,  désertant  la  bataille,  comme  un  lâche!  748. 

» 11  ne  sied  pas  à tou  excellence  d’abandonner  cette 
lutte.  Tandis  que  je  brûle  ardemment  de  combattre,  re- 
tourne sur  le  théâtre  de  la  bataille  ! » 749. 

» A ces  mots,  tils  de  Kounlt,  le  lils  du  cocher  se  hâta  de 
répondre  en  ces  termes  d’une  voix  harmonieuse  et  douce 
à Pradyoumna,  le  plus  fort  des  forts  : 750. 

ni  8 


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114  LE  M VHA-BHARATA. 

« Je  n’ai  pas  de  crainte,  fils  de  Roukmini,  quand  je 
modère  mes  coursiers  dans  la  bataille  ; je  connais  la  ma- 
nière de  combattre  des  Vrishnides  : il  n’y  a donc  ici  rien, 
qui  vienne  d'une  autre  cause.  751. 

» Mais,  seigneur,  celui,  qui  tient  les  rênes  du  char,  n’a- 
vait pas  oublié  cette  leçon  : « 11  faut  sauver  le  maître  du 
char  dans  toutes  les  circonstances  lu  Et  je  t’ai  vu  cruelle- 
ment accablé.  752. 

u Tu  fus  douloureusement  blessé  d’un  trait  lancé  par 
Çàlva  ; ce  coup  amena  un  évanouissement,  et  c'est  alors 
que  je  t’ai  retiré  du  combat.  753. 

» Maintenant  que  te  voilà  revenu  de  toi-même  à la  con- 
naissance, 6 le  plus  grand  des  Sàtwatides,  vois  quelle  est 
mon  adresse  à conduire  mes  coursiers,  rejeton  de  Ké- 
çava.  754. 

» Enfant  de  Dàrouka,  instruit  suivant  les  règles,  je 
vais  entrer  sans  crainte  au  milieu  de  cette  fameuse  armée 
de  Çàlva.  » 755. 

» Ce  disant,  héros,  aiguillonnant  ses  chevaux,  mais  les 
retenant  avec  les  rênes,  il  courut  au  combat  rapide- 
ment. 750. 

» Il  traça  des  cercles  et  divers  autres,  deux  par  deux, 
il  décrivit  partout  différentes  circonvolutions,  tantôt  à 
gauche,  tantôt  à droite.  757. 

» Stimulés  par  l'aiguillon  et  retenus  par  les  rênes,  sire, 
les  rapides  chevaux  couraient  et  semblaient  voler  dans 
l’atmosphère.  758. 

» Discernant  la  légèreté  de  main , dont  le  Daroukide 
était  doué,  ils  paraissaient  brûler  la  terre , qu'ils  effleu- 
raient du  pied.  759. 

» 11  mit  à sa  gauche  l’armée  de  Çàlva,  et  ce  fait,  émi- 


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VANA-PARVA. 


«5 

nent  Bbaratide,  qui  ne  lui  coûta  pas  une  grande  peine,  fut 
regardé  comme  une  merveille.  760. 

» Mais,  le  roi  de  Saâubba , ne  pouvant  supporter  que 
Pradvoumna  eut  pris  la  droite,  blessa  d’une  main  agile 
son  cocher  avec  trois  flèches.  761. 

» Cependant  le  fils  de  Dàrouta,  sans  penser  à sa  légè- 
reté de  main,  continua,  guerrier  aux  longs  bras,  à courir 
même  sur  la  gauche.  762. 

u Le  roi  de  Saâubha  alors  de  lancer,  héros,  sur  le 
Roukminide,  mon  fils,  des  traits  nouveaux  de  multiple 
sorte.  763. 

» Déployant  la  prestesse  de  sa  main,  le  meurtrier  des 
héros  ennemis,  Pradyoumna,  en  souriant,  les  trancha  avec 
des  flèches  acérées  avant  qu’ils  n’arrivàssent  à leur 
but.  7 6â. 

» Quand  il  vit  ses  dards  mutilés  par  ceux  de  son  rival, 
le  roi  de  Saâubha  eut  recours  à une  effroyable  magie 
Asourique  et  lança  de  nouveaux  traits.  76ô. 

n A peine  eut-il  vu  employer  le  puissant  astra  des 
Daîtyas,  mon  fils  envoya  d’autres  flèches  pour  les  trancher 
par  le  milieu  avec  l’astra  brahmique.  766. 

n Paralysant  la  vertu  ennemie,  ces  dards,  qui  buvaient 
le  sang,  blessèrent  Çàlva  à la  tête,  à la  poitrine,  au  visage  ; 
il  perdit  le  sentiment  et  tomba.  767. 

» Ce.  vil  prince  abattu , accablé  sous  les  flèches , le 
Roukminide  encocha  un  nouveau  trait,  destructeur  des 
ennemis,  honoré  en  foule  par  tous  les  Dàçàrhains  et  sem- 
blable à la  flamme , au  feu , au  serpent.  Aussitôt  qu’ils 
virent  la  flèche  mise  à la  corde , toute  l’atmosphère  fut 
remplie  de  tristes  hélas.  768 — 769. 

» Alors,  tous  les  chœurs  des  Dieux  avec  Indra,  avec  le 


lia 


LE  MAHA-BIIARATA. 


Dieu,  qui  préside  aux  richesses,  envoyèrent  Nârada  et  le 
Vent,  rapide  comme  la  pensée.  770. 

» Ils  s'avancent  vers  le  fils  de  Roukminî  et  lui  répètent 
ces  paroles  des  habitants  du  ciel  : « Héros , la  mort  de 
Çàlva  ne  t'appartient  d’aucune  manière.  771. 

x Retire  ta  flèche  ! Ce  n’est  pas  à toi  de  lui  donner  la 
mort  dans  le  combat.  Cette  flèche  doit  arracher  la  vie  à 
cet  homme  ailleurs,  sur  le  champ  de  bataille.  772. 

» C’est  Krishna,  le  fils  de  Dévakî , que  le  Destin  a 
choisi  pour  sa  mort  dans  le  combat,  guerrier  aux  longs 
bras,  et  cette  parole  ne  sera  pas  vaine  1 » 773. 

» A ces  mots,  Pradyouinna  , transporté  au  plus  haut 
point,  relira  sa  grande  flèche  du  meilleur  des  arcs,  et  la 
fit  rentrer  dans  le  carquois.  77 4. 

» Çàlva  à la  force  immense  , à l’âme  intraitable  dans 
les  combats,  se  leva  aussitôt,  Indra  des  rois,  et  se  retira 
à la  hâte,  percé  des  flèches  de  Pradyouinna.  775. 

n Refoulé  par  les  Vrishnides , le  cruel , abandonnant 
Dwârakâ,  de  monter  alors  sur  Saâubha  et  de  s'élever,  roi 
des  rois,  jusqu’au  ciel.  776. 

» La  ville  des  Anartains  fut  donc  alors  délivrée  ; en- 
suite, j'allai  au  grand  sacrifice  du  ràdjasoûya,  qui  fut 
célébré  par  toi,  sire.  777. 

» Je  retrouvai  Dwârakâ  avec  sa  splendeur  effacée,  sans 
oblations  au  feu,  sans  lecture  des  Védas,  avec  ses  femmes 
dépouillées  de  parures.  778. 

» Quand  je  vis  les  bosquets  de  Dwârakâ  sous  des 
formes  impossibles  à reconnaître,  il  me  vint  un  soupçon 
et  j’interrogeai  le  fils  de  Hridika  : 779. 

« Cette  famille  de  Vrishni  a beaucoup  d'hommes  et 
de  femmes  affligées  : que  veut  dire  cela , tigre  des 


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VANA-PARVA. 


117 


hommes.  Je  désire  l’apprendre  suivant  la  vérité.  » 780. 

» A ces  paroles  de  moi,  ô le  plus  vertueux  des  rois,  le 
fils  de  Hridika  me  raconte  avec  détail  et  le  siège  et  la 
délivrance  de  Çâlva.  781. 

» Quand  j’eus  alors  appris  tout  entièrement,  6 le  plus 
vertueux  des  Bharatides , je  tournai  ma  pensée  vers  la 
mort  du  roi  Çâlva.  782. 

» Après  que  j’eus  rendu  le  courage  au  peuple  dans  la 
ville,  au  roi  Ahouka  et  à Anaka-Doundoubhl,  je  dis,  ver- 
sant la  joie  au  cœur  de  tous  les  héros  Vrishnides  : ;t  Éten- 
dez toujours  la  vigilance  sur  la  cité,  nobles  fils  d'Yadou. 

783— 78â. 

» Apprenez  que  je  marche  à la  mort  du  roi  Çâlva,  je 
ne  reviendrai  pas,  sans  l’avoir  tué  , dans  la  ville  de  Dwâ- 
ravati.  785. 

» Une  fois  détruite  avec  Çâlva  la  ville  de  Saàubha, 
j’aurai  le  plaisir  de  vous  revoir.  Que  Doundoubhi,  ici  pré- 
sent, la  terreur  des  ennemis,  frappe  donc  trois  fois  le 
Sâina.  » 786. 

» Exactement  encouragés  par  moi,  ces  héros  joyeux  me 
répondent  tous  : « Va!  et  triomphe  des  ennemis!  » 787. 

» Comblé  de  bénédictions  par  les  guerriers,  l'Ame  dans 
la  joie,  je  lis  prononcer  les  paroles  de  bonne  fortune  aux 
brahmes,  devant  lesquels  je  me  tins,  baissant  la  tète.  788. 

» Et,  monté  sur  mon  char,  attelé  de  Çaivya  et  de  Sou- 
grlva,  j’embouchai,  sire,  Pàntchadjanya,  la  meilleure  des 
conques,  et  je  remplis  de  mes  sons  tous  les  points  de  l’es- 
pace. 780. 

n Je  m’avançai,  tigre  des  hommes,  environné  d’une 
grande  armée,  bien  équipée,  composée  de  quatre  corps, 
ardente  et  victorieuse.  790. 


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118 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Après  que  j’eus  parcouru  beaucoup  de  lieux , des 
montagnes  aux  arbres  nombreux,  des  lacs  et  des  fleuves, 
j'arrivai  à Màrttikâvata.  791, 

■)  Là,  j'appris  que  Çàlva,  monté  sur  Saâubha,  était 
arrivé  en  face  de  la  mer,  et,  tigre  des  hommes,  je  suivis 
ses  pas.  792. 

» Parvenu  à la  mer,  Çàlva,  le  meurtrier  des  ennemis, 
se  plaça,  grâce  à Saàubha,  sur  laquelle  il  était  monté, 
dans  le  sein  du  bassin  aux  grands  flots  et  dans  l’ombilic 
même  de  l’océan.  793. 

» L’ayant  aperçu  de  loin,  où  il  semblait  se  moquer  de 
moi,  Youddhishthira,  je  le  déliai,  d’une  àme  méchante, 
mainte  et  mainte  fois  au  combat.  79â. 

» Il  ne  pouvait  plus  attaquer  ma  ville  avec  les  flèches 
nombreuses,  que  son  arc  envoyait  trancher  les  articula- 
tions, et  la  colère  s'empara  de  moi.  79&. 

» Ce  vil , mais  inalfrontable  Rakshasa  à la  nature 
vicieuse  fit  pleuvoir  sur  moi  par  milliers  le  tranchant  des 
flèches.  796. 

» Il  couvrit  de  ses  dards  mes  chevaux,  mon  cocher, 
mes  guerriers  ; mais  nous  combattîmes,  fils  de  Bharata, 
sans  songer  à ses  traits.  797. 

» Alors  les  héros,  qui  suivaient  les  pas  de  Çàlva,  firent 
pleuvoir  sur  moi  dans  ce  combat  une  centaine  de  mille 
flèches  aux  nœuds  inclinés.  798. 

» Les  Asouras  couvrirent  les  chevaux,  le  char  même 
et  Dàrouka  de  ces  dards,  qui  tranchaient  les  articula- 
tions. 799. 

» On  ne  voyait  plus,  héros,  ni  mes  coursiers,  ni  mon 
char,  ni  mon  cocher  Dàrouka,  ni  mes  guerriers,  ni  moi- 
même,  tant  nous  étions  couverts  de  ces  flèches  ! 800. 


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VANA-PARVA. 


11» 


» Moi,  alors,  j’envoyai  avec  un  arc  divin  et  d'une  ma- 
nière céleste  plusieurs  myriades  de  traits  charmés,  fils 
de  Kounti.  801. 

» Mon  armée  ne  trouvait  point  là  de  terre,  puissant 
Bharatide,  car  cette  Saâubha  était  suspendue  en  l'air, 
pour  ainsi  dire,  dans  le  périmètre  d’un  kroça.  802. 

» Les  spectateurs,  placés  comme  dans  l’enceinte  d’un 
théâtre,  m’excitaient  avec  de  grands  cris  de  guerre  et  avec 
le  bruit  des  paumes  battues  par  les  paumes  des  mains.  803. 

» Envoyées  par  mes  doigts,  les  flèches  aux  jolis  an- 
gles extérieurs  des  yeux  entraient,  comme  des  sauterelles, 
dans  les  membres  des  Dànavas.  804. 

» Ensuite  éclata  et  grandit  au  milieu  de  Saâubha  un 
bruit  confus  d'hommes,  frappés  de  ces  traits  aigus  et 
tombant  dans  la  grande  mer.  805. 

» Les  bras  coupés  des  épaules  et  n’oflrant  plus  aux  re- 
gards que  les  formes  d’un  buste,  les  Dànavas  étaient  pré- 
cipités, en  poussant  des  cris  épouvantables.  808. 

» Tombés,  ils  servaient  de  pâture  aux  habitants  de 
l’onde  marine.  Je  remplis  alors  de  mon  souffle  Pântcha- 
djanya,  née  dans  les  eaux  et  semblable  à l'argent,  aux  fibres 
du  lotus,  à la  lune,  au  lait  et  au  jasmin  grandiflore.  A la 
vue  de  ses  guerriers  abattus,  Çàlva,  le  roi  de  Saâubha,  me 
livra  un  grand  combat  par  la  magie.  Aussitôt  de  pleuvoir 
continuellement  sur  moi  dards,  socs  de  charrue,  tridents, 
lances  de  fer,  traits  barbelés,  haches,  massues,  épées,  la- 
cets, rishtas,  kanapas,  bhousoundls  et  pattiças. 

807—808—809—810. 

» Je  reçus  l'averse  et  la  neutralisai  bien  vite  avec  la 
magie.  Elle  détruite,  il  me  combattit  avec  des  cimes  de 
montagnes.  811. 


150 


LE  MAHA-BHARAT 


» On  vit  ensuite  régner  à la  fois,  Bharatide,  la  nuit  et 
le  jour,  la  tempête  et  le  beau  temps,  le  froid  et  le  chaud, 

» Une  pluie  de  poussière  de  charbon  et  une  pluie  de 
flèches.  Voilà  de  quelle  magie  secondé,  l'ennemi  me  lit  la 
guerre.  812 — 813. 

» Quand  j’eus  distingué  toutes  ces  choses,  je  les  dé- 
truisis par  la  magie  et  je  les  dissipai,  suivant  les  temps, 
par  mes  flèches  de  tous  les  côtés  dans  la  bataille.  81â. 

» Le  ciel  parut  alors,  grand  roi,  fils  de  Kounti,  possé- 
der cent  soleils,  cent  lunes,  et  des  étoiles  en  myriades  de 
milliers.  815. 

» On  ne  distingua  plus  ni  le  jour,  ni  la  nuit,  ni  les 
points  cardinaux  ; je  tombai  dans  l'égarement  et  j'eus 
recours  à l’astra  de  la  science.  816. 

» Cet  astra  fut  agité  connue  l’atmosphère  par  les  vents  ; 
il  naquit  une  bataille  tumultueuse,  épouvantable,  et,  quand 
la  vue,  Indra  des  rois,  me  fut  rendue,  je  combattis  de 
nouveau  l’ennemi.  817. 

« Tandis  que  le  roi  Çâlva , le  tigre  des  hommes,  le 
grand  ennemi,  combattait  de  cette  manière  avec  moi  dans 
la  guerre,  il  s'éleva  de  rechef  au  sein  des  airs.  818. 

» Çâlva  à l'intelligence  étroite,  désireux  de  vaincre, 
envoya  contre  moi  avec  colère,  noble  sire,  des  çatagnis, 
de  grandes  massues,  des  épieux  enflammés,  des  maillets 
d’armes  et  des  épées.  819. 

» Je  me  hâtai  d’empêcher  que  ces  traits  volants  ne 
frappassent,  les  coupant  en  deux  ou  en  trois  au  sein  de 
l’air  avec  mes  dards  lancés.  Ensuite  un  grand  bruit  s’éleva 
dans  l'atmosphère.  820. 

» 11  couvrit  mes  coursiers,  mon  char  et  üàrouka  avec 
une  centaine  de  mille  flèches  aux  nœuds  inclinés.  821. 


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VANA-PARVA. 


121 


» Dàrouka  nie  dit  ensuite,  héros,  avec  un  air  troublé  : 
* 11  faut  s’arrêter  ! Je  m'arrête,  accablé  par  les  flèches  de 
Çâlva.  822. 

» Je  ne  puis  tenir  davantage;  mon  corps  s’affaisse.  » 
A ces  lamentables  paroles  de  mon  cocher,  je  tournai  mes 
yeux  vers  Dàrouka,  et  je  le  vis  en  proie  aux  dards.  Il  n'y 
avait  pas  un  endroit,  ni  dans  sa  poitrine,  ni  dans  sa  tête, 
ni  dans  son  corps,  ni  dans  ses  bras,  vertueux  fils  de  Pàn- 
don,  qui  ne  fût  couvert  de  flèches.  Sous  l’oppression  de  ces 
traits  excellents,  il  répandait  le  sang ;t  grands  flots,  comme 
une  montagne  au  métal  d’or  est  inondée  par  les  pluies 
torrentielles  d'un  nuage.  Je  vis  mon  cocher  défaillir  dans 
ce  combat,  les  rênes  à sa  main  ; 823 — 82/i — 825 — 826. 

» Non  abandonné  par  le  courage,  guerrier  aux  longs 
bras,  mais  accablé  par  les  traits  de  Çâlva.  Alors  un  certain 
homme,  qui  avait  son  habitation  à Dvvârakà,  qui  était  le 
domestique  d'Ahouka  et  que  je  fis  monter  par  amitié  dans 
mon  char,  s’empressa  de  me  dire,  Bharatide,  ces  paroles 
de  son  maître  avec  trouble  et  d’un  gosier  suffoqué  ; écoute- 
les,  Youddhishthira  : « Ahouka,  le  souverain  de  Dwàrakà, 
t’adresse,  héros,  ces  paroles  : 827 — 828 — 820. 

n Viens,  Kéçava!  apprends  ce  que  te  dit  l’ami  de  ton 
père.  Viens  aujourd'hui  même,  rejeton  de  Vrishni,  à Dwà- 
rakâ,  et  laisse-là  Çâlva.  830. 

n Acharné  contre  lui,  guerrier  inaffron table,  le  fils  de 
Çoûra  doit  périr,  victime  de  sa  force.  C'est  assez  de  ce 
vaillant  combat  ; reviens,  Djanârdana.  831. 

» Sauve  Dtvàrakâ  elle-même  : c’est  là  ta  grande  af- 
faire! » A ces  paroles,  mon  âme  fut  pénétrée  du  plus 
grand  déplaisir.  832. 

» Je  ne  trouvais  pas  à résoudre  ce  qui  était  à faire  ou 


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122 


LE  MAHA-BHARATA. 


non.  Et,  ces  mots,  bien  désagréables  pour  Dwârakâ  et 
mon  bisaïeul , à peine  entendus,  héros,  je  blâmai  dans  mon 
âme  Sâtyaki,  Baladéva  même  et  l’héroïque  Pradyoumna. 

« Est-ce  que  Baladéva  aux  longs  bras,  le  meurtrier  des 
ennemis,  ne  vit  plus,  me  dis-je,  lui,  qui  veille  à la 
conservation  de  celte  ville  et  qui  marche  à,  la  ruine  de 
Saâubha.  833 — 834. 

» En  est-il  ainsi  de  Sâtyaki , du  Roukminide,  du  vail- 
lant Tcharoudéshna,  de  Çàmba  et  des  autres  ! » Et  mon 
âme  en  ressentit  la  plus  grande  peine.  835. 

» Car  tant  qu’ils  vivront,  tigre  des  hommes,  il  est  tout- 
à-fait  impossible  au  Dieu  même,  qui  porte  le  tonnerre,  de 
tuer  le  fils  de  Çoùra.  836. 

» Si  le  fils  de  Çoùra  périssait  en  vérité,  tous  en  vérité 
périraient,  Baladéva  à leur  tète  : telle  est  mon  opinion 
bien  arrêtée.  838. 

» Roulant  mainte  et  mainte  fois  cette  perte  de  tous  dans 
mon  esprit,  je  combattis  de  nouveau  Çàlva,  grand  roi,  le 
trouble  dans  le  cœur.  830. 

» Je  vis  alors , puissant  héros,  le  fils  de  Çoùra,  qui 
tombait  de  Saâubha,  et  je  fus  le  jouet  d'une  hallucina- 
tion. 840. 

o Car  U me  sembla  voir  mon  père  sous  la  forme  d’Ya- 
yàti,  qui  descendait  du  ciel  sur  la  face  de  la  terre,  ayant 
épuisé  la  récompense  due  à ses  mérites.  841. 

» Il  m'apparut  tomber  comme  une  étoile  filante  (1),  son 
diadème  souillé,  vieilli,  ses  cheveux  épars,  ses  vêtements 
détachés.  842. 

« A cette  vue  Çàmga,  le  meilleur  des  arcs,  échappe  à 


(1}  Kskinapounya  grahas. 


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VANA-PARVA. 


128 


ma  main,  et,  frappé  de  vertige,  fils  de  Kountl,  je  m'asseois 
sur  le  banc  du  char.  8A3. 

n Aussitôt,  toute  mon  armée  en  délire,  m’ayant  vu 
placé  comme  un  corps  sans  vie  sur  le  sein  du  char,  se  mil, 
Bharatide,  & pousser  de  plaintifs  hélas  ! 844. 

» Cette  forme  de  mon  père  tombant,  les  bras  étendus, 
les  pieds  allongés,  me  parut  comme  la  forme  d'un  oiseau 
tombant.  846. 

» Des  guerrière,  les  mains  armées  de  lances  et  de  pat- 
tiças,  le  frappaient  cruellement,  héros  aux  longs  bras, 
daus  sa  chûte  ; et  mon  âme  en  fut  toute  ébranlée.  848. 

» Aussitôt  que  j’eus  recouvré  dans  ce  grand  carnage 
la  connaissance,  après  un  instant,  je  ne  vis  plus  là,  héros, 
ni  Saâubha,  ni  Çàlva,  mon  ennemi,  ni  mon  vieux  père  lui- 
mèrrie.  847. 

» J’arrêtai  dans  mon  esprit  que  c’était  de  la  magie  et, 
revenu  à moi,  je  dispersai  de  nouveau  mes  flèches  par 
centaines.  848. 

» Je  pris  mou  arc  resplendissant  et  j’abattis  de  Saâu- 
bha sous  mes  flèches,  éminent  Bharatide,  les  tètes  de  ces 
ennemis  des  Dieux.  84». 

» J'envoyai  au  roi  Çàlva,  lancés  par  mon  arc  Çàrnga, 
des  traits  bien  empennés,  aériens,  à la  splendeur  brûlante 
et  sous  la  forme  de  serpents.  850. 

» Je  ne  vis  point  alors  Saâubha,  incrément  de  la  famille 
Kourouide  ; elle  avait  disparu,  grâce  à la  magie,  et  je  de- 
meurai stupéfait.  861. 

» Les  troupes  des  Dânavas  aux  têtes  et  aux  cheveux 
difformes  de  pousser  des  cris,  puissant  Bharatide,  tandis 
que  je  poursuivais  mon  triomphe.  862. 

» Je  décochai  à la  hâte  dans  ce  grand  combat  une 


126 


LE  MAHA-BHARATA. 


flèche  accompagnée  de  bruit  pour  sa  mort  : ensuite,  ce 
bruit  expira  ! 853. 

» Mais  ils  furent  tués  tous  ces  Dânavas,  auxquels  ces 
traits  sonores,  enflammés  et  semblables  au  soleil,  en  por- 
tèrent le  bruit.  856. 

» Quand  il  eut  cessé,  un  nouveau  bruit  naquit  d'un 
autre  côté,  grand  roi,  que  j'attaquai  avec  mes  flèches.  855. 

» Malgré  qu’ils  fissent  ainsi  résonner  en  haut  et  de  tra- 
vers les  dix  points  de  l’espace , tous  les  Asouras,  Bha- 
ratide,  succombèrent  sous  mon  bras.  85(5. 

» De  retour  à Pràgdjyotisha,  je  revis  de  nouveau  Saàu- 
bha  au  mouvement  spontané , qui  frappa , héros , mes 
yeux  de  vertige.  857. 

» Ce  fut  alors  qu'un  Dànava  de  forme  épouvantable, 
Lokàntakarana , me  couvrit  lestement  d'une  immense 
averse  de  rochers.  858. 

» Frappé  mainte  et  mainte  fois  de  ces  montagnes,  je 
restai  enseveli,  Indra  des  rois,  sous  des  montagnes,  comme 
une  fourmillière.  859. 

» Je  fus  couvert  de  ces  roches  avec  mes  chevaux,  avec 
mon  cocher,  sire,  et  caché  entièrement  sous  la  masse  de 
ces  montagnes,  je  cessai  d’ètre  visible  aux  yeux.  860. 

» Les  héros  Vrishnides,  mes  guerriers,  de  s'enfuir  tous 
rapidement  5 tous  les  points  du  ciel , talonnés  par  la 
crainte.  861. 

» Quand  ils  eurent  cessé  de  me  voir,  monarque  des 
hommes,  ils  remplirent  tout,  atmosphère,  ciel  et  terre, 
de  plaintifs  hélas!  862. 

» Mes  amis,  l'âme  dans  le  trouble,  remplis  de  douleur 
cl  de  chagrin  éclatèrent,  sire,  en  pleurs  ou  en  cris.  863. 

» Ce  fut  la  joie  de  mes  ennemis,  le  désespoir  de  ceux, 


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VANA-PARVA. 


125 


qui  ne  l'étaient  pas.  C’est  ainsi  qu’il  triompha.  Ensuite,  je 
repris  mes  sens,  héros  auguste;  86 h. 

u Et,  levant  tua  foudre,  qui  divise  tous  les  rochers  et 
que  chérit  Indra,  je  renversai  toutes  ces  montagnes.  865. 

» Alors  mes  chevaux,  accablés  sous  la  masse  de  ces 
montagnes,  et  ne  se  mouvant  plus  que  d’une  respiration 
suffoquée , étaient , grand  roi , tremblants , pour  ainsi 
dire.  866. 

» Quand  mes  parents  me  revirent  comme  un  soleil,  qui 
' se  lève  dans  un  ciel  chargé  de  nuages , fendus  par  ses 
rayons,  ils  revinrent  tous  à des  sentiments  de  joie.  867. 

» A peine  mon  cocher  eut-il  vu  ses  chevaux , écrasés 
par  cette  masse  de  montagnes,  se  mouvoir  avec  un  peu  de 
souille,  qu’il  m’adressa  ce  langage  assorti  à la  circons- 
tance : 868. 

« Allons  ! maintenant  que  tu  as  vu  Çâlva , le  roi  de 
Saàubha,  tenir  pied  devant  toi,  c’est  assez  le  mépriser, 
Krishna.  Alloua  ! déploie  tes  efforts.  869. 

» Retire  aujourd'hui  à Çâlva  la  douceur  et  l’amitié  ! 
Triomphe  de  lui,  Kéravu  aux  longs  bras;  et  ne  lui  permets 
plus  de  vivre  davantage  ! 870. 

» 11  faut  tuer  un  ennemi  par  tous  les  moyens,  destruc- 
teur des  ennemis.  Quelque  faible  qu'il  soit,  le  fort  ne  doit 
pas  mépriser  un  ennemi.  871. 

» Non  ! fût-il  un  boiteux  ; combien  plus  un  homme 
ferme  dans  la  guerre  ! Consacre  donc  tous  tes  efforts  5 
vaincre  celui-ci , tigre  augustedes  hommes!  Ne  laisse  pas 
t’échapper  ce  moment,  ô le  meilleur  de  la  race  de  Rourou  ! 
Je  ne  crois  pas  que  ce  soit  ici  le  temps  de  signaler  ta  dou- 
ceur; cet  homme  n’est  pas  ton  ami.  872 — 873. 

» Lui,  qui  t’a  fait  la  guerre,  héros,  et  par  qui  Lhvàrakà, 


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126 


LE  MAHA-BHARATA. 


fut  écrasée  ! » Quand  j’eus  entendu  ce  langage  de  mon 
cocher  et  d’autres  semblables  paroles,  fils  de  Kountl  : 874. 

a Agis  donc  ainsi  ! lui  dis-je  ; et,  quand  j'eus  connu  sa 
pensée,  j’attachai  la  mienne  à la  guerre,  à la  mort  du 
roi  Çàlva  et  à la  chûte  de  Saàubha.  876. 

» Je  dis  à Dàrouka  : « Héros,  tiens  ferme  un  instant!  » 
Et,  d'une  force  extrême,  je  décochai  de  mon  arc  dans  ce 
combat  un  trait  de  feu,  d’une  grande  splendeur , céleste, 
imbrisable,  qu’on  ne  pouvait  éluder,  chéri  du  guerrier, 
capable  de  rompre  tout  et  de  porter  la  mort  aux  Dànavas  ; 

876—877. 

» Et,  quand  je  l’eus  charmé , un  tchakra  hostile  dans 
la  guerre  aux  Yakshas , aux  Rakshasas , aux  Dànavas  et 
aux  rois , éblouissant , incomparable  , grande  cause  de 
cendres,  au  tranchant  de  rasoir,  le  meurtrier  des  ennemis 
et  semblable  à Yarna,  le  destructeur  du  temps.  878 — 879. 

» Triomphe  par  ta  vigueur  de  Saàubha  et  de  ceux,  qui 
sont  ici  nies  ennemis!  » Ce  disant,  je  l’envoyai  avec  colère 
à Çàlva  de  toute  la  force  de  mon  bras.  880. 

» Et  la  forme  de  Soudarçana  en  tombant  parut  alors 
celle  d’un  second  soleil , qui  va  brûler  tout  ( uniiers  à la 
fin  d’un  youga.  881. 

» L'arme  s'approche  de  Saàubha,  qui  avait  perdu  sa 
splendeur,  et  coupe  la  ville  par  le  milieu,  comme  une  scie 
tranche  un  grand  pin.  882. 

» Saàubha  fut  mise  en  deux,  immolée  par  la  force  de 
Soudarçana,  et  tomba,  comme  Tripoura , secouée  par  la 
flèche  de  Mahéçwara.  883. 

n Cette  ville  abattue,  le  tchakra  céleste  retourna  de 
lui-même  dans  ma  main  ; et,  l'ayant  pris  avec  vitesse , je 
lui  dis  : « Maintenant,  c’est  pour  Çàlva  I u 884. 


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VANA-PARVA. 


127 


» Il  coupa  en  deux  rapidement  Çàlva  au  moment  qu'il 
envoyait  dans  ce  grand  combat  une  pesante  massue,  et 
s'enflamma  de  splendeur.  885. 

» Ce  héros  tombé,  les  Dànavas,  l’esprit  égaré , criant  : 
u Hélas!  hélas!  » s’enfuient  à tous  les  pointsduciel,  pour- 
suivis par  mes  flèches.  88t>. 

» Ensuite  je  fis  arrêter  près  de  Saâubha , et,  donnant 
par  mon  souille  une  voix  a ma  conque,  mes  accents  d'al- 
légresse remplirent  de  joie  mes  amis.  887. 

» Les  femmes  de  s’enfuir  à la  vue  de  cette  ville  incen- 
diée, dont  les  formes  ressemblaient  aux  cimes  du  Mérou, 
écroulée  maintenant  avec  ses  grandes  portes  arcadées  et 
ses  chambres  sur  le  haut  des  maisons.  888. 

» Après  que  j’eus  ainsi  détruit  Saâubha  et  renversé 
Çâlva,  je  retournai  chez  les  Anar tains , apportant  la  joie 
à mes  amis.  889. 

» Voilà  pour  quelle  raison  je  ne  suis  pas  venu,  sire,  à 
la  ville,  qui  prit  son  nom  des  éléphants.  Si  je  l’avais  pu, 
Douryodhana  eût  cessé  de  vivre,  meurtrier  des  héros 
ennemis.  890. 

» Si  j’étais  venu,  le  jeu,  certainement!  héros,  n'aurait 
pas  eu  lieu.  Que  puis-je  faire  maintenant  ? Que  sert  un 
pont  brisé  pour  traverser  un  fleuve!  » 891. 

Quand  le  plus  grand  des  hommes,  le  héros  aux  longs 
bras  eut  parlé  de  cette  manière  au  rejeton  de  Kourou  et 
l’eut  salué,  le  meurtrier  fortuné  de  Madhou  s’approcha 
des  autres  fds  de  Pàndou.  S92. 

Après  que  le  puissant  guerrier  se  fut  incliné  devant 
Youddhishtldra,  le  roi  de  la  justice,  il  fut  baisé  sur  la 
tête  par  le  roi  Bhimaséna.  893. 

Embrassé  par  Arjouna,  salué  respectueusement  par  les 


128 


LE  MAHA-HHAR  \TA. 


deux  jumeaux,  honoré  par  Dhaâumva,  et  Drnàupadi  lui 
offrant  l'hommage  de  ses  larmes,  S9A. 

Krishna  fit  monter  sur  son  char  d’or  Abiiuanyou  et  Sou- 
badhrà;  il  y monta  enfin  lui-même  avec  les  révérences 
des  fils  de  Pàndou.  805. 

Et,  après  qu'il  eût  relevé  le  courage  d'Youddhishthira, 
il  s’avança  vers  Dwàrakà  sur  ce  char,  attelé  de  (’.aivya  et 
de  Sougrlva,  aussi  resplendissant  que  le  soleil.  896. 

Quand  le  Dâçàrhain  fut  parti,  Dhristadyoumna,  le  petit- 
fils  de  Prishat,  prit  les  enfants  de  Draàupadl  et  s’achemina 
lui-même  vers  sa  ville.  897. 

Ayant  fait  une  visite  à sa  sœur,  Dhristakélou,  le  roi  de 
Tchédi,  revint,  aussitôt  qu’il  eut  vu  les  PAndouides,  à la 
charmante  ville  de  Çouktimatl.  898. 

Les  Kaîkéyains  à la  force  sans  mesure,  congédiés  par 
le  fils  de  kounti,  dirent  adieu  à tous  les  fils  de  Pàndou,  et 
s'en  allèrent  eux-mêmes,  rejeton  de  Rharata.  899. 

Les  brahmes,  les  valçyas  et  les  habitants  du  pays,  ren- 
voyés avec  de  vives  instances,  abandonnèrent  aussi  les 
PAndouides.  000. 

L’assemblée  de  ces  magnanimes,  Indra  des  rois,  offrit 
dans  le  Ràmyaka  un  aspect  des  plus  admirables.  901. 

Dès  qu’Youddhishthira,  au  grand  cœur,  eut  honoré  les 
brahmes,  il  dit  aux  serviteurs  à propos  : « Attelez  les 
coursiers  aux  chars  ! » 902. 

Le  roi  des  Dàràrhains  parti,  Youddhishthira,  lllihiia- 
séna,  Arjouna  et  les  jumeaux,  Rrishnâ  et  l’archi-brahme 
domestique,  étant  montés  sur  de  nobles  chars,  attelés 
des  meilleurs  chevaux,  tous  ces  héros  de  compagnie  par- 
tirent, semblables  au  souverain  des  êtres,  pour  la  forêt. 
Aussitôt  qu’ils  eurent  distribué  des  nishkas  d'or,  des  vête- 


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VANA-PARVA. 


129 


ments  et  des  vaches,  aux  brahmes,  qui  répandent  les  eaux 
de  l’instruction.  903 — 90A. 

Des  serviteurs,  au  nombre  de  vingt  et  plus,  ayant  ras- 
semblé et  pris  toutes  les  armes,  les  arcs,  les  traits,  les 
dards  enflammés,  les  cordes  d’arc,  les  machines,  enfin 
toutes  les  flèches,  se  mirent  en  route.  905. 

Indraséna  recueillit,  à la  hâte,  les  nourrices,  les  ser- 
vantes, les  vêtements  et  les  parures  de  la  fille  du  roi,  et 
partit  le  dernier  sur  son  char.  906. 

Ensuite,  les  citadins  s’approchèrent  du  plus  vertueux 
des  Kourouides,  et  décrivirent,  d'une  âme  joyeuse,  un 
pradakshina;  les  brahmes  et  tous  les  principaux  des  Kou- 
roudjangalains  s’inclinèrent  d’un  esprit  serein.  907. 

Dharmar&dja  les  salua  d'une  ame  paisible  avec  ses 
frères,  et  le  magnanime  souverain  de  la  terre  se  tint,  les 
yeux  fixés  sur  la  foule  des  RouroudjangaJains.  908. 

Le  sublime  enfant  de  Kourou  de  leur  témoigner  les 
sentiments  d'un  père  à l'égard  de  ses  fils,  et  ceux-ci  de  se 
montrer  pour  le  chef  des  Bharatides  comme  des  fils  à l’égard 
de  leur  père.  909. 

Alors,  ces  foules  d'hommes  distingués  s'approchent  du 
héros  des  kourouidés,  l’environnent,  et  tous,  remplis  de 
confusion,  sire,  et  la  face  baignée  de  larmes,  ils  disent  : 
« Hélas!  notre  protecteur!  hélas!  le  devoir,  qui  s'en  va! 

» Tu  es  le  plus  excellent  des  Kourouides,  le  seigneur, 
et  comme  le  père  des  créatures,  où  vas-tu,  Dharmarâdja, 
quand  tu  auras  abandonné  ces  habitants  de  la  ville  et  des 
campagnes,  quand  tu  nous  auras  délaissés,  nous,  tes  fils? 

910—911. 

» Honte  au  fils  de  Dhritarâshtra,  à l’âme  bien  cruelle  ! 
Honte  au  fils  de  Soubala  ! Honte  à Karna,  aux  pensées 

9 


ni 


130 


LE  MAHA-BHARATA. 


coupables  ! Les  scélérats,  qui  ont  agi  de  cette  manière  à 
ton  égard,  prince  vertueux  et  sans  cesse  dans  le  devoir, 
ne  désirent  que  l’infortune!  912. 

» Où  vas-tu,  quand  tu  nous  abandonnes,  magnanime 
Dharmarâdja  aux  œuvres  infinies,  après  nous  avoir  toi- 
même  établis  dans  la  ville  incomparable  de  Çatakratou- 
Prastha,  semblable  à la  ville  du  Grand-Dieu?  913. 

» Où  vas-tu,  Dhamarâdja,  quand  tu  abandonnes  ces 
palais,  construits  avec  une  magie  divine  et  comme  gardés 
par  les  Dieux,  que  le  magnanime  Maya  fit  sur  le  modèle 
du  palais  des  Dieux?  » 914. 

Bibhatsou,  qui  savait  le  juste,  l’utile  et  l'amour,  dit  à 
haute  voix  pour  tous  ces  hommes  réunis  d’une  force  supé- 
rieure : « Le  roi  Youddhislilhira  accepte,  pour  flétrir  les 
renommées  de  ses  ennemis,  cette  habitation  dans  la  forêt. 

» C’est  à toutes  vos  saintetés,  isolément  ou  de  concert, 
principaux  brahmes,  qui  pratiquez  la  pénitence  et  con- 
naissez les  choses  du  devoir,  à les  aller  trouver  et  à leur 
inspirer  des  paroles  telles  qu’il  en  sorte  pour  nous  la  per- 
fection désirée  de  nos  affaires.  » 915 — 910. 

A ces  mots  d’Arjouna,  les  brahmes  et  toutes  les  castes, 
sire,  le  saluent  avec  joie  et  décrivent  ensemble  un  pra- 
dakshina  autour  du  plus  excellent  des  hommes,  qui  sou- 
tiennent le  devoir.  917. 

Ils  font  leurs  adieux  au  roi,  filsdePrithâ,  àVrikaudara, 
à Dhanandjaya,  à Yajnasénl  et  aux  deux  jumeaux,  et, 
privés  de  joie, ils  partent,  avec  le  congé  d’Youddhishthira, 
chacun  pour  son  royaume.  918. 

Vatçampâyana  dit,  continuant  le  fil  de  sa  narration  : 

Après  le  départ  de  ces  brahmes,  le  vertueux  Youd- 
dhishthira,  fils  de  Kountl,  qu'un  pacte  liait,  pour  ainti 


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VANA-PARVA. 


131 


dite,  à la  vérité,  adresse  à tous  ses  frères  ce  langage  : 

« 11  nous  faut  habiter  douze  années  dans  un  bois  soli- 
taire : cherchez  dans  la  grande  forêt  un  lieu  bien  peuplé 
d'oiseaux  et  de  gazelles,  919 — 920. 

» Doué  richement  de  fleurs  et  de  fruits,  délicieux,  for- 
tuné, couvert  d'un  peuple  saint  : c'est  là  que  nous  passe- 
rons doucement  ces  douze  années.  » 921. 

A ces  mots,  Dhanandjaya  répondit  à Dharmaràdja, 
comme  Vrihaspati  à l’intelligent  gourou  des  hommes,  qu’il 
a commencé  par  honorer  : 922. 

« Ta  majesté  peut  consulter  de  vieux  maharshis  : il  n’est 
rien  dans  le  monde  humain,  que  ta  majesté  ne  connaisse. 

» En  effet,  tu  sers  continuellement  des  brahmes,  émi- 
nent llharatide,  Dvvalpâyana  et  les  autres,  et  Nàrada  aux 
grandes  pénitences,  923— 92à. 

» Qui,  domptant  ses  passions,  va  continuellement  aux 
portes  de  tous  les  mondes  et  dirige  sa  course  du  monde 
des  Dieux  au  monde  de  Brahma,  des  Gandharvas  et  des 
Apsaras  mêmes.  925. 

» Tu  sais  l'autorité  et  tu  connais  la  puissance  de  tous 
les  brahmes,  prince  : il  n’y  a pas  de  doute.  926. 

» Tu  connais  ce  qui  est  pour  le  mieux,  sire,  et  même 
sa  cause  : nous  mettrons  notre  habitation  là,  grand  roi, 
où  tu  le  désireras.  927. 

» 11  est  un  lac,  nommé  le  Dwaitavana,  où  stagnent  des 
eaux  pures  ; il  est  riche  en  fleurs  et  en  fruits,  charmant, 
habité  par  une  foule  de  brahmes.  926. 

» C’est  là  qu'il  nous  faut  demeurer  ces  douze  années. 
Telle  est,  sire,  mon  opinion,  si  tu  l'approuves.  Quelle  autre 
chose  pense  ta  majesté? » 929. 

* Ce  que  tu  dis,  fils  de  Prithà,  est  aussi  ce  que  je  pense, 


132 


LE  MAHA-BHARATA. 


répondit  Youddhishthira.  .Allons  donc  à ce  grand  lac 
Dwaitavana,  renommé  pour  ses  eaux  pures.  » 930. 

Ensuite,  tous  les  vertueux  fils  de  Pindou  s'achemi- 
nèrent, accompagnés  de  brahmes  nombreux,  vers  le  saint 
lac  Dwaitavana.  931. 

Il  y avait  des  brahmes,  qui  portaient  le  feu  sacré  ; d’au- 
tres, qui  étaient  sans  feu;  les  uns  s’adonnaient  à la  lec- 
ture des  Védas,  ceux-ci  étaient  mendiants,  ceux-là  habi- 
tants des  forêts.  932. 

Des  brahmes  en  grand  nombre,  par  centaines,  environ- 
nèrent Youddhishthira  : ils  étaient  parfaits  dans  leur  pé- 
nitence, magnanimes,  inébranlables  dans  leurs  vœux.  933. 

Arrivés  là  avec  cette  foule  de  brahmes,  les  Pàndouides, 
éminents  rejetons  de  Bharata,  habitèrent  le  charmant  et 
saint  Dwaitavana.  93â. 

L’auguste  monarque  vit  dans  la  saison  pluvieuse  cette 
grande  forêt,  ombragée  de  palmiers,  de  xanthocymes,  de 
manguiers,  de  bassias  aux  larges  feuilles,  de  ntpas,  d'ar- 
jounas  et  de  kaniyars,  tous  chargés  de  fleurs.  935. 

Disséminant  leurs  mélodieux  ramages,  des  troupes  de 
paons  aux  longues  queues,  de  tchakoras,  de  gallinules  et 
de  kokilas  se  tenaient  dans  ce  bois  sur  la  cime  de  ses 
arbres  sourcilleux.  930. 

L’auguste  monarque  vit  dans  ce  bois  de  grands  trou- 
peaux de  grands  éléphants,  entourés  par  des  troupes  d’é- 
léphantes,  chefs  de  troupeaux  sauvages,  hauts  comme 
des  montagnes  et  dans  l’ivresse  du  rut.  937. 

S’étant  approché  de  la  ravissante  Bhogavati,  il  vit  dans 
ce  bois  plusieurs  troupes  de  Siddhavashis,  vertueux,  aux 
âmes  pures,  qui  demeuraient  là,  portant  les  cheveux  eu 
djalà  et  l’habit  d’écorce.  938. 


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VANA-PAEVA. 


133 


Il  descendit  de  son  char,  et  ce  roi,  le  meilleur  de  ceux, 
qui  soutiennent  le  devoir,  entra  dans  cette  forêt,  accom- 
pagné de  ses  frères,  escorté  de  ses  gens,  comme  Indra  à 
la  force  sans  mesure  entre  dans  le  Trivishtapa.  939. 

Les  Siddhas  et  les  Tchâranas,  qui  avaient  le  désir  de  voir 
ce  prince  fidèle  au  devoir  de  la  vérité,  s'approchèrent  tous 
de  lui,  et  les  habitants  du  bois  se  mirent  à ses  côtés,  en- 
vironnant ce  lion  intelligent  des  rois.  940. 

11  s’inclina  devant  tous  les  Siddhas  et  honoré  de  leurs 
hommages  comme  un  roi  ou  comme  un  Dieu,  le  plus  ver- 
tueux des  hommes  vertueux  entra,  accompagné  de  tous 
les  principaux  brahmes,  et  tenant  les  paumes  de  ses  deux 
mains  jointes  à ses  tempes.  941. 

Ce  roi  magnanime,  au  saint  caractère,  s’approcha  d’eux 
comme  un  père,  et,  recevant,  en  échange  des  siens,  les 
hommages  de  ces  pénitents,  adonnés  au  devoir,  il  vint 
s’asseoir  au  pied  d’un  grand  arbre,  couvert  de  fleurs.  942. 

Bhima,  Krishnà,  Dhanaudjaya,  les  deux  jumeaux  et 
les  suivants  du  roi  donnèrent  la  liberté  à leurs  chevaux,  et 
tous  ces  chefs  des  Bharatides  restèrent  là  sans  contrainte. 

Telle  qu’une  grande  montagne  brille  par  un  troupeau 
d'éléphants,  ainsi  les  cinq  magnanimes  archers,  fils  de 
Pàndou,  rassemblés  en  ce  lieu,  faisaient  alors  briller  cette 
habitation  aux  grands  arbres,  qui  tenait  inclinées  ses  lianes 
étendues.  943 — 944. 

Arrivés  dans  cette  forêt,  les  fils  du  roi  des  hommes, 
parvenus  avec  peine  dans  ce  bois,  y demeurèrent  paisible- 
ment et  passèrent  le  temps,  semblables  à Indra,  dans  ces 
heureuses  forêts,  composées  des  shorées  de  la  Saraswatl. 

Le  monarque,  chef  des  kourouides,  à la  haute  dignité, 
rassasia  dans  ce  bois  tous  les  principaux  brahmes,  ïatis 


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184  LE  MAHA-BHARATA. 

et  anachorètes,  des  fruits  les  plus  exquis  et  des  plus  suc- 
culentes racines.  945 — 946. 

Là,  comme  le  père  de  ces  rois  Pàndouides,  établis  dans 
cette  grande  forêt,  Dhaàumya,  l'archi-brahme  domes- 
tique, à la  vaste  splendeur,  célébra  les  sacrifices,  les  obla- 
tions aux  Mânes  et  les  autres  cérémonies.  947. 

Or,  le  rishi  Markandéya,  à la  vive  et  brûlante  lumière, 
l’hôte  des  Pourânas,  vint  à cet  hermitage,  où  habitaient 
les  heureux  fils  de  Pàndou,  depuis  qu’ils  avaient  quitté  le 
royaume.  948, 

Le  puissant  Youddhishthira,  le  chef  des  Kourouides,  au 
grand  cœur,  à l'àme  incomparable,  honora  l’arrivée  chez 
lui  de  l’illustre  anachorète,  flamboyant  tel  qu’un  feu  al- 
lumé, en  honneur  chez  les  hommes,  les  risliis  et  les 
Dieux.  949. 

Quand  le  magnanime  solitaire,  à la  splendeur  sans  me- 
sure, vitla  noire  Draàupadt,  Youddhishthira,  Khltua  et  Ar- 
jouna,  il  se  mit  à rire  au  milieu  des  pénitents,  lui,  qui  sa- 
vait tout,  lui,  à qui  sa  pensée  offrait  le  souvenir  de  llâma. 

Dharmaràdja  lui  dit  avec  un  air  incertain  : « Tous  ces 
ascètes  sont  pleins  de  gravité.  Pourquoi  ta  sainteté  rit-elle 
ainsi  en  me  regardant,  à la  vue  des  pénitents,  comme  si 
elle  était  joyeuse  ? » 950 — 951. 

Markandéya  lui  répondit  : 

« Mon  enfant,  je  ne  suis  pas  joyeux  et  je  ne  ris  pas. 
L’impertinence,  fille  de  la  joie,  ne  s’est  pas  glissée  dans 
mon  cœur  ; mais,  il  n’y  a qu’un  instant,  à la  vue  de  ton 
infortune,  je  me  suis  souvenu  de  Râma  le  Daçarathide, 
fidèle  à sa  parole.  952. 

» Ce  fut  un  roi,  qui  habita  dans  les  bois  avec  Laksh- 
mana,  pour  obéir  à l’ordre  de  son  père.  Je  l’ai  vu  jadis, 


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VANA-PARVA. 


136 


marchant  avec  un  arc,  fils  de  Prithâ,  sur  un  plateau  du 
mont  Rishyamoukha.  953. 

» Semblable  au  Dieu,  qui  regarde  avec  mille  yeux,  le 
conducteur  de  la  mort  et  le  meurtrier  de  Namoutchi,  ce 
magnanime  Daçarathide  sans  péché  se  fit  un  devoir  de 
mettre  son  habitation  dans  les  bois,  pour  suivre  l'ordre, 
que  lui  avait  donné  son  père.  95i. 

» Ce  prince  aux  longs  bras,  à la  haute  dignité,  de  qui 
la  puissance  égalait  celle  de  Çakra  et  qui  était  invincible 
dans  les  combats,  renonça  aux  jouissances  de  la  vie,  et 
s’achemina  vers  les  forêts.  Ne  fut-il  pas  maître  de  sa  force 
et  commit-il  ainsi  l’injustice?  956. 

» Les  rois  Nâbhàga,  Bhaglrata  et  les  autres,  ayant 
vaincu  cette  terre  jusqu’aux  mers,  ses  limites,  ont  conquis 
les  mondes  par  la  vérité  : ne  furent-ils  pas  maîtres  de  la 
force  et  commirent-ils  ainsi  l’injustice?  956. 

» Alarka,  dit-on,  le  roi  de  Kâçi  et  des  Karoûshains, 
dévoué  à la  vérité,  abandonna,  chef  des  hommes,  ses 
royaumes  et  ses  richesses.  Ne  fut-il  pas  maître  de  sa  force 
et  commit-il  ainsi  l’injustice?  957. 

» Le  Créateur  a disposé  ainsi  de  Vidhirya , suivant 
les  Pourânas  : les  sept  vertueux  rishis  lui  rendent  hom- 
mage et  resplendissent  dans  les  cieux.  Ne  fut-il  pas  maître 
de  la  force,  roi  des  hommes,  et  commit-il  ainsi  l'injus- 
tice? 958. 

» Vois  ces  éléphants  à la  grande  force,  aux  longues  dé- 
fenses, qui  égalent  par  la  taille  les  cimes  de  montagnes  ; 
ils  se  tiennent  soumis  à l’ordre  du  créateur  : ne  sont-ils 
pas  maîtres  de  leur  force,  sire,  et  commettent-ils  ainsi 
l’injustice?  959. 

» Vois  tous  les  êtres  ! Us  se  tiennent  exactement  dans 


136 


LE  MAHA-BHABATA. 


les  prescriptions  du  créateur  et  font  sans  dévier  les  œuvres 
propres  à leur  nature  : ne  sont-ils  pas  maîtres  de  leur 
force,  roi  des  hommes,  et  commettent-ils  ainsi  l'injustice? 

» Ta  renommée  et  ta  splendeur  enflammée  comme  celle 
du  soleil  lumineux  ont  surpassé  tous  les  êtres,  (ils  de 
Prithà,  autant  par  une  conduite  propre  et  la  pudeur  que 
par  le  devoir  et  la  vérité.  960 — 961. 

» Quand  tu  auras  accompli  avec  peine,  suivant  ta  pro- 
messe, cette  habitation  dans  les  bois,  prince  à la  haute  di- 
gnité, tu  devras  aux  enfants  de  Kourou,  grâce  à ton  éner- 
gie, une  gloire  éclatante.  » 962. 

Après  que  le  grand  saint  eut  prononcé  au  milieu  des 
pénitents  ces  paroles,  il  prit  congé  de  Dhaâumya,  accom- 
pagné de  ses  amis,  fit  ses  adieux  à tous  les  (ils  de  Pâudou 
et  s’en  alla  dans  la  région  septentrionale.  963. 

Tandis  que  les  magnanimes  Pândouides  habitaient  à 
Dwaitavana,  ces  grands  bois  devinrent  tous  remplis  de 
brahmes.  964. 

Le  lac  du  Dwaitavana  était  pur,  et  la  récitation  conti- 
nuelle des  Védas,  faite  à l’envi  les  uns  des  autres,  le  ren- 
dait tout  semblable  au  monde  de  Brahma.  963. 

Ce  n’était  partout  qu’un  bruit  ravissant  d’Yadjour,  de 
Rig  et  de  Sâma,  dits  et  récités.  966. 

Le  bruit  de  la  corde  â l’arc  des  sages  Pândouides,  mêlé 
au  bruit  de  la  récitation  des  Védas,  ajoutait  une  nouvelle 
splendeur  à la  caste  des  kshatryas,  la  création  de  Brahma. 

11  arriva  alors  que  Vaka,  tils  de  Dalmi,  dit  ces  mots  à 
Youddhishthira-Dharmaràdja,  fils  de  Kountî,  un  soir, 
qu'il  était  assis  au  milieu  des  rishis,  qui  l’environnaient  : 

967—968. 

s Voici,  fils  de  Prithà,  le  plus  vertueux  des  enfants  de 


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VANA-PARVA. 


157 


Rourou,  l'heure  où  les  brahmes  pénitents oiïrent  le  beurre 
clarifié  et  renouvellent  la  flamme  du  feu  sacré.  Défendus 
par  toi  dans  le  saint  Dwaitavana,  les  Bhrigouides,  les  An- 
girasides,  les  Vaçishthides, les  vertueux  Agastyadeset  les 
Atrides  aux  vœux  sublimes , les  plus  illustres  bralimes  du 
monde  entier,  réunis  avec  toi,  pratiquent  le  devoir  et  per- 
sévèrent dans  leurs  vœux.  969 — 970 — 971. 

, » Écoute  donc  avec  tes  frères  ces  paroles , fils  de 

Rountl,  que  ma  bouche  va  te  dire.  972. 

» Le  brahrne  fut  créé  avec  le  kshatrya,  et  le  kshatrya 
avec  le  brahme.  Ils  brûlent  les  ennemis  dans  leur  colère, 
comme  le  feu  et  le  vent  consument  les  forêts.  973, 

» Un  prince,  qui  désire  ce  monde  et  qui  aspire  à le 
soumettre,  n'aime  pas  être  long-temps  sans  brahme  : une 
fois  qu’il  a obtenu  un  brahme,  dégagé  d’ignorance,  à qui 
furent  enseignés  les  axiêmes  du  devoir,  il  disperse  bientôt 
ses  ennemis.  97â. 

» Occupé  du  devoir,  qui  a pour  objet  l’émancipation 
finale  et  qu'impose  la  conservation  des  créatures,  il  n’ar- 
rive point  au  sacrifice  d’une  autre  manière  que  par  le 
brahme.  975. 

» L’Asoura  Virotchanide  acquit  une  éminente  prospé- 
rité au  gré  de  ses  désirs;  elle  était  même  impérissable  : 
il  posséda  toute  la  terre,  grâce  à sa  parenté  avec  les 
brahmes  ; ensuite,  pour  châtiment  de  sa  mauvaise  con- 
duite envers  eux,  il  périt.  976. 

« Cette  terre  avec  toutes  ses  splendeurs  n'appartient 
pas  long-temps  à la  seconde  caste,  si  elle  n’a  pas  de 
brahme;  mais  le  cercle  des  mers  s’incline  devant  l’homme, 
que  dirige  un  brahme  avec  les  règles  de  la  science.  977. 

» Est-il  dépourvu  de  brahmes , la  force  du  kshatrya 


138 


LE  MAHA-BHARATA. 


languit;  telle,  dans  un  combat  d'éléphants,  une  fois  pris 
l'éléphant  conducteur.  978. 

» L'œil  incomparable  du  brahtne  et  la  force  nompareille 
du  kshatrya  : le  monde  prospère , quand  ces  deux  choses 
marchent  réunies.  979. 

» Le  kshatrya,  secondé  par  le  brahme,  consume  l’en- 
nemi, comme  un  vaste  feu,  aidé  par  le  vent,  brûle  une 
forêt.  980. 

» Que  le  prince  intelligent  poursuive  chez  les  brahmes 
la  recherche  de  la  pensée  pour  le  gain  de  celui,  qui  n’a 
pas,  et  l'accroissement  de  celui,  qui  possède.  981. 

» Accueille  sous  ton  hospitalité,  pour  le  gain  de  l’homme, 
qui  n’a  pas,  l'accroissement  de  celui,  qui  possède,  et  la 
célébration  des  sacrilices,  suivant  leur  mérite,  un  brahme 
illustre,  docte,  qui  a beaucoup  écouté  et  qui  sait  les  Vé- 
das.  982. 

» Observe  toujours  avec  les  brahmes,  Youddhishthira, 
une  conduite  des  plus  nobles  ; c'est  par  là  qu'une  brillante 
renommée  resplendit  au  milieu  de  tous  les  mondes.  » 

Après  ce  discours,  tous  les  brahmes  d' honorer  Vaka, 
fils  de  Dalmi,  et,  voyant  louer  de  nouveau  Youddhish- 
thira, ils  en  eurent  l’âme  satisfaite.  983 — OSA. 

Dwaipavana,  Nârada,  le  Djamadagnide,  Prithouçravss, 
ludradyoumna,  Bhàlouki,  Rritatchétas  et  Sahasrapad, 

Kamaçravas,  Moundjaet  Lavanâçva,  le  kaçyapide,  Ha- 
rlta,  Sthoulakarna,  Agnivéçva  et  Çaàunaka,  985 — 986, 

Kritavàk  et  Souvâk,  Vrihadaçva,  Vibhàvasou,  Oûrd- 
dwarétas,  Vrishàmitra,  Souhotra  et  Hotravàhana;  987. 

Ces  brahmes  et  d’autres  en  grand  nombre  honorèrent 
Adjàtuçatrou,  comme  les  rishis  honorent  Pourandara. 

Ensuite,  étant  venus  dans  le  bois  au  temps  du  soir,  les 


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VANA-PARVA. 


ISO 


fils  de  Prithâ  s’assirent,  et,  livrés  au  chagrin  et  A la  dou- 
leur, ils  se  mirent  A raconter  des  histoires.  988 — 989. 

Alors  KrishnA  aimée,  admirable,  instruite,  fidèle  à son 
époux,  tint  ce  langage  à Dharmaràdja  : 990. 

« Assurément,  il  n’existe  eu  nous  rien  de  coupable  à 
l'égard  de  ce  méchaut,  stupide  et  cruel  fils  de  Dhrita- 
ràshtra,  qui  ait  pu  le  forcer  A te  revêtir  d’une  peau  d’anti- 
lope, sire,  et  A t’envoyer  exilé  dans  les  forêts  avec  moi, 
sans  qu'il  n’en  éprouve  du  regret,  malgré  son  ignorance 
et  sa  folie.  991 — 992. 

» 11  a sans  doute  un  cœur  de  fer,  cet  homme  aux 
actions  criminelles,  pour  qu'il  t’ait  adressé,  à toi,  dé- 
voué au  devoir  et  l'ainé  de  la  famille,  ces  paroles  outra- 
geantes. 993. 

» 11  se  réjouit,  cet  homme  vicieux  à l’àme  criminelle, 
avec  la  foule  de  ses  amis,  quand  il  a porté  une  douleur 
telle  A ce  prince  accoutumé  au  plaisir  et  qui  u'a  point  mé- 
rité la  douleur!  99A. 

n Et  l’on  a pas  vu  couler  le  sang  de  ces  quatre  scélérats, 
alors  que  tu  es  sorti,  revêtu  d’une  peau  d'antilope,  fils  de 
Bharata,  pour  habiter  la  forêt!  995. 

» On  n’a  pas  vu  le  sang  de  Douryodhana , sire , de 
karna,  du  pervers  Çakouni  et  du  cruel  Douççâsana , le 
plus  méchant  des  Irères!  990. 

» Et  tous  les  autres  Kourouides , ô le  plus  grand  des 
enfants  de  Kourou,  n’ont  pas  répandu  l’eau  des  yeux,  en- 
veloppés dans  la  douleur  ! 997. 

» J’ai  vu  cette  couche,  qui  jadis  fut  la  tienne , et  je  te 
plains,  seigneur , accoutumé  au  plaisir  et  qui  n’as  point 
mérité  la  douleur.  998. 

» J’ai  vu  au  milieu  du  palais  ce  trône  d'ivoire,  orné  de 


LE  M VHA-BHARATA. 


lâO 

pierreries  et  je  vois  maintenant  ce  siège  d’herbes  Kouças  : 
aussi  suis- je  assiégée  par  le  chagrin  ! 999. 

» Après  que  je  t’ai  vu  , sire  , environné  des  rois  dans 
ton  palais,  quelle  tranquillité  peut  être  à mon  cœur  main- 
tenant, que  je  ne  les  vois  plus  autour  de  toi  ! 1000. 

» Après  que  je  t’ai  vu  frotté  de  sandal  et  brillant  comme 
le  soleil,  je  tombe  en  défaillance  , Bharatide , à la  vue  de 
ces  taches  de  boue,  dont  tu  es  souillé  maintenant!  1001. 

» Toi,  que  j’ai  vu  jadis  revêtu  d’habits  de  soie  éblouis- 
sants, je  te  vois  îi  cette  heure , Indra  des  rois , couvert 
d’une  vile  écorce  ! 1002. 

» Toi,  du  palais  de  qui  étaient  apportés  et  servis  sur 
des  plats  d'or  à des  brahmes,  par  milliers,  des  aliments 
préparés  suivant  toutes  les  saisons;  loi,  qui  distribuais, 
auguste  roi,  une  nourriture  infiniment  exquise  à des 
Yatis  sans  maisons  et  maîtres  de  maisons  ; toi,  dans  le 
palais  de  qui  étaient  hospitalièrement  traités  des  milliers 
d hôtes  avec  tous  les  biens  désirés  ; la  paix  ne  rentre 
pas  dans  mon  cœur,  ne  voyant  plus,  bien  disposées  toutes 
ces  choses,  dont  j'honorais  les  brahmes  au  gré  de  tous 
les  désirs. 

» Tes  frères,  que  de  jeunes  cuisiniers  aux  pendeloques 
étincelantes , grand  roi , nourrissaient  de  mets  exquis, 
supérieurement  apprêtés,  je  les  vois  tous,  indignes  de  la 
peine,  vivre  dans  ce  bois  d’aliments  sauvages,  Indra  des 
hommes,  et  mon  âine  n’arrive  point  à se  calmer  ! Pour- 
quoi, le  temps  en  est  arrivé , la  colère  ne  se  gonfle-t-elle 
pas  en  toi  à la  pensée  de  ce  Bhimaséna,  malheureux  et 
vivant  au  milieu  des  bois?  Pourquoi  ta  colère  ne  se  gonfle- 
t-elle  pas  à la  vue  de  cet  auguste  Bhimaséna,  réduit  à se 
servir  lui-même  , affligé  et  digne  néanmoins  du  plaisir  ? 


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VANA-PARVA. 


IM 

Pourquoi  ta  colère  ne  se  gonfle-t-ellc  pas , en  le  voyant 
aujourd’hui  confiné  dans  un  bois  cet  homme  vénéré, 
accoutumé  à des  chars  divers  et  des  habits  variés?  Ce 
seigneur,  il  peut  tuer  dans  un  combat  tous  les  Kouroüides  ! 

( De  la  stance  1003  à la  stance  1011.) 

» Mais  Vrikaudara  supporte  ces  maux,  il  attend  la  fin 
delà  promesse.  Et  cet  Arjouna, qui,  parsesdeux  bras,  est 
l’égal  d’un  Arjouna  aux  mille  branches!  1012. 

# Lui,  qui,  dans  la  destruction  , que  font  ses  dards, 
ressemble  par  sa  rapidité  à Yama,  le  destructeur  du 
temps!  Sous  la  puissance  de  ses  flèches,  grand  roi,  tous 
les  princes  inclinés  ont  servi  les  brahmes  dans  ton  sacri- 
fice. Pourquoi,  sire,  ne  te  courrouces-tu  pas  en  voyant  ce 
tigre  des  hommes,  honoré  par  les  Démons  et  les  Dieux, 
cet  Arjouna  plongé  dans  la  rêverie  ? Quoi  ! la  vue  de  ce 
fils  de  Prithâ,  qui  est  accoutumé  aux  plaisirs  et  ne  mérite 
pas  la  douleur,  elle  ne  fait  pas  se  gonfler  ta  colère  ! Cette 
idée,  Bharatide,  me  fait  tomber  en  défaillance.  Lui,  qui, 
monté  sur  un  seul  char,  a vaincu,  et  les  serpents,  et  les 
hommes,  et  les  Dieux  ! 1013 — 1014 — 1015 — 1016. 

» Comment  ta  colère  ne  se  gonfle-t-elle  pas , en  le 
voyant  exilé  dans  les  bois  cet  homme  , qui,  environné  de 
serpents,  de  chevaux  et  de  chars  aux  formes  merveilleuses, 
arracha  violemment  aux  rois  toutes  leurs  richesses:  ce 
fléau  des  ennemis,  qui,  d’un  seul  coup,  peut  envoyer  cinq 
cents  flèches!  1017 — 1018. 

» Pourquoi  ta  colère  ne  se  gonfle- t-elle  pas,  en  le 
voyant  relégué  dans  les  bois,  ce  jeune  homme  azuré, 
grand,  couvert  d’un  habit  d’écorce,  lui,  qui  tient  le  plus 
haut  rang  dans  les  combats  ? 1019. 

» Pourquoi,  Youddhishthira,  quand  tu  vois  dans  le  bois 


LE  MAHA-BHARATA. 


142 

Nakoula,  ce  fils  de  Màdrl,  héroïque  et  admirable,  ne  sens- 
tu  pas  se  gonfler  la  colère  ? 1020. 

» Pourquoi  supportes-tu  de  voir  Sahadéva  dans  le 
bois?  Pourquoi  ta  colère  ne  se  gonfle-t-elle  pas,  en  voyant 
Nakoula  et  Sahadéva,  plongés  dans  la  douleur,  Indra  des 
hommes,  eux,  si  dignes  du  plaisir?  Comment,  sire,  peux- 
tu  supporter  de  me  voir  tombée  dans  les  forêts,  moi,  la 
fille  de  Droupada,  la  bru  du  magnanime  Pàndou,  la  sœur 
de  Dhrishtadyouinna  et  la  fidèle  épouse  d'un  héros? 

1021—1022—1023. 

» Pour  sûr,  il  n’existe  pas  de  colère  en  toi,  û le  plus 
vertueux  des  Bharatides,  puisque  ton  âme  n'est  pas  agitée, 
en  voyant,  et  mon  sort,  et  celui  de  tes  frères.  1024. 

« Il  n'y  a point  de  kshatrya  sans  colère  ! » C’est  un 
mot  cité  dans  le  monde.  Mais  tu  fais  mentir  aujourd'hui 
ce  mot  à mes  yeux,  toi,  kshatrya  ! 1025. 

» Le  kshatrya,  s'il  ne  montre  pas  son  énergie,  quand 
l'heure  en  est  arrivée,  est  sans  cesse  en  but  au  mépris  de 
tous  les  êtres.  1026. 

u Tu  n’as  d'aucune  manière  à montrer  de  la  patience  à 
l’égard  des  ennemis,  car  il  t’est  possible  de  les  immoler 
par  ton  énergie  : il  n’y  a là-dessus  aucun  doute.  1027. 

» Le  kshatrya,  qui,  à l’heure  où  il  faut  pardonner,  ne 
désarme  pas  sa  colère,  est  haï  de  tous  les  êtres  : il  périt 
dans  ce  monde  et  dans  l’autre  vie.  1028. 

» Je  vais  te  raconter  ici  même  un  antique  Itihasa,  la 
conversation  de  Pràhlàda  et  de  Bali,  fils  de  Virotchana. 

» Bali  interrogea  Pràhlàda,  le  père  de  son  père,  le  roi 
des  Asouras,  l’Indra  des  Daltyas,  sur  la  doctrine  de  la 
récompense  des  vertus.  4029 — 1030. 

« La  patience  est-elle  préférable , mon  père  ? lui  dit 


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VANA-PARVA.  143 

Bali;  ou  bien  est-ce  la  rigueur?  Réponds,  exactement, 
mon  père,  à ma  question  sur  ce  doute.  1031. 

» Dis-moi,  0 toi,  qui  sais  le  devoir,  ce  qui  est  pour  le 
mieux.  Qu'il  ne  me  reste  aucun  doute,  et  j’exécuterai 
exactement  tout  ce  que  tu  m’auras  enseigné.  » 1032. 

» Son  ayeul  à la  grande  science,  qui  savait  résoudre 
toutes  les  incertitudes , répondit  de  cette  manière  à son 
petit-fils,  qui  demandait  l'éclaircissement  de  ce  doute  : 

h La  rigueur  n’est  pas  toujours  le  meilleur  parti  à 
suivre  ; ce  qui  est  le  mieux  à faire  n’est  pas  toujours  la 
patience.  Sache-le,  mon  fils  : ces  deux  choses  sont  indu- 
bitables. 1033 — 1034. 

» L’homme,  qui  toujours  pardonne,  tombe  en  beaucoup 
de  fautes  : il  est  méprisé  de  ses  familiers,  de  ses  ennemis 
et  des  neutres.  1035. 

» Tous  les  êtres  ne  se  courbent  jamais  sous  sa  volonté  : 
donc,  la  patience  de  tous  les  instants,  mon  fils,  est  blâmée 
par  les  gens  éclairés.  1030. 

» Ses  domestiques  , une  fois  qu’ils  ont  démêlé  son 
caractère,  se  laissent  aller  à beaucoup  de  fautes , et  des 
hommes  aux  pensées  étroites  désirent  lui  enlever  ses 
richesses.  1037. 

» On  verra  des  préposés  infidèles  lui  dérober  à leur 
gré  sa  voiture,  ses  vêtements,  ses  parures,  les  couches,  les 
sièges,  ses  aliments,  ses  breuvages,  tous  les  ustensiles  de 
sa  cuisine  ; ils  ne  lui  donneront  pas  même  les  choses 
montrées,  qu’ils  devraient  lui  donner,  suivant  les  ordres 
du  maître.  1038 — 1039. 

» Us  ne  lui  rendent  nullement  les  honneurs,  que  l’on 
doit  à un  maître;  et  le  mépris  en  ce  monde  est  pire  que  la 
mort  elle-même.  1040. 


144  LE  MAHA-BHARATA. 

» Les  esclaves,  les  fils,  les  serviteurs  et  même  les  gens 
d'une  condition  neutre  adressent  à l’homme  d'une  telle 
patience,  mon  enfant,  un  langage  désagréable.  1041. 

» Des  insensés  méprisent  ce  mortel  patient  et  portent 
leurs  désirs  sur  ses  épouses  ; et  ses  épouses  elles-mêmes 
deviennent  comme  ceux-ci  les  souhaitent.  1042. 

» S’ils  n'ont  pas  mérité  du  souverain  un  léger  châti- 
ment, ces  hommes,  qui  sont  toujours  contents,  ils  pèchent 
néanmoins,  et  font  des  choses,  qui  nuisent  comme  les  mé- 
chants eux-mêmes.  1043. 

tj  Voilà  avec  un  grand  nombre  d’autres  les  défauts  des 
hommes,  qui  ont  de  la  patience.  Voici  maintenant,  fils  de 
Virolchana,  les  défauts  de  ceux,  qui  n’en  ont  pas.  1044. 

» S'il  est,  à tort  ou  à raison,  toujours  occupé  de  sa  pas- 
sion, l'homme  irascible  inflige  différents  châtiments  par 
sa  rigueur.  1045. 

» Jouet  de  sa  passion,  il  obtient  par  elle  l’inimitié  de 
ses  amis,  il  obtient  par  elle  la  haine  du  monde  et  de  sa 
famille.  1046. 

» L’homme  doit  au  dégoût,  qu'il  inspire,  l'abandon  des 
biens,  le  blâme,  le  mépris,  le  chagrin,  la  haine,  le  délire 
et  des  ennemis.  1047. 

» Celui,  qui  inflige  aux  enfants  de  Manou  diverses  pu- 
nitions, effets  de  sa  colère,  ne  jouit  pas  long-temps  de 
l'empire,  de  la  vie  et  de  sa  famille.  104S. 

» Celui,  qui  accole  à sa  rigueur  des  bourreaux  et  des 
aides,  effraye  le  monde,  comme  un  serpent,  qui  s’est  glissé 
dans  une  maison.  1049. 

» Comment  l’homme,  qui  inspire  de  la  crainte  au  monde, 
pourra-t-il  sauver  sa  vie?  Le  monde  saisit  une  occasion, 
qu’il  découvre,  et  lui  ôte  la  vie  nécessairement!  1050. 


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VANA-PARVA. 


lAà 


» 11  ne  renoncera  pas  toujours  à la  sévérité  jet  il  ne  sera 
pas  toujours  bon  ; mais,  suivant  que  les  circonstances  le 
comportent,  il  est  doux  ou  il  est  sévère.  1051. 

» L'homme,  qui  dans  un  instant  est  doux  et  qui  est  sé- 
vère dans  un  autre  moment,  obtient  le  bonheur  dans  ce 
monde  et  dans  l’autre  vie.  1052. 

» Je  vais  te  dire  avec  étendue  quelles  sont  les  heures 
de  la  patience,  celles,  qu'il  ne  faut  pas  toujours  abandon- 
ner, comme  ont  dit  les  sages.  1053. 

» L’homme,  qui  précédemment  a rendu  un  service, 
est-il  tombé  dans  une  profonde  offense;  il  faut  la  par- 
donner au  coupable,  en  considération  du  bon  office  reçu. 

» 11  faut  pardonner  aux  criminels,  s’ils  n’ont  pu  faire 
usage  de  la  raison;  car,  il  n'est  pas  toujours  facile  à 
l’homme  d’acquérir  la  science.  1054 — 1055. 

» Ceux,  qui,  ayant  fait  une  chose  avec  discernement, 
disent  qu’ils  l’ont  faite  sans  connaissance;  ces  hommes  vi- 
cieux et  pervers  méritent  d’étre  immolés  pour  une  faute, 
quelque  légère  soit-elle.  1056. 

» L'homme,  qui  pour  tout  n'a  qu’un  seul  délit,  est 
digne  qu’on  lui  pardonne;  il  aura  la  vie  sauve;  mais,  s'il 
retombe  dans  une  seconde  faute,  fût-elle  minime,  on  doit 
l’envoyer  à la  mort.  1057. 

n 11  faut,  dit-on,  pardonner  à.  celui,  qui  s'est  rendu 
coupable  à son  insu,  après  une  enquête  exacte  du 
fait.  1058. 

» Le  roi  frappe  avec  douceur  un  criminel  épouvantable; 
il  frappe  avec  douceur  un  criminel  ordinaire;  il  n’est  pas 
d'acte,  qu’on  ne  puisse  faire  avec  douceur.  Le  châtiment 
le  plus  sévère  peut  donc  être  doux,  si  l’on  a bien  considéré 
le  lieu  et  le  temps,  le  fort  et  le  faible  de  soi-même.  Rien  ne 

10 


tu 


LE  MAHA-BHARATA. 


146 

doit  se  faire  hors  du  temps  et  du  lieu  ; il  faut  donc  attendre 
le  lieu  et  le  moment.  1069 — 1060. 

» On  doitenfin  pardonner  même  par  la  crainte  du  monde. 
Tels  et  semblables  à ce  que  j’ai  dit  là,  sont  les  cas  de  la 
patience.  1061. 

» Pour  les  faits,  qui  se  rangent  sous  des  principes  con- 
traires, le  moment  est  appelé  celui  de  la  sévérité.  Quant 
à moi,  je  pense,  monarque  des  hommes,  que  l’heure  de 
la  sévérité  est  arrivée  pour  toi.  1062. 

a Les  cupides  fils  de  Dhritaràshtra  se  conduisent  tou- 
jours en  ennemis;  il  ne  reste  donc  plus  un  moment  pour 
la  patience  à l’égard  des  enfants  de  Kourou.  1063. 

» Ne  veuille  pas  déposer  la  sévérité,  quand  l’heure  de 
la  sévérité  est  venue.  L’homme  doux  est  méprisé;  l’homme 
sévère  épouvante  le  monde.  Celui,  qui  sait  bien  ces  deux 
choses,  est  vraiment  un  souverain,  quand  le  moment  est 
arrivé.  » 1064. 

Youddhishthira  lui  répondit  : 

« La  colère  tue  les  hommes  et  la  colère  les  ressuscite, 
dit-on.  Sache,  femme  à la  grande  science,  que  l’être  et  le 
non-être  ont  leurs  raçines  dans  la  colère.  1065. 

» L’homme,  qui  comprime  sa  colère,  ravissante  femme, 
assure  sa  vie;  mais  l’homme,  qui  ne  contient  pas  tou- 
jours sa  colère,  femme  charmante,  cette  colère,  devient 
la  plus  épouvantable  cause  de  sa  destruction.  1066. 

» On  voit  en  effet  qu’ici-bas  la  ruine  des  créatures  a 
pour  sa  racine  la  colère.  Comment  un  homme  tel  que  moi, 
n’abandonnerait-il  point  la  colère,  qui  est  la  perte  du 
monde?  1067. 

» L’homme  irrité  commettra  le  vice,  l’homme  irrité 
ôte  la  vie  à ceux  mêmes,  qu'il  doit  respecter  ; l’homme 


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VANA-PARVA.  là? 

irrité  jette  le  mépris  de  ses  paroles  mordantes  sur  des 
gens,  qui  valent  mieux  que  lui!  1068. 

» L’homme  irrité  ne  sait  jamais  ce  qu’il  faut  dire  ou 
taire;  il  n’est  rien,  qui  ne  soit  à faire,  il  n’existe  rien,  qui 
ne  soit  à dire  pour  l’homme  irrité.  1060. 

» Il  tuera  dans  sa  colère  ceux,  dont  il  faut  respecter  la 
vie;  il  honorera  des  gens,  qui  ont  mérité  la  mort;  il  se 
jetera  lui-même  de  colère  dans  les  demeures  d’Yamal 

» Aussi  la  colère  est-elle  vaincue  par  les  sages,  qui 
voient  de  telles  fautes  en  elle,  qui  désirent  le  plus  grand 
bonheur  ici-bas  et  la  félicité  suprême  dans  l’autre  vie. 

1070—1071. 

» Comment  un  homme  de  ma  condition  pourrait-il  s'a- 
bandonner à la  colère,  que  les  sages  évitent?  C’est  la  con- 
sidération de  ces  maux,  Draàupadl,  qui  empêche  ma  co- 
lère de  se  gonfler.  1072. 

» 11  sauve  et  lui-même  et  les  autres  d'un  .grand  dan- 
ger, en  ne  répondant  pas  à la  colère  de  l’homme  irrité  : 
c'est  le  traitement,  que  suit  le  médecin  de  ces  deux 
choses.  1073. 

» Le  mortel,  qui,  froid,  sans  puissance,  s’abandonne 
aux  malheurs,  qui  l’enveloppent,  se  livre  de  lui-même  à 
l'influence  des  hommes  plus  forts.  107à. 

» Les  gens,  qui  s'abandonnent  à la  colère,  périssent  en 
dépit  d’eux-mêmes  : c’est  un  faible,  Draàupadl,  de  répri- 
mer, dit-on,  la  colère.  1075. 

# Mais  l'homme  fort,  qni,  instruit  de  ces  choses,  ne 
s’irrite  pas,  quand  il  se  voit  plongé  dans  le  malheur,  et  ne 
donne  pas  la  mort  à l’auteur  de  ses  maux,  jouit  du  bonheur 
de  l'autre  monde.  1076. 

» Fort  ou  faible,  il  faut  donc  toujours,  dit-on,  que 


LE  MAHA-BHARATA. 


148 

l'homme  pardonne  dans  ses  maux,  en  connût-il  même 
l’auteur.  1077. 

» Les  gens  de  bien,  Krishnâ,  louent  ici  la  victoire  obte- 
nue sur  la  colère  : la  victoire  de  l'homme  vertueux,  rem- 
portée par  la  patience,  est  toujours  estimée  des  hommes 
de  bien.  1078. 

» La  vérité  est  préférable  au  mensonge,  la  bonté  vaut 
mieux  que  la  cruauté;  aussi  l’homme  vertueux  évite-t-il 
cette  colère,  qui  est  la  source  de  nombreuses  fautes.  1079. 

» Comment  un  homme  de  ma  sorte  se  démentirait-il 
par  la  mort  de  Souvodhana,  que  les  doctes  aux  longues 
vues  appellent  « illustre!  » 1080. 

» Il  n’y  a pas  de  colère  en  lui,  assure-t-on,  et  les  sages, 
qui  voient  la  vérité,  estiment  « un  illustre  » l’homme,  s’il 
refoule  par  la  science  la  colère,  qui  veut  naître  en  lui- 
même.  1081. 

» L’honune  irrité,  femme  séduisante,  ne  voit  pas  nette- 
ment ce  qui  est  à faire  ; l’homme  irrité  ne  voit  devant  lui, 
ni  un  fait,  ni  une  limite.  1082. 

» L’homme  irrité  tuerait  ceux,  dont  il  doit  respecter  la 
vie  ; il  frapperait  ceux , auxquels  sont  dus  ses  hom- 
mages ; il  faut  donc  mettre  la  colère  bien  loin  dans  la 
fermeté.  1083. 

» La  dextérité,  l’ardeur,  la  légèreté,  l’héroïsme,  sont 
des  qualités  de  la  fermeté;  il  est  impossible  à l’homme 
irrité  de  les  acquérir  promptement.  1084. 

i L’homme,  qui  renonce  à la  colère  obtient  complète- 
ment la  force;  jointe  à la  mort  dans  un  homme  à la  grande 
science,  cette  force  est  difficile  à soutenir  par  les  gens 
irascibles.  108ô. 

» T.es  ignorants  jugent  que  la  colère  est  toujours  de  la 

« 


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VANA-PARVA.  149 

force;  ruais  cette  passion  fut  placée  dans  l’homme  pour  la 
perte  du  monde.  1086. 

» L'homme,  de  qui  la  marche  est  convenable,  aban- 
donne toujours  la  colère  : ne  pas  s’écarter  de  son  devoir 
est  ce  qu’il  y a de  mieux;  la  colère  s’en  écarte  toujours  : 
telle  est  la  décision.  1087. 

» S’il  n’y  a de  transgression  que  dans  les  hommes  sans 
pensée  et  sans  jugement,  comment  pourra-t-elle  être, 
femme  irréprochable,  dans  une  personne  de  ma  sorte? 

» S’il  n’y  avait  pas  entre  les  hommes  des  esprits  pa- 
tients à l’égal  de  la  terre,  la  paix  ne  pourrait  subsister 
parmi  les  hommes;  car  la  guerre  a pour  sa  racine  la  co- 
lère. 1088—1089. 

» On  répondrait  à l’invective  par  l’invective,  on  répon- 
drait par  les  coups  aux  coups  d’un  homme  fort  ; ainsi  ar- 
riverait la  perte  des  créatures  et  le  vice  se  répandrait  sur 
la  terre.  1090. 

» L’homme  maudit  maudirait;  frappé,  il  frapperait  à 
son  tour;  il  nuirait  à quiconque  lui  aurait  nui.  1091. 

» On  verrait  les  pères  tuer  leurs  fils  et  les  fils  tuer  leurs 
pères  ; les  époux  donneraient  la  mort  à leurs  épouses,  et 
les  femmes  à leurs  maris.  1092. 

» Dans  cette  exaspération  du  monde,  la  naissance  n'au- 
rait pas  lieu  ; car,  sache-le,  femme  au  charmant  visage, 
la  paix  est  la  racine  de  la  naissance  des  êtres.  1093. 

» Toutes  les  créatures,  Draâupadl,  périraient  bientôt 
dans  un  tel  état  de  choses.  La  colère  est  donc  pour  la  ruine 
et  le  non-être  des  créatures.  1094. 

» C’est  parce  que  l’on  voit  des  hommes  patients  dans 
le  monde  5 l’égal  de  la  terre,  qu’on  obtient  la  naissance 
et  l’existence  des  êtres.  1095. 


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160 


LE  MAHA-BHVRATA. 


» L’homme  doit  pardonner  dans  toutes  ses  infortunes, 
dame  bien  charmante,  car  la  naissance  des  êtres,  dit-on, 
est  due  à celui  qui  est  patient.  1006. 

» Le  mortel,  qui,  injurié  et  battu  par  un  plus  fort,  sup- 
porte cet  outrage  malgré  sa  colère  et  qui  triomphe  de  son 
courroux  en  tous  les  temps,  celui-là  est  un  sage  et  un 
homme  supérieur.  1007. 

» L’homme,  qui  a de  la  force,  obtient  les  mondes  éter- 
nels ; mais  l’irascible  avec  peu  de  science  périt  et  dans 
ce  monde  et  dans  l'autre.  1098. 

» On  dit  même  à cette  occasion  ces  couplets,  que  chanta 
jadis  en  l'honneur  des  patients,  Krishnâ,  le  magnanime  et 
toujours  patient  Kanada , fils  de  Kaçyapa  : 1099. 

« La  patience  est  le  devoir,  la  patience  est  la  vérité, 
la  patience  est  le  Véda,  la  patience  est  la  tradition  : 
quiconque  sait  bien  cela  saura  tout  pardonner.  1100. 

» La  patience  est  la  science  sacrée,  la  patience  est  la  vé- 
rité, la  patience  est  ce  qui  est  et  ce  qui  sera,  la  patience 
est  la  pénitence,  la  patience  est  la  pureté  : ce  monde  est 
soutenu  parla  patience.  1101. 

» Les  patients  obtiennent  les  mondes,  qui  sont  au-des- 
sus des  hommes,  qui  ont  la  connaissance  des  sacrifices, 
les  mondes,  qui  sont  au-dessus  des  hommes,  qui  ont  la 
science  des  Védas,  les  mondes,  qui  sont  au-dessus  des 
grands  pénitents.  1102, 

* Les  antres  mondes  des  Yadjous,  les  autres  mondes 
des  hommes,  qui  pratiquent  les  œuvres,  les  mondes  infi- 
niment respectés  dans  le  monde  de  Brahma  appartiennent 
à ceux,  qui  ont  de  la  patience.  1108. 

» La  patience  est  la  splendeur  des  resplendissants,  la 
patience  est  la  sainte  écriture  des  ascètes,  la  patience  est 


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VANA-PARVA. 


151 


la  vérité  des  véridiques,  la  patience  est  le  sacrifice,  la  pa- 
tience est  la  placidité.  11  OA. 

» Comment  un  homme  de  ma  condition  pourrait-il, 
Krishna,  rejeter  la  patience,  qui  est  telle  et  dans  laquelle 
résident,  et  les  Védas,  et  la  vérité,  et  les  sacrifices,  et  les 
inondes?  1105. 

» Un  homme,  qui  a cette  connaissance,  doit  toujours  par- 
donner : alors  qu'il  a tout  pardonné,  le  Véda  est  accompli. 

» Aux  patients  appartient  ce  monde,  l’autre  monde  est 
encore  aux  patients  : ici-bas,  ils  désirent  l’honneur,  et, 
dans  l’autre  vie,  la  voie  bienheureuse.  1106 — 1107. 

» Les  mondes  les  plus  élevés  sont  réservés  à ceux,  de 
qui  la  patience  a toujours  surmonté  la  colère  : la  patience 
est  donc  estimée  supérieure.  » 1108. 

« Tels  sont  les  couplets,  que  chanta  jadis  le  Ka- 
çyapide  toujours  à la  louange  des  hommes  patients.  Main- 
tenant que  tu  les  as  entendus,  Draâupadl,  mets  ton  plai- 
sir dans  la  patience  et  ne  conçois  pas  de  colère.  1109. 

» Le  fils  de  Çântanou,  mon  grand-oncle  paternel,  esti- 
mera beaucoup  la  placidité,  et  cette  vertu  sera  en  grande 
estime  devant  Krishna,  le  fils  de  Dévak\  1110. 

» L’ Atchârya  et  Vidoura,  né  de  la  femme  esclave,  dé- 
fendront la  paix  de  l’esprit  ; Kripa  et  San d java  soutien- 
dront aussi  la  paix  de  l’esprit.  1111. 

» Somadatta,  Youyoutsou  et  le  fils  de  Drona,  et  Vyàsa, 
mon  grand-oncle  paternel,  vantent  sans  cesse  la  paix  de 
l’esprit.  1112. 

» Appuyé  de  ces  hommes,  le  roi  Dhrilurâsthtra,  de  qui 
les  aspirations  se  portent  sans  cesse  vers  le  calme  de 
l’âme,  me  rendra,  je  pense,  mon  royaume,  si  mon  esprit 
ne  succombe  pas  h la  cupidité.  1115. 


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152 


LE  MAHA-BHARATA. 


n O temps  épouvantable,  qui  peut  arriver  pour  la  mort 
des  Bharatides,  est  une  pensée,  noble  femme,  qui  est  tou- 
jours posée  devant  mes  yeux.  1114. 

n Souyodhana  ne  mérite  pas  de  patience  ! » Aussi  n’en 
trouve-t-il  pas  ; mais  j'en  suis  (ligne,  moi  ! et  c’est  pour 
cela  que  la  patience  est  ma  fidèle  compagne.  1115. 

» Telle  est  la  conduite  des  hommes,  qui  se  possèdent 
eux-mêmes.  Voilà  l’éternel  devoir  : la  patience  et  la 
bonté!  J’en  serai  toujours  le  prompt  exécuteur.  » 1116. 

« Adoration,  repartit  Draàupadi,  à Ilhàta  et  Vidhàta, 
qui  produisent  tes  illusions.  S’il  te  fallait  suivre  la  con- 
duite de  ton  père  et  de  tes  aveux,  ton  sentiment  serait 
tout  différent.  1117. 

» Le  monde  est  la  pensée  des  œuvres  ; il  varie  à me- 
sure qu’il  marche  : aussi,  les  œuvres  régulières  ont-elles 
pour  objet  d’aller  à l'affranchissement  du  désir.  1118. 

» Jamais  l’homme  ici-bas  n'obtient  le  parfait  bonheur, 
ni  par  la  miséricorde,  ni  par  la  droiture,  ni  parla  patience, 
ni  par  l’humanité  et  le  devoir.  1119. 

» Si  un  tel  malheur  a fondu  sur  toi,  fds  de  Bharata, 
pourquoi  en  juger  dignes  ces  frères  eux-mêmes  à la  grande 
force.  Ils  n’y  étaient  jamais  tombés,  ni  alors,  ni  mainte- 
nant. Il  n’est  rien  de  préférable  au  devoir,  le  comparât-on 
ici  avec  la  vie.  1120 — 1121. 

» C’est  pour  le  devoir  que  tu  as  le  royaume  : c’est  pour 
le  devoir  que  tu  as  la  vie.  Les  brahmes,  les  instituteurs 
spirituels  et  les  Immortels  eux-mêmes  le  savent.  1122. 

n Tu  pourrais  abandonner  Bhluiaséna,  Arjouna,  les  deux 
(ils  de  Màdrl  avec  moi,  c’est  ma  pensée  ; mais  tu  n’aban- 
donneras pas  le  devoir.  1123. 

« Le  devoir  gardé  garde  le  roi,  conservateur  du  devoir, a 


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VANA-PARVA. 


163 


ai -je  ouï  dire  à nos  maîtres,  et  cependant,  à mon  avis,  il 
ne  te  garde  pas.  1124. 

» Ta  pensée,  tigre  des  hommes,  suit  toujours  sans  par- 
tage l'étemel  devoir,  comme  l'ombre  même  suit  le  corps 
de  l’homme.  1125. 

v Tu  n'as  point  méprisé  tes  égaux,  tes  inférieurs,  à plus 
forte  raison,  tes  supérieurs,  et,  devenu  maître  entièrement 
de  la  terre,  ton  orgueil  ne  s’est  pas  augmenté.  1120. 

» Tu  honores  sans  cesse,  fils  de  Prithâ,  les  brahmes, 
les  Mânes  et  les  Dieux  d’hommages,  d'offrandes  et  de  sa- 
crifices. 1127. 

» Les  brahmes  sont  toujours  rassasiés  de  toutes  les 
choses,  qu'ils  désirent;  les  maîtres  de  maison,  ceux,  qui 
aspirent  à l’émancipation  finale  et  les  Yatis  mangent  sur 
des  plats  d’or  en  des  festins , où  je  suis  leur  domes- 
tique; tu  donnes  des  vases  de  fer  aux  hermites  des  forêts. 

1128—1129. 

■i  II  n'existe  rien  dans  ta  maison,  qui  ne  soit  pour  don- 
ner aux  brahmes;  tout  dans  ta  maison  est  destiné  en 
offrandes  aux  Viçvadévas  pour  ta  félicité.  1130. 

» Tout  cela  donné  pour  l'heureux  cours  des  jours  lu- 
naires, tu  vis  avec  le  reste,  sire.  Tu  célèbres  des  sacrifices 
et  des  immolations  d’animaux , suivant  les  occasions  et 
pour  obtenir  un  objet  désiré.  11 31. 

» Dans  cette  forêt  solitaire,  haDtée  des  voleurs,  ont  lieu 
sans  cesse  et  les  pàkayajnas  et  les  actes  des  sacrifices.  1132. 

» Car  ton  devoir  ne  languit  pas  depuis  que  tu  as  laissé 
ton  royaume  pour  habiter  ces  bois  ; et  les  açva-médhas, 
les  râdjasoûyas,  le  poundarlka,  l’immolation  d’une  vache, 
tu  satisfais  à ces  grands  sacrifices,  accompagnés  de  riches 
honoraires.  Ta  pensée,  offusquée  dans  cette  défaite  inégale 


154 


LE  MAHA-BHARATA. 


aux  dés,  a perdu  ton  royaume,  tes  richesses  et  tes  ar- 
mes, tes  frères  et  moi-même.  Comment  juste,  doux,  élo- 
quent, rempli  de  pudeur,  n’ayant  que  des  paroles  de  vé- 
rité, a-t-il  pu  te  nattre  une  pensée,  qu'inspirait  le  vice  du 
jeu  ? Mon  âme  en  est  toute  jetée  dans  le  vertige,  et  mon 
esprit  en  est  troublé.  1133—1134 — 1135 — 1130. 

» Ceux,  qui  ont  ouï  dire  cette  immense  douleur  et  cette 
grande  infortune,  où  tu  fus  plongé,  racontent  à cette  oc- 
casion même  un  antique  itihasa.  1137. 

» Les  mondes  se  tiennent  sous  la  puissance  d’Içvara  et 
ne  dépendent  pas  d’eux-mèmes,  attendu  que  le  plaisir  et 
la  peine,  ce  qui  est  agréable  ou  désagréable  aux  créatures 
est  filé  par  le  Destin  même.  1138. 

» içana  a tout  produit,  avant  que  rien  ue  fut,  de  sa  se- 
mence éjaculée  : telle  une  poupée  de  bois , héros  des 
hommes,  faite  avec  une  grande  attention.  1139. 

» D'un  corps  ont  sorti  les  corps,  sire,  et  ces  créatures, 
comme  dans  l'atmosphère,  tous  les  êtres,  qui  la  rem- 
plissent. 1140. 

# Tout  ce  qu’il  y a de  bon  ou  de’mauvais  sur  la  terre, 
c'est  Içvara,  qui  l’a  disposé.  Ainsi  l'oiseau,  qu'une  ficelle 
attache,  n’est  pas  nécessairement  son  maître.  1141. 

» Qu e P homme  se  tienne  donc  sous  la  puissance  d’Iç- 
vara -,  il  n’est  maître,  ni  des  autres,  ni  de  lui-même  : il 
est  tel  qu’un  taureau,  lié  au  travers  du  nez  et  qu’on  tire 
avec  un  fil  de  perles.  1142. 

» Ainsi  fait,  l’homme,  à qui  fut  donnée  cette  nature, 
suit  la  volonté  du  créateur  : il  ne  marche  pas  un  instant 
de  lui-même,  et  ressemble  à cet  arbre,  tombé  sur  le  rivage 
et  entraîné  au  milieu  du  fleuve.  1143. 

» Cet  homme,  sans  connaissance  et  qui  n'est  pas  son 


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VANA-PARVA. 


156 


maître,  jeté  par  Içvara  au  sein  des  plaisirs  et  des  peines, 
ira  donc  au  paradis  ou  dans  l’enfer.  1144. 

u Tous  les  êtres  se  meuvent  ainsi,  Bharatide,  sous  la 
puissance  du  créateur,  comme  les  pointes  des  herbes  sont 
le  jouet  d’un  vent  orageux.  1145. 

» Les  enchaînant  à des  œuvres,  soit  bonnes,  soit  mau- 
vaises, Içvara  marche  dans  les  êtres,  qu’il  pénètre,  et  on 
ne  le  voit  pas.  1146. 

» Le  corps,  nommé  le  kshétra,  ouvrage  du  créateur,  est 
seulement  la  cause , par  laquelle  ce  maître  nous  pousse 
à telle  action,  dont  l’objet  est  une  récompense  pure  ou 
impure.  1147. 

» Vois  quelle  puissance  d’illusion  sait  produire  Içvara, 
qui  détruit  les  êtres  par  les  êtres,  les  fascinant  par  l’illu- 
sion même.  1148. 

» Tels  que  la  fougue  du  vent,  ils  roulent  d’une  manière 
différente,  qu'ils  ne  sont  vus  par  les  anachorètes,  de  qui 
l’œil  embrasse  la  vérité.  1149. 

» Autres  les  hommes  pensent  telles  et  telles  choses, 
autres  le  créateur  les  fait  et  les  détruit.  1150. 

» De  même  que  l’on  fend  le  bois  avec  le  bois,  la  pierre 
avec  la  pierre,  le  fer  avec  le  fer,  objets  sans  âme  et  sans 
mouvement,  1151, 

• # Ainsi  fait  le  grand  aïeul  des  êtres,  Youddhishthira. 
L’adorable  Dieu  Swayambhou,  se  cachant  sous  le  masque 
d’une  personne  étrangère,  détruit  les  êtres  par  les  êtres. 

» Unissant  et  divisant,  l’auguste  maître,  qui  a produit 
l’opération  du  désir,  se  joue  avec  les  êtres  comme  avec 
des  jouets  d’enfants.  1152 — 1153. 

» Le  créateur  n’agit  pas  en  père  et  en  mère  à l'égard 
de  ses  créatures;  il  les  traite  comme  avec  colère,  et 


156 


LE  MAH A-BHARVTA. 


semble  être  pour  eux  un  autre  qu'il  n’est.  1154. 

» Depuis  que  j’ai  vu  de  nobles  personnes,  remplies  de 
pudeur  et  de  vertus,  arrachées  de  leur  condition,  et  des 
hommes  ignobles,  troublés  en  quelque  façon  de  leurs  pen- 
sées, jouir  du  bonheur  ; 1155. 

» Depuis  que  j'ai  vu  ton  infortune,  fds  de  Prithà,  et 
cette  prospérité  de  Souyodhana,  j'accuse  le  créateur  de 
n’avoir  pas  les  mêmes  yeux  pour  tous.  1150. 

» Si  Brahma  a donné  ta  couronne  au  fds  de  Dhritaràsh- 
tra,  transgresseur  des  nobles  disciplines,  cruel,  cupide, 
et  déserteur  du  devoir,  de  quel  fruit  se  nourrit-il?  1157. 

» Si  l’on  suit  l'action  faite,  on  n’arrive  pas  à un  autre 
agent;  et,  pour  sûr,  Içvara  est  souillé  de  cet  acte  crimi- 
nel. 1158. 

Et,  si  l’on  arrive  à l’homme,  qui  ohfit  à l'impulsion  de 
l’agent,  l’action  faite  n’est  pas  criminelle;  ici,  la  cause  est 
forte  et  je  plains  les  gens  faibles.  » 115$). 

Youddhishthira  lui  répondit  : 

n La  parole,  que  tu  as  dite,  Yajnasént,  est  tendre,  har- 
monieuse, belle;  nous  l'avons  entendue;  mais  tfi  as  parlé 
comme  un  athée.  1100. 

n Je  me  conduis,  fille  de  roi,  sans  considérer  le  fruit 
des  œuvres.  Je  donne  ce  qu'il  faut  donner,  ce  qu’on  doit 
offrir  dans  un  sacrifice.  1101. 

» Qu’il  y ait  une  récompense,  ou  qu'il  n'y  en  ait  pas,  je 
fais  de  toutes  mes  forces,  Krishnà,  ce  que  doit  faire 
l’homme,  qui  demeure  dans  une  maison.  1102. 

» J’accomplis  mon  devoir,  femme  charmante,  non  à 
cause  de  sa  récompense,  sans  négliger  les  Çàstras,  et  les 
yeux  fixés  sur  la  conduite  des  gens  de  bien.  1163. 

» Mon  âme  est  portée  de  sa  nature  à la  justice,  Krishnà  ; 


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VANY-PARVA. 


157 


le  marchand,  à qui  la  justice  manque,  est  le  dernier  des 
hommes,  qui  parlent  de  justice.  11  «A. 

» Qui  veut  traire  la  justice,  obtient  le  fruit  de  la  justice; 
qui  doute  d’elle,  a l’âme  vicieuse  et  fait  acte  d’athéisme. 

» Je  te  le  dis  avec  reproche:  ne  doute  pas  de  la  justice. 
L’homme,  qui  doute  de  la  justice,  suit  la  voie  des  brutes. 

1165—1106. 

» Le  mortel  à l'âme  faible,  qui  mettra  en  doute  le  de- 
voir ou  les  Védas,  s’éloignera  du  monde  impérissable, 
immortel , comme  le  çoûdra  s’éloigne  de  l’audition  du 
Véda.  1167. 

» L’homme,  adonné  au  devoir,  à la  lecture  des  livres 
saints,  et  né  dans  une  noce  intelligente,  doit  s'attacher 
aux  vieux  râdjarshis,  inséparables  du  devoir.  1 168. 

« En  effet,  l'homme  vicieux,  transgresseur  du  devoir,  à 
l'intelligence  étroite,  qui  doute  du  devoir,  n’est  guère  es- 
timé plus  que  les  çoûdras  voleurs.  1169. 

» Tu  as  vu  devant  toi  le  rishi  Markandéva,  aux  grandes 
mortifications,  à l'âme  sans  mesure,  à la  vertu  chargée 
d’années;  1170. 

» Vyàsa,  Vaçishtha,  Maltréya,  Nàrada,  Lomaça,  Çouka 
et  tous  les  autres  rishis  aux  âmes  fidèles  au  devoir.  1171. 

» Tu  les  as  vus  sous  tes  yeux  ces  révérends  doués  d’une 
contemplation  divine , puissants  par  la  faveur  et  la  malé- 
diction, plus  vénérables  même  que  les  Dieux.  1172. 

» Ces  hommes,  semblables  aux  Immortels  et  de  qui  les 
pensées  sont  comme  des  Çâstras  visibles , ont  décrit  au 
commencement,  irréprochable  dame,  le  devoir,  qui  est 
toujours  à remplir.  1173. 

» Ne  veuille  donc  pas , noble  reine , blâmer  et , d’une 
âme  insensée,  mettre  en  doute  le  créateur  et  le  devoir. 


158 


LE  MAHA-BHARATA. 


» L'ignorant  est  dans  la  pensée  que  tous  les  jugements 
sur  les  choses  arrivées  sont  des  folies.  Quiconque  doute 
du  devoir,  ne  trouve  plus  d'autorité  sur  autre  chose. 

» L’ignorant,  qui  tire  l’autorité  de  lui-même , qui  a 
rompu  avec  le  salut,  qui  méprise  le  devoir,  pense  que  les 
choses  liées  au  plaisir  des  sens  sont  les  seuls  témoins  du 
monde  : il  pense  ainsi  et  tombe  dans  l'égarement  sur 
toute  autre  chose.  117â — 1175 — 1176. 

» Celui,  qui  doute  du  devoir,  ne  trouve  pas  d'expiation  ; 
et  vicieux,  malheureux,  plongé  dans  ses  rêveries,  il  n’ob- 
tient pas  les  mondes.  1177. 

» L’insensé,  qui  sort  du  devoir,  qui  mérite  des  repro- 
ches sur  les  choses  des  Traités  moraux  et  des  Védas,  qui 
a franchi  les  homes  de  l’avarice  et  de  l’amour,  est  jeté 
dans  le  Naraka.  1178. 

» Mais  le  croyant,  qui,  son  opinion  bien  arrêtée,  suit 
le  sentier  du  devoir  même , goûte  dans  l’autre  monde  des 
félicités  sans  fin.  1179. 

» L’insensé,  qui  déserte  l’autorité  des  rishis,  n’observe 
pas  le  devoir  et  transgresse  tous  les  Çàstras,  n'obtient  pas 
le  bonheur  dans  ses  naissances.  1180. 

# De  quiconque  les  mœurs  ne  sont  pas  conformes  à 
l’autorité  des  rishis,  ni  ce  monde,  ni  l’autre  ne  lui  appar- 
tiennent, illustre  dame  : telle  est  la  décision.  1181. 

» Ne  doute  donc  pas  , Krishnâ , du  devoir  observé  par 
les  sages  et  tracé  par  ces  antiques  rishis,  qui  voyaient  tout 
et  savaient  tout.  1182. 

» Le  devoir,  Draâupadi,  est  la  barque  même,  et  il  n’en 
existe  pas  d'autre , des  hommes  , qui  naviguent  vers  le 
Swarga  : il  est  comme  le  navire  du  marchand  sur  la  mer, 
qui  aspire  à la  rive  ultérieure.  1183. 


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VANA-PARVA. 


159 


a Si  le  devoir,  observé  par  ceux,  qui  pratiquent  le 
devoir,  ne  porte  aucun  fruit,  la  conséquence,  femme  ver- 
tueuse, c’est  que  ce  monde  est  plongé  dans  une  déshono- 
rante obscurité.  USA. 

» Alors  qui  que  ce  soit  des  hommes  ne  gagnera  plus  de 
richesses,  n’acquerra  plus  de  science,  ne  s’absorbera  plus 
dans  la  divinité  suprême,  et  mènera  la  vie  des  brutes. 

» 11  n’y  a plus  ni  mortifications,  ni  esprit  de  continence, 
ni  sacrifices,  ni  lecture  des  Védas,  ni  aumône,  ni  droiture, 
si  toutes  ces  choses  n’ont  aucun  fruit.  1185 — 1186. 

» Ceux-ci,  ceux-là  et  les  autres  n’observeront  plus  le 
devoir  : il  y aura  une  immense  déception,  si  les  cérémo- 
nies ne  doiventporter  aucun  fruit.  1187. 

» Les  Rakshasas,  les  Gandharvas , les  Asouras , les 
rishis,  les  Dieux  et  même  les  Içvaras , quel  mobile,  s'ils 
n'ont  plus  d'égard  pour  le  devoir,  auront-ils  de  leurs 
actions?  1188. 

» S’ils  remplissent  le  devoir,  Krishnâ,  c’est  qu’ils  ont 
reconnu  sans  doute  un  créateur,  qui  donnera  sa  récom- 
pense à leur  bonne  action  : tel  est  le  bonheur  éternel. 

» La  vertu  n’est  donc  pas  sans  fruit,  le  vice  porte  donc 
également  son  fruit  -,  et  c'est  ainsi  que  l’on  voit  des  fruits 
venus  aux  sciences  et  aux  mortifications.  1189. — 1190. 

» Considère  ta  naissance , comme  je  l’ai  ouï  dire , 
Krishna.  Tu  sais  même  comment  est  né  l’auguste  Dhrish- 
tadyoumna.  1191. 

» Cette  image  est  sullisante  ici.  Le  sage  obtient  le  fruit 
de  ses  œuvres  : il  est  content  même  d'une  petite  récom- 
pense. 1192. 

v Les  ignorants  et  les  insensés  ne  sont  pas  même  satis- 
faits d’une  grande.  11  n’y  a pour  eux  rien,  qui  naisse  du 


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LE  MAHA-BHARATA. 


100 

devoir  : bien  plus,  il  n'existe  pas  de  félicité  après  la 
mort.  1193. 

# Le  lever  des  récompenses  pour  les  actions  mauvaises 
ou  bonnes,  suivant  la  sainte  écriture,  la  naissance  ou  la 
mort,  sont,  noble  dame,  les  secrets  des  Dieux.  1 1 t»A. 

» Quiconque  pense  les  savoir, — et  les  créatures  d’ici— 
bas  sont  à cet  égard  dans  l'erreur,  — n'arrive  point  au 
salut  après  mille  kalpas  mêmes.  1195. 

» 11  faut  garder  ces  secrets  des  Dieux,  car  les  Divinités 
ont  une  science  secrète.  Les  espérances  formées  et  les 
espérances  fondées  sur  des  vœux  sont  des  taches,  qui  sont 
effacées  par  la  pénitence.  110(5. 

» La  vue  des  choses  est  accordée  aux  yeux  des  brahmes, 
de  qui  les  âmes  sont  favorisées  par  des  grâces  particulières  ; 
mais,  parce  qu'on  n’en  voit  pas  la  récompense,  ce  n’est 
pas  une  raison  pour  douter,  et  du  devoir,  et  des  Dieux. 

» 11  faut  sacrifier  de  toutes  ses  forces  ; il  faut  donner, 
sans  médire.  On  reçoit  ici-bas  la  récompense  de  ses  œuvres, 
et  d'ailleurs  c'est  le  devoir  éternel.  1197 — 1198. 

» Le  rishi  kaçyapa  a répété  ces  choses,  que  Brahma 
avait  dites  à ses  fils.  Que  ton  doute , Krishna  , se  dissipe 
donc,  comme  la  gelée  blanche  fond  au  matin.  1199. 

« Tout  a été  fait  après  délibération , » dois-tu  dire. 
Abandonne  ton  sentiment  d’athée.  N’accuse  plus  Içvara,  le 
créateur  des  êtres  ; étudie-le  , incline-toi  devant  lui , et 
rejette  une  telle  pensée.  1200. 

» N’aie  plus  en  aucune  manière  de  mépris  pour  cette 
Divinité  suprême,  grâce  à laquelle,  Krishna,  le  mortel 
dévot  en  lui  parvient  à l’immortalité.  » 1201. 

« Je  ne  méprise  et  je  ne  blâme  aucunement  le  devoir, 
(ils  de  Prithâ,  lui  répondit  Draàupadi.  D’où  viendrait 


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VANA-PARVA. 


161 


même  ce  mépris  de  moi  pour  Içvara,  le  maître  des  créa- 
tures? 1202. 

» C’est  la  douleur,  qui  m’inspire  ces  paroles,  sache-le, 
fils  de  Bharata.  Je  me  lamenterai  encore  plus,  écoute- 
moi  d'un  esprit  bien  disposé.  1203. 

» Assurément,  l'homme,  qui  a la  connaissance,  doit 
faire  des  œuvres,  ô toi,  qui  traînes  les  ennemis.  Les 
sthàvaras  seuls,  et  non  les  autres  gens,  vivent  sans  rien 
faire.  1204. 

u C’est  en  buvant,  suivant  la  règle,  les  mamelles  d'une 
vache;  c'est  en  cultivant  l’ombre,  suivant  la  règle,  que  les 
hommes,  Youddhishthira,  obtiennent  une  condition  par 
l'œuvre.  1205. 

» Entre  les  êtres  mobiles , ce  sont  principalement  les 
hommes,  qui  désirent,  éminent  Bharatide  , acquérir  ici- 
bas  et  dans  l'autre  monde  une  condition  par  l’œuvre.  1 206. 

» Tous  les  êtres  connaissent  leur  industrie,  fils  de 
Bharata,  ils  mangent  le  fruit  de  leurs  œuvres,  qui  est 
placé  devant  eux  et  qui  a le  monde  pour  témoin.  1207. 

» Tous  en  eflet  exécuteut  les  choses  de  leur  génie  : 
Dhata  etVidhata  mêmes  sont  pour  ««a:  comme  cette  ardée, 
que  voici  dans  l’eau.  1208.  • 

» Les  êtres  sans  œuvre  n'ont  pas  une  certaine  conduite 
morale  : ils  se  portent  naturellement  à la  chose  et  ne  la 
refusent  d’aucune  manière.  1200. 

» Fais  ton  action,  n'en  sois  pas  fatigué;  sois,  pour 
aititi  dire , cuirassé  : qui  connaît  bien  son  action  est  et 
n’est  pas  dans  mille.  1210. 

» Que  l’être  destiné  pour  être  mangé  soit  occupé  de 
son  affaire,  de  se  conserver  et  de  croître  ; car  l’Himâlaya 
même  périt,  faute  de  ne  rien  prendre.  1211. 
in 


11 


•162 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Si  toutes  ces  créatures  ne  remplissaient  pas  leur  des- 
tinée, elles  périraient  sur  la  terre  ; et  elles  ne  s'augmen- 
teraient pas,  si  leur  œuvre  ne  devait  pas  avoir  son  fruit. 

» De  plus,  ne  voyons-nous  pas  les  hommes  exécuter 
même  des  actions  stériles  ? Le  monde  en  effet  ne  se  conduit 
jamais  autrement.  1212 — 1213. 

a L’homme  soumis  dans  le  monde  au  Destin , et 
l’homme,  accusé  de  vol  n’ont  de  volonté  ni  l’un  ni  l’autre; 
et  l’on  vante  la  pensée  d’une  action  ! 1214. 

# L’homme  en  effet,  qui  honore  le  Destin,  dort  en  paix 
sans  action  dans  son  lit,  et,  grandement  insensé,  il  s'af- 
faisse comme  une  aiguière  d'argile  crue  dans  l'eau.  1216. 

» Le  fort  aux  cruelles  pensées  de  violence,  qui  fait  des 
actes  d’énergie,  ne  dure  et  ne  vit  pas  long-temps,  comme 
un  faible  sans  protecteur.  1216. 

» Quiconque  recueille  ici  des  richesses  sans  cause,  en 
pense  toujours  que  la  source  en  est  le  vol  ; car  nul  effort 
de  personne  ne  les  a préparées.  1217. 

» Et  même  à toute  chose  bien  déterminée,  où  l’homme 
arrive  par  diverse  fortune,  on  assure  toujours,  fils  de 
Prithâ,  que  c’est  par  le  Destin  ! 1218.. 

» Quel  que  soit  le  fruit,  que  l’homme  obtienne  évidem- 
ment par  son  action  même,  il  est  rapporté  dans  le  monde 
A l’énergie  de  la  fortune.  1219. 

» Celui,  qui,  parti  de  sa  nature,  arrive  sans  cause  à la 
richesse,  sache,  6 le  plus  vertueux  des  hommes,  que  le 
succès  est  regardé  comme  essentiel  à sa  nature  elle- 
même.  1220. 

b Ainsi,  les  œuvres,  que  l’homme  exécute,  sont  le  ré- 
sultat du  vol, du  Destin  et  de  la  nature;  il  obtient  le  fruit 
de  ces  œuvres,  qui  l’ont  précédé.  1221. 


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VANA-PARVA. 


105 


» lçvara,  le  créateur,  dispose  les  choses  pour  tel  ou  tel 
motif  par  son  énergie  propre,  et  départ  ici  la  récompense 
aux  hommes,  qui  doivent  la  mériter  par  des  actions  précé- 
dentes. 1222. 

» Si  l’homme  a fait  une  action  quelconque,  bonne  ou 
mauvaise,  sache  que  le  créateur  en  a disposé  ainsi  afin  de 
préparer  la  naissance  d’un  fruit  par  une  action  précé- 
dente. 1223. 

» La  cause,  qui  est  le  corps  du  créateur,  existe  dans 
l’acte  : on  agit  malgré  soi,  suivant  qu’on  est  excité  par 
lui.  122â. 

» Dans  telle  ou  telle  chose,  c’est  Mahéçvara,  qui  en  est 
l’incitateur  ; c’est  lui,  fils  de  Kountl,  qui  fait  agir  tous  les 
êtres  sans  leur  volonté.  1225. 

» L'homme  arrête  dans  sa  pensée  l’acquisition  des  ri- 
chesses; il  «acquiert  ensuite  les  richesses  par  l’action  ; il 
est  cause  ici,  héros,  par  cela  seul  qu'il  a commencé  d’y 
tourner  sa  pensée.  1226. 

n 11  est  impossible  d’énumérer  les  actions,sire  ; le  bien- 
être  est  la  cause,  qui  porte  le3  hommes  à construire  des 
maisons  et  des  villes.  1227. 

» Comme  l’huile  est  dans  le  sésame,  le  lait  dans  la 
vache  et  le  feu  dans  le  bois , ainsi  la  raison  suffit 
au  sage  pour  connaître  le  moyen  d’assurer  son  bien- 
être.  1228. 

» C’est  de  là  qu’il  procède  ; ensuite,  il  arrive  au  bien- 
être  par  les  œuvres.  Les  êtres  animés  accomplissent  ici  le 
bien-être,  qui  naît  des  œuvres.  1229. 

» Une  chose  est  bien  faite  parce  que  l’ouvrierest  habile; 
mais,  s’il  est  inhabile,  ce  n'est  pas  de  lui,  assurément! 
qu’on  peut  espérer  une  chose  bien  faite.  1230. 


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«64  LE  MAH.4-BHARATA. 

» Il  n’v  aura  pas  de  récompense  des  sacrifices  accom- 
plis; il  n'y  aura  ni  disciple,  ni  maître;  l’homme,  dans 
l’accomplissement  des  choses,  n’en  sera  pas  la  cause,  s’il 
yen  a une.  1231. 

» On  loue  un  homme  pour  le  succès  d’une  action,  comme 
s’il  l'avait  faite  ; on  le  blâme,  s’il  ne  réussit  pas  : et  cepen- 
dant, il  n’en  est  pas  l'auteur.  Comment  peut-on  dire  ici 
que  tout  est  fait  dans  un  seul  homme  par  le  vol,  dans  un 
seul  homme,  par  le  Destin  ? Toute  chose,  qui  naît  du 
travail  de  l'homme,  se  présente  sous  trois  formes  dif- 
férentes. 1232 — 1233. 

» Mais  les  autres,  à qui  le  vol  et  le  Destin  semblent  être 
tout,  ne  pensent  pas  que  l'affaire  soit  ainsi.  1234. 

» On  voit  que  l’origine  de  la  richesse  est  ou  le  vol  ou  le 
Destin.  Une  chose  quelconque  vient  du  Destin,  une  chose 
quelconque  vient  du  vol,  une  chose  quelconque  vient  de 
la  disposition  naturelle.  1235. 

« L'homme  obtient  un  quatrième  fruit,  et  là  il  n'y  a pas 
de  cause  : c’est  ce  que  sont  prêts  à nous  accorder  les  gens 
habiles  et  qui  connaissent  la  vérité.  1236. 

» Et  même,  s’il  n’y  avait  pas  un  Destin,  qui  départit 
aux  créatures  les  dons  des  choses  désirées  ou  non,  il  n'y 
aurait,  assurément  1 aucune  des  créatures,  qui  fût  mal- 
heureuse. 1237. 

» Toute  action,  que  l'homme  exécute  pour  acquérir  des 
richesses,  sera  accompagnée  de  son  fruit,  si  un  fait  précé- 
dent ne  s'y  oppose.  1238. 

» Mais  les  hommes,  s’ils  ne  considèrent  pas  que  la  plé- 
nitude des  bonheurs  et  même  la  plénitude  des  malheurs 
entrent  par  trois  portes,  sont  tout  corps  eux-mêmes. 

h On  doit  accomplir  son  affaire.  » Telle  est  la  décision 


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VANA-PARVA. 


165 

de  Manou;  car,  l’hommé  apathique  périt  dans  l'isolement. 

1239—1240. 

» C'est  ordinairement  ici,  Youddhishthira,  le  caractère 
du  serviteur.  Le  paresseux  n’obtient  nulle  part  la  maturité 
d'un  fruit  solitaire.  1241. 

» La  cause  est  dans  son  inconsistance.  Il  doit  subir  l’ex- 
piation ; mais,  cette  affaire  une  fois  accomplie,  Indra  des 
rois,  il  obtient  l’affranchissement  de  sa  dette.  1242. 

» La  pauvreté  vient  trouver  le  paresseux  dans  son  lit  ; 
mais  l’homme  actif  acquiert  une  récompense  assurée  et 
goûte  le  bonheur.  1243. 

n Les  malheurs,  qui  naissent  de  l’état  de  doute,  on  les 
repousse  en  se  débarassant  du  doute  ; cependant  les 
hommes  sages,  qui  trouvent  leurs  plaisirs  dans  les  œuvres, 
sont-ils  quelque  part  4 l’abri  du  doute  ? 1244. 

» Cette  infortune  existe  maintenant  parmi  nous  dans  l’i- 
solement, où  nous  sommes ; mais  elle  cessera  d’être,  sans 
aucun  doute,  si  tu  es  ferme  dans  ton  action.  1245.  •» 

» 11  y aura  néanmoins  une  imperfection  dans  cet  or- 
gueil de  Vrikaudara,  de  Blbhatsou,  des  jumeaux,  tes  frères, 
et  de  toi-même.  1246. 

» L’œuvre  de  nous  autres  sera  même  accompagnée  de 
son  fruit.  Mais  c’est  .4  distance  qu’on  peut  reconnaître  à 
son  fruit  l’œuvre  faite.  1247. 

» Le  laboureur  fend  ici  la  terre  avec  la  charrue,  ensuite 
il  sème  les  grains,  puis  il  attend,  les  bras  croisés;  les 
nuages  sont  la  cause  de  sa  récolte.  1248. 

» Si  les  pluies  ne  viennent  pas  le  favoriser,  ce  labou- 
reur n’a  rien  à se  reprocher.  <<  J’ai  fait  tout  ce  qu’aurait 
pu  faire  un  autre  homme;  si  mon  action  n’est  pas  accom- 
pagnée du  fruit,  il  n'v  a nulle  part  de  ma  faute.  » Ainsi 


166 


LE  MAHA-BHARATA. 


parle  un  sage,  qui  n’examine  pas  les  choses  pour  s'accu- 
ser lui-même.  1249 — 1250. 

« Malgré  tous  mes  soins,  je  n’obtiens  pas  la  plénitude 
de  la  fortune  ! » 11  n’y  a rien  là,  dont  il  me  faille  rougir, 
fils  de  Bharata  ; car  deux  autres  choses  entrent  dans  la 
cause.  1251. 

» Ou  la  fortune,  ou  l'imperfection,  autrement  dite,  l’i- 
nertie. 11  existe  assurément  des  perfections  pour  les  choses 
dans  l'association  de  plusieurs  natures.  1252. 

» Où  les  qualités  ne  se  trouvent  pas,  le  fruit  est  pauvre 
ou  il  manque  tout  à fait.  Mais,  dans  une  entreprise  non 
commencée,  on  ne  voit  nulle  part,  ni  fruit,  ni  qua- 
lité. 1253. 

» Le  sage  s'attelle  de  pensée,  selon  ses  forces,  selon  ses 
facultés,  au  temps,  au  lieu,  aux  oupàyas  : c’est  la  bonne 
fortune  pour  l’accroissement  de  la  félicité.  1254. 

» L’homme  doit  agir  sans  négligence;  l’énergie  sera 
son  guide;  dans  les  résultats  des  choses,  c’est  l’énergie, 
qui  est  surtout  remarquable.  1255. 

» Lorsque  le  sage  examine,  par  mainte  et  mainte  qua- 
lité, quelle  chose  est  la  meilleure,  il  faut  qu’il  cherche 
à l’obtenir  par  la  conciliation,  qu'il  tourne  l’affaire  de  ce 
cité,  qu'il  désire  ou  du  mal  ou  l’exil,  Youddhishthira,  soit 
au  Sindhou,  soit  à la  montagne,  combien  moins  à l’homme 
vertueux!  Il  obtient,  sans  cesse  attentif  à ne  point  dépasser 
la  limite  dans  la  recherche  de  l’intérieur  d’autrui,  l’af- 
franchissement de  la  dette  pour  lui-même  et  les  autres. 

1256—1257—1258. 

» Mais  il  ne  doit  pas  se  laisser  mépriser  d'aucune  ma- 
nière; car  l'existence  d’un  homme,  le  jouet  du  mépris, 
n’est  point  agréable.  1259. 


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VANA-PARVA. 


107 


» Telle  est,  dans  son  action  d’être,  Bharatide,  la  per- 
tection  du  monde.  Cette  perfection  est  appelée  ici  la  voie, 
qui  est  par  portions  dans  les  conditions  du  temps.  1260. 

» Jadis  mon  père  donna  l’hospitalité  à un  brahme  sa- 
vant, et  c’est  lui,  éminent  Bharatide,  qui  lit  connaître  à 
mon  père  toutes  ces  leçons,  qu’il  avait  reçues  autrefois  de 
Vrihaspati  même.  11  les  communiqua  à mes  frères,  et  je 
les  entendis  alors  par  suite  de  mon  commerce  avec  eux 
dans  notre  palais.  1261 — 1262. 

» Adonnée  aux  œuvres,  amenée  par  le  désir  de  l’en- 
tendre, ce  brahme,  sire,  me  les  dit,  en  me  caressant,  as- 
sise sur  le  sein  de  mon  père.  » 1263. 

A peine  a-t-il  entendu  ces  paroles  d’Yajnaséni,  Bhlrna- 
séna,  poussant  des  soupirs  et  bouillant  d’impatience,  s'ap- 
proche du  monarque  et  lui  dit  avec  colère  : 1 264. 

« Suis  la  voie  accoutumée  des  gens  de  bien,  la  route 
légitime  d’un  roi.  Que  nous  sert  d’habiter  une  forêt  de 
pénitence,  à nous,  qui  sommes  privés  ici  des  choses  du 
juste,  de  l’utile  et  de  l'amour?  1265. 

» Ce  n’est,  ni  par  la  force,  ni  par  la  droiture,  ni  par  le 
devoir  même,  mais  en  recourant  à une  tricherie  aux  dés, 
que  Douryodhana  nous  a enlevé  ce  royaume.  1266. 

» Ce  royaume  nous  fut  ravi  comme  un  morceau  de  chair 
par  celui,  qui  mange  les  restes  des  offrandes,  comme  une 
proie  enlevée  par  un  faible  chacal  à des  lions  vigoureux. 

» Te  couvrant  avec  un  atôrne  de  devoir,  abandonnant 
l’utile,  l’origine  du  juste  et  de  l'amour,  pourquoi  te  laisses- 
tu,  sire,  consumer  dans  les  douleurs?  1267 — 1268. 

» Ce  royaume,  défendu  par  l'arc  Gàndiva,  que  n'aurait 
pu  enlever  Çakra  lui-même  ; il  a été  ravi,  sous  nos  re- 
gards, à ton  inattention  ! 1269. 


1«8 


LE  MAHA-BHAMTA. 


» L’autorité  suprême,  à cause  de  toi,  nous  vivants,  elle 
fut  enlevée  comme  des  vilvas  à des  manchots,  comme  des 
vaches  laitières  à des  boiteux!  1270. 

» Un  si  grand  malheur  plut  ainsi  à ta  majesté!  Et  nous 
sommes  allés  pour  ta  satisfaction,  fils  de  Bharata,  dans  le 
juste  et  l'agréable.  1271. 

» Nous  affligeons  nos  amis,  nous  réjouissons  nos  enne- 
mis, taureau  des  Bharatides,  en  nous  comprimant  nous- 
mêmes  par  les  leçons  de  votre  majesté.  1272. 

» Nous  n’avons  pas  reçu  les  ordres  de  ta  majesté  pour 
tuer  ces  Dhritaràshtrides  eux-mêmes,  et  c’est  un  méfait, 
qui  nous  afflige.  1273. 

» Observe,  sire,  ta  conduite  d’homme  faible,  vraie  con- 
duite de  gazelle,  qui  n’est  pas  suivie  par  les  gens,  qui  se 
tiennent  dans  la  force,  et  dont  ni  Krishna,  ni  Bibhatsou, 
ni  Abhimanyou,  ni  Srindjaya,  ni  les  deux  fils  de  Màdri,  ni 
moi,  ne  nous  réjouissons.  1274 — 1276. 

b Ta  majesté  s'est  identifiée  avec  le  devoir  : « Voilà  le 
devoir!  b dis-tu,  continuellement  tourmenté  par  ton  vœu. 
Et  nous,  hommes  pusillanimes,  sire,  est-ce  que  nous  ne 
sommes  pas  tombés  de  l’humilité  dans  une  vie  d'eu- 
nuques ? L'humilité  est  sans  fruit  : elle  tue  la  fortune  ! Et 
ces  hommes,  qui  n’ont  pas  la  force  de  nous  enlever  la 
couronne,  n'en  font  pas  moins  des  choses  agréables  pour 
eux-mêmes!  127<) — 1277. 

» Ta  majesté  estclairvoyante,  elle  a de  la  force,  elle  voit 
le  courage,  qui  est  en  nous  ; mais,  toute  à la  bonté,  sire, 
elle  ne  s’aperçoit  pas  des  infortunes  à venir.  1278. 

» Ces  fils  de  Dhritarâshtra,  qui  nous  voient  tout  sup- 
porter, nous,  de  qui  la  vigueur  peut  suffire  à tout,  ils  nous 
regardent  comme  des  gens,  qui  manquent  de  force  : c’est 


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VANA-PARVA. 


160 


là  ce  qui  est  un  malheur,  et  non  la  mort  dans  les  com- 
bats! 1279. 

» Si  la  mort  doit  nécessairement  payer  nos  combats , 
sans  hésiter,  sans  tourner  le  dos,  tant  mieux  ! nous  au- 
rons comme  récompense  les  moudes  purs  dans  l'autre 
vie.  1280. 

» Au  contraire,  nous  obtiendrons  toute  la  terre,  émi- 
nent Bharatide,  comme  le  prix  de  leur  mort,  et  ce  sera 
pour  nous  la  plus  belle  couronne  ! 1281. 

» Voilà  ce  que  nous  avons  à faire  de  toutes  nos  forces, 
si  nous  voulons  accomplir  nos  devoirs,  remporter  une 
vaste  renommée  et  résister  à nos  ennemis.  1282. 

» Le  cachet  de  la  guerre  offrant  à tous  les  yeux  que 
nous  combattons  pour  nous-mêmes,  et  que  des  étrangers 
nous  ont  ravi  le  royaume,  il  y aura  éloge  et  non  blâme  ! 

» Mais  quand  le  devoir,  6 toi,  qui  es  le  devoir  de  ta  fa- 
mille, est  pour  la  vexation  des  amis  et  de  soi-même , au- 
quel il  fait  abandonner  entièrement  l’homme,  qui  est  con- 
tinuellement dans  la  vertu,  comme  s’il  était  sans  vertu, 
et,  mon  père,  l’utile  et  le  juste,  de  même  qu’après  cette 
vie  le  plaisir  et  la  peine,  c’est  là  vraiment,  sire,  ce  qui 
est  un  malheur!  1283 — 1284 — 1285. 

» Tel,  qui,  sous  le  joug  de  l’infortune,  pratique  le  de- 
voir pour  le  devoir,  n’est  pas  un  homme  instruit  et  ne 
connaît  pas  le  sens  du  devoir,  comme  l’aveugle  ne  con- 
naît pas  la  lumière  du  soleil.  1286. 

» Quiconque  tourne  l'utile  même  à son  intérêt  seul,  ne 
sait  pas  ce  que  c’est  que  l'utile  : il  faut  envoyer  un  tel 
homme  garder  les  vaches,  ainsi  que  le  serviteur  dans  la 
forêt.  1287. 

» Quiconque  est  travaillé  par  un  désir  excessif  du  bien, 


170 


LE  MAHA-BHARATA. 


sans  considérer  le  juste  et  l’agréable,  est  digne  de  mort 
pour  toutes  les  créatures , comme  le  brahmanicide  mé- 
prisé. 1288. 

» Quiconque  n'a  jamais  nulle  envie  que  l’agréable,  sans 
égard  aux  deux  autres  points,  ses  amis  périssent  et  il  est 
privé  du  juste  et  de  l'utile.  1289. 

» L'homme,  qui  est  privé  du  juste  et  de  l’utile,  trouve 
à la  fin  de  l'amour  une  mort  assurée,  comme  le  poisson, 
qui  s’ébat  à sa  fantaisie  dans  la  perte  des  eaux.  1290. 

o Aussi  les  sages  n’ont-ils  garde  de  négliger  le  juste  et 
l'utile,  car  l’amour  est  de  sa  nature  ce  que  l'arani  (1)  est 
au  feu.  1291. 

» L’utile  a pour  sa  racine  entièrement  le  juste,  et  le 
juste  embrasse  futile  : sache  qu'il  y a dans  celte  mutuelle 
direction  comme  deux  océans  de  nuages.  1 292. 

» L’amour  est  une  pensée  de  l'&me,  le  corps  n’en  est 
pas  vu  : on  fait  naître  son  plaisir,  en  lui  procurant  un 
contact  avec  les  choses,  qui  lui  sont  propres.  1293. 

# L’homme,  qui  désire  la  fortune,  désire  grandement  le 
devoir,  sire,  en  même  temps  qu’il  désire  la  fortune;  mais 
celui,  qui  désire  l’amour,  ne  désire  pas  autre  chose  que 
l’amour.  1294. 

» L’amour  ne  sert  pas  un  autre  amour,  il  est  à lui- 
même  tout  son  fruit  ; mais  le  sage  vient  de  la  jouissance 
du  fruit  môme,  comme  la  cendre  vient  du  bois.  1295. 

» Tel  que  le  marchand  de  viande,  sire,  tue  ces  oiseaux, 
le  meurtre  des  êtres  animés,  c’est  une  forme  de  l'injus- 
tice. 1299. 


(!)  La  pt'tmna  spinosn,  boi*,  duquel  on  lire  le  feu  par  le  frottement  de 
deux  fragmenta  sec*. 


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VANA-PARVA. 


171 


» Celui,  qui,  aveuglé  par  l'amour  et  l’avarice,  ne  voit 
pas  la  nature  du  devoir,  est  un  insensé,  qui  mérite  la  mort 
chez  tous  les  êtres,  et  dans  cette  vie  et  dans  l’autre 
monde.  1297. 

» Évidemment,  sire,  tu  ne  connais  pas  l'utile,  embras- 
sant les  choses,  qui  lui  sont  propres.  Connais-tu  sa  nature 
elle-même  et,  qui  plus  est,  sa  transformation  ? 1298. 

n L’infortune  existe,  pense-t-on,  dans  la  décadence  ou 
l'extinction,  par  la  vieillesse  ou  la  mort;  mais  c’est  là  une 
chose,  attachée  à notre  condition.  1 299. 

» Le  plaisir  naît  des  cinq  organes  sensuels  de  l’esprit  et 
du  cœur,  qui  résident  dans  les  objets  des  sens.  1300. 

» L’amour,  voilà  mon  sentiment!  est  le  plus  grand  fruit 
des  œuvres.  C’est  ainsi  que  j’ai  considéré,  chacun  à part, 
le  juste,  l’utile  et  l'amour.  1301. 

» Quiconque  n’est  pas  entièrement  livré  au  devoir,  ne 
regarde  pas  l’utile  comme  son  premier  objet,  et  n’a  pas 
les  mêmes  sentiments  sur  l’amour,  cultivera  toujours  ces 
trois  choses  à la  fois.  1302. 

n Que  l’homme  cultive  le  devoir  d’abord,  la  richesse 
au  milieu,  et,  en  dernier  lieu,  l’amour  ; qu'il  observe  jour- 
nellement ce  précepte  : c'est  la  règle  établie  dans  ie 
Castra.  1303. 

» Qu’il  cultive  l'amour  d’abord,  la  richesse  au  milieu, 
et,  en  dernier  lieu,  le  devoir;  qu'il  fasse  ainsi  dans  la  jeu- 
nesse : c'est  aussi  la  règle  établie  dans  le  Castra.  1 30 A. 

» Le  sage,  qui  sait  les  temps,  ayant  distribué  à propos 
le  juste,  l’utile  et  l'amour,  comme  il  convient,  ô le  plus 
éloquent  des  êtres,  qui  sont  doués  de  la  parole,  les  culti- 
vera tuccettivemenü  tous  les  trois.  1305. 

» Si  la  délivrance  de  l’â.ne  est  le  principal  objet  de 


172 


LE  MYHA-BHARATA. 


ceux,  qui  désirent  le  bonheur,  ou  s’ils  ont  mis  leur  pensée, 
rejeton  de  Kourou,  sur  l'obtention  et  ses  moyens,  il  faut 
promptement  travailler  à la  délivrance  ou  s'occuper  d’ac- 
quérir les  richesses,  comme  le  malade,  qui  marche  dans 
la  peine,  s’efforce  de  conserver  sa  vie.  1306 — 1307. 

» Tu  connais  le  devoir,  sire,  et  tu  l’observes  toujours  ; 
tes  amis,  qui  reconnaissent  dans  ton  cœur  ce  mobile  de 
tes  actions,  ne  peuvent  s’empêcher  de  te  louer.  1308. 

» L’aumône,  le  sacrifice,  le  respect  des  gens  de  bien, 
la  foi  aux  Védas,  la  droiture  : voilà,  sire,  le  puissant  et 
le  plus  grand  devoir  dans  ce  monde  et  dans  l’autre  vie. 

» Un  homme,  qui  est  privé  de  richesses,  ne  peut  hono- 
rer quelqu’un,  sire,  eût-il  d'ailleurs,  tigre  des  hommes, 
toutes  les  autres  qualités.  1309 — 1310. 

» C'est  la  racine  du  devoir,  majesté,  et  il  n’y  en  a pas 
d'autre  ; elle  excelle  même  par-dessus  le  devoir  : une 
grande  richesse  peut  honorer  le  devoir,  sire.  1311. 

» Ni  l'homme,  qui  erre,  mendiant  sa  vie,  ni  la  faiblesse 
d’âme  ne  peuvent  jamais  apprécier  la  richesse,  qui  est 
toujours  connue  de  l’homme,  dont  la  pensée  est  tournée 
seulement  vers  le  devoir.  1312. 

i)  Cette  sollicitation,  qui  réussit  au  brahme,  t'est,  à la 
vérité,  interdite  : efforce-toi  donc,  ô le  plus  éminent  des 
hommes,  d'atteindre  à la  richesse  par  ton  énergie  seule. 

» Ni  la  mendicité,  ni  la  vie  du  çoûdra  et  du  libertin  n’a 
été  faite  pour  le  kshatrva;  ce  qui  lui  convient  surtout, 
c’est  le  devoir  et  l’exercice  de  sa  force  naturelle. 

1313—1314. 

» Accomplis  ton  devoir,  détruis  tes  ennemis  rassem- 
blés, et  défais,  Prithide,  avec  mon  bras  de  Prithide  l’ar- 
mée du  fils  de  Dhritarâshtra.  1315. 


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VANA-PARVA. 


17$ 


» Les  sages,  qui  savent  le  devoir,  ont  dit  qu'il  était  no- 
ble de  sa  nature  ; veuille  donc  faire  ce  qui  est  noble  et  ne 
pas  rester  dans  ce  qui  est  inférieur.  1316. 

» Réveille-toi,  Indra  des  rois!  tu  connais  les  devoirs 
éternels;  tu  n’ignores  pas  l’œuvre  de  sévérité,  qui  jette 
la  terreur  dans  l'esprit  d’un  homme  ! 1317. 

» Tu  ne  trouves  pas  mauvais  le  fruit,  que  l’on  recueille 
en  protégeant  les  sujets  ; c’est  là,  sire,  le  devoir  éternel  du 
kshatrya,  qui  a été  fait  pour  toi.  1318. 

» Si  tu  t'en  éloignes,  fils  de  Prithâ,  tu  deviendras  la 
risée  du  monde;  car  les  hommes  ne  donnent  pas  d'éloge  à 
un  écart  du  devoir.  1319. 

» Fais-toi  un  cœur  de  kshatrya,  rejette  une  âme  sans 
énergie,  embrasse  le  courage,  fils  de  Rourou,  et  porte  ton 
joug,  comme  un  vigoureux  cheval  de  somme.  1320.  ■ 

» Nul  prince,  en  effet,  quelqu’il  fût,  s’il  n’a  que  là  me 
du  devoir,  n’a  jamais  gagné  la  terre,  sire,  ni  la  dignité,  ni 
même  gardé  sa  couronne.  1321. 

» Après  qu’il  eut  donné  une  langue  à plusieurs  hommes 
vils  aux  âmes  avides,  Douryodhana  obtient  par  la  triche- 
rie un  royaume,  comme  une  flèche  sa  nourriture.  1322. 

» Les  Asouras  avaient  des  frères  aînés  riches  de  toutes 
les  manières  : une  tricherie,  ô le  plus  éminent  des  princes, 
leur  donna  les  Dieux  pour  maîtres.  1323. 

» Ainsi  tout,  mailre  de  la  terre,  disent  les  sages,  appar- 
tient à l'homme  fort.  Arme-toi,  guerrier  aux  longs  bras, 
d'une  rigueur  sans  pitié,  et  détruis  tes  ennemis.  1324. 

u II  n'y  aura  pas  un  guerrier,  l'arc  à la  main,  qui  soit 
l'égal  d’Arjouna  dans  les  combats  ; il  n'y  en  aura  pas  un, 
portant  la  massue,  qui  soit  l'égal  de  moi-même!  1325. 
a L’homme  d'une  graude  vigueur,  sire,  fait  la  guerre 


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171 


LE  MAHA-BHARATA. 


par  son  énergie,  non  par  la  sainte  écriture  ; sois  donc,  fils 
de  Pândou,  un  homme  énergique,  mais  non  par  les  efforts 
de  ta  pénitence.  1326. 

» L’énergie  est  le  principe  de  la  richesse  : ce  qui  est 
différent  n’est  pas  vrai.  Cet  effet  ne  tient  pas  au  principe, 
comme  l’ombre  d’hiver  n’est  pas  attachée  à l’arbre.  1327. 

>,  L’abandon  de  la  richesse  sera  fait  par  qui  a le  désir 
d’une  chose  plus  heureuse.  Que  l’analogie  des  semences 
ne  fasse  pas  naître  ici,  fils  de  Rountt,  un  doute  pour 
toi.  1328. 

» line  chose  n'est  pas  égale  à une  autre  chose.  On  ne 
fera  pas  de  vente  là  où  l’on  n'espèrera  point  de  profit  : ce 
serait  en  effet  gratter  un  âne.  1329. 

» C’est  ainsi  qu'en  abandonnant  ce  petit  devoir  de  sa 
profession , l'homme  sage  obtient  un  grand  avantage  : 
telle  est  la  décision.  1330. 

» Les  savants  emploient  des  amis  à diviser  l’ennemi, 
qui  s’est  concilié  des  amitiés  : ils  ôtent  la  puissance  à un 
jeune  ennemi,  abandonné  par  des  amis,  qui  diffèrent  d'o- 
pinions et  de  sentiments.  1331. 

» L’homme  d’une  grande  vigueur,  sire,  fait  la  guerre 
par  son  énergie;  et  ce  n'est  ni  par  les  efforts  de  sa  péni- 
tence, ni  par  des  oblations,  qu’il  soumet  à lui  toutes  les 
créatures.  1332. 

» 11  est  possible  de  toute  manière  à des  ennemis 
faibles  rassemblés  d'exterminer  un  ennemi  fort,  comme 
des  abeilles  peuvent  détruire  l’homme,  qui  ravit  leurs 
rayons.  1333. 

«Tel  que  le  soleil  nourrit  et  dévore  toutes  les  créatures 
de  ses  rayons  : ainsi  toi,  sire,  sois  égal  au  soleil.  133A. 

» C’est  là,  majesté,  l’antique  devoir,  comme  nous  l’a 


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VANA-PARVA. 


175 


enseigné  la  tradition,  la  défense  de  la  terre,  que  nos  aveux 
ont  faite,  suivant  la  règle.  1335. 

» Ce  n’est  pas,  sire,  par  la  pénitence,  que  le  ksliatrya 
obtient  les  mondes;  c’est  par  un  combat  livré,  ou  par  une 
autre  victoire  ! 1338. 

« Assurément,  la  lumière  va  quitter  le  soleil  et  la 
splendeur  abandonner  la  lune  ! » Ainsi  a décidé  le  monde, 
en  voyant  le  trouble  de  ta  grandeur.  1337. 

» Les  sociétés,  réunies,  sire,  ou  séparées,  engagent 
des  conversations,  qui  roulent  sur  les  louanges  de  ton 
excellence  et  le  blâme  de  ton  ennemi  Douryodhana. 

Les  brahmes,  de  concert  avec  les  enfants  de  Kourou, 
se  plaisent  ici  à raconter  cette  chose  infiniment  supé- 
rieure, l’attachement  de  ta  majesté  pour  la  vérité. 

1338—1331». 

» Ils  disent  que  ni  l’erreur,  ni  l’infortune,  ni  la  cupidité 
ou  même  la  crainte,  ni  l’amour  ou  la  raison  de  l’intérêt  ne 
t’ont  jamais  arraché  un  mensonge;  1340. 

# Que  le  roi  Douryodhana  commet  une  faute  en  possé- 
dant la  terre;  mais  que,  sou  usurpation  faite,  il  repousse 
tout  par  des  sacrifices  aux  riches  honoraires.  1 3 Al . 

» 11  a donné  aux  brahmes  des  vaches  et  des  villages  par 
milliers;  il  se  lave  de  toutes  ses  souillures  comme  la  lune, 
sire,  se  dégage  de  l'obscurité.  1342. 

» C’est  toi,  que  louent  ordinairement,  Youddhishthira, 
fils  de  Kourou,  tous  les  habitants  de  la  ville  et  des  cam- 
pagnes, les  enfants  réunis  aux  vieillards.  1343. 

» En  vérité,  ta  puissance,  ta  femme,  ton  royaume  sont 
dans  les  mains  du  voleur  Doury  odhana  ce  qu’est  du  lait 
dans  une  outre  en  peau  de  chien  ou  le  Véda  aux  mains 
d’unçoûdra!  1344. 


176 


I.E  MAHÀ-BHARATA. 


» Voilà,  rejeton  de  Bharata,  l'image,  qui  circule  dans  le 
monde.  Il  y a plus  : les  femmes  et  les  enfants  mettent  ces 
mots  à la  tête  de  leur  récitation  murmurante  des  Védas  : 

« Hélas,  dompteur  des  ennemis,  nous  sommes  tous 
perdus  maintenant  que  cette  infortune  de  ta  majesté  est 
tombée  avec  nous  dans  une  telle  condition  1 » 1345-1340. 

» Que  ta  majesté  monte  donc  sur  un  char,  muni  de 
toutes  les  armes,  et  quelle  se  hâte  de  sortir,  ayaut  expli- 
qué aux  deux  fois  nés  les  choses  et  fait  prononcer  des  bé- 
nédictions aux  plus  vertueux  des  brahmes  ; qu’elle  coure 
à l'instant  vers  la  ville,  qui  tire  son  nom  des  éléphants, 
environnée  de  ses  frères,  archers  vigoureux,  qui  savent  les 
astras,  héros,  semblables  à des  serpents,  comme  le  meur- 
trier de  Vritra,  qui  marche , escorté  des  Maroules  ! Écrase 
les  ennemis  par  ta  vigueur,  comme  le  meurtrier  de  Vritra 
extermina  les  A sou  ras  ! Enlève,  fils  de  Kounti  à la 
grande  force,  reprends  ta  couronne  au  Dhristaràshtride  ! 

1347—1348—1349. 

» Nul  mortel,  quelqu'il  soit,  ne  pourrait  supporter  l'at- 
teinte de  tes  flèches,  vêtues  avec  les  plumes  du  v autour, 
semblables  k des  serpents  et  lancées  avec  l’arc  Gàn- 
dtva!  1330. 

» 11  n’est  pas  de  chevaux,  ni  d'éléphants,  ni  de  héros, 
qui  pourrait  dans  un  combat,  noble  Bharathide,  résister  à 
la  fougue  de  la  massue,  lancée  dans  ma  colère.  1331. 

» Aidés  par  les  Srindjayas,  les  Kaikéj  ains  et  le  plus  émi- 
nent des  Vrishnides,  comment  ne  reprendrions- nous  pas, 
fils  de  Rounit,  notre  royaume  dans  les  combats?  1332. 

» Comment,  doué  d'une  grande  vigueur  et  déployant 
ici  tes  efforts,  n’arracherais-tu  pas,  sire,  la  terre  tombée 
dans  les  mains  de  ton  ennemi  ! » 1333. 


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VANA-PARVA. 


177 


A ces  mots  de  Bhlmaséna,  le  roi  Adjâtaçatrou,  à la 
grande  dignité,  voué  à la  vérité  et  toujours  suivi  de  la 
constance,  lui  répondit  immédiatement  en  ces  termes  : 
« Cette  vérité  est  indubitable,  rejeton  de  Bharata;  et, 
si  tu  me  blesses,  en  me  frappant  avec  les  flèches  de  tes 
paroles,  je  ne  t’en  blâme  pas;  car  c’est  le  malheur,  qui, 
par  ma  cruelle  fortune,  t'a  mis  en  opposition  avec  moi  ! 

» J'ai  voulu  enlever  loyalement,  avec  les  dés,  la  royauté 
et  le  royaume  au  fils  de  Dhritarâshtra  ; et  le  iils  de  Sou- 
bala,  joueur  sans  foi,  a donc  joué  contre  moi  pour  Souyo- 
dbana.  1354 — 1355 — 1356. 

» Le  montagnard  Çakouni,  très-expert  en  fraudes,  sema 
une  foule  de  dés  au  milieu  de  l’assemblée  et,  par  sa  tri- 
cherie, il  m’a  vaincu,  moi,  qui  jouais  sans  tricherie.  Je 
tombai  donc,  Bhimaséna,  dans  l'infortune.  1357. 

a Quand  je  vis,  séparés  ou  réunis,  ces  dés  de  Çakouni, 
qui  flattaient  mes  désirs,  il  m'était  possible  d’empècher 
alors  ce  qui  n'aurait  pas  été  ; mais  la  passion  fut  plus 
forte  que  la  constance  de  l’homme.  1358. 

u II  est  impossible  de  m’empêcher,  et  cependant  je  suis 
doué,  mon  enfant,  de  vigueur,  de  fierté  et  de  courage;  tes 
paroles,  Bhimaséna,  ne  m’inspirent  aucune  colère;  la 
chose  devait  être  ainsi,  je  pense.  1359. 

» Le  roi,  fils  de  Dhritarâshtra,  a désiré  notre  royaume 
et  nous  a précipités  dans  l'infortune;  il  nous  a poussés 
dans  cet  esclavage,  Bhlmaséna,  où  Draâupadt  implora 
notre  secours.  1360. 

» Tu  sais,  toi-même  et  Dhanandjaya,  que  le  jeu  nous  a 
ramenés  dans  l’assemblée,  et  que  le  fils  de  Dhritarâshtra 
m’a  dit  ces  paroles,  me  défiant  à une  seule  partie  aux  dés, 
en  présence  de  tous  les  Bharatides  : 1361. 

U 


12 


178 


LE  MAHA-BHARATA. 


« Adjàtaçatrou,  fils  de  roi,  si  tu  es  vaincu,  tu  passeras, 
à nui  volonté,  douze  années  dans  un  bois,  et,  caché  sous 
un  travestissement,  tu  erreras  inconnu  une  autre  année 
avec  tous  tes  frères.  1362. 

» Et  si,  informés  de  ce  traité,  les  espions  des  Bhara- 
tides  te  reconnaissent  sous  ton  déguisement,  tu  auras  A 
recommencer  ta  carrière  autant  de  nouvelles  années  ; ac- 
cepte ces  propositions,  fils  de  Kountl,  et  promets  de  les 
observer.  1363. 

» Si,  tout  ce  temps  sur  tes  gardes,  tu  parviens  à déjouer 
les  miens  et  si  tu  échappes  à la  connaissance  de  mes  es- 
pions, je  le  dis  en  vérité  ici,  dans  l'assemblée  des  Kou- 
rouides,  tu  rentreras,  fils  de  Bharata,  dans  ton  royaume 
des  cinq  rivières.  136A. 

» Mais,  si  nous  sommes  vaincus  par  toi,  rejeton  de  Bha- 
rata, nous  habiterons  aussi  long-temps  au  milieu  des  bois, 
privés  de  toutes  nos  jouissances.  » C’est  ainsi  que  jadis 
a parlé  ce  roi  au  milieu  des  Kourouides,  et  je  lui  ai  ré- 
pondu : « Qu'il  en  soit  donc  ainsi  ! » 1365. 

» Alors  commença  le  jeu.  Enfin,  nous  y fumes  vaincus 
et  nous  sommes  tous  partis  pour  l’exil.  C'est  ainsi  que  nous 
parcourons  lesdiflérenles  contrées  et  que,  sous  des  formes 
misérables,  nous  errons  dans  les  pénibles  forêts.  1360. 

» Souyodhana,  qui  ne  désirait  pas  encore  la  paix,  obéit 
à la  puissance  de  la  colère;  il  souleva  tous  les  Kou- 
rouides, dont  quelques-uns  étaient  soumis  à sa  volonté. 

» Qui  donc,  ayant  juré  la  paix  en  présence  des  gens  de 
bien,  voudrait  ici  l'abandonner  pour  un  royaume?  Il  vaut 
mieux  mourir,  je  pense,  que  de  manquer  au  devoir  pour 
gouverner  la  terre.  1367 — 1368. 

» Si,  alors  que  tu  pris  ta  massue  pendant  le  jeu  et  que, 


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VANA-PARVA. 


179 


voulant  brûler  mes  bras,  tu  en  fus  empêché  par  Phâl- 
gouna,  tu  ne  devais  pas  faire  une  action  héroïque,  quelle 
mauvaise  action  aurait  donc  eu  lieu  dans  ce  moment  7 

» Avant  même,  quand  on  fit  les  conditions  du  jeu,  que 
tu  connaissais  bien,  pourquoi  n’as-tu  pas  alors  parlé  de 
courage,  et  viens-tu  ensuite,  saisissant  l'occasion,  m’en 
parler  maintenant  avec  cette  abondance  de  paroles? 

» Ma  peine  est  extrême  ; je  suis  agité,  Bhlmaséna, 
comme  si  j’avais  bu  une  liqueur  empoisonnée.  On  a vu 
Yajnasén!  environnée  de  peines,  as-tu  dit,  et  on  l’a  sup- 
porté! 1369—1370—1371. 

» Mais  aujourd’hui  que  tu  as  fait  ce  qui  était  possible, 
6 le  plus  grand  des  Bharatides,  attends,  comme  le  semeur 
des  grains  attend  la  maturité  des  fruits,  le  moment,  qui 
fut  dit  au  milieu  des  héros  de  Kourou,  oû  doit  se  lever  le 
plaisir.  1372. 

» Quand,  sachant  qu’on  l’a  persécuté  d’abord,  l’homme 
arrache  courageusement  l'inimitié  avec  ses  fleurs  et  ses 
fruits,  il  acquiert  une  grande  vertu  et  vit  héros  dans  le 
monde  des  vivants.  1373. 

» Il  obtient  dans  le  monde  une  félicité  complète,  à mon 
avis;  ses  ennemis  s’inclinent  devant  lui;  et  tel  que  les 
Dieux  sont  soumis  à Indra,  tels  des  amis  viennent  bien- 
tôt lui  offrir  des  hommages.  1374. 

» Écoute  ma  promesse  vraie  : je  préfère  le  devoir  à une 
vie  immortelle.  La  fortune,  la  renommée,  des  fils,  un 
royaume,  tout,  en  un  mol , ne  vaut  pas  une  kalà  (1)  de  la 
vérité  ! » 1375. 


(1)  Un  seizième  du  diamètre  de  la  lune,  ou  une  division  du  temps,  égale 
à hait  secondes. 


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180 


LE  MAHA-BHARATA. 


Bhtma  lni  répondit  : 

« Parce  que  (u  as  fait  alliance  avec  Antaka,  la  mort, 
cet  oiseau  sans  mesure  et  sans  fin,  ce  fleuve,  qui  emporte 
tout,  et  que  tu  es  parent  de  la  mort,  tout  mortel,  que  tu 
sois,  tu  penses  avoir  la  mort  devant  tes  yeux.  Le  devoir, 
qui  rend  une  écume,  auguste  majesté,  c’est  le  devoir,  qui 
porte  du  fruit.  1 370 — 1377. 

n Celui,  de  qui  la  vie  est  diminuée,  ne  fût-ce  que  d’un 
clignement  d'œil  seulement,  la  défendrait,  en  disant  : 
« Pourquoi  ne  tiendrais-je  pas  compte  de  celte  poussière 
de  collyre,  comme  d’une  chose,  qui  peut  éclaircir  la 
vue?  » 1378. 

» Mais  l’homme,  de  qui  la  vie  est  immense  peut-être 
ou  qui  voit  des  choses  dépassant  la  mesure,  attend  la 
mort  comme  une  personne,  qui  voit  tout  manifeste  à ses 
yeux.  1379. 

» Dans  treize  ans,  sire,  Yarna  nous  attend  : ayant  dé- 
pensé la  vie,  il  nous  offrira  à,  la  mort.  1380. 

» Car  la  mort  des  êtres  incorporés  est  continuellement 
fixée  au  corps.  Avant  de  mourir,  jouissons  au  moins  du 
plaisir  de  régner.  1381. 

» L’homme  indistinct,  qui  ne  mérite  pas  d’être  compté, 
inutile  fardeau  de  la  terre,  s’incline  comme  la  lune,  sans 
avoir  surmonté  les  hostilités.  1 382. 

» L’homme  au  petit  effort  de  courage,  qui  ne  triomphe 
pas  de  l’inimitié,  je  regarde  comme  inutile  la  naissance  de 
ce  combattant  mal  né.  1383. 

» 11  n’est  bruit  sur  la  terre  que  de  tes  bras  d'or  : 
triomphe  de  ton  ennemi  dans  la  guerre,  et  jouis  de  la  ri- 
chesse, conquise  par  ton  bras.  1384. 

» L’homme,  qui  a tué,  auguste  dompteur  des  ennemis. 


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VANA-PARVA. 


181 


un  fils  usurpateur  de  la  couronne  paternelle  (1),  entre 
aussitôt  dans  le  Naraka;  il  ressemble  à son  Swarga. 

» Le  chagrin,  que  produit  la  colère,  est  plus  brûlant 
que  le  feu,  et,  consumé  par  lui,  je  ne  dors  ni  la  nuit,  ni  le 
jour.  1385 — 1386. 

» Peut-être  ce  Btbhatsou,  le  fils  de  Prithâ,  qui  excelle 
à tirer  la  corde  de  l’arc,  est-il  assis,  dévoré  d’une  profonde 
douleur,  comme  un  lion  dans  sa  tannière.  1387. 

» Lui,  qui  surpasse  seul  tous  les  archers  du  monde,  il 
refoule,  comme  un  grand  éléphant,  la  colère  née  en  lui- 
même.  1388. 

» Nakoula,  Sahadéva  et  ma  vieille  mère,  qui  a donné 
le  jour  à des  héros,  sont  assis  comme  des  gens  muets, 
apathiques,  désirant  une  situation  plus  heureuse!  1389. 

» Tes  parents  aspirent  tous  au  bonheur  avec  des  vic- 
toires sur  les  ennemis  ; et  désolé,  moi  seul,  je  suis  avec 
ma  mère  transpercé  par  la  douleur.  1390. 

» Ce  que  je  dis  est  sans  doute  agréable  à tous,  car  tous 
sont  tombés  dans  le  malheur,  et  tous  désirent  les  com- 
bats. 1391. 

» On  ne  verra  jamais,  sire,  une  infortune  plus  cruelle 
que  celle-ci  : quoi?  notre  royaume  fut  dévoré  par  des 
hommes  vils  à la  force  petite,  qui  l’ont  partagé  entre  eux  ! 

» Pénétré  d'humanité  et  de  compassion  par  la  faute  de 
ta  nature,  tu  supportes,  roi  victorieux,  des  infortunes, 
auxquelles  nul  autre  ne  donnera  des  éloges.  1392-1393. 

» Offusquée  par  les  chapitres  des  Védas,  ton  intelli- 
gence, sire,  comme  celle  d’un  brahme  ignorant  et  stupide, 


(1)  V ikarttdram , mot,  qui  manque  à tous  les  Dictionnaires,  et  que  je 
traduis  par  vikarttonam,  mais  avec  doute. 


182  LE  MAHA-BHARATA. 

ne  voit  pas  les  choses  dans  leur  vraie  nature.  1394. 

» Miséricordieux,  avec  les  formes  du  brahme,  comment 
te  sera-t-il  possible  de  renaître  parmi  les  kshatryas;  car, 
ordinairement,  c’est  dans  cette  matrice,  que  naissent  ceux, 
qui  ont  des  pensées  terribles.  1395. 

» Tu  as  entendu,  sire,  les  devoirs  des  rois,  tels  que  les 
a dits  Manou,  ces  devoirs  terrifiants,  que  la  sévérité  ac- 
compagne et  qui  sont  disposés  pour  être  l'essence  même 
de  la  guerre.  1396. 

» Pourquoi  supportes-tu,  grand  roi,  les  Dhritarâshtrides 
au  cœur  méchant  ? Et  pourquoi,  s’il  faut  agir,  tigre  des 
hommes,  es-tu  comme  l’impotent,  qui  rampe  autour  de  sa 
chaise?  1397. 

» Et  cependant  tu  es  doué  d’intelligence,  de  courage, 
de  science  et  de  noblesse  ! Toi , qui  désires , fils  de 
Kounti,  que  nous  demeurions  sur  la  terre,  en  y dérobant 
notre  illustration  dans  une  condition  obscure,  c’est  comme 
si  tu  voulais  cacher  le  mont  Himàlaya  avec  une  seule  poi- 
gnée d’herbes  ! 1398  —1399. 

b 11  nous  est  aussi  impossible  de  marcher  inconnus  avec 
toi,  fils  de  Prithâ,  qu’au  soleil  de  cacher  sa  révolution  dans 
le  ciel  ! Tel  qu’un  grand  arbre,  planté  dans  une  terre  hu- 
mide, et  chargé  de  feuilles,  de  fleurs  et  de  rameaux,  com- 
ment Djishnou,  semblable  à un  éléphant  blanc,  marchera- 
t-il  inconnu  ? Et  nos  deux  plus  jeunes  frères,  Nakoula  et 
Sahadéva,  qui  ressemblent  à des  lions,  comment  iront-ils 
ensemble  ignorés?  Comment  marchera-t-elle  inconnue 
cette  illustre  krishnà,  cette  tille  des  rois,  Draàupadl  à la 
renommée  sans  tache,  qui  a donné  le  jour  à des  héros  ? 
Et  moi,  sire,  ne  suis-je  pas  connu  de  tes  sujets  depuis 
l’enfance  ! 1400 — 1401 — 1402 — 1403. 


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VANA-PARVA. 


18S 


» Je  ne  vois  pas  qu'il  soit  plus  facile  de  nous  cacher  dans 
une  position  obscure  que  le  Mérou  ! Et  même,  n’avons- 
nous  pas  chassé  de  leurs  royaumes  une  foule  de  rois  et  des 
fils  de  rois,  tous  dévoués  à Dhritaràshtra  ? et  certes,  on 
ne  peut  éteindre  la  colère  de  ces  hommes,  envoyés  en 
pays  étrangers  ou  abreuvés  de  douleur  ! 1404 — 1405. 

» Animés  par  le  désir  de  ce  qui  lui  est  agréable,  ils 
agiront  contre  nous  inévitablement  : ils  emploieront  à 
nous  découvrir  de  nombreux  espions  bien  cachés  ; ceux- 
ci,  parvenant  «à  nous  reconnaître,  nous  révéleront  et  de-là 
il  doit  naître  un  grand  danger  pour  nous.  1406. 

» Nous  avons  habité  treize  mois  convenablement  au  mi- 
lieu de  la  forêt  : vois  dans  cette  mesure  autant  d'années. 

» Un  mois  est  l'image  d’une  année.  Fais-le  comme  les 
sages  ont  dit  qu’on  peut  tirer  l'asclépiade  acide  de  la 
poùtikà  (i)j  1407—1408. 

» Ou  comme  un  bon  taureau  est  exempté  du  blâme  par 
la  satisfaction,  qu’il  donne,  en  portant  bien  une  charge. 

» Prends  donc  ta  résolution  pour  la  mort  de  l’ennemi  : 
en  effet,  le  devoir  de  tout  kshatrya,  sire,  c’est  le  combat, 
et  non  pas  autre  chose!  » 1409 — 1410. 

Dès  qu’il  eut  entendu  ce  langage  de  Bhimaséna,  l’hé- 
roïque fils  de  Kounti,  l’auguste  Youddhishthira,  poussant 
des  soupirs,  se  mit  à rêver,  1411. 

Et  st  dit  : 

« J’ai  entendu  les  devoirs  des  rois  et  les  institutions  des 
castes  ! Celui,  de  qui  la  vue  embrasse  à la  fois  le  présent 
et  l’avenir,  est  l’homme,  qui  voit  bien.  1412. 

« Moi,  à qui  la  voie  suprême  du  devoir  est  connue, 


(i)  Bosclla  lucida. 


LE  MAHA-BHARATA. 


184 

comment  pourrai-je  broyer  ces  esprits  aveugles,  comme 
je  briserais  le  Mérou  ? » 1413. 

Il  réfléchit  un  moment,  arrêta  ce  qui  était  à faire  et 
adressa  immédiatement  ces  paroles  à Bhimaséna  : 1414. 

« 11  en  est  ainsi  que  tu  l’as  dit,  Bharatide  aux  longs 
bras  : mais  pèse  attentivement  cette  autre  parole  de 
moi.  1415. 

» Des  opérations,  grandement  coupables,  entreprises 
seulement  par  la  violence,  causent  du  trouble,  homme, 
qui  possèdes  le  talent  de  parler,  fils  de  Bharata.  1410. 

« Mais  les  choses  réussissent,  quand  elles  sont  bien  dé- 
libérées, bien  pensées,  bien  conduites,  bien  faites  ; et  la 
fortune,  guerrier  aux  longs  bras,  décrit  autour  d’elles  un 
pradakshina.  1417. 

» Quant  à l’entreprise,  que  par  légèreté  seulement, 
enivré  par  l’orgueil  de  ta  force,  tu  juges  utile  de  prendre 
en  main,  écoute-moi  ici.  1418. 

» Bhoûriçravas , Cala  et  le  vigoureux  Djalasandha, 
Bhlshma,  Drona,  Rama,  et  le  robuste  fils  de  Drona,  1410. 

» Les  Dhritaràshtrides  inaffrontables,  Douryodhana  à 
leur  tête,  sont  tous  consommés  dans  les  armes,  et  la  mort 
suit  continuellement  leurs  pas.  1420. 

» Les  rois  et  les  princes,  que  nous  avons  affligés,  ont 
pris  de  l’affection  pour  les  Kourouides  et  tous  ils  ont  em- 
brassé leur  parti.  1421. 

» Dévoués  au  bien  de  Douryodhana,  mais  non  ainsi  à 
notre  égard,  remplis  de  force  et  les  trésors  pleins,  ils  dé- 
ploieront leurs  efforts  dans  les  combats  avec  leurs  batail- 
lons, leurs  ministres  et  leurs  fils  en  faveur  de  l'armée 
Kourouide.  Ces  héros,  comblés  entièrement  de  biens  et  de 
jouissances,  honorés  surtout  par  Douryodhana,  feront 


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VANA-PARVA. 


185 


pour  lai,  telle  est  mon  opinion  arrêtée,  le  sacrifice  de 
leurs  vies  dans  les  batailles.  1422 — 1423 — 1424. 

» Si  Bhtshma  tient  une  conduite  égale  entre  eux  et 
nous,  s’il  n’en  est  pas  autrement  de  Drona  aux  longs  bras 
et  du  magnanime  Kripa  ; 1425. 

» Leur  corps  du  moins  appartient  à ce  roi,  ils  en  ont 
ainsi  disposé,  tel  est  mon  sentiment:  ils  renonceront  donc 
pour  lui  à cette  vie,  qu’on  abandonne  si  difficilement  ! 

» Tous  connaissent  les  armes  célestes,  tous  sont  adon- 
nés au  devoir  ; ils  sont  invincibles  aux  Dieux  mêmes,  je 
pense,  accompagnés  d’Indra.  142(5 — 1427. 

» Le  héros  Karna  est  impatient,  toujours  en  colère,  in- 
domptable, ayant  la  science  de  toutes  les  armes,  et  revêtu 
d'une  cuirasse  imbrisable.  1428. 

» Si  d'abord  tu  n’as  exterminé  dans  une  bataille  ces 
terribles  guerriers,  il  est  impossible  à toi,  qui  n’as  point 
d'allié,  de  porter  la  mort  à Douryodhana.  1429. 

» Je  ne  puis  goûter  un  moment  de  sommeil,  Vrikau- 
dara,  quand  je  pense  à cette  légèreté  extrême  de  ce  (ils 
de  cocher,  qui  surpasse  tous  ceux  qui  tiennent  un  arc  ! » 

Quand  il  eut  ouï  ces  paroles,  Bhimaséna,  transporté  de 
colère,  épouvanté,  perdit  l'esprit  et  ne  répondit  pas  un 
seul  mot.  1430 — 1431. 

Tandis  que  ces  deux  fils  de  Pàndou  s’entretenaient 
ainsi,  le  fils  de  Satyavatl,  Vyâsa,  le  grand  Yogui,  se  pré- 
senta alors  devant  eux.  1432. 

Il  aborde,  suivant  l’étiquette,  les  Pândouides  et,  honoré 
de  leurs  hommages  en  échange  des  siens,  le  plus  éloquent 
des  êtres  doués  de  la  parole  adresse  à Youddhishthira 
ces  paroles  : 1433. 

« Youddhishthira  aux  longs  bras,  je  sais  ce  qu’il  y a 


180 


LE  MAHA-BHARATA. 


dans  ton  coeur  ; et  cette  connaissance,  roi  des  hommes,  m'a 
fait  venirici, où  j’apporte  les  pnrolesde  Bbtshma,deDrona, 
de  Kripa,  de  Karna,  du  fils  de  Drona,  de  Douryodhana, 
le  (ils  du  roi,  et  de  Douççâsana  lui-même.  1434 — 1435. 

# Je  vais  détruire  par  un  acte,  que  les  Destins  ont 
prévu,  meurtrier  des  ennemis,  cette  crainte,  qui  s'agite 
dans  ton  cœur.  1436. 

» Ce  que  j'ai  à te  dire  entendu,  embrasse  la  fermeté, 
signale  ta  résolution  par  un  acte,  et,  cela  fait,  hâte-toi 
d'étouffer  ton  souci  ! » 1437. 

Alors,  ayant  conduit  Youddhishthira  dans  un  lieu  soli- 
taire, le  Paraçaride,  habile  à manier  la  parole,  de  lui  dire 
ces  choses  convenables  : 1438. 

« Voici  arrivé  pour  toi,  ô le  plus  vertueux  des  Bhara- 
tides,  un  nouveau  temps  de  félicité,  où  Dhanandjaya,  le 
fils  de  Prithâ,  domptera  les  ennemis  dans  une  bataille. 

» Reçois,  comme  si  elle  avait  un  corps,  cette  puissance 
surnaturelle,  que  je  t’annonce.  Je  dis  là  à ton  oreille  atten- 
tive la  science,  qu’on  appelle  la  réminiscence.  1439-1440. 

» Avec  son  aide,  Arjouna  aux  longs  bras  doit  rempor- 
ter la  victoire.  Qu’il  s’en  aille  trouver,  pour  obtenir  d'eux 
un  arc,  Mahéndra  et  Roudra  lui-même.  1441. 

» Il  peut,  en  effet,  voir  Kouvéra,  Dharmarâdja,  Va- 
rouna  et  tous  les  Dieux,  fils  de  Pàndou,  grâce  à sa  péni- 
tence et  son  énergie.  1442. 

» Il  aura  pour  compagnon  le  rishi  à la  grande  splen- 
deur Nàràyana , ce  Dieu  antique,  éternel  : avec  lui, 
Djishnou-Atchyouta  est  invincible.  1443. 

■>  Quand  il  aura  reçu  les  astras  d'Indra  et  de  Roudra, 
les  gardiens  du  monde,  ce  héros  aux  longs  bras  accom- 
plira un  grand  exploit.  1444. 


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VANA-PARVA. 


187 


• Songez,  après  ce  bois,  fils  de  Kountl,  pour  votre  ha- 
bitation, à un  autre  bois,  qui  vous  soit  assorti,  monarque 
de  la  terre.  1445. 

» En  effet,  une  longue  habitation  dans  un  même  lieu 
ne  donnera  pas  de  plaisir;  elle  produira  le  trouble  de  tous 
les  ascètes,  144(1. 

n C’est  d'ailleurs  exigé  par  le  soin  des  gazelles  et  pour 
obvier  à la  destruction  des  plantes  annuelles  et  grim- 
pantes. Ensuite  ne  donnes-tu  pas  la  nourriture  à un  grand 
nombre  de  brahmes,  qui  sont  parvenus  à la  rive  ultérieure 
des  Védas  et  des  Védàngas?  » 1447. 

Quand  l’auguste  révérend  eut  parlé  ainsi  à l’homme  pur 
et  favorable,  l’Yogui,  qui  savait  la  vraie  nature  du  monde, 
le  sage  Vyâsa,  fils  de  Satyavatl,  communiqua  la  science 
suprême  à Youddhishthira,  fit  ses  adieux  au  fils  de  Kountl 
et  disparut  au  même  instant.  1448 — liât). 

L’intelligent  et  vertueux  Youddhishthira  conserva 
dans  son  âme  et  sans  cesse,  à chaque  instant,  il  lisait, 
partout  où  il  allait,  cette  partie  de  la  science  sacrée.  1450. 

Réjoui  par  ce  langage  de  Vyâsa,  il  se  rendit  de  la  forêt 
Dwaltavana  sur  la  rive  de  la  Sarasvall  dans  le  bois  appelé 
Kâmyaka.  1451. 

Des  brahmes  adonnés  à la  pénitence,  habiles  dans  les 
sciences  immortelles,  et  même  des  rishis,  grand  roi,  sui- 
virent cet  Indra  des  rois.  1452. 

Revenus  au  kâmyaka,  les  magnanimes  princes  de  Bha- 
rata y demeurèrent,  accompagnés  de  leurs  ministres  avec 
leurs  domestiques.  1453. 

Ces  intelligents  héros,  adonnés  au  Véda  de  l’arc,  habi- 
tèrent lâ  un  certain  temps,  sire,  écoutant  la  science  su- 
prême. 1454. 


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188 


LE  MAHA-BHARATA. 


Ils  allaient  continuellement  à la  chasse,  visant  les  ga- 
zelles avec  des  flèches  pures,  et  consacraient,  suivant  la 
règle,  des  offrandes  aux  Dieux , aux  Mânes  et  aux 
brahmes.  1 A 5 5 . 

Après  qu’il  se  fut  écoulé  quelque  temps,  Tfoud- 
dhishthira-Dharmarâdja,  s’étant  rappelé  les  instructions 
de  l’anachorète,  tint  ce  langage  dans  un  lieu  solitaire  au 
prince  Arjouna,  qui  possédait  la  science.  11  mit  un  sou- 
rire pour  exorde  à son  discours,  le  toucha  de  sa  main  et, 
quand  il  eut  songé  un  moment  à leur  habitation  dans  les 
bois,  Dharmarâdja,  le  dompteur  des  ennemis,  adressa  en 
particulier  ce  discours  à Dhanandjaya:  1456-1457-1458. 

« Divisée  en  quatre  parties,  la  science  de  l’arc,  enfant 
de  Bharata,  est  célèbre  en  Bhishma,  Drona,  Kripa,  Karna 
et  le  fils  de  Drona.  1459. 

» Ils  connaissent  à fond  l’usage  humain,  divin,  brah- 
miquc  de  tous  les  astras,  le  moyen  de  les  envoyer  et  leurs 
moyens  de  guérison.  1 460. 

« Tous,  ils  sont  flattés,  comblés  de  largesses,  satisfaits 
par  le  fils  de  Dhritarâshtra,  qui  se  comporte  envers  eux 
comme  avec  ses  gourous.  1461. 

» Rien  n’égale  sa  joie  â chaque  instant  et  celle  de  tous 
ses  guerriers.  Ses  âtcbàryas,  contents,  honorés,  goûtent  la 
félicité.  1462. 

» Comblés  d'honneurs  à propos,  ils  ne  lui  feront  pas 
abandonner  sa  tranquillité  d’esprit  : aussi,  toute  cette  terre 
avec  ses  villages  et  ses  villes,  avec  ses  mers  et  ses  masses 
de  forêts,  est-elle  à cette  heure  soumise  à la  volonté  de 
Douryodhana.  Ton  altesse  nous  est  agréable  ; mais  nous 
lui  confions  cette  charge.  1463 — 1464. 

» Quand  je  tourne  mes  yeux  sur  l'affaire,  qui  nout 


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VANA-PVRVA. 


189 


retient  ici,  dompteur  des  ennemis,  je  vois  que  le  moment 
est  venu.  J'ai  reçu,  mon  fils,  comme  une  oupanisbad,  de 
Krishna-Dwaîpâyana.  1465. 

» Sa  lumière  fait  briller  tout  ce  monde  à la  fois.  C'est 
toi,  mon  enfant,  que  ce  brahme  a choisi  avec  une  grande 
attention.  i486. 

» Défends  la  faveur  des  Dieux  suivant  le  temps  : ap- 
plique-toi à cette  œuvre,  éminent  Bharatide,  avec  une 
terrible  pénitence.  1167. 

» Armé  de  l’arc,  revêtu  de  la  cuirasse,  portant  l'épée, 
ne  cédant  la  route  à qui  que  ce  soit,  anachorète  fidèle  à 
ton  saint  vœu,  rends-toi,  mon  fils,  dans  la  région  septen- 
trionale. 1468. 

» Car  tous  les  traits,  Dhanandjaya,  sont  entre  les  mains 
de  Çakra  ; et  les  Dieux  lui  ont  jadis  confié  la  force  dans 
l’épouvante,  que  Vritra  leur  avait  inspirée.  1469. 

» Tu  obtiendras  toutes  ces  armes  rassemblées.  Rends- 
toi  vers  Indra,  et  il  te  donnera  ses  astras.  1470. 

» Vas  à l’instant  même,  consacré,  voir  le  Dieu  Pouran- 
dara.  » — A ces  mots,  l’auguste  Dharmaràdja  lui  donna 
4 lire  la  science  sacrée.  1471. 

Le  frère  ainé  donna  congé  à son  héroïque  frère,  con- 
sacré de  cette  manière,  l’àme,  le  corps  et  la  voix  fermes. 

Alors  désireux  de  voir  Pourandara  sur  les  ordres  de  son 
frère,  armé  de  son  arc  Gâudiva  et  portant  ses  deux  im- 
périssables carquois,  1472 — 1473. 

Muni  de  sa  cotte  de  mailles,  revêtu  de  sa  cuirasse,  la 
manique,  défense  de  ses  doigts,  liée  autour  de  sa  dexlre, 
ayant  sacrifié  au  feu  et  après  qu’il  eut  fait  prononcer  les 
paroles  de  bon  augure  aux  brahmes,  récompensés  à prix 
d'or,  le  guerrier  aux  longs  bras,  poussant  de  brûlants  sou- 


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190 


LE  MAHA-BHARATA. 


pire  et  levant  ses  yeux  au  ciel,  partit,  l’arc  à la  main, 
pour  la  mort  du  Dhritarâshtride.  147 4 — 1475. 

Aussitôt  qu’ils  virent  le  fils  de  Kountî  armé  de  son  arc, 
les  brahraes,  les  Siddhas  et  les  invisibles  Bhoûlas  de 
s'écrier:  1476. 

« Puisses-tu  bientôt  acquérir,  fils  de  Kountt,  tout  ce 
que  désire  ton  cœur!  » Et  les  brahmes  répandent  sur  lui 
des  bénédictions  de  victoire,  en  disant  : 1477. 

« Sois  heureux,  fils  de  Prithâ  ! Que  la  victoire  soit 
assurée  pour  toi  ! » Ensuite,  ayant  recueilli  les  pensées  de 
tous,  Krishnâ  dit  ces  mots  au  héros,  qui  partait,  Arjouna, 
grand  comme  le  tronc  d’un  râla:  « Que  tout  ce  que 
Kountl  souhaita  pour  toi  au  moment  de  ta  naissance,  te 
soit  donné,  fils  de  Kountt  aux  longs  bras,  suivant  tes  dé- 
sirs mêmes  ! Que  nul  autre,  né  dans  notre  famille  de 
kshatryas,  ne  l'obtienne  ! 1478—1479 — 1480. 

» Adoration  soit  aux  brahmes,  de  qui  la  vie  est  toujours 
soutenue  par  l'aumône!  Le  mot,  que  le  méchant  Souyo- 
dhana  dit  en  riant  à ma  vue,  dans  l’assemblée  des  rois  : 
« C’est  une  courtisane!  » me  cause  une  vive  douleur!  Elle 
est  plus  forte,  A mon  sentiment,  que  cette  douleur  même 
des  nombreuses  paroles  inconvenantes,  que  ma  vue  lui 
inspira  au  milieu  de  l’assemblée. 

» Assurément,  tes  frères  amuseront  leur  veillée  de  nar- 
rations sur  toi,  héros,  et  s’occuperont  à raconter  mainte  et 
mainte  fois  tes  prouesses.  Tant  que  tu  vivras  exilé  loin  de 
nos  yeux,  il  n’y  aura  plus  de  pensée  ou  de  contentement 
pour  nous,  fils  de  Prithâ,  ni  dans  la  vie,  ni  dans  les 
richesses,  ni  dans  aucune  jouissance.  En  toi,  sont  dé- 
posés, fils  de  Prithâ,  le  plaisir  et  la  peine  de  nous  tous, 
la  vie  et  la  mort,  le  royaume  et  l’empire.  Je  te  dis  adieu, 


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VANA-PARVA. 


101 


fils  de  Kountt  : obtiens  le  bonheur,  enfant  de  Bharata  ! 
(Depuis  la  stance  1481  jusqu'à  ta  stance  1487.) 

» Ne  laisse  pas  aux  puissants  te  fermer  la  roule,  mor- 
tel sans  péché  ; marche,  héros  à la  grande  vigueur,  sans 
obstacle,  à la  victoire.  1487, 

» Adoration  soit  à Dhatri  et  Vidhatri  ! Va  sans  maladie 
et  sous  d’heureux  auspices!  Que  la  pudeur,  la  bonne  for- 
tune, la  gloire,  la  lumière  et  la  nourriture,  qu’Ouinâ, 
Lakshmi  et  Sarasvatl,  1488. 

» Que  ces  Déesses,  Dhanandjaya,  soient  les  protectrices 
de  ton  voyage,  toi,  qui,  soumis  avec  révérence  à ton  atné, 
exécute  la  parole  de  ton  frère  aîné.  1489. 

» Je  vais  pour  ton  bonheur,  éminent  Bharatide,  m'ap- 
procher des  Vasous,  des  Roudras,  des  Adilyas,  de  la 
troupe  des  Vents,  des  Viçvadévas,  et  des  Sàdhyas.  1490. 

ii  Obtiens  la  félicité  de  tous  les  points  de  l’atmosphère, 
de  tous  les  points  de  la  terre,  de  tous  les  points  du  ciel, 
Bharatide  ; obliens-la  des  Bhoùtas  et  de  tous  les  autres 
êtres,  qui  sont  répandus  sur  ta  route  ! « 1491. 

Après  quelle  eut  parlé  de  celte  manière , l’illustre 
Rrishnâ  se  tut,  et  le  Pàndouide  aux  longs  bras,  ayant  dé- 
crit un  pradakshina  autour  de  ses  frères  et  de  Dhaàuroya, 
partit,  son  arc  resplendissant  à la  main.  Dans  sa  marche, 
tous  les  êtres  s’écartaient  de  la  route  du  héros,  qui  s’a- 
vançait sur  un  char,  dont  l’attelage  était  consacré  à Indra. 
11  se  dirigea  vers  les  montagnes,  qu’habitaient,  mon  père, 
les  hommes,  qui  thésaurisaient  la  pénitence. 

1492—1493—1494. 

Dans  l'espace  d’un  seul  jour,  cet  homme  au  grand  cœur 
arriva,  fléau  des  ennemis,  à la  sainte,  à la  céleste  mon- 
tagne de  l’Himàlaya,  chérie  des  Dieux,  1495. 


192 


LE  MAHA-BHARATA. 


Rapide  comme  la  pensée,  grâce  à son  attelage,  il  allait 
avec  la  rapidité  du  vent  : il  dépassa  l’Him&Iaya,  il  dépassa 
même  le  Gandhamâdana.  1496. 

Dans  ce  jour  et  cette  nuit,  Dhanandjaya  franchit  sans 
fatigue  beaucoup  de  lieux  très-escarpés  ; il  parvint  à In- 
drakila  et  s'y  arrêta.  1497. 

Car  il  avait  ouï  dans  l'air  ce  mot  prononcé  distincte- 
ment : « Arrête-toi  ! » Cette  parole  entendue , le  Pàn- 
douide  fit  errer  sa  vue  de  tous  les  côtés.  1498. 

L’ambidextre  vit  au  pied  d'un  arbre  un  ascète  maigre, 
les  cheveux  en  gerbe,  couleur  du  jaune  passant  au  noir  et 
flamboyant  d'une  beauté  brahmique.  1499. 

Quand  l'homme  aux  grandes  pénitences  vit  Arjouna 
s'arrêter  : « Qui  es-tu,  mon  fils?  lui  demanda-t-il,  toi,  qui 
es  venu  ici  avec  un  arc,  une  cuirasse  et  une  flèche,  por- 
tant la  défense  d’une  épée  même  attachée  à ion  cou,  voué 
enfin  aux  devoirs  du  kshatrya?  line  flèche  n’a  que  faire 
ici  : ce  lieu  est  l’habitation  des  âmes  paisibles,  desbrahmes 
ascètes,  qui  ont  écarté  d'eux  la  joie  et  la  colère,  lin  arc  est 
inutile  ici,  où  il  n’y  a jamais  de  guerre.  1500-1501-1502. 

» Jette  cet  arc,  mon  fils  ; lu  es  arrivé,  grlce  à ton  éner- 
gie et  à la  force,  héros,  dans  la  voie  suprême,  où  nulle 
part  il  n'est  un  autre  homme.  » 1503. 

Ainsi  le  brahme  parla  mainte  fois  en  souriant  à Ar- 
jouna, sans  parvenir  à l’ébranler  dans  sa  fermeté,  lui,  de 
qui  la  résolution  était  bien  arrêtée.  1504. 

Le  brahme  satisfait  lui  dit  alors  avec  un  sourire  : 
« Choisis  une  grâce,  s’il  te  plaît,  meurtrier  des  ennemis  ; 
je  suis  Indra.  » 1505. 

A ces  mots,  le  propagateur  de  la  race  de  kourou,  le 
héros  Dhanandjaya,  prenant  un  air  modeste  et  joignant  les 


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VANÀ-PARVA. 


193 


mains  au  front,  de  répondre  à l'Immortel  aux  mille  re- 
gards : 1506. 

« Voici  une  chose  que  je  souhaite  ; accorde-la  moi  pour 
grâce  : je  désire  connaître  à l'instant,  adorable,  tout  ton 
astra  dans  la  vérité.  » 1507. 

<>  Maintenant  que  te  voilà  parvenu  ici , Dhanandjaya, 
reprit  en  souriant  Mahéndra,  l'âme  bien  satisfaite,  à quoi 
te  serviraient  ces  astras?  1508. 

u Chôisis  pour  ton  vœu  les  mondes  divins,  puisque  tu 
es  arrivé  dans  la  voie  suprême.  » A ces  mots,  Dhanan- 
djaya répondit  au  Dieu,  qui  a mille  yeux  : 1500. 

« Je  n'ai  de  la  divinité  ni  désir,  ni  envie  : quel  plaisir 
m’apporterait-elle?  Toute  ta  puissance  elle-même,  souve- 
rain des  Tridaças,  n’excite  pas  mon  envie.  1510. 

» J’ai  abandonné  mes  frères  dans  un  bois,  et,  si  je  re- 
venais sans  avoir  accompli  ce  qu’on  attend  de  mon  hé- 
roïsme, j'irais  à l’infamie  dans  tous  les  mondes  pour  des 
années  étemelles.  » 1511. 

A ces  paroles,  le  meurtrier  de  Vritra,  adoré  dans  tous 
les  mondes,  répondit  au  fils  de  Pàndou,  en  le  flattant  d’une 
voix  caressante  : 1512. 

« Quand  tu  auras  vu  Ç.iva  aux  trois  yeux,  le  Dieu  armé 
du  trident,  le  souverain  des  Bhoûtas,  alors,  mon  (ils,  je  te 
donnerai  tous  mes  astras,  sans  exception.  1513. 

# Fais  donc  tes  efforts  pour  voir  ce  Dieu  assis  au  [dus 
haut  rang  : favorisé  par  sa  vue,  fils  de  Kountl,  tu  par- 
viendras à tout.  » 151  A. 

Çakra,  quand  il  eut  parlé  ainsi  à Phâlgouna,  rentra 
dans  l'invisibilité,  et  Dhanandjaya  de  rester  là,  absorbé 
dans  la  méditation.  1515. 

iii  13 


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LE  CHASSEUR  MONTAGNARD. 


Djanamédjaya  dit  : 

« Révérend,  je  désire  écouter  avec  étendue  cette 
narration  du  fds  de  Prithâ  aux  travaux  infatigables;  com- 
ment il  parvint  à obtenir  ces  astras;  1616. 

» De  quelle  manière  le  vigoureux  Dhanandjaya  aux 
longs  bras,  le  tigre  des  hommes,  entra  sans  crainte  dans 
la  forêt  inhabitée  ; 1517. 

» Çe  qu'il  fit,  ù le  plus  savant  des  brahmes,  tandis  qu’il 
demeurait  là,  et  comment  il  plut,  vénérable,  à Sthànou, 
le  roi  des  Dieux.  1518. 

» Je  désire  entendre  cela  de  ta  grâce,  5 le  plus  grand 
des  brahmes  ; car  tu  sais  les  choses  humaines  et  divines, 
0 toi,  qui  sais  tout.  1519. 

» Invincible  dans  les  batailles  et  le  plus  vaillant  des 
guerriers,  Aijouna,  brahme,  soutint  jadis  contre  Bhava, 
un  combat  assurément  épouvantable  et  plus  que  merveil- 


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VANA-PARVA. 


195 


leux.  Au  récit  de  ces  exploits,  les  cœurs  des  princes  les 
plus  héroïques,  lions  des  rois,  furent  émus  de  crainte,  de 
joie  et  d'admiration.  Dis-moi  entièrement  quelque  autre 
chose,  qu’ait  faite  ce  fils  de  Prithà  ; car  je  ne  vois  de  Djish- 
nou  rien  de  méprisé  ou  qui  ait  une  très-faible  importance. 
Raconte-moi  donc  toute  la  conduite  de  ce  héros.  » 

1520—1521—1522—1523. 

Valçampâyana  lui  répondit  : 

Je  vais,  mon  père,  te  raconter  du  magnanime  cette 
narration  grande,  divine  et  qui,  tigre  des  Kourouides, 
ressemble  au  prodige;  152i. 

Ce  combat  corps  à corps,  mortel  sans  péché,  avec  l’Im- 
mortel aux  trois  yeux.  Écoute  entièrement  cette  rencontre 
du  l’rithide  avec  le  Dieu  des  Dieux.  1525. 

Ce  prince  à l’héroïsme  sans  mesure  était  donc  allé,  sur 
l’ordre  d’Youddhishthira,  voir  Çakra,  le  roi  des  Souras, 
et  Çankara,  le  Dieu  des  Dieux.  1526. 

Arjouna  aux  longs  bras,  à la  grande  force,  avait,  pour 
le  succès  de  son  affaire,  pris  son  arc  céleste  ; il  portait  son 
épée  à la  poignée  d’or.  1627. 

Le  Kourouide  au  grand  cœur,  sire,  le  héros  de  tous  les 
mondes  se  dirigea  sur  la  région  septentrionale,  vers  les 
cimes  de  l’ Himalaya  ; et,  doué  d’une  vitesse  supérieure, 
la  résolution  bien  arrêtée  dans  son  devoir,  Aindri  arriva 
seul  dans  un  bois  épineux,  effroyable  même.  1528-1529. 

11  était  riche  de  fruits  et  de  fleurs  variées,  habité  par 
des  volatiles  de  toutes  les  sortes,  peuplé  de  quadrupèdes 
en  toutes  les  espèces,  fréquenté  des  Siddhas  et  des  Tchâ- 
ranas.  1530. 

Au  moment  où  le  fils  de  kountl  s’avança  dans  ce  bois, 
un  bruit  de  conques  et  de  patahas  éclata  dans  le  ciel. 


496  LE  MAHA-BHARATA. 

Une  grande  pluie  de  fleurs  tomba  ensuite  sur  la  face  de 
la  terre,  et  une  multitude  immense  de  nuages  couvrit  l'air 
de  tous  les  côtés.  1531 — 1532. 

Quand  il  eut  traversé  des  lieux  infranchissables  de  bois, 
voisinage  de  la  grande  montagne,  Arjouna  enfin  brilla, 
occupant  le  dos  de  l’Himâlaya.  1533. 

11  vit  là  des  arbres  en  fleurs,  que  les  oiseaux  faisaient 
résonner  de  leurs  gazouillements,  avec  de  larges  rivières 
aux  profonds  tourbillons,  qui  avaient  l’éclat  sans  tache 
du  lapis-lazuli.  1535, 

Leurs  échos  redisaient  les  cris  des  canards  et  des  cy- 
gnes, les  chants  de  la  grue  radieuse,  les  ramages  du  kokila 
mâle,  les  plaintes  des  paons  et  des  ardées.  1535. 

Le  héros  Arjouna  vit  là  des  ondes  limpides,  fraîches  et 
saintes,  ombragées  par  des  bois  ravissants,  et  son  âme  fut 
charmée.  1536. 

Le  guerrier  au  grand  cœur  se  complut  dans  ces  déli- 
cieuses forêts,  et  sa  terrible  énergie  s’y  voua  à une  violente 
pénitence.  1537. 

11  se  revêtit  d’un  habit  fait  du  graminée  darbha,  sépara 
d'une  peau  d’antilope,  prit  le  bâton  à la  main  et  lit  sa 
nourriture  de  feuilles  tombées  et  desséchées  sur  la  terre. 

Il  passa  le  premier  mois  mangeant  un  fruit  après  cha- 
que troisième  nuit  accomplie  ; il  mit,  le  deuxième  mois, 
un  intervalle  double  en  ses  abstinences.  1538 — 1639. 

Le  troisième,  il  ne  mangea  plus  qu’après  chaque  quin- 
zaine de  jours  expirée;  et,  quand  le  quatrième  mois  fut 
arrivé,  le  plus  vertueux  des  Bharatides,  le  fils  de  Pàndou 
aux  longs  bras,  n’eut  plus  que  le  vent  pour  sa  nourriture. 
Tenant  ses  bras  levés  en  l’air,  sans  appui,  il  se  tint  sur  le 
bout  de  l’orteil  d'un  seul  pied.  1550 — 1551. 


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VANA-PARVA. 


197 

Ses  ablutions  continuelles  avaient  rendu  les  cheveux 
nattés  de  ce  magnanime  à la  vigueur  infinie  semblables  au 
lotus  ou  à l’éclair.  1542. 

Alors  tous  les  rishis  de  se  rendre  auprès  du  Dieu,  anné 
de  l’arc  Pinàka,  désireux  de  lui  apprendre  que  le  fils  de 
Prithà  se  maintenait  dans  sa  terrible  pénitence.  1543. 

Ils  s'inclinent  devant  Mahàdéva  et  lui  racontent  cette 
affaire  du  Prithide  : n fie  (ils  de  Kountl  à la  grande  splen- 
deur est  monté  sur  le  dos  de  l'Ilimàlaya.  1544. 

» Placé  dans  une  pénitence  atroce,  difficile  à traverser, 
il  couvre  de  fumée  tous  les  points  de  l’horizon,  et  personne 
de  nous  tous,  souverain  des  Dieux,  ne  sait  ce  qu’il  désire 
faire.  1545. 

» Il  cause  notre  inquiétude  à tous  : eh  bien  ! qu’on  l’ar- 
rête! » Dès  qu’il  eut  entendu  ces  paroles  des  solitaires 
méditatifs,  l’époux  d’Oumà,  le  souverain  des  Bhoutàs,  leur 
tint  ce  langage  : u Vous  ne  devez  concevoir  nulle  crainte 
à l’égard  de  Phâlgouna.  1545 — 1547. 

» Retournez  sur  vos  pas  avec  joie,  promptement,  sans 
paresse  : je  connais,  moi!  la  pensée,  qui  est  dans  son 
cœur.  1548. 

» Ce  n'est  aucun  désir,  ni  du  Swarga,  ni  de  la  puis- 
sance, ni  de  la  vie.  J'accomplirai  aujourd'hui  même  tout 
ce  qu’il  désire.  » 1540. 

A ces  mots  de  Çarva,  les  rishis  aux  paroles  de  vérité  et 
la  pensée  joyeuse,  s’en  retournèrent,  comme  ils  étaient 
vernie,  dans  leurs  habitations.  1550. 

Quand  ces  magnanimes  ascètes  furent  partis,  le  véné- 
rable, qui  tient  à sa  main  l'arc  Pinâka,  Hara,  qui  efface 
tous  les  péchés , revêtit  le  déguisement  d’un  chasseur 
montagnard,  semblable  à un  arbre  d’or,  et,  grand,  res- 


198 


LE  MAHA-BHABATA. 


plendissant,  comme  un  autre  mont  Mérou,  armé  de  son 
arc  superbe  et  tenant  ses  flèches  pareilles  à des  serpents,  il 
descendit  avec  une  grande  vitesse  sur  la  terre,  comme  le 
feu,  qui  a pris  un  corps.  1551 — 1552 — 1553.  . 

Le  fortuné,  caché  sous  le  travestissement  d'un  monta- 
gnard, était  accompagné  de  la  Déesse  Ouinâ,  portant  un 
habit  de  la  même  condition,  de  Bhoutâs  joyeux  sous  dif- 
férents déguisements  et  de  femmes  par  milliers.  Ce  lieu 
resplendissait  alors,  sire,  du  plus  grand  éclat. 

155A— 1555. 

Dans  ce  moment,  toute  cette  forêt  devint  silencieuse  ; 
le  bruit  même  des  cataractes  et  le  ramage  des  volatiles  se 
turent.  1556. 

Arrivé  non  loin  du  Prithide  aux  travaux  infatigables,  il 
vit  sous  un  aspect  merveilleux  un  fils  de  Danou,  appelé 
Moûka.  1557. 

11  avait  pris  la  forme  d'un  sanglier  et,  dans  son  âme 
très-méchante,  il  pensait  à tuer  Arjouna  ; mais,  s'étant 
armé  de  l’arc  Gàndiva,  ses  flèches  à la  main  et  telles  que 
des  serpents,  après  qu'il  eut  mis  la  corde  au  meilleur  des 
arcs  et  fait  raisonner  le  nerf  â son  arme,  Phàlgouna  lui 
dit  : 1558—1559. 

« Parce  que  tu  veux  me  tuer,  moi,  venu  ici  sans  péché, 
je  vais  commencer  par  t'envoyer  sur  le  champ  aux  de- 
meures d’Yarna.  » 1560. 

A la  vue  de  l'archer  à la  main  sûre,  qui  allait  frapper, 
Çankara,  sous  la  forme  du  montagnard,  se  hâta  d’arrêter 
Phàlgouna  : 1561. 

« C’est  moi,  qui  le  premier,  s’écria-t-il,  ai  vu  ce  san- 
glier de  formes  pareillas  à l'Indrakila.  » Mais,  sans  égard 
à ces  paroles,  Phàlgouna  d’envoyer  son  trait.  1562. 


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vana-parva. 


1»» 


Le  Kiràta  à la  grande  splendeur  lança  en  même  temps 
au  même  but  une  flèche  semblable  au  tonnerre  et  pareille 
à la  flamme  du  feu.  1563. 

Décochés  par  eux,  les  deux  traits  s’abattirent  à la  fois 
sur  le  sanglier,  et  le  cadavre  de  Moûka  s'étendit  avec  son 
corps  de  montagne.  1564. 

La  chûte  de  ces  flèches  éclata  alors  comme  le  fracas  du 
tonnerre  avec  la  force  de  la  foudre,  qui  tombe  sur  une 
montagne.  1565. 

Frappé  de  traits  nombreux  à la  gueule  enflammée  et 
tels  que  des  serpents,  le  mauvais  Génie  mourut,  après 
qu’il  eut  repris  ses  formes  épouvantables  de  Rakshasa. 

Dans  ce  moment,  Djishnou,  l’immolateur  des  ennemis, 
aperçut  devant  lui  un  homme  brillant  comme  l'or,  accom- 
pagné d’une  femme  : c’était  Çiva,  sous  le  déguisement  du 
chasseur  montagnard.  1566 — 1567. 

Et  le  fils  de  Kounti  lui  adressa,  l’àme  joyeuse,  ces  pa- 
roles en  souriant  : « Qui  es-tu,  toi,  qui  marches,  escorté 
par  des  troupes  de  femmes,  dans  cette  forêt  déserte  ! 1568. 

» Ne  crains-tu  rien  dans  ces  bois  épouvantables,  ù toi, 
qui  as  l’éclat  de  l’or?  Pourquoi  as-tu  frappé  ce  sanglier, 
ma  proie  ? 1569. 

» C’est  moi,  qui  le  premier  ai  touché  ce  sanglier  venu 
ici.  Par  la  paix  ou  la  guerre,  tu  ne  peux  m’échapper  vi- 
vant! 1570. 

» Car  ce  n’est  pas  le  devoir  de  la  chasse,  que  tu  as 
exercé  tout  à l’heure  envers  moi.  Aussi  vais-je  te  préci- 
piter de  la  vie,  habitant  des  montagnes.  » 1571. 

A ces  mots,  le  Kiràta  répondit  en  souriant  avec  une 
voix  douce  à l’ambidextre  Pândouide  : 1572. 

« Tu  ne  dois  concevoir  aucune  inquiétude  à mon  égard. 


200 


LE  MAHA-BHAKATA. 


héros,  au  sujet  de  cette  forêt  ; car  cette  terre  fut  toujours 
accoutumée  à nous,  qui  habitons  dans  ses  bois.  1573. 

» Comment  cette  demeure  incommode  a-t-elle  pu  te 
plaire?  C’esl  à nous,  homme  riche  en  mortiiications,  d'ha- 
biter cette  forêt,  peuplée  d’êtres  nombreux.  1574. 

» Ta  grandeur  est  semblable  au  feu,  bien  délicate,  ac- 
coutumée au  plaisir,  comment  erres-tu  seul  dans  ces  bois 
solitaires?»  1575. 

a J’ai  placé  mon  appui  dans  mon  arc  Gàndiva  et  dans 
mes  flèches  de  fer,  pareilles  à des  serpents,  lui  répondit 
Arjouna,  et  j'habite  dans  cette  grande  forêt,  comme  un 
second  Kârttikéya.  1576. 

• C'est  moi,  qui  ai  frappé  ce  grand  être,  qui  avait  pris 
la  forme  d’une  bête  sauvage,  ce  Rakshasa  épouvantable, 
qui  était  venu  ici  pour  me  tuer  I » 1577. 

a 11  a été  frappé  d'abord  par  les  traits,  qu’a  décochés 
mon  arc,  repartit  le  Kiràta  : il  glt,  atteint  par  moi,  qui 
l'ai  jeté  dans  les  demeures  d'Yarna.  1578. 

» En  but  à mes  flèches  d’abord,  il  est  devenu  mon 
butin  ; c'est  un  coup  de  moi,  qui  a déraciné  sa  vie.  1570. 

» Ne  viens  pas,  enivré  de  ta  force,  renvoyer  ta  mala- 
dresse à un  autre  ! Tu  es  un  orgueilleux  ; insensé,  tu  ne 
m’échapperas  point  vivant!  1580. 

» Tiens  ferme  ! Je  vais  lancer  mes  flèches  comme  des 
foudres.  Marche  avec  la  plus  haute  vigueur  et  décoche 
aussi  tes  flèches  ! » 1581. 

A ces  paroles  du  montagnard,  Arjouna  d'allumer  sa 
colère  et  de  le  frapper  de  ses  dards.  1582. 

Celui-ci  reçut  les  traits  d’une  âme  joyeuse  : « Encore  ! 
encore!»  disait-il;  et:  « C’est  lent!  c’est  lent!  répé- 
tait-il. 1583. 


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VANA-PARVA.  201 

» Envoie  ces  flèches  de  fer,  qui  tranchent  les  articula- 
tions! « Arjouna,  aussitôt  ces  mots  entendus,  se  hâta  de 
lui  décocher  une  pluie  de  traits.  1584. 

Alors  ces  deux  héros  irrités,  qui  avaient  une  fierté  de 
rois,  se  déchirèrent  mainte  et  mainte  fois  l’un  l’autre  avec 
des  (lèches,  qui  avaient  la  forme  des  serpents.  1585. 

Arjouna  ensuite  déchargea  sur  le  montagnard  une 
pluie  de  traits,  et  Çankara  la  reçut  d’une  âme  sereine. 

Quand  le  Dieu,  qui  tient  l’arc  Pinâka,  eut  subi,  une 
heure  durant,  cette  averse  de  flèches,  il  apparut,  immo- 
bile comme  une  montagne  avec  son  corps  sans  blessure. 

1586—1587. 

Dès  que  Dhanandjaya  vit  échouer  sa  pluie  de  traiis,  il 
fut  saisi  de  la  plus  vive  admiration,  et  dit  : « Bien  ! c’est 
bien  ! 1588. 

» Quoi  ! ce  montagnard  au  corps  si  délicat,  qui  habite 
les  sommets  de  l’Himàlaya,  il  a reçu,  sans  être  ému,  les 
flèches  de  fer,  envoyées  par  l’arc  Gândlva.  1580. 

s Quel  Dieu  visible  est-ce  7 Un  Yaksha  ou  un  Roudra? 
Un  Asoura  ou  même  un  Soura?  car  on  sait  que  l’on  ren- 
contre des  Tridaças  sur  la  sainte  montagne.  1590. 

» Certes  ! nul  autre  que  le  Dieu  à l'arc  Pinâka  n'aurait 
pu  soutenir  la  fougue  de  ces  multitudes  de  flèches,  que 
mon  arc  a lancées  par  milliers.  1691. 

» Soit  Dieu,  soit  Yaksha,  quiconque  autre  que  Roudra, 
ferait  face  à mes  dards  acérés,  je  le  plongerais  dans  le 
séjour  d’Yama!  » 1592. 

Alors  Djishnou,  l’âme  exaltée,  sire,  d’envoyer  par  cen- 
taines ses  flèches,  qui  tranchent  les  articulations,  comme 
le  soleil  envoie  ses  rayons.  1595. 

Le  Dieu,  qui  tient  eu  main  le  trident,  adorable  auteur 


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202 


LE  MAHA-BBARATA. 


des  mondes,  les  reçut  d'une  âme  sereine,  tel  qu’une  mon- 
tagne reçoit  une  averse  de  pierres.  169A. 

Dans  un  instant,  Phâlgouna  vit  ses  traits  épuisés,  une 
crainte  amère  le  saisit,  en  voyant  cette  destruction  de  ses 
flèches.  1595. 

Djishnou  de  tourner  alors  sa  pensée  vers  l'adorable  feu, 
duquel  jadis  il  avait  reçu  dans  le  Khàndavadeux  carquois 
indestructibles.  1596. 

« Quoi  ? se  disait- il;  le3  flèches,  que  je  lance  avec  cet 
arc,  n’ont  aucun  succès  ! Qui  est  donc  cet  homme,  qui  dé- 
vore ainsi  toutes  mes  flèches?  1597. 

» En  le  frappant  avec  le  bout  de  mon  arc,  comme  un 
éléphant  avec  la  pointe  d’une  lance,  peut-être  le  condui- 
rai-je au  séjour  d’Yama,  qui  inflige  les  châtiments?» 

Ayant  donc  Oté  la  corde  à son  arc  et  saisissant  l’arme 
par  l’une  de  ses  extrémités,  le  héros  à la  vive  lumière  de 
frapper  avec  ses  poings,  semblables  «A  des  tonnerres. 

1598—1599. 

Mais,  tandis  que  le  fils  de  Kountl,  l'iinmolateur  des 
héros  ennemis,  combattait  ainsi  avec  le  bout  de  son  arc, 
l’habitant  des  montagnes  lui  enleva  des  mains  son  arme 
céleste.  1600. 

Aussitôt  Arjouna,  privé  de  son  arc,  mit  le  cimeterre  à 
la  maiu  et,  voulant  terminer  le  combat,  il  fondit  rapide- 
ment sur  l’ennemi.  1601. 

Le  rejeton  de  Kourou,  s’étant  avancé  vaillamment,  lui 
déchargea  sur  la  tète  de  toute  la  force  du  bras  son  cime- 
terre acéré,  qui  eut  tranché  même  des  montagnes.  1602. 

A peine  eut-elle  approché  du  crâne,  l’excellente  lame 
de  voler  en  éclats.  Phâlgouna  combattit  ensuite  avec  des 
rochers  et  des  arbres.  1603. 


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VANA-PARVA. 


20S 


L'adorable,  au  grand  corps,  sous  la  forme  du  monta- 
gnard, reçut  ces  arbres  et  ces  rochers.  Le  Prithideà  la 
grande  force,  qui  produisait  de  la  fumée  avec  ses  poings 
semblables  au  tonnerre,  le  frappa  sur  son  visage  orgueil- 
leux et  d’une  forme  pareille  à celle  d’un  Kirâta. 

160  S — 1(505. 

Le  bien-heureux,  sous  la  forme  du  montagnard,  harcela 
le  fils  de  Pàndou  avec  ses  poings  bien  effrayants  et  sem- 
blables aux  foudres  de  (’.akra.  1606. 

Tandis  que  le  Kirâta  et  le  fils  de  Pàndou  combattaient 
avec  les  poings,  il  s’éleva  un  bruit  très-épouvantable  de 
chairs  broyées  et  d’os  rompus.  1607. 

Ce  duel,  qui  fit  se  horripiler  les  poils,  où  se  mêlaient 
des  coups  de  bras,  et  qui  ressemblait  au  combat  de  Vritra 
et  du  fils  de  Vasou,  dura  une  grande  heure.  1608. 

Ensuite  le  vigoureux  Djishnou  de  frapper  le  Kirâta  de 
sa  poitrine,  et  le  vigoureux  Kirâta  de  frapper  le  Pândouide 
résistant.  1600. 

Le  broiement  de  leurs  bras  et  la  mutuelle  pression  de 
leurs  poitrines  firent  naître,  dans  leurs  membres,  un  feu 
accompagné  d’une  fumée  de  charbon.  1610. 

Mahadéva,  ayant  fortement  serré  son  rival,  membres 
contre  membres,  le  surmonta  par  sa  puissance  et  troubla 
son  esprit  par  la  colère.  1611. 

Phàlgouna  semblait  une  boule,  dans  son  corps  ramassé 
et  fortement  contraint,  et  le  Dieu  des  Dieux  le  tint,  Bha- 
ratide,  enchaîné  dans  ses  membres.  1612. 

Il  resta  même  sans  respiration  dans  l’étreinte  du  ma- 
gnanime ; il  tomba  sans  mouvement  sur  la  terre  et  parut 
avoir  perdu  l’esprit.  1613. 

Au  bout  d’une  heure,  la  connaissance  lui  était  revenue, 


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204  LE  MAHA-BHARATA. 

le  fils  de  Pândou  se  releva  ; et,  le  corps  inondé  de  sang, 
il  était  accablé  de  douleur,  1614. 

11  se  mit  sous  la  protection  de  l'auguste  et  secourable 
Dieu,  qui  tient  l'arc  Pinàka,  fit  un  carré  d’argile  et  con- 
sacra une  guirlande  à Bliava.  1615. 

Le  fils  de  Prithâ,  le  plus  vaillant  des  Pàudouides,  vit 
alors  cette  guirlande,  qu’il  y avait  consacrée,  mise  sur  la 
tète  du  montagnard,  et  la  joie  le  rendit  à sa  nature. 

11  tomba  à ses  pieds,  et  Bhava  satisfait,  le  voyant  rempli 
d’étonnement  et  tous  ses  membres  amaigris  par  la  péni- 
tence,  lui  parla  en  ces  termes,  d’une  voix  profonde  comme 
le  bruit  des  nuages:  « Bien!  Phàlgouna  ! bien!  Je  suis 
content  de  ton  exploit  incomparable.  1616 — 1617 — 1618. 

i 11  n’existe  pas  un  kshatrya,  qui  soit  ton  égal  pour 
l’héroïsme  et  la  fermeté;  ta  splendeur  et  ta  vaillance,  mor- 
tel sans  péché,  vont  de  pair  avec  les  miennes.  1619. 

» Je  suis  content  de  toi,  guerrier  aux  longs  bras  ! Con- 
temple-moi , éminent  Bharatide  aux  grands  yeux  : je 
donne  à ta  vue  la  faculté  de  me  voir.  Tu  fus  jadis  un 
rishi.  1620. 

» Tu  vaincras  tous  les  ennemis  en  bataille,  fût-ce  des 
Dieux  : je  te  donne,  en  témoignage  de  ma  satisfaction,  mes 
astras  irrésistibles.  1621. 

» Tu  es  capable  en  un  instant  de  les  porter  comme 
moi  ! » Aussitôt  Phàlgouna  vit  le  Dieu  Mahadéva  à la 
grande  lumière,  Giriça,  armé  de  l’arc  Pinàka,  que  I)évl 
accompagnait.  11  se  jeta,  les  genoux  à terre,  et  courba  la 
tète  devant  lui.  1622 — 1623. 

Le  vainqueur  des  villes  ennemies,  le  Prithidc  supplia 
ainsi  Hari  : « Rarpati , souverain  de  tous  les  Dieux , 
immolateur  de  Bhaganétra,  1624. 


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VANA-PARVA. 


205 


» Dieu  des  Dieux,  Màhadéva  au  cou  bleu,  qui  portes  le 
djatà,  je  reconnais  en  toi  la  première  des  causes,  Dieu 
auguste  aux  trois  yeux.  1025. 

» Dieu,  la  voie  des  Dieux,  toi,  de  qui  ce  monde  est  né, 
tu  es  invincible  dans  les  trois  mondes  aux  hommes,  aux 
Asouras  et  aux  Dieux.  1020. 

» Adoration  à Çiva  sous  la  forme  de  Vishnou , k 
Vishnou  sous  la  forme  de  Çiva,  à Hari-lloudra  , qui  a dé- 
truit le  sacrifice  de  Daksha  ! 1 027. 

» Adoration  au  Dieu,  qui  porte  un  oeil  au  milieu  du 
front,  à Tout,  à Mithousha,  au  Dieu,  qui  tient  en  sa  main 
le  trident,  au  conservateur  de  l’arc  Pinàka,  au  soleil,  à 
Mârdjaliva,  à Védhas  ! 1028. 

» Je  te  supplie,  toi,  le  vénérable,  le  grand  souverain 
des  Bhoùtas,  le  maître  des  Ganas,  le  révérend  de  l’univers, 
la  cause  des  causes  du  monde  ! 1029. 

» Toi,  qui  as  dépassé  l’homme  et  la  nature  ! Toi,  le  plus 
éminent,  le  plus  subtil  des  êtres,  Bara  ! Daigne,  fortuné 
Çankara,  me  pardonner  cette  faute  ! 1030. 

» Je  suis  venu,  par  le  désir  de  voir  ta  divinité,  dans 
cette  grande  montagne,  chérie  de  toi,  souverain  des  Dieux, 
et  la  sublime  habitation  des  ascètes.  1031. 

» Je  te  supplie,  bienheureux,  qui  reçois  les  adorations 
de  tous  les  mondes,  que  cette  offense,  Màhadéva,  n’aille 
pas  au  châtiment  pour  moi  ! 1032. 

» Le  combat,  que  j'ai  soutenu  contre  toi,  je  te  l’ai 
livré  sans  te  connaître  ; pardonne-moi  cette  faute,  à moi, 
Çankara,  qui  implore  ton  secours.  » 1033. 

A ces  mots,  le  Dieu  à la  grande  splendeur,  qui  porte  le 
taureau  pour  enseigne,  sourit,  étendit  son  bras  luisant,  et 
dit  à Phâlgouna  : « G’est  pardonné  I » 1035. 


200 


LE  MAHA-BHARATA. 


L’adorable  Hara étreignit  le  héros  dans  ses  bras,  et  dit 
au  fils  de  Prithà,  en  commençant  par  une  caresse  : 1035. 

« Tu  fus  dans  une  naissance  précédente  Nara,  le  com- 
pagnon de  Nàrâyana,  et  tu  pratiquas  à Vadarl  une  ter- 
rible pénitence,  plusieurs  myriades  d’années.  1636. 

» Il  y a en  toi  et  dans  Vishnou,  le  plus  grand  des 
hommes,  une  suprême  vigueur  : c'est  par  la  vigueur  de 
vous  deux,  les  plus  éminents  des  hommes,  que  ce  monde 
est  soutenu.  1037. 

» Tu  as  frappé,  sire,  avec  Krishna,  dans  le  sacre  de 
Çakra,  les  Dànavas,  qui  avaient  enlevé  cet  arc  bien  grand, 
résonnant  comme  le  bruit  des  nuages,  cet  arc  Gândiva 
même,  accoutumé  A ta  main,  que  j’ai  dévoré,  ù le  plus 
vertueux  des  hommes,  avec  le  secours  de  la  magie. 

1038—1639. 

» Ils  t’avaient  également  ravi,  comme  assortis  à l’arme, 
lils  de  Prithâ,  ces  deux  carquois  indestructibles.  Ton  corps, 
rejeton  de  Kourou,  sera  invulnérable.  1640. 

» Je  suis  rempli  d’affection  pour  toi  : le  courage  de  ton 
altesse  est  infaillible.  Reçois  de  ma  part,  ô le  plus  grand 
des  hommes,  une  grâce,  que  tu  veuilles  obtenir.  1641. 

» Il  n’y  a pas  un  homme,  ô toi,  qui  donnes  l’honneur, 
il  n’existe  pas  un  mâle  entre  les  mortels,  qui  soit  ton  égal. 
11  n’est  pas  dans  le  ciel  même  un  kshatrya,  qui  l'emporte 
sur  toi,  dompteur  des  ennemis.  » 1642. 

Arjouna  lui  répondit  : 

« Si  ta  divinité  m’accorde  une  grâce  en  témoignage  de 
satisfaction,  ô toi,  qui  arbores  le  taureau  pour  enseigne, 
je  désire  ton  astra  céleste,  épouvantable,  qui  est,  sei- 
gneur, nommé  Pâçoupata;  1643. 

» Et  cette  force  horrible,  effrayante,  appelée  Braluna- 


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VANA-PARVA. 


207 


çiras,  avec  laquelle,  une  fois  arrivée  la  terrible  fin  d’un 
vouga,  tu  détruis  le  monde  entier.  1644. 

» J'aurai  à soutenir  de  grands  combats  avec  Karna, 
Bhtshma,  Kripa  et  Drona  : que  par  ta  grâce,  Mahadéva, 
je  puisse  les  vaincre,  suivant  les  règles  de  la  guerre. 

» Qu’avec  elle,  je  puisse  consumer  dans  la  bataille,  sire, 
les  Dànavas  et  les  Ilakshasas,  les  Bhoùtas,  les  Piçâtchas, 
les  Gandharvas  et  les  Pannagas  ! 1645 — 1640. 

» Dans  cette  arme  enchantée  naissent  des  milliers  de 
lances,  des  massues  à l'aspect  épouvantable,  des  flèches 
aux  formes  de  serpents.  1647. 

» Que  je  puisse  combattre  avec  elle  sur  un  champ  de 
bataille  Bhtshma,  et  Drona,  et  Kripa,  et  le  fils  du  cocher, 
qui  a toujours  des  paroles  piquantes  à la  bouche.  1648. 

» Tel  est  mon  plus  grand  désir,  adorable  meurtrier  de 
Bhaganétra.  Que  je  devienne  ainsi,  grâce  à toi,  capable 
de  res  prouesses.  » 1640. 

Bhava  dit  : 

« Je  te  donne  mon  arme  chérie,  nommée  Pâçoupata  : 
tu  es  capable,  seigneur,  de  la  porter,  la  décocher  et 
l’arrêter.  1650. 

» Ni  Yaina,  ni  le  roi  des  Yakshas,  ni  Varouna,  ni  le 
Vent,  ni  Mahéndra  lui-même  ne  le  savent  pas  : d'où  les 
enfants  de  Manou  pourraient-ils  le  savoir?  1651. 

» Mais  il  ne  faut  pas  te  hâter,  fils  de  Prithâ,  de  l’en- 
voyer nulle  part  tomber  sur  un  homme  de  petite  valeur, 
car  ce  monde  entier  périrait.  1652. 

■>  Il  n’est  rien,  à qui  elle  ne  puisse  donner  la  mort  dans 
les  trois  mondes  des  êtres  mobiles  et  immobiles.  Elle  peut 
être  lancée  avec  l’arc,  la  pensée,  l'œil  ou  la  parole.  » 

A ces  mots,  le  fils  de  Prithâ,  s'étant  hâté  de  se  recueillir 


208 


LE  MAHA-BHARATA. 


et  de  se  rendre  pur,  s’approcha  de  Viçvéca,  et  lui  dit  ! 
«Instruis-moi!»  1053 — 1054. 

Et  celui-ci  d’instruire  le  plus  vaillant  des  Pàndouides, 
comme  le  Trépas  lui-même  revêtu  d’uu  corps,  dans  les 
mystères  de  ce  trait  inéluctable.  1655. 

Tel  qu’il  se  tenait  auprès  de  Tryambaka,  l’époux 
d’Ouniâ,  tel  se  tint  l'astra  auprès  du  fds  de  Prithà. 
Arjouna  le  reçut  alors  avec  affection.  1650. 

La  terre  s'ébraula  soudain  avec  ses  montagnes  et  les 
arbres  de  ses  forêts,  avec  ses  mers  et  ses  lieux  boisés, 
avec  les  formes  de  ses  villes  et  villages.  1657. 

Le  bruit  des  conques,  des  timbales,  et  des  tam- 
bours par  milliers  salua  l’arrivée  de  ce  moment,  et 
des  vents  orageux  s’abattirent  sur  la  terre  à diverses 
fois.  1658. 

Ensuite  l'astra  épouvantable  flamboya;  les  Dieux  et  les 
Dànavas  le  virent  placé,  revêtu  d’un  corps,  auprès  du  fils 
de  Prithà  à la  force  sans  mesure.  1659. 

Tryambaka  de  toucher  le  vigoureux  Pbàlgouna,  et  sur 
le  champ  disparut  tout  ce  qu'il  avait  d’imparfait  dans  son 
corps.  1600. 

« Va  au  Swarga  ! » dit  le  Dieu  aux  trois  yeux,  lui  don- 
nant congé;  et  Arjouna,  courbant  sa  tête  devant  lui,  sire, 
le  regarda,  ses  mains  jointes.  1661. 

Alors,  l’auguste  Çiva,  le  maître  des  habitants  du  ciel, 
Giriça  à la  grande  splendeur,  Bhava,  l’époux  d’Oumâ, 
rendit  au  plus  excellent  des  hommes  le  grand  are  Gàndtva, 
meurtrier  des  Piç.âtchas  et  des  fils  de  Î)itî.  1662. 

(les  choses  faites,  Içwara,  quittant  l’éminente  et  sainte 
montagne,  aux  cavernes,  aux  plateaux,  aux  rivages  blancs, 
s'élança,  accompagné  d'Oumâ  et  sous  les  yeux  du  plus 


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200 


LE  M MI  A -BHARATA . 


grand  des  hommes,  dans  les  airs  habités  par  les  maharshis 
et  les  oiseaux.  1663. 

A la  vue  même  du  héros,  le  Dieu  à l’arc  Pinâka,  qui 
fait  du  taureau  son  enseigne,  était  rentré  dans  l’invisibi- 
lité, comme  le  soleil  du  monde,  quand  il  est  parvenu  à la 
montagne  du  couchant.  1664. 

Arjouna,  l’immolateur  des  héros  ennemis,  fut  trans- 
porté de  la  plus  vive  admiration  ; il  se  disait,  Bharalide  : 
« J’ai  donc  vu  Mahadéva  en  personne!  1666. 

» Je  suis  heureux,  je  suis  favorisé  du  ciel,  moi,  qui  ai 
vu  sous  une  forme  et  qui  ai  touché  de  ma  main  Hara  aux 
trois  yeux , le  Dieu  à l’arc  Pinâka , le  donateur  des 
grâces!  1666. 

» Je  reconnais  que  tous  mes  vœux  sont  comblés,  que 
j’ai  reçu  le  plus  grand  honneur  dans  ce  combat,  que  tous 
mes  ennemis  sont  vaincus  et  que  j’ai  atteint  mon  but  ! » 

Tandis  que  le  fils  de  Prithâ  à la  vigueur  infinie  roulait 
ses  pensées,  le  fortuné  monarque  des  eaux,  éclairant  tous 
les  points  de  l’espace  et  semblable  en  couleur  au  lapis- 
lazuli,  le  sage  Varouna,  le  maître  des  monstres  marins, 
arriva  dans  ces  lieux,  environné  par  des  troupes  de  grands 
êtres  amphibies,  des  serpents,  des  fleuves,  des  rivières, 
des  Daîtyas,  des  Sadbyas  et  de  maintes  Divinités.  L’au- 
guste et  bienheureux  Kouvéra,  qui  préside  aux  richesses, 
y vint,  escorté  d’Yakshas,  illuminant,  pour  ainsi  dire, 
l’atmosphère  avec  son  char  à la  grande  splendeur,  le  corps 
d’or  et  l’aspect  semblable  à une  merveille  : il  était  amené 
par  l’envie  de  voir  Arjouna.  Là,  vint  aussi,  visible  aux 
yeux,  le  majestueux  et  fortuné  Varna,  le  destructeur  du 
monde,  1667 — 1668 — 1669 — 1670 — 1671 — 1672. 

Dharmarâdja,  le  Vivasvatide,  qui  tient  un  bâton  à sa 

lâ 


in 


210 


LE  MAHA-BHARATA. 


main  et  met  fin  à tous  les  êtres,  lui,  de  qui  l'âme  est  inac- 
cessible à la  pensée,  accompagné  de  Pitris,  causes  du 
monde  et  portant  des  corps  de  mortels,  illuminant  avec 
son  char  les  trois  mondes,  les  Gouyakas,  les  Gandhar- 
vas  et  les  Pannagas,  comme  un  second  soleil,  une  fois 
arrivé  le  terme  d'un  youga.  Ces  Dieux,  parvenus  sur  les 
cimes  variées  et  lumineuses  de  la  grande  montagne,  y vi- 
rent Arjouna  se  livrer  à la  pénitence,  lin  instant  après, 
accompagné  de  Mahéndranl  et  sous  une  blanche  ombrelle 
portée  sur  sa  tête,  Indra  s’avança  lui-même,  escorté  par 
les  troupes  des  Souras  et  monté  sur  la  tête  d’AIrâvata. 

1073—1 074—1075—1076—1 677. 

Célébré  par  les  Gandharvas  et  les  rishis,  opulents  de 
pénitence,  il  brillait,  comme  la  reine  des  constellations, 
placée  sous  un  nuage  blanc.  1078. 

Arrivé  sur  la  cime  de  la  montagne,  il  s’y  tint  comme  un 
soleil  levant.  Ensuite,  instruit  des  devoirs  les  plus  élevés 
et  prenant  sa  place  dans  la  région  méridionale,  le  sage 
Yarna  à la  voix  de  tonnerre  prononça  ces  belles  paroles  : 
a Arjouna!  Arjouna!  vois  rassemblés  ici  tous  ces  Dieux, 
les  gardiens  du  monde.  1679 — 1680. 

» Nous  t’accordons  cette  vue  maintenant  : que  ton  al- 
tesse veuille  bien  voir.  Jadis  tu  fus  un  rishi  à la  grande 
grande  force,  à l'âme  infinie,  appelé  Nara.  1681. 

» En  ordre  de  Brahma  t’a  fait  descendre,  mon  fils,  dans 
la  condition  des  mortels.  Ton  ayeul  à la  haute  vigueur,  à 
l’âme  grandement  vertueuse,  Bhishma,  né  de  Vasou,  doit 
être  un  jour  vaincu  par  toi  dans  la  guerre,  homme  sans 
péché  ; et  la  défense  des  kshatryas,  de  qui  le  toucher  res- 
semble à celui  du  feu,  sera  confiée  au  fils  de  Bhara- 
dvàdja.  1682—1683. 


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VANA-PARVA. 


211 


» Ce  sont  aujourd’hui,  fils  de  Kourou,  des  Dânavas  à la 
grande  force,  tombés  dans  la  condition  humaine,  des  Dà- 
navas  aux  solides  cuirasses.  1084. 

« Portion  du  Dieu,  mon  père,  qui  échauffe  l’univers  en- 
tier, Rarna  à la  vigueur  sans  égale,  succombera  un  jour 
sous  tescoups,  Dhanandjaya.  1685. 

» Tu  moissonneras  dans  la  guerre  les  portions  des 
Rakshasas,  des  Dânavas  et  des  Dieux,  qui  sont  descendus 
sur  la  terre.  Ils  obtiendront  comme  leur  bien,  fils  victo- 
rieux de  Rounti,  la  voie  conquise  en  récompense  de  leurs 
œuvres  ; et  ta  renommée,  Phâlgouna,  restera  impérissable 
dans  le  moude.  1680 — 1687. 

» Tu  as  satisfait  dans  un  grand  combat  Mabadéva  rendu 
visible,  et  tu  dois  soulager  la  terre  de  ses  Rakshasas 
avec  Vishnou.  1688. 

» Reçois  comme  arme,  guerrier  aux  longs  bras,  mon 
bâton,  que  l’on  ne  peut  arrêter  : cette  arme  à la  main,  tu 
accompliras  un  bien  grand  exploit.  » 1689. 

Vatçampàyana  de  continuer  son  récit  : 

Le  rejeton  de  Kourou,  fils  de  Prithà,  reçut,  suivant  l’é- 
tiquette, ce  bâton,  avec  ses  formules  mystiques,  les 
moyens  pour  s’en  servir,  le  décocher  et  l'arrêter.  1690. 

Ensuite  l’auguste  Varouna,  le  souverain  des  monstres 
aquatiques,  la  couleur  bleue  comme  un  nuage,  prit  sa 
place  dans  la  région  occidentale  et  prononça  ces  paroles  : 

« Fils  de  Prithà,  toi,  qui  es  le  premier  des  kshatryas  et 
qui  en  observes  le  devoir,  regarde-moi  de  tes  yeux  dorés  ! 
je  suis  Varouna,  le  souverain  des  eaux.  1691 — 1692. 

» Reçois  ce  lacet  Varounain,  que  rien  ne  peut  empê- 
cher et  que  j’ai  préparé  moi-même  : reçois-le,  fils  de 
Rounti,  avec  le  secret  pour  l’arrêter.  1693. 


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212 


LE  MAHA-BHARaTA. 


» C’est  avec  lui,  héros,  que  j’ai  lié  par  milliers  dans  la 
bataille  de  Tàrakâmaya  les  magnanimes  Daityas.  1694. 

» Reçois  donc  de  ma  grâce  ces  chaînes,  que  je  te  pré- 
sente, guerrier  à la  grande  âme  : la  mort  elle-même,  liée 
par  toi,  son  meurtrier,  ne  pourrait  s’en  débarrasser. 

» Quand,  armé  de  ce  lacet,  tu  erreras  sur  le  champ  de 
bataille,  la  terre,  sans  aucun  doute,  sera  dépeuplée  de 
kshatryas.  » 1695 — 1696. 

Après  qu'Yama  et  Yarouna  eurent  donné  leurs  armes 
divines,  le  Dieu,  qui  préside  aux  richesses  et  habite  le 
Kallàsa,  prit  la  parole  en  ces  termes  : 1697. 

o Je  suis  content,  Pândouide  à la  grande  force  et  à la 
vaste  science,  de  me  trouver  ici  avec  toi  et  Vishnou 
même.  1698. 

» Ambidextre  aux  longs  bras,  tu  es  une  éternelle  et 
primitive  divinité.  Ton  excellence  a supporté  dans  les 
anciens  temps  de  continuelles  fatigues  avec  nous.  1699. 

» Tu  vois  cette  arme  divine  ; je  te  la  donne,  taureau 
des  hommes  : tu  vaincras  avec  elle,  guerrier  aux  longs 
bras,  des  êtres  difficiles  à vaincre,  et  qui  ne  sont  pas  des 
hommes.  1700. 

» Que  ta  grandeur  n’hésite  pas  à recevoir  de  moi  cette 
arme  sans  égale  : elle  à ta  main,  tu  consumeras  les  armes 
du  fils  de  Dhritaràsthra.  1701. 

» Accepte,  dissipateur  des  ennemis,  cet  antardhâna, 
qui  m'est  cher,  produit  la  lumière,  la  force,  la  vaillance, 
et  cause  le  sommeil.  1702. 

» Au  temps  où  Tripoura  fut  tué  par  le  magnanime 
Çankara,  celui-ci  envoya  cet  astra,  qui  brûla  tous  les 
grands  Asouras.  1703. 

» C’est  pour  toi  que  je  lève  cette  arme,  toi,  de  qui  le 


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VANA-PARVA. 


213 


courage  est  une  vérité  ! Tu  peux  la  soutenir,  toi,  de  qui  la 
pesanteur  est  égale  à celle  de  Mérou.  » 170 â. 

A ces  mots,  Arjouna  aux  longs  bras,  le  Kourouide  à la 
grande  force,  reçut  suivant  l’étiquette  cet  astra  divin  et 
digne  de  Kouvéra.  1705. 

Ensuite  le  roi  des  Dieux  à la  voix  comme  le  bruit  du 
tambour  ou  des  nuages  dit  au  fils  de  Pritliâ,  infatigable 
dans  ses  travaux,  en  le  flattant  d'une  voix  tendre  : 1708. 

« Guerrier  aux  longs  bras,  qui  as  Kounti  pour  mère,  tu 
es  l’antique  Içana,  qui,  parvenu  à l’état  d’une  perfection 
suprême,  est  entré  dans  la  voie  des  Dieux  visibles.  1707. 

» Mais  tu  as  la  bien  grande  affaire  des  Immortels  à ac- 
complir, dompteur  des  ennemis  : il  faut  que  tu  montes  au 
Swarga.  Tiens-toi  prêt,  héros  à la  vive  lumière.  1708. 

» Un  char,  accompagné  de  Màtali,  descendra  sur  la 
terre  à cause  de  toi  : c’est  alors  que  je  te  donnerai  mes 
astras  divins,  rejeton  de  Kourou.  » 1709. 

Après  qu’il  eut  vu  les  gardiens  du  monde  rassemblés 
sur  le  front  de  la  montagne,  Dhanandjaya,  le  sage  fils  de 
Kountt,  fut  transporté  d’admiration.  1710. 

Arjouna  à la  grande  splendeur  honora  de  compagnie  les 
gardiens  du  monde,  suivant  les  rites,  avec  des  prières,  de 
l’eau  et  des  fruits.  1711. 

Les  Dieux  s’en  retournèrent  comme  ils  étaient  venus, 
dès  qu’ils  eurent  honoré  Dhanandjaya;  mais  l'amour  avait 
donné  à toutes  ces  Divinités  la  vitesse  de  la  pensée. 

L’acquisition  des  armes  combla  de  joie  l’éminent  Ar- 
jouna, qui  se  regarda  dès  lors  comme  ayant  rempli  son 
but  et  accompli  ses  désirs.  1712 — 1713. 


LE  VOYAGE  D’ARJOUNA  AU  MONDE  D'INDRA. 


Vatçampâyâna  dit  : 

Quand  tous  les  gardiens  du  monde  furent  partis,  Indra 
des  rois,  le  Prithide,  meurtrier  des  ennemis,  se  mit  à 
penser  au  char  du  roi  des  Dieux.  171A. 

Tandis  que  le  sage  Goùdakéça  roulait  ces  pensés  en  lui- 
même,  le  char  à la  grande  lumière  vint,  accompagné  de 
Mâtali.  1715. 

11  chassait  l'obcurité  du  ciel,  fendait  en  quelque  sorte 
les  nuages  et  remplissait  tous  les  points  du  ciel  de  ses 
bruits,  semblables  au  fracas  des  nuées  orageuses.  171it. 

Autour  de  lui  étaient  des  épées,  des  lances  de  fer  épou- 
vantables, des  massues  hideuses  à voir,  des  traits  bar- 
belés d’une  céleste  puissance,  et  des  éclairs  à la  grande 
lumière,  1717. 

Des  foudres,  jointes  à des  tchakras,  des  poudres  me- 
surées, des  trombes  de  vent,  des  ouragans  impétueux  et 
des  bruits  de  grands  nuages.  1718. 


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VANA-PARVA. 


215 


Là  étaient  des  serpents  aux  vastes  corps,  à la  gueule 
flamboyante,  terribles,  épouvantables,  et  des  monceaux 
de  pierres  semblables  à des  nuées  blanches.  1719. 

Dix  mille  chevaux,  coursiers  rapides  comme  le  vent, 
traînaient  ce  char  céleste,  ouvrage  de  la  magie,  qui  ravis- 
sait aux  yeux  la  lumière.  1720. 

On  voyait  là  Valdjayanta  au  champ  d’azur,  drapeau  à 
la  grande  lumière,  porté  sur  un  bambou,  orné  d’or  et  bleu 
comme  un  lotus.  1721. 

Ayant  vu  placé  dans  ce  char  un  cocher  aux  ornements 
d'or  bruni,  le  Prithidc  aux  longs  bras  de  penser  que  c'é- 
tait le  Dieu  même.  1722. 

Tandis  qu'il  agitait  cette  pensée,  Mâtali  incliné,  pre- 
nant un  air  modeste,  adressa  ce  langage  à Arjouna  : 

« Oh  ! oh  ! fortuné  lils  de  (’.akra,  ce  Dieu  a envie  de  te 
voir  : que  ta  grandeur  se  hâte  de  monter  dans  ce  char 
estimé  d’Indra.  1723 — 1725. 

» Le  plus  grand  des  Immortels,  Çatakratou,  ton  père, 
m'a  dit  : « Que  les  habitants  du  ciel  voient  le  lils  de 
Rountl  arrivé  dans  ces  lieux.  » 1725. 

» Voici  que  Çakra  t’attend  désireux  de  te  voir,  environné 
par  les  Dieux,  les  troupes  des  rishis,  des  Gandharvas  et 
des  Apsaras.  1726. 

» Monte  de  ce  monde,  à l’ordre  de  Pàkaçàsana,  dans  le 
monde  des  Dieux  avec  moi  : tu  reviendras,  quand  tu  auras 
reçu  les  armes.  » 1727. 

Arjouna  lui  répondit  : 

o Mâtali,  va  promptement,  toi  ! monte  dans  le  plus 
excellent  des  chars,  bien  difficile  à obtenir,  fût-ce  par  des 
centaines  d’açvamédhas  et  de  râdjasoûyas.  1728. 

» On  ne  peut  monter  dans  ce  char  éminent,  grâce  à des 


216 


LE  MAHA-BHARATA. 


sacrifices,  riches  des  plus  beaux  honoraires,  offerts  par 
les  plus  vertueux  des  princes,  fût-on  Dàniva  ou  Dieu 
même.  1729. 

» Il  est  impossible  ou  de  voir  ou  de  toucher  ce  char 
grand  et  céleste,  sans  avoir  accompli  une  pénitence  : 
combien  moins  y monter  ! 1730. 

» Entre  d'abord,  vertueux  cocher,  dans  ce  char,  que 
traînent  de  vigoureux  coursiers  ; je  monterai  ensuite, 
moi  ! comme  un  homme  récompensé,  dans  la  route  des 
gens  de  bien.  » 1731. 

A peine  eut-il  entendu  ces  paroles,  le  cocher  d'Indra, 
Mâtali  de  monter  vite  dans  le  char  et  de  retenir  les  cour- 
siers avec  les  rênes.  1732. 

L’âme  alors  pleine  de  joie,  Arjouna  se  baigne  dans  la 
Gangà  et,  devenu  pur,  le  fils  de  Kounti  et  de  Kourou 
murmure  la  prière,  suivant  la  règle.  1733. 

Quand  il  eut  rassasié  d'eau  les  mânes  de  ses  ayeux  con- 
formément aux  rites  et  suivant  la  convenance,  il  se  mit  à 
faire  ses  adieux  au  Mandara,  le  roi  des  montagnes  : 1734. 

« O toi,  montagne,  qui  fus  toujours  le  refuge  des  ana- 
chorètes vertueux,  au  caractère  pur,  aux  œuvres  saintes, 
qui  désirent  la  route  du  Swarga,  1735. 

» Les  brahmes,  les  kshatryas  et  les  valçyas,  qui,  grâce 
à ta  faveur,  sont  montés  au  Swarga,  s’y  promènent  tou- 
jours, libres  d'inquiétudes,  avec  les  Dieux.  1736. 

» Grand  mont,  roi  des  monts,  asile  des  solitaires,  qui 
es  comme  un  saint  lieu  de  pèlerinage,  je  te  fais  mes  adieux 
et  je  pars  : j’ai  doucement  habité  chez  toi.  1737. 

» Tes  plateaux,  tes  berceaux,  tes  rivières,  tes  ruisseaux 
et  tes  tirlhas  bien  saints,  je  les  ai  visités  plus  d'une 
fois.  1738.  < 


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VANA-PARVA. 


217 


» Çà  et  là,  j'ai  savouré  tes  fruits  embaumés  ; j’ai  bu 
dans  ces  cours  d'eau  parfumés,  qui  sortent  de  ton  corps, 
dans  ces  ondes  de  tes  ruisseaux,  qu'il  faut  boire  comme 
l’ambroisie.  Tel  qu’un  enfant  est  couché  doycement  sur  le 
sein  de  son  père,  tel,  auguste  roi  des  montagnes,  je  me 
suis  joué  sur  ton  sein,  que  remplissent  des  troupes  d’Ap- 
saras  et  qui  résonne  du  bruit  des  Védas. 

1739— 1740— 1741. 

» J’ai  toujours,  montagne,  habité  «avec  plaisir  sur  tes 
plateaux  ! » Après  ce  langage,  le  meurtrier  des  héros  en- 
nemis, Arjouna,  de  saluer  la  montagne.  1742. 

Le  sage  Kourouide  monta  joyeux  sur  ce  char  divin,  qui 
éclairait  comme  un  soleil,  et  fut  porté  au  sein  des  airs  par 
ce  véhicule,  admirable  chef-d’œuvre,  céleste  et  qui  sem- 
blait un  soleil  ! 11  fut  bientôt  hors  de  la  route,  où  peut 
atteindre  l’œil  des  mortels,  qui  suivent  le  sentier  de  la 
vertu.  1743—1744. 

11  vit  par  milliers  des  chars  aux  formes  merveilleuses  : 
il  n'y  avait  là  ni  soleil,  ni  lune  ; le  feu  n'y  brillait  pas. 

Là,  sous  forme  d’étoiles,  qui  paraissent  lumineuses,  on 
voit  des  saints  briller  d'une  clarté  propre,  récompense  de 
leurs  vertus.  1745 — 1746. 

Le  fils  de  Pàndou  vit  là  reluire  de  leur  splendeur  même 
en  des  places  assignées  de  bien  grands  corps  aux  formes 
enflammées,  qui  dans  l’éloignement  ressemblaient  à des 
lampes.  Là,  étaient  des  rois  saints  et  des  héros  accom- 
plis, qui  avaient  succombé  dans  la  guerre.  1747 — 1748. 

Ils  sont  allés  par  troupes  de  centaines  dans  le  Swarga, 
que  leur  pénitence  a conquis.  Là,  sont  des  milliers  de 
Gandharvas  à la  splendeur  flamboyante  comme  le  so- 
leil. 1749. 


218 


LE  MAHA-BHARATA. 


Phâlgouna  fut  saisi  d'étonnement,  en  voyant  les  trou- 
pes des  Gouhyakas,  des  rishis  et  des  Apsaras  former  ces 
lumières  du  monde,  qu’il  arail  crues  inanimées.  1750. 

Il  interrogea  Mâtali,  qui  répondit  affectueusement  : «Ce 
sont  les  personnes  aux  actions  vertueuses,  qui,  dans  leurs 
places  respectives,  vues  sur  la  surface  de  la  terre,  y sem- 
blent des  étoiles!  » Il  vit  ensuite  debout  auprès  d’une 
porte  le  superbe  éléphant  de  la  victoire,  Alravata,  aux 
quatre  défenses,  haut  comme  une  cime  du  Kaîlàsa.  Le 
plus  vertueux  des  fils  de  Pàndou,  le  plus  grand  des  prin- 
ces Kourouides  avait  accompli  son  heureux  voyage  et  res- 
plendissait là,  comme  jadis  Mândhatri.  Le  guerrier  aux 
yeux  de  lotus  bleu  avait  dépassé  les  mondes  des  rois. 

1751—1 752—1753—1754. 

Tandis  qu'il  faisait  route  ainsi  dans  le  monde  du  Swarga, 
le  héros  à la  vaste  renommée  vit  enfin  Amaravatl,  la  ville 
de  Çakra.  1765. 

11  vit  cette  immense  cité,  habitée  par  les  Siddhas  et  les 
Tchàranas,  embellie  d’arbres  saints,  qui  se  paraient  de 
fleurs  en  toutes  les  saisons.  1750. 

Là,  éventé  par  une  brise  aux  pures  odeurs,  mêlée  au 
parfum  des  lotus  et  des  fleurs  doucement  embaumées,  il 
admira  le  céleste  bois  du  Nandana,  hanté  par  les  chœurs 
des  Apsaras,  et  dont  les  arbres  semblaient  se  disputer  à 
qui  produirait  le  plus  de  fleurs  divines.  1757 — 1758. 

Ce  monde  des  hommes  aux  actions  vertueuses  est  inter- 
dit aux  yeux  de  ceux,  qui  n’ont  pas  accompli  une  péni- 
tence, ou  qui  n’ont  pas  entretenu  plusieurs  feux  sacrés,  ou 
qui  ont  tourné  le  dos  dans  une  bataille,  1759. 

Ou  qui  n'ont  pas  célébré  des  sacrifices,  ou  qui  n’ont  pas 
observé  leurs  vœux,  ou  qui  furent  exclus  des  Védas  et  de 


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VANA-PARVA. 


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la  tradition,  ou  de  qui  les  corps  ne  se  sont  pas  baignés 
dans  plusieurs  tîrthas,  ou  qui  sont  restés  en  dehors  de 
l'aumône  et  des  cérémonies.  1760. 

Les  çoûdras,  destructeurs  des  sacrifices,  ne  peuvent  le 
voir,  ni  les  insensés,  qui  mangent  de  la  chair,  qui  boivent 
des  liqueurs  enivrantes,  ou  qui  ont  souillé  la  couche  de 
leur  gourou.  1761. 

Admirant  ces  divins  bocages,  qui  retentissaient  de 
chants  célestes,  le  guerrier  aux  longs  bras  entra  dans  la 
ville  chère  à Çakra.  1762. 

11  vit  par  milliers  rassemblés  des  chars  célestes,  qui  al- 
laient suivant  la  volonté,  et  vers  lesquels  on  se  rendait 
par  dizaines  de  mille.  1765. 

Le  fils  de  Pàndou  s’avançait,  loué  parles  Gandharvaset 
les  Apsaras,  éventé  par  le  souffle  pur  des  vents, qui  voitu- 
raient  le  parfum  des  fleurs.  1764. 

Les  rishisduplus  haut  rang,  les  Siddhas,  les  Gandhar- 
vas  et  les  Dieux  célébraient  d’une  âme  joyeuse  le  fils  de 
Prithà  aux  œuvres  infatigables.  1765. 

Comblé  de  bénédictions,  le  guerrier  aux  longs  bras  s’a- 
vançait au  son  de  célestes  instruments  de  musique,  par  la 
grande  voie  des  constellations,  nommée  la  Souravithi,  re- 
tentissante de  conques  et  de  tambours.  Ses  louanges,  à 
l’ordre  d'Indra,  étaient  répétées  de  tous  les  côtés  dans  sa 
marche.  1766 — 1767. 

Alors  lesSàdhyas  et  les  Viçvas,  les  Maroutes  et  les  deux 
Açvins,  les  Adityas,  les  Vasous,  les  Roudras  et  les  purs 
Brahmarsis,  1768. 

Les  Râdjarsis  en  grand  nombre  et  les  rois,  en  tête  des- 
quels marchaient  Dillpa,  Toumbourou,  Nârada  et  les  deux 
Gandharvas  Hàhà  et  Hoithoû  : 1769. 


220 


LE  MAHA-BHARATA. 


Eux  tous  furent  abordés  suivant  l'étiquette  et  salués  par 
le  victorieux  descendant  jde  Kourou,  qui  vit  ensuite  le  roi 
des  Dieux,  Çatakratou.  1770. 

Descendu  de  son  char  sublime,  le  Prithide  aux  longs 
bras  vit  son  père  visible  à ses  yeux,  Pékaçâsana,  le  souve- 
rain des  Immortels,  1771. 

Sous  une  ombrelle  blanche,  portée  sur  une  belle  hampe 
d’or.  On  l’éventait  avec  un  éventail  aux  senteurs  de  par- 
fum céleste.  1772. 

Sa  gloire  était  chantée  par  Viçvàvasou  et  les  autres 
Gandharvas,  encomiastes  de  la  louange,  et  par  les  princi- 
paux des  brahmes,  identifiés  avec  le  Rig,  l’Yadjour  et  le 
Sàma.  1773. 

Ensuite  le  fils  vigoureux  de  Kountl,  s’étant  avancé,  in- 
clina sa  tète,  et  Çakra  le  reçut  entre  ses  bras  ronds  et  po- 
telés. 1774. 

Mais,  le  prenant  par  la  main,  Indra  le  fit  asseoir  près  de 
lui  dans  son  trône  saint,  honoré  par  des  troupes  de  Dé- 
varshis.  1775. 

Le  roi  des  Dieux,  meurtrier  des  héros  ennemis,  le  baisa 
sur  la  tête  et  le  fit  alors,  modeste  et  incliné,  monter  dans 
son  anka.  1770. 

Entré  dans  son  trône,  à l’ordre  de  l’Immortel  aux  mille 
yeux,  le  fils  de  Kountl  à l’âme  sans  mesure  occupa  le  siège 
comme  un  second  Indra.  1777. 

L’ennemi  de  Vritra  toucha  affectueusement,  pour  le  ca- 
resser, de  sa  main,  qui  avait  le  parfum  des  fleurs,  la  tête 
charmante  d’  Arjouna.  1778. 

11  flatta  doucement  ses  bras  longs,  bien  faits,  solides, 
que  la  corde  de  l’arc  avait  marqués  de  ses  coups  et  qui 
ressemblaient  à des  colonnes  d’or.  1779. 


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VANÀ-PARVA. 


221 


Le  caressant  mainte  et  mainte  fois,  le  Dieu,  qui  tient  le 
tonnerre,  frappa  à petits  coups  ses  bras  d’une  main,  où  la 
prise  de  la  foudre  avait  imprimé  ses  traces.  1780. 

Le  Dieu  aux  mille  regards  contemplait  en  souriant  Gou- 
tàkéça,  et  le  meurtrier  de  Vritra  ne  pouvait  en  rassasier 
ses  yeux  épanouis  de  joie.  1781. 

Assis  dans  un  même  siège,  ils  éclairaient  ce  palais, 
comme  le  soleil  et  la  lune  éclairent  le  ciel,  quand  ils  bril- 
lent de  concert  dans  une  pléoménie.  1782. 

Ici,  les  Gandharvas  les  plus  éminents,  comme  Tam- 
bourou,  habiles  dans  les  chants  du  Sàma,  entonnaient  des 
hymnes  d’une  voix  supérieurement  douce.  1783. 

Ghritàkshi,  Ménakà,  Rambhâ,  Poûrvatchitti,  Swyaam- 
prabhà,  Ourvaçl,  Miçrakéçl,  Oandagaàurl  et  Viroûthinl, 

Gopâll,  Sahadjanyâ,  Roumbhayoui,  Pradjâgarà,  Tchi- 
trasénâ,  Tchitralékha  avec  Madhourasvanà  : 1784 — 1785. 

Celles-là  et  d’autres  Apsaras  aux  yeux  de  lotus  dan- 
sèrent çà  et  là  par  milliers,  s’associant  pour  se  concilier 
l'esprit  des  Siddhas.  1780. 

Femmes  aux  grandes  hanches  et  aux  vastes  lombes, 
elles  ravissaient  le  cœur  et  l’àme  par  la  douceur  de  leur 
coquetterie, leurs  obliques  regardset  leurs  seins  tremblants. 

Bientôt,  prenant  le  plus  magnifique  arghya,  les  Dieux 
et  les  Gandharvas,  à l’ordre  d’Indra,  honorent  le  fils 
estimé  de  Prithà.  1787 — 1788. 

Tenant  l’eau  pour  laver  les  pieds  et  l’eau  destinée  à 
purifier  la  bouche,  ils  introduisent  le  fils  de  roi  dans  la 
demeure  de  Pourandara.  1789. 

Ainsi  honoré,  Djishnou  habita  le  palais  de  son  père, 
où  le  Pàndouide  étudia  les  grands  astras  avec  le  secret  de 
les  arrêter.  1 790. 


222 


LE  MAHA-BHARATA. 


11  reçut  de  la  main  d’Indra,  sa  foudre  chérie,  et  son 
astra  intolérable,  et  ses  tonnerres  aux  vastes  bruits,  qui 
ont  pour  signes  les  paons  des  nuages  à la  queue  rouante. 

Quand  il  eut  reçu  l'astra,  le  fds  de  Kountl  et  de 
Pândou  se  rappela  ses  frères  : il  vécut  là  heureux  cinq 
années  suivant  l'ordre  de  Pourandara.  1791 — 1792. 

Ensuite,  le  temps  venu,  après  qu'il  eut  terminé  l’étude 
des  armes,  Çakra  dit  au  Pândouide  : « Apprends,  fils  de 
Kountt,  apprends  de  Tchitraséna  le  chant,  la  danse  et  les 
instruments  de  musique,  imaginés  par  les  Dieux.  Acquiers 
ce  qui  n’existe  pas  dans  le  monde  des  hommes,  et  tu 
posséderas,  certainement,  ce  qu’il  y a de  plus  excellent. 

1793—1794. 

Pourandara  lui  donna  Tchitraséna  pour  ami  ; et  le  Pri- 
thide,  s’étant  réuni  avec  lui,  se  divertit,  exempt  de  maladie. 

Ce  maître  lui  enseigna  le  chant,  les  instruments  de 
musique  et,  de  plus,  la  danse  elle- môme.  Néanmoins, 
irrité  jusqu'à  la  mort  contre  Douççàsana  et  Çakouni,  le 
fils  de  Soubala,  ce  héros  ne  voulut  pas  goûter  un  divertis- 
sementcausé  par  le  jeu.  Ayantobtenu  partout,  grâce  à lui, 
un  plaisir  sans  égal,  il  acquit  la  science  des  instruments 
de  musique  et  une  danse  Gandharvique  et  nompareille. 

1795—1796—1797—1798. 

Instruit  de  plusieurs  qualités  de  la  danse,  instruit  de 
toutes  les  qualités,  substance  des  instruments  et  du  chant, 
le  meurtrier  des  héros  ennemis  ne  goûtait  pas  cependant 
une  joie  parfaite  au  souvenir  de  ses  frères  et  de  Kountl,  sa 
mère.  1799. 

Dans  le  commencement,  Çakra,  fils  de  Vasou,  ayant 
observé  que  les  yeux  du  Prithide  restaient  fixés  sur 
Ourvaçl,  dit  en  secret  à Tchitraséna  : 1800. 


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VANA-PARVA. 


123 


a Va  maintenant,  envoyé  par  moi,  roi  des  Gandharvas, 
trouver  Ourvaçt,  la  plus  belle  des  Apsaras,  et  quelle 
s'unisse  d’amour  avec  Phàlgouna,  le  tigre  des  hommes  1 

■>  11  te  faut,  docile  à mes  ordres,  rendre,  grâce  à ta 
science,  ce  guerrier,  qui  a reçu  mes  armes,  aussi  habile 
dans  le  commerce  des  femmes  qu’on  lui  a fait  d’honneur 
ici.  » 1801—1802. 

«Soit!  » répondit  à ces  mots  le  roi  des  Gandharvas, 
qui,  ayant  reçu  les  instructions  du  fils  de  Vasou.se  rendit 
près  de  la  séduisante  Ourvaçl.  1803. 

A sa  vue,  il  se  fit  connaître,  et,  joyeux,  salué  par  elle 
d’une  bien-venue,  assis  doucement,  il  dit  en  souriant  ces 
mots  à elle,  doucement  assise  : 1804. 

« Sache  que  je  viens  ici,  femme  charmante,  envoyé  par 
l'unique  souverain  du  ciel,  qui  se  félicite  de  ta  bienveil- 
lance ; 1805. 

» Lui,  qui  est  célèbre  parmi  les  Dieux  et  les  hommes 
pour  ses  qualités  naturelles,  sa  fortune,  son  caractère,  sa 
beauté,  ses  vœux  et  la  répression  des  sens  ; 1800. 

» Lui,  qui  est  vanté  pourla  force,  estimé  pour  la  valeur  ; 
lui,  qui  est  plein  d’audace,  radieux,  environné  de  splen- 
deur, patient  et  libre  d'envie  ; 1807. 

n Lui,  qui  a lu  les  quatre  Védas,  les  üupanishads,  les 
Védàngas  et  les  cinq  Tantras,  qui  est  doué  d’intelligence, 
d’obéissance  à l'égard  de  son  gourou,  et  qui  est  la  sub- 
stance des  huit  qualités.  1808. 

» Ce  Maghavat,  l’unique  protecteur  du  Tridiva  et  du- 
quel on  vante  la  continence,  la  politesse,  les  fils  et  la 
jeunesse  ; 1809. 

» Lui,  qui  n'est  pas  un  glorieux,  qui  se  plaît  à rendre 
l’honneur,  qui  a pour  but  de  grandes  choses  et  parle  à 


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VANA-PARVA. 


225 


le  coeur  tout  à sa  pensée,  l’esprit  occupé  de  son  projet, 
elle  se  jouait  déjà  avec  ce  beau  Phàlgouna,  amené  par  le 
d ■sir  dans  un  grand  et  splendide  lit,  jonché  de  célestes 
couvertures.  1819 — 1820. 

L'Apsara  charmante  sortit  à l'heure,  oùlalune  levée  est 
plongée  dans  la  bouche  de  la  nuit,  et  se  rendit  au  palais 
du  fils  de  Prithà.  1821. 

Elle  marchait,  resplendissante  et  folâtre,  portant  un 
faisceau  de  fleurs  dans  ses  cheveux  abondants,  longs, 
annelés  et  doux.  1822. 

Elle  semblait  porter  un  défi  dans  sa  marche  avec  la 
lune  de  son  visage,  qui  avait  la  douceur  de  l’éloquence 
des  œillades,  à la  lune  même,  qui  avait,  pour  la  dé  fendre, 
son  agrément  et  sa  beauté.  1823. 

Ses  deux  seins,  où  flottait  un  vaste  collier  de  perles, 
arrosés  d’un  sandal  divin  et  parfumés  d'onguents  célestes, 
l’un  et  l’autre  d’une  perfection  exquise,  palpitaient  dans 
sa  marche.  1824. 

Admirable  par  la  guirlande,  dont  la  ceignaient  les  trois 
plis,  elle  brillait  infiniment  par  sa  taille,  et  s’inclinait  à 
chaque  pas  sous  la  charge  de  sa  gorge  tremblante.  1825. 

Sa  croupe  grasse,  courbée,  étendue  par  en  bas  comme 
une  montagne,  brillante  habitation  de  l'Amour,  était 
ornée  d’une  guirlande  en  forme  de  ceinture.  1826. 

Son  djaghana  superbe  rayonnait  sous  un  vêtement  dé- 
lié et  portait  le  trouble  dans  l'àme  même  des  célestes 
rishis.  1827. 

Ses  deux  pieds  aux  talons  cachés,  aux  doigts,  dont  la 
surface  était  longue,  dorée,  inclinée  comme  le  dos  de  la 
tortue , resplendissaient , chargés  de  parures  gazouil- 
lantes. 1828. 


ni 


15 


22a 


LE  MAHA-BHARATA. 


Satisfaite  d'une  légère  ivresse, causée  par  le  sidhou  bu, 
elle  était  la  plus  admirable  des  femmes  par  ses  diverses 
agaceries.  1829. 

Les  Siddhas,  les  Tchâranas  et  les  Gandharvas  mar- 
chaient devant  cette  dame  gracieuse  aux  formes  les  plus 
merveilleuses  dans  le  Swarga  même  aux  nombreuses  mer- 
veilles. 1830. 

Elle  marchait,  son  corps  d’argent  enveloppé  d'un  outta- 
rlya  du  tissu  le  plus  délié,  couleur  des  nues  : tel,  dans 
le  ciel,  le  croissant  de  la  lune  environné  des  nuages.  1831. 

[a  femme  au  candide  sourire,  qui  s’avançait  comme  le 
vent  ou  la  pensée,  fut  arrivée  dans  un  instant  au  palais 
dePhâlgouna,  le  fils  de  Prithà.  1832. 

Là,  parvenue  à la  porte,  ô le  plus  vertueux  des  hom- 
mes, Ourvaçt  aux  beaux  yeux  fut  annoncée  à Arjouna  par 
les  portiers.  1833. 

Elle  s’approcha  de  cette  habitation  pure  et  des  plus  ra- 
vissantes : elle  venait  trouver,  l’âme  pleine  d'incertitude, 
sire,  Dhanandjaya  pendant  la  nuit.  183â. 

A la  vue  d’Ourvaç.i,  les  yeux  du  Prithide  se  couvrirent 
de  pudeur;  il  fit  un  salut  et  lui  rendit  l’honneur  comme  à 
son  gourou.  1836. 

« Je  te  salue  en  courbant  ma  tête,  Ô la  plus  charmante 
des  plus  belles  Apsaras,  lui  dit  Arjouna.  Que  ui’ordon- 
nes-tu,  reine?  Me  voici  devant  toi  comme  ton  servi- 
teur. » 1836. 

Ourvaçt  eut  à peine  entendu  ces  paroles  de  Phâlgouna 
que  la  connaissance  lui  fut  ravie  ; elle  fit  alors  entendre  au 
héros  toutes  les  paroles  du  Gandharva.  1837. 

Elle  répondit  : 

« Je  vais  te  parler,  0 le  plus  grand  des  hommes,  comme 


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VANA-PARVA. 


227 


il  me  fut  dit  par  Tehitraséna  et  t’expliquer  comment  je 
suis  venue  ici.  1 838. 

» Dans  la  grande  fête,  par  laquelle  on  célébra  ton  arri- 
vée dans  le  Swarga  et  qui  fut  ravissante  sous  les  yeux  de 
Mahéndra,  1830. 

» Près  des  Roudras  et  des  Adityas  réunis,  en  présence 
des  Açvins  et  des  Vasous  mêmes,  6 le  plus  grand  des 
hommes,  1830. 

» Au  milieu  des  chœurs  des  Maharshis,  des  plus  éminents 
Râdjarshis,  des  Yakshas,  des  Tchâranas  et  des  Siddhas, 
au  milieu  des  troupes  des  grands  Nâgas,  1831. 

» Tous  assis  suivant  leur  dignité,  leur  rang,  leur 
excellence,  dans  les  élévations  richement  flamboyantes, 
du  feu,  de  la  lune  et  du  soleil,  1832. 

» Au  milieu  des  vtnâs  et  des  instruments  de  musique, 
joués  par  les  Gandharvas,  alors  que  des  chants  cé- 
lestes ravissaient  les  oreilles,  fils  aux  grands  yeux  de 
Çakra,  1833. 

» Que  toutes  les  plus  belles  Apsaras  dansaient,  toi, 
rejeton  de  Rourou,  tu  n’avais  des  yeux  que  pour  me  voir 
seule  entre  toutes,  sans  les  cligner,  là,  dans  cette  fête, 
auprès  des  habitants  du  ciel.  Les  Dieux,  congédiés  par 
ton  père,  de  s'en  retourner  chacun  dans  son  palais. 

1833—1835. 

» Toutes  les  Apsaras  les  plus  distinguées  et  d'autres  en 
outre,  immolateur  des  ennemis,  s’en  vont  dans  leurs 
maisons,  congédiées  également  par  ton  père.  1830. 

b Ensuite,  les  instructions  de  Çakra  reçues,  Tchitra- 
séna  vint  en  ma  présence  et  me  dit  ces  mots,  prince  aux 
yeux  comme  les  pétales  du  lotus  : 1837. 

« Je  suis  envoyé  à cause  de  toi  par  le  souverain  des 


228 


LE  MÀHA-BHARATA. 


Dieux,  noble  dame.  I*'ais  ce  qui  est  agréable  à Mahéndra, 
à moi  et  à toi-même.  1848. 

» Attache  un  désir,  femme  ravissante,  sur  le  fils  de 
Prithâ,  qui  possède  la  vertu  de  la  générosité  et  qui  est  un 
héros  égal  à Çakra  dans  les  combats.  » C’est  de  cette 
manière  qu’il  a parlé.  1849. 

» Ainsi  autorisée  par  ton  père,  mortel  sans  péché,  c’est 
pour  lui  obéir,  dompteur  des  ennemis,  que  je  suis  venue 
ici  en  ta  présence.  1850. 

» Mon  âme  est  entraînée  par  tes  qualités;  je  suis  tom- 
bée sous  la  puissance  de  l’amour  ; et  ce  plaisir  est,  héros, 
ce  que  je  désire  depuis  long-temps.  » 1851. 

Dès  qu’il  eut  entendu  ces  paroles  d’elle,  Arjouna  fut 
tout  rempli  de  pudeur,  et,  couvrant  ses  oreilles  de  ses 
mains,  lui  tint  ce  langage  dans  le  palais  des  Dieux  ; 1852. 

« Que  tout  ce  que  tu  m’as  dit,  élégante  et  noble  dame, 
soit  toujours  difficile  à entendre  pour  moi  ; car  tu  es  à 
mes  yeux  égale  assurément  aux  épouses  de  mou  père, 
femme  au  charmant  visage.  1853. 

w Tu  es,  noble  dame,  ce  qu’est  la  vertueuse  Kountt,  ce 
qu’est  Indrani-Çatchl  : il  n’y  a pas  de  doute  à faire  ici. 

# Écoute  dans  la  vérité,  illustre  femme  au  sourire  pur, 
quelle  cause  antérieure  me  poussa  à te  regarder  manifes- 
tement plus  que  les  autres.  1854 — 1855. 

« Voilà,  me  disais-je,  l’heureuse  mère  de  la  race  de 
Vasou  ! » et,  dans  cette  pensée,  je  t’ai  regardée  alors  de 
mes  yeux  tout  grands  ouverts.  1856. 

# Ne  veuille  pas,  noble  dame,  penser  autre  chose  ; tu 
es  l’ Apsara  la  plus  chérie  de  mon  père,  et  je  vois  en  toi  la 
souche  de  ma  race.  « 1857. 

« Nous  n’avons  pas  d’époux,  fds  du  roi  des  Dieux,  lui 


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VANA-PARVA. 


22» 


répondit  Ourvaçl  ; ne  veuille  donc  pas,  héros,  me  mettre 
ici  dans  le  rang  de  ton  père.  1858. 

» Ceux,  qui,  (ils  ou  petit-fils  dans  la  race  de  Pourou, 
sont  venus  ici,  font  leur  plaisir  de  la  pénitence,  et  il  n’existe 
aucune  transgression  d’eux  avec  nous.  1859. 

a Sois  favorable  pour  moi  ; ne  veuille  pas  me  renvoyer 
malheureuse,  consumée  par  l'amour;  aime-moi,  qui  t'aime, 
ô toi,  qui  donnes  l’honneur.  » 1860. 

« Écoute,  femme  charmante  à la  jolie  taille,  reprit  Ar- 
jouna,  ce  que  je  vais  dire  dans  la  vérité.  Que  les  points 
cardinaux  m'entendent,  et  les  points  intermédiaires,  et 
tous  les  Dieux  ! 1861. 

>•  Tu  es  ici  devant  moi,  femme  irréprochable,  comme 
Prithâ,  comme  Mâdrl,  comme  Çatchll  Souche  de  ma  race, 
tu  es  encore  plus  respectable  maintenant  à mes  yeux.  1862. 

» Va  ! je  courbe  ma  tête  sous  tes  pieds,  illustre  dame  ; 
car  je  dois  t'honorer  comme  une  mère  et  tu  dois  me  gar- 
der comme  un  fils.  » 1863. 

A ces  mots  du  fils  de  Prithâ,  Ourvaçt,  tremblante, 
pleine  de  colère,  les  sourcils  contractés  sur  le  visage,  de 
prononcer  une  malédiction  contre  Dhanandjaya:  186/i. 

o Puisque  tu  n’as  aucun  égard  pour  moi,  tombée  sous 
la  puissance  d’une  flèche  de  l’Amour,  dit-elle,  et  venue 
dans  ton  palais  même  avec  la  permission  de  ton  père,  1865. 

» A cause  do  cela,  toi,  fils  de  Prithâ,  danseur,  privé 
d’honneur,  tu  erreras,  comme  un  eunuque,  au  milieu  des 
femmes  : « Ce  n’est  pas  un  homme!  diront-elles.  « 1866. 

Dès  qu’elle  eut  lancé  contre  Arjouna  cette  malédiction, 
les  lèvres  tremblantes  et  poussant  des  soupirs,  Ourvaçl, 
à la  hâte,  s’en  revint  dans  son  palais.  1867. 

Aussitôt  le  Pàndouide,  dompteur  des  ennemis,  alla  bien 


280 


LE  MAH4-BHÀRATA. 


vite,  malgré  la  nnit,  trouver  Tchitraséna  et,  lui  racon- 
tant la  scène  d'Ourvaçt,  il  dit  et  redit  exactement  cette 
malédiction,  qu’ elle  avait  fulminée  contre  lui.  1868 — 1860. 

Tchitraséna  d’informer  complètement  Çakra  de  l'aven- 
ture. Le  Dieu , véhicule  de  Hari,  se  lit  amener  son  fils  en 
particulier,  le  caressa,  le  flatta  avec  de  brillantes  paroles, 
et  lui  dit  : « Heureuse  mère  est  cette  Prithà  de  posséder 
en  toi  son  fils,  ô mon  chaste  fils!  1870 — 1871. 

» Ta  continence  a vaincu  les  rishis  mêmes,  guerrier  aux 
longs  bras.  Cette  imprécation  d’Ourvaçt  contre  toi,  en- 
fant, qui  fais  ma  gloire,  te  sera  utile  et  avantageuse.  Il 
vous  faut  habiter  inconnus,  mortel  sans  péché,  dans  une 
certaine  demeure  sur  la  face  de  la  terre.  1872 — 1873. 

Là,  héros,  tu  purgeras  cette  malédiction,  la  treizième 
année,  sous  le  travestissement  d’un  danseur  et  le  dégui- 
sement d’un  eunuque.  187â. 

» Quand  tu  auras  ainsi  passé  une  seule  année,  tu  re- 
viendras à ta  condition  d’homme!  » A ces  paroles  de  son 
père,  Phàlgouna,  le  meurtrier  des  héros  ennemis,  goûta 
une  joie  sans  égale;  il  ne  songea  plus  à sa  malédic- 
tion, et,  dans  la  société  de  Tchitraséna,  l’illustre  Gan- 
dharva,  Dhanandjaya,  le  fils  de  Pàndou,  savoura  le  plai- 
sir dans  le  palais  du  Swarga. 

Le  désir  de  quiconque  prêtera  sans  cesse  l’oreille  à cette 
histoire  du  fils  de  Pàndou  ne  se  portera  jamais  sur  les  cho- 
ses criminelles.  Quand  ils  ont  lu  cette  sainte  et  vénérable 
histoire  de  Phàlgouna,  le  fils  du  roi  des  Immortels,  les  In- 
dras  des  hommes,  s’élevant  au  ciel,  y jouissent  de  voir 
effacées  leurs  fautes  d’amour,  de  fraude  et  d’orgueil. 

1876—1876—1877—1878. 

Vatçampàyana  dit,  continuant  ie  fil  de  ta  narration  : 


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VANA-PARVA. 


231 


lin  jour,  le  grand  rishi  Lomaça  vint  au  palais  de  Çakra, 
amené  par  le  désir  d'y  voir  Pourandara.  1879. 

Arrivé  là,  et  dès  qu’il  eut  rendu  ses  hommages  au  roi 
des  Dieux,  le  grand  anachorète  vit  le  fils  de  Pàndou,  qui 
partageait  le  siège  d’Indra.  1880. 

A l’invitation  de  Çakra,  le  plus  vertueux  des  brahmes, 
honoré  par  les  Maharshis,  prit  place  sur  un  siège  haut  et 
vaste.  1881. 

A la  vue  du  fils  de  Prithâ  assis  dans  le  trône  d'Indra,  il 
eut  alors  cette  pensée  : « Comment  ce  kshatrya,  fils  de 
Kountl,  a-t-il  mérité  d’occuper  le  siège  d’Indra?  1882. 

» Quelle  bonne  œuvre  a-t-il  faite?  Quels  mondes  # 
a-t-il  conquis,  lui,  qui  est  ainsi  parvenu  à ce  siège,  au- 
quel sont  adressés  les  hommages  des  Dieux?  » 1883. 

L’époux  de  Çatchî,  Çakra,  le  meurtrier  de  Vritra,  con- 
nut sa  pensée  et  dit  à Lomaça,  en  souriant,  ces  paroles  : 

« Bramarshi,  écoute  ma  réponse  à ce  que  tu  veux  me 
dire  dans  ton  esprit.  Ce  guerrier  n’est  pas  seulement  un 
mortel,  descendu  à la  condition  humaine.  1883 — 1883. 

» Ce  guerrier  aux  longs  bras  est  mon  fils,  Mabarshi,  il 
est  né  de  Kountl;  il  est  venu  ici  chercher  des  armes. 
Quelle  autre  cause  aurait  pu  l'y  conduire  ? 1886. 

» Oh  1 ta  grandeur  ne  peut  reconnaître  en  lui  un  antique 
et  le  plus  saint  des  rishis  ; écoute  de  ma  bouche,  brahme, 
qui  il  est  et  quelles  furent  ses  actions.  1887. 

» 11  y eut  jadis  deux  rishis  très- vertueux,  Nara  et  Nà- 
ràyana  : sache  ce  que  sont  Kishîkéça  et  Dhanandjaya. 

» Ces  rishis  Nara  et  Nàrâyana  sont  renommés  dans  les 
(rois  mondes  ; ils  sont  descendus  sur  la  terre,  le  séjour 
des  bonnes  actions,  pour  certaine  affaire,  que  ni  les  Dieux 
ni  les  magnanimes  rishis  ne  pouvaient  accomplir.  Ils  eu- 


232 


LE  MAHA-BHARATA. 


rent  alors  pour  hermitage  un  lieu  saint,  illustre,  sous  le 
nom  de  Vadarl.  1888 — 1889 — 1890. 

» Ce  fut  d'abord  l’habitation  de  Vishnou  et  de  Djish- 
nou.  De  là,  ils  allèrent  sur  les  bords  de  la  Gangâ,  fréquen- 
tée des  Siddhas  et  des  Tchâranas.  1891. 

» Nés  là-bas,  suivant  mon  ordre,  ces  deux  êtres  à la 
grande  splendeur,  à la  grande  force,  y soulageront  la  terre 
du  fardeau,  qui  l’oppresse.  1892. 

# Car  certains  Asouras  orgueilleux,  nommés  les  Nivâ- 
takavatchas,  enivrés  des  grâces,  qu’ils  ont  reçus,  s’y  li- 
vrent à des  actes,  qui  nous  déplaisent.  1893. 

« » Exaltés  par  l’orgueil  de  leur  force,  ils  songent  à tuer 

les  Souras,  et,  pleins  des  faveurs,  qui  leur  sont  accordées, 
ils  ne  font  nul  cas  des  Dieux.  1894. 

» Ces  fds  de  Danou,  rejetons  formidables,  à la  grande 
vigueur,  habitent  le  Pàtala  ; et  toutes  les  multitudes  des 
Dieux  ne  sont  pas  capables  de  soutenir  la  guerre  avec 
eux.  1895. 

» Le  fortuné  Vishnou,  le  meurtrier  de  Madhou,  est 
venu  sur  la  terre  : c'est  le  Dieu  adorable,  Hari,  l'in- 
vaincu, nommé  aussi  Kapila.  1396. 

» C’est  lui,  seigneur,  de  qui  jadis  la  seule  vue  a suffi 
pour  tuer  ces  magnanimes  fossoyeurs  des  enfers,  les  fils 
de  Sagara.  1897. 

» Lui  et  le  fils  de  Prithâ,  associés  dans  une  vigoureuse 
bataille,  ils  doivent  exécuter  pour  nous,  ô le  plus  ver- 
tueux des  brahmes,  un  exploit  signalé  : il  n’y  a là-dessus 
aucun  doute.  1898. 

» 11  peut  anéantir  par  sa  vue  les  Asouras  et  leurs  sui- 
vants, tous  ces  Nivàtakavatchas,  comme  des  serpents  dans 
un  grand  lac.  1899. 


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VANA--PARVA.  233 

» Mais  il  ne  faut  pas  réveiller  le  meurtrier  de  Madhou 
pour  une  petite  affaire  ; car  cette  montagne  immense  de 
splendeur,  si  elle  était  réveillée,  incendierait  tout  l’univers. 

» 11  est  capable  de  leur  faire  obstacle  à tous,  et,  quand 
ce  héros  les  aura  immolés  dans  une  bataille,  il  reviendra 
chez  les  hommes.  1900 — 1901. 

» Que  ta  sainteté  s'en  aille  maintenant,  d’après  mon 
ordre,  sur  la  surface  de  la  terre;  tu  y verras  le  héros 
Youddhishthira,  qui  habite  dans  le  Kàmyaka.  1902. 

» Il  te  faut  parler,  suivant  mes  instructions,  à cet 
homme  juste,  voué  à la  vérité  : il  ne  doit  concevoir  au- 
cune inquiétude  à l'égard  d'Arjouna.  11  reviendra  bientôt, 
une  fois  qu'il  saura  les  armes.  1903. 

» Bhishma,  Drona  et  les  autres  peuvent  résister  dans  la 
guerre  à ce  héros,  s’il  ne  sait  pas  les  armes  et  si  la  vigueur 
de  ses  bras  est  sans  expérience  dans  les  combats.  190/i. 

» Mais  aujourd'hui,  Goudakéça  aux  longs  bras,  au 
grand  cœur,  a reçu  des  armes  : il  a complété  l'étude  des 
instruments  de  musique,  du  chant  et  de  la  danse  célestes. 

« Dompteur  des  ennemis  et  souverain  des  enfants  de 
Manou,  tuidirtu-tu,  ta  majesté,  accompagnée  de  ses  frères, 
mérite  de  voir  les  tirthas  solitaires.  1905 — 1900. 

» Quand  tu  te  seras  plongé  dans  l’onde  pure  de  ces 
bains,  alors,  Indra  des  rois,  tu  jouiras  en  paix  de  ton 
royaume,  libre  de  soucis,  exempt  de  péchés  et  tes  souil- 
lures effacées.  » 1 907. 

» Que  ta  sainteté,  douée  de  la  puissance  des  mortifi- 
cations, veuille  donc,  ô le  plus  grand  et  le  plus  vertueux 
des  brahmes,  le  sauver  sur  la  terre,  dont  il  parcourt  la 
surface.  1908. 

» Quelle  étende  sur  eux  sa  surveillance;  car  des  Ra- 


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2Sâ  LE  MAHA-BHARATA. 

kshasas  épouvantables  habitent  sans  cesse  les  lieux  impra- 
ticables et  les  pays  rompus  des  montagnes.  » 1009. 

A ces  mots  de  Mahéndra,  Btbhatsou  dit  avec  soumis- 
sion à Lomaça  : « Protège  le  rejeton  de  Pândou  ! 1910. 

» Que  le  roi  visite,  défendu  par  toi,  ô le  plus  vertueux 
des  hommes,  tous  les  tirthas-,  agis  de  manière,  grand 
anachorète,  qu'il  donne  l’aumône.  » 1911. 

« Qu’il  en  soit  ainsi  ! » répondit  le  solitaire  aux  bien 
grandes  pénitences,  et,  se  dirigeant  sur  le  bois  Kâmyaka, 
Lomaça  descendit  sur  le  sol  de  la  terre.  1912. 

11  vit  là  Dharmaràdja,  le  victorieux  fils  de  K ou  ntt,  qae 
les  pénitents  et  ses  frères  environnaient  de  tous  les  cô- 
tés. 1913. 

Djanamédjaya  demanda  : 

« Qu’est-ce  qu’a  dit,  brahme,  Dhritarâshtraàlagrande 
science,  quand  il  eut  appris  cette  action  plus  que  mer- 
veilleuse du  Prithide  à la  force  sans  mesure?  » 191  A. 

Vaîçampâyana  lui  répondit  : 

« Dès  qu’on  eut  rapporté  au  roi,  fils  d’Ambikâ,  que  le 
Prithide  était  allé  dans  le  monde  de  Çakra,  il  dit  ces  mots 
àSandjaya  d’après  Vyâsa,  le  plusexcellent  des  rishis  : 1915. 

o Connais-tu  entièrement  et  suivant  la  vérité,  cocher, 
cette  action  du  sage  fils  de  Prithâ,  qui  me  fut  racon- 
tée. 1916. 

» Mon  fils,  bien  insensé,  négligent,  au  peu  d'àme,  li- 
vré au  vice,  adonné  à des  soins  grossiers,  fera  périr  la 
terre.  1917. 

» Il  trouvera,  pour  combattre,  eût-il  même  les  trois 
mondes  avec  lui,  Dhanandjaya,  ce  magnanime,  de  qui  les 
paroles  sont  toujours  vraies  dans  les  choses  indiffé- 
rentes. 1918. 


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VANA-PARVA. 


285 


» Quel  homme,  tandis  qu'il  marche,  soumis  à la  vieil- 
lesse et  à la  mort,  oserait  tenir  devant  Arjouna,  quand  il 
envoie  ses  dards  oreillés,  à la  pointe  acérée,  comme  des 
rochers  aigus?  1919. 

» Mes  fils  sont  des  insensés,  ils  suivent  tous  la  puis- 
sance de  la  mort  : la  bataille,  qui  les  menace,  est  avec  les 
inafiïontables  Pàndouides!  1920. 

» J’ai  beau  y penser  continuellement,  je  ne  vois  pas, 
quel  maître  de  char  oserait  s’avancer  contre  Arjouna, 
quand  il  tient  l’arc  Gândîva  à sa  main  ! 1921. 

» Si  Droua  et  Karna,  si  Bhishma  lui-même,  marchaient 
en  guerre  contre  lui,  ils  courraient  un  grand  danger  ; je 
vois  là  dans  le  monde  une  victoire  obtenue  sur  nous.  1922. 

» Karna  est  un  censeur  négligent,  Atchârya  est  un 
vieux  précepteur  ; mais  le  fils  de  Prithâ  est  fort,  impa- 
tient, fier  et  d’un  courage  infaillible.  1923. 

» 11  naîtra  un  combat  tumultueux,  où  la  victoire  ne  sera 
même  d'aucun  côté  ; car  tous  seront  des  héros,  qui  savent 
les  armes  et  qui  ont  acquis  une  grande  renommée.  1924. 

» Tous,  invaincus,  ils  aspirent  à la  domination  univer- 
selle, et,  pour  sûr,  il  n’y  aura  de  paix  que  dans  leur  mort 
ou  celle  de  Phâlgouna.  1925. 

» 11  n'est  pas  un  homme,  qui  puisse  tuer  Arjouna  ; son 
vainqueur  n’existe  pas  au  monde  : comment  se  calmerait 
sa  colère,  fût-elle  dirigée  contre  moi-même  ! 1926. 

» C’est  un  héros  égal  au  souverain  du  Tridaça  ; il  a 
rassasié  le  feu  dans  le  Khàndava;  il  a vaincu  tous  les  rois 
dans  le  grand  sacrifice  du  ràdjasoûya.  1927. 

» Tombant  sur  le  front  de  la  montagne,  le  tonnerre, 
mon  enfant,  pourrait  en  faire  la  destruction  ; et,  lancées 
par  la  main  de  Kirlti,  ses  (lèches  ne  pourraient  la  détruire 


286 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Tels  que  les  rayons  du  soleil  brûlent  ici-bas  les  êtres 
immobiles  et  mobiles;  telles,  envoyées  par  le  bras  du 
Prithide,  ses  (lèches  consumeront  mes  fils.  1928 — 1929. 

» L’armée  Bharataine  semble  déjà  comme  rompue 
de  toutes  parts,  en  proie  à la  crainte,  que  sème  le  bruit 
du  char  de  l'ambidextre.  1930. 

» Grâce  aux  flèches,  qu'il  vomit  et  qu’il  disperse,  on 
dirait  que  le  créateur  a fait  de  Kiriti  le  Trépas,  qui  met 
fin  à toutes  choses  : tant  il  est  invincible,  ce  destructeur 
de  tout  ce  qui  tient  devant  lui  ! » 1931. 

« Tout  ce  qui  fut  dit  par  toi  sur  Douryodhana,  reprit 
Sandjaya,  le  fut  dans  la  vérité,  sire,  et  rien  ne  fut  dit  sans 
raison,  maître  de  la  terre.  1932. 

» La  colère  a saisi  les  fils  de  Pàndou  à la  grande  force, 
depuis  qu'ils  ont  vu  conduite  à l’assemblée  Draàupadi, 
leur  illustre  et  légitime  épouse.  1933. 

» Depuis  qu’ils  ont  entendu  les  paroles  aux  conséquences 
épouvantables  de  Douççàsana  et  de  Karna,  ils  doivent, 
c'est  mon  opinion,  grand  roi,  mépriser  de  tels  hommes. 

» J’ai  ouï  dire,  auguste  majesté,  comment  le  Prithide 
avait  charmé  Sthànou  aux  onze  corps  par  son  adresse  à 
manier  l’aie  dans  son  combat  avec  lui.  193â — 1935. 

» L'adorable  Kapardi,  le  souverain  de  tous  les  Dieux, 
avait  revêtu  le  corps  d’un  chasseur  montagnard,  et,  dési- 
rant le  vaincre  soi-même,  lui  avait  livré  bataille.  1936. 

» Là,  les  gardiens  du  monde  lui  montrèrent  Atchyouta, 
le  plus  éminent  des  Kourouides,  triomphant  dans  une 
grande  pénitence  pour  acquérir  des  armes.  1937. 

» Nul  autre  homme  que  Phàlgouna  n’a  jamais  pu  obte- 
nir sur  la  terre  la  vue  en  personne  de  ces  puissants  mo- 
narques des  Dieux.  1938. 


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VANA-PARVA. 


237 


# Quel  héroïque  guerrier,  sire,  pourrait  exterminer 
dans  un  combat  celui,  que  n’a  pu  détruire  Mahadéva 
même,  le  Dieu  aux  huit  formes?  1939. 

» Ils  auront  donc  â soutenir  des  combats  tumultueux, 
horribles , épouvantables,  les  insensés , qui  ont  traîné 
Draâupadi  autour  d une  salie  et  suscité  la  colère  des  Pàn- 
douides.  1940. 

» Elle  aura  un  sens  cette  parole,  que  Rhlma  jadis  a 
prononcée  de  ses  lèvres  tremblantes,  quand  il  vit  Douryo* 
dhana  montrer  à nu  les  deux  cuisses  de  Draâupadi  : 1941. 

s Scélérat  ! je  briserai  ta  cuisse  sous  le  coup  de  cette 
massue  à la  fougue  épouvantable  au  terme  de  ces  treize 
années,  condition  de  ce  jeu  cruel!  » 1942. 

» Tous  sont  les  meilleurs  des  combattants,  tous  ont  la 
connaissance  de  toutes  les  armes,  tous  possèdent  une 
force  outre  mesure  et  sont  invincibles  aux  Dieux  mêmes. 

» Agités  par  la  colère,  pleins  de  ressentiment  des  in- 
jures faites  à leur  épouse,  les  Pàndouides,  je  le  pense, 
conduiront  tes  fils  à leur  fin.  « 1943 — 1944. 

» Pourquoi  Karna  a-t-il  prononcé  des  paroles  blessantes, 
cocher?  lui  répondit  Dhritarâsbtra.  Et  pourquoi;  en  traî- 
nant Krishnâ  dans  l'assemblée,  a-t-on  suscité  cette  juste 
inimitié?  1945. 

» Si  mes  fils  ont  manqué  de  raison  maintenant,  c’est 
parce  que  leur  frère  aîné,  leur  chef,  n’est  pas  resté  dans 
les  bornes  de  la  décence.  1940. 

» Me  voyant  privé  des  yeux  et  l’ànie  sans  essor,  cet  in- 
sensé ne  veut  pas,  cocher,  obéir  à ma  parole.  1947. 

» Karna,  le  fils  de  Soubala  et  les  autres,  qui  sont  ses 
conseillers  stupides,  augmentent  encore  plus  les  fautes  de 
ce  prince  sans  intelligence.  1948. 


238 


LE  M AHA-BHARATA. 


» Le»  flèches,  envoyées  avec  indifférence  par  le  fils  de 
Prithà  à la  splendeur  sans  mesure,  consumeraient  mes 
fils;  à plus  forte  raison,  quand  elles  sont  envenimées  par 
la  colère!  1949. 

» Les  célestes  dards,  réjouis  par  les  charmes,  envoyés 
par  le  bras  du  Prithide,  décochés  par  son  grand  arc,  pour- 
raient immoler  les  Dieux  mêmes.  1 950. 

» Quelle  chose  ne  serait  pas  vaincue  par  celui,  qui  a 
pour  conseiller,  pour  défenseur,  pour  ami  Hari-Djanàr- 
dana,  le  protecteur  des  trois  mondes  ? 1951. 

» Certes  ! c’est  un  fait  bien  grandement  admirable, 
Sandjaya,  qu'Arjouna  ait  pris  à bras-le-corps  Mabadéva, 
comme  nous  l'avons  ouï-dire  ; 1952. 

» Et  ce  que  dans  le  Khândava,  jadis,  exécutèrent  Phâl- 
gouna  et  Damaudara  à la  face  de  l’univers  entier  dans 
leur  alliance  avec  le  Feu  ! 1953. 

» Mes  fils,  secondés  par  les  ministres,  sont  incapables, 
malgré  leur  grande  vigueur,  de  résister  à Blitma  irrité, 
au  fils  de  Prithà  et  à Krishna  l'Yadouide  ! » 1954. 

üjanamédjaya  dit  : 

« 11  est  inutile  de  redire,  anachorète,  toutes  les  plaintes, 
que  soupira  le  roi  Dhrilarâshtra,  après  qu'il  eut  prononcé 
l’exil  des  héros  Pàndouides  ; 1955. 

» Et  de  quelle  manière  le  roi  souffrit  que  Douryodhana, 
son  fils  insensé,  irritât  la  colère  des  fils  de  Pàndou  aux 
grands  chars.  1 950. 

» 11  faut  nous  dire  quelle  fut  la  nourriture  des  Pân- 
douides  au  milieu  des  bois  : que  ta  sainteté  nous  raconte 
la  vie,  qu’ils  ont  traînée  dans  la  forêt.  » 1957. 

Vaîçampâyana  lui  répondit  : 

Ta  majesté  saura  que  ces  hommes  éminents  ont  nourri 


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VANA-PARVA. 


289 


les  plus  grands  des  brahmes  avec  des  fruits  sauvages  et 
de  la  venaison,  qu’ils  abattaient  sous  leurs  flèches  lui- 
santes. 1958. 

Alors  des  brahmes  avec  des  feux  ou  sans  feux  avaient 
suivi  ces  héros  aux  grands  arcs  dans  le  bois,  sire,  où  ils 
avaient  mis  leur  habitation.  1959. 

Là,  Youddhishthira  nourrit  dix  mille  brahmes  magna- 
nimes ou  maîtres  de  maison,  versés  dans  les  moyens  de  la 
délivrance.  1960. 

11  abattait  sous  diverses  flèches  les  rourous  (1),  les  ga- 
zelles noires  et  d'autres  hôtes  purs  des  bois,  qu’il  dis- 
tribuait aux  brahmes.  1961. 

On  ne  voyait  ià  aucun  homme  de  mauvaise  classe,  ou 
malade,  ou  maigre,  ou  faible,  ou  qui  fût  malheureux,  ou 
qui  eût  peur.  1962. 

Youddhishthira- Dharmarâdja , le  plus  vertueux  des 
Kourouides,  les  nourrissait  tous  comme  des  parents  du 
môme  sang,  comme  des  frères  chéris,  comme  des  (ils. 

Quand  Draàupad!  avait  servi  ses  époux  et  les  brahmines 
illustres,  comme  ses  mères,  elle  mangeait  alors  ce  qui 
restait.  1963 — 1964. 

Battant  sans  cesse  la  campagne  pour  se  procurer  des 
vivres,  toujours  l’arc  au  poing,  ils  faisaient  la  destruction 
des  gazelles,  le  roi  au  levant,  Bhima  au  midi,  les  deux 
jumeaux  au  nord  et  au  couchant.  1963. 

Cinq  années  s’écoulèrent  ainsi  pour  eux,  lisant  les 
Védas,  murmurant  la  prière,  célébrant  des  sacrifices,  dans 
ce  Kàmyaka,  où  ils  habilaieut,  regrettant  Arjouna,  dont 
ils  étaient  privés.  1966. 


2A0 


LE  MAHA-BHARATA. 


Dès  qu’il  eut  appris  leur  conduite  merveilleuse  et  qui 
dépassait  l'humanité,  le  fils  d’Ambikà,  enveloppé  (fins 
le  chagrin  de  ses  pensées,  l’àme  inondée  de  ressentiment, 
poussant  de  longs  et  brûlants  soupirs,  l’auguste  Dhrita- 
râshtra,  adressant  la  parole  à son  cocher  Saudjaya,  lui 
dit  : 1967—1968. 

« Je  ne  puis  trouver,  ni  le  jour  ni  la  nuit,  un  moment 
de  tranquillité,  cocher,  occupé  sans  cesse  de  cette  con- 
duite uiau\ aise,  épouvantable  de  mes  fils,  le  résultat  du 
jeu,  1969. 

n Et  songeant  au  courage,  à la  fermeté,  à la  constance 
éminente,  à l'affection  mutuelle  et  plus  qu’humaine  de  ces 
frères  d’une  valeur  insoutenable;  1970. 

» A ces  vertueux  fils  des  Dieux,  qui  ont  une  splendeur 
égale  à celle  du  roi  des  Immortels,  Nakoula  et  Sahadéva, 
les  fils  attribués  à l’àndou,  ivres  dans  les  combats;  1971. 

» Aux  armes  solides,  aux  coups,  qui  atteignent  de  loin, 
aux  pensées  continuellement  portées  vers  les  batailles,  à 
la  main  prompte,  à la  colère  énergique,  impétueux  et 
toujours  ensemble.  1972. 

» Quand  ces  deux  héros,  à la  suite  de  Bhtma  et  d’Ar- 
jouna,  se  tiendront  à la  tète  de  la  bataille,  courageux 
comme  des  lions , difficiles  à soutenir  comme  les  deux 
Açwins,  1973. 

» Je  ne  vois  pas,  Sandjaya,  que  je  puisse  conserver  un 
reste  d’armée,  car  ces  deux  héros , enfants  des  Dieux, 
sont  irrésistibles  dans  les  combats.  I97à. 

» Ils  ne  pardonneront  pas  les  mauvais  traitements  exer- 
cés envers  Draàupadi,  ces  irascibles  guerriers,  ni  lesVrish- 
nides  aux  grands  arcs,  ni  les  Pântchàlains  à la  grande 
force.  1975. 


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VANA-PARVA. 


241 


» Défendus  au  milieu  des  combats  par  le  Vasoudévide, 
fidèle  à la  vérité,  les  Prithides  consumeront  l’armée  de  mes 
fils  dans  la  bataille.  1976. 

» Il  est  impossible  à tous  les  combattants  mêmes  de 
soutenir  dans  la  guerre,  fils  de  cocher,  l'impétuosité  de 
Krishna  et  de  Baladéva,  ces  deux  Vrishnides,  quand  iis  se 
portent  en  avant.  1 977. 

» Au  milieu  d'eux  se  promènera  avec  sa  massue,  homi- 
cide des  héros  et  qu’un  lien  attache  à son  bras  (1),  le  hé- 
ros Bhimaséna  au  courage  épouvantable.  1978. 

» Les  rois  ne  peuvent  supporter  le  bruit  de  l’arc  Gân- 
diva,  qui  résonne  comme  le  tonnerre,  ni  l’impétuosité  de 
la  massue  de  Bhima.  1979. 

» Alors,  moi,  qui  ai  suivi  la  volonté  de  Douryodhana, 
je  me  rappèlerai  les  paroles  de  mes  amis,  paroles,  qui 
n’étaient  pas  à oublier  et  que  j’ai  eu  le  malheur  de  ne  pas 
observer,  n 1980. 

« C’est  parce  que  tu  as  pardonné,  sire,  cette  immense 
transgression,  lui  répondit  Sandjaya,  qu'on  ne  peut  reti- 
rer ton  fils  de  son  égarement,  quelque  fort  que  l’on  soit. 

» A peine  eut-il  appris  que  les  fils  de  Pândou  avaient 
été  vaincus  au  jeu,  Atchvouta,  le  meurtrier  de  Madhou, 
se  hâta  de  venir  au  Kàmyaka  voir  ces  fils  de  Prithâ. 

1981—1982. 

» Il  était  accompagné  des  fils  de  Droupada,  qui  avaient 
mis  à leur  tête  Dhristadvoumna,  de  Virâta,  de  Dhrista- 
kétou'et  des  héros  Kaîkéyides.  1983. 

» Ils  virent  ce  qu’on  leur  avait  raconté,  ce  qu’on  avait 


(I)  Ici,  est  un  mot,  dont  aucun  Dictionnaire  ne  donne  l’ejjjlicalion, 
ça tkyù,  et  que  je  suppose  venir  de  çikya. 

III 


16 


242 


LE  MABA-BHARATA. 


appris  des  espions,  et  ce  que  tu  as  appris  de  moi,  les 
Pàndouides  dans  la  condition,  où  les  avait  mis  leur  dé- 
faite. 1984. 

» Réuni  là  avec  eux,  Hari,  le  meurtrier  de  Madhou,  en- 
vironné par  les  Pàndouides,  leur  promit  de  conduire  le 
char  de  Phàlgouna  sur  le  champ  de  bataille.  1985. 

« Irrité  à la  vue  des  Pàndouides  tombés  dans  une  telle 
condition  et  n'ayant  que  des  peaux  d’antilope  noire  pour 
vêtement  supérieur,  Krishna  tint  ce  langage  à Youddhish- 
thira  : 1980. 

« Cette  prospérité,  dont  les  fils  de  Prithà  jouissaient 
dans  lndraprastha,  cette  prospérité  inabordable  aux  au- 
tres rois  et  dont  je  fus  le  témoin  au  sacrifice  du  ràdja- 
soùya,  1987. 

» Là,  où  je  vis  tous  les  rois  de  la  terre,  qui  infligeaient 
la  terreur  par  la  force  de  leurs  armes,  les  Bangas,  les  An- 
gas,  les  Paàundras,  les  Oudras,  les  Ycholas,  les  Drâvidas 
et  les  Andhrakas,  ceux  qui  habitent  les  bords  et  les  hu- 
mides régions  de  la  mer,  les  Sinhalas,  les  Barvaras,  les 
lUIétchhas,  et  les  habitants  de  Lanka,  les  royaumes  de 
l’occident  par  centaines,  les  riverains  de  la  mer,  les  Pal- 
lavas,  les  Daradas,  tous  les  Kiràtas,  les  Yavanas  et  les 
Çakas,  les  Haras  et  les  Huns,  les  Chinois,  les  Tousharas, 
ceux  qui  errent  sur  les  rives  du  Sindhou,  les  Djagoudas,  les 
Ramalas,  les  Halnas,  les  troupes,  qui  habitent  le  royaume 
dc3  femmes,  les  kaikéyains,  les  Màlavas  et  les  hôtes 
du  Kâçmire;  cette  prospérité  mobile  et  fugitive,  j'ôterai  la 
vie  à ceux,  qui  te  l'ont  enlevée,  moi,  assisté  de  Balaràma, 
de  Bhtmaet  d’Arjouna,  d’Akroûra,  de  Gada  et  de  Çârnba, 
de  Pradyoumna,  d’Ahouka,  du  héros  Dhrishladyoumna  et 
du  fils  de  Çiçoupàla.  {De  la  stance  1988  A la  stance  1995.) 


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VANA-PARVA. 


248 

» Bientôt  j'immolerai  dans  un  combat  Douryodhana,  et 
Karna,  et  Douççâsana,  et  le  fils  de  Soubala,  et  tout  autre, 
qui  osera  combattre  avec  moi.  1995. 

» Toi,  grâce  à cet  exploit,  habitant  avec  tes  frères  dans 
Hàstinapoura,  en  possession  de  la  fortune  des  enfants  de 
Dhritaràshtra,  donne  tes  lois  à cette  terre.  » 1990. 

» Alors,  dans  cette  assemblée  de  héros,  le  roi  de  lui 
répondre,  entendu  par  tous  les  héros,  Dhrishtadyoumnaà 
leur  tète  : 1997. 

«J'accepte  cette  parole  vraie  de  ta  bouche,  Djanàr- 
dana  ; tu  immoleras  mes  ennemis  avec  leurs  adhérents, 
guerrier  aux  longs  bras,  1998. 

» Mais  après  la  quatorzième  année  ! Donne  de  la  vérité  à 
mes  paroles,  kéfava  ; car  j’ai  promis  au  milieu  des  rois 
cette  habitation  dans  les  bois.  » 1999. 

» Les  membres  de  l’assemblée,  Dhrishtadyoumna  h.  leur 
tète,  accèdent  à ces  paroles  de  Dharmaràdja  ; ils  s'em- 
pressent d'apaiser  la  colère  de  Kéçava  par  un  langage 
doux,  convenable  aux  circonstances,  et  disent  à la  Pàn- 
tchàlaine  consolée  aux  oreilles  du  Vasoudévide  : 

2000—2001. 

« Douryodhana,  reine,  abandonnera  la  vie  sous  ta  co- 
lère ; nous  te  le  promettons  dans  la  vérité  : cesse  de  t'af- 
lliger,  noble  dame.  2002. 

» Les  loups  et  les  oiseaux  riront,  en  dévorant  les  chairs 
de  ces  hommes,  qui  ont  ri  alors  qu'ils  te  virent  perdue  au 
jeu.  2003. 

» Les  vautours  et  les  chacals  boiront  le  sang  et  traîne- 
ront les  membres  supérieurs  de  ces  gens,  par  qui  tu  fus 
traînée  toi-mème  sur  la  face  de  la  terre.  2004. 

« Tu  verras,  Pàntchàlaine,  plus  d’une  fois,  les  mem- 


2 AA  LE  MAHA-BHARATA. 

bres  de  ces  hommes  traînés  et  mangés  par  des  carnassiers 
sur  le  sol  de  la  terre.  2005. 

» Cette  terre  boira  le  sang  des  têtes  coupées  à ceux,  par 
qui  tu  fus  accablée  ici  de  chagrins  et  par  qui  tu  fus  livrée 
au  mépris  ! i>  2000. 

» Tels  et  de  sortes  diverses  étaient  les  discours,  que  lui 
tinrent  ces  chefs  des  Bharatides,  tous  héros  impétueux, 
tous  portant  les  cicatrices  des  batailles.  2007. 

» Tous  ces  guerriers  aux  grands  chars,  environnant 
Dharmarâdja,  viendrontsous  la  conduite  du  Vasoudôvide, 
une  fois  expirée  la  treizième  année  : 2008. 

» Balaràma,  Krishna,  Dhanandjaya,  Pradvoumna  et 
Ç&mba,  Youyoudhâna  et  Bhtma,  les  deux  (ils  de  Màdri, 
les  (ils  du  roi  des  Kalkéyains,  les  fils  du  Pàntchâlain  et  le 
roi  de  Matsya.  2000. 

» Quel  homme,  s’il  aime  la  vie,  affronterait  dans  un 
combat  tous  ces  lions  à la  vaste  crinière,  ces  héros  du 
monde,  invincibles,  magnanimes,  avec  leurs  parents,  avec 
leurs  armées?  2010. 

» Voici  ce  que  m’a  dit  au  temps  du  jeu  Vidonra  : « Si 
tu  vaincs  les  Pândouides,  ce  sera,  pour  sûr,  la  perte  la- 
mentable des  Kourouides!  On  verra  naître  un  grand  dan- 
ger et  verser  le  sang  à torrents.  » 2011. 

» Il  en  sera  ainsi,  je  pense,  comme  jadis  me  l’a  assuré 
la  parole  de  Kshattri.  Cette  guerre  aura  lieu,  sans  aucun 
doute,  suivant  la  parole  des  Pândouides,  une  fois  le  temps 
arrivé.  » 2012. 


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L’ÉPISODE  DE  N AI,  A. 


Djauamédjaya  dit  : 

« Quand  le  magnanime  fils  de  Prithâ  s’en  fut  allé  au 
monde  de  Çakra  pour  obtenir  des  armes,  que  firent  alors 
Youddhishthira  et  les  autres  fils  de  Pândou?  » 2013. 

Vaîçampâyana  lui  répondit  : 

Quand  le  magnanime  fils  de  Prithâ  s’en  fut  allé  au 
monde  de  Çakra  pour  obtenir  des  armes,  ses  augustes 
frères  et  Krishna  mirent  leur  habitation  dans  le  Kà- 
myaka.  2014. 

lin  jour,  accablés  de  chagrins,  les  vertueux  Bharatides 
s'assirent  à l’écart  avec  Krishna,  comme  sur  un  terrain 
couvert  de  nouveau  gazon.  2015. 

Bien  affligés,  le  gosier  plein  de  larmes,  ils  pleuraient 
Dhanandjaya.  La  douleur  les  avait  envahis  tous, déplorant 
son  absence.  2016. 

Ils  étaient  désolés  de  leur  chute  du  trône  et  de  voir 


2â0 


LE  MAHA-BHARATA. 


Dhanandjaya  séparé  d’eux.  En  ce  moment , Bhima  aux 
longs  bras  tint  ce  discours  à Vouddhishthira  : 2017. 

« Arjouna,  cet  éminent  Bharatide,  sur  lequel  reposent 
les  existences  des  fils  de  Pàndou,  est  parti,  grand  roi, 
sur  ton  ordre.  2018. 

» Lui  mort,  les  Pântchâlains  avec  leurs  fils,  et  nous- 
mêmes,  et  Sàtyaki,  et  le  Vasoudévide,  nous  périssons 
tous  : il  n'y  a là  aucun  doute.  2019. 

» Le  vertueux  Bibhatsou  marche,  suivant  ton  ordre, 
agitant  de  nombreuses  misères  dans  sa  pensée  : est-il  rien 
de  plus  affligeant?  2020. 

» Ce  magnanime,  sous  les  bras  duquel  réfugiés  tous, 
nous  regardons  les  ennemis  comme  vaincus  sur  le  champ 
de  bataille,  et  la  terre  comme  déjà  conquise  ! 2021. 

» Cet  habile  archer,  par  la  puissance  duquel,  non  par 
la  mienne , les  Dhritaràshtrides  avec  le  fils  de  Soubala 
furent,  pour  ainsi  dire,  plongés  tous  dans  l'autre  monde 
au  milieu  de  l'assemblée  ! 2022. 

» Lui,  de  qui  nous  avons  supporté,  défendus  par  le  Va- 
soudévide et  quoique  forts  das  bras,  la  colère  soulevée,  dont 
tu  étais  l’origine  ! 2023. 

» Bientôt,  immolant  nos  ennemis  et  Karna  le  premier, 
avec  l'aide  de  Krishna,  nous  régnerions  sur  toute  la  terre, 
conquise  par  nos  bras.  202A. 

» Mais  accablés  par  la  faute,  que  ta  majesté  a commise 
au  jeu,  nous,  les  plus  forts  des  forts,  nous  sommes  tous 
comme  des  enfants,  dépourvus  de  toute  vigueur  ! 2025. 

» Veuille  bien  considérer,  grand  roi,  le  devoir  du 
kshatrya  ; en  effet,  le  devoir  du  kshatrya,  grand  roi,  n’est 
pas  d’habiter  les  bois.  2020. 

» Le  premier  devoir  du  kshatrya  est  la  défense  même 


YANA-PARVA. 


247 


du  royaume,  ont  dit  les  sages.  Roi,  qui  sais  les  devoirs 
du  kshatrya,  ne  détruis  pas  les  routes,  qui  sont  conformes 
aux  devoirs  (1).  2027. 

» Revenus  des  bois,  après  douze  années  écoulées,  sire, 
nous  détruirons  les  Dhritaràshtrides,  aidés  par  le  bras  de 
Djanàrdana  et  le  retour  du  fils  de  Prithà!  2028. 

» Mai f arant  ce  temps  j'enverrai  lestement  dans  l’autre 
monde,  grand  roi  à la  grande  sagesse,  la  nombreuse  armée 
des  Dhritaràshtrides,  monarque  des  hommes.  2029. 

» J'immolerai  tous  les  enfants  de  Dhritarâsthra,  et  le  fila 
de  Soubala,  et  Dourvodhana,  et  Rarna,  et  tout  autre,  qui 
osera  me  combattre.  2030. 

» L’ennemi  tué  par  moi,  tu  retourneras  ensuite  dans 
les  forêts;  les  choses  allant  ainsi,  monarque  des  hommes, 
on  évitera  les  fautes.  2031. 

« Et,  quand  nous  aurons  effacé,  auguste  majesté,  les 
péchés  commis  par  différents  sacriüces,  nous  monterons, 
révéré  dompteur  des  ennemis,  aux  cimes  du  Swarga. 

» Il  en  sera,  sire,  de  cette  manière,  si  le  roi  a du  juge- 
ment, si  ta  majesté  est  dévouée  an  devoir,  si  elle  ne  tarde 
pas  à suivre  nos  conseil*.  2032 — 2033. 

» On  peut  tuer  méchamment  l’homme  à la  science  mé- 
chante : telle  est  la  décision.  Tuer  un  méchant  avec  per- 
lidie  n’est  pas  appelé  un  crime.  2034. 

» C’est  ainsi  qu’en  ont  jugé  ici  dans  la  matière  des  de- 
voir ceux,  qui  savent  les  devoirs.  Le  jour  et  la  nuit,  au- 
guste majesté, -ressemblent  à l'année.  2035. 


(I)  Tous  les  Dictionnaires,  qui  citeqt  cç  vers  en  exempte  au  ver*  naç, 
portent  ici  dharmydnj  qui  est  une  leçon  évidemment  préférable  au  mot 

dharmdn  de  notre  édition. 


248 


LE  MAHA-BHARATA. 


» L’oreille  n'est  jamais,  seigneur,  frappée  ici  d’autre 
chose  que  des  paroles  du  Véda,  et  l’année,  grand  roi,  est 
toute  pleine  de  misère.  2036. 

» Si  les  Védas  sont  une  autorité  pour  toi,  il  faut  recon- 
naître un  jour  en  sus  de  treize  années  comme  le  temps 
révolu;  2037. 

» Ce  temps  d'immoler  Douryodhana  avec  ses  parents  ; 
mais  avant,  dompteur  des  ennemis,  il  aura  mis  toute  la 
terre  sous  sa  domination  ! Il  en  est  arrivé  ainsi,  Indra  des 
rois,  parce  que  ta  majesté  est  trop  l’amie  du  jeu  : voilà, 
sire,  la  faute,  qui  nous  a tous  précipités  dans  cette 
étrange  condition  ! 2038 — 2039. 

« Je  ne  vois  pas,  ainsi  pense  Douryodhana,  un  lieu,  où 
cet  homme  vil,  à l’âme  méchante,  ne  puisse  savoir  par  des 
espions  ce  que  nous  y faisons.  » 2040. 

» Ce  prince  abject  viendra  et  sa  méchanceté  nous  relé- 
guera tous  de  nouveau  dans  cette  habitation  des  bois. 

» Si  le  scélérat  peut  de  quelque  façon  arriver  jusqu’à 
nous,  dès  qu’il  nous  aura  vus  sortis  de  cette  malheureuse 
condition,  il  nous  portera  de  nouveaux  défis.  2041-2042. 

» Le  jeu  a succédé  au  jeu,  grand  roi,  et,  provoquée 
de  rechef,  ta  majesté  nous  perdra  encore  par  le  jeu. 

» Cet  insensé  est  habile  aux  dés,  résolu,  et  tu  mettras 
de  nouveau,  grand  roi,  ton  habitation  dans  les  bois. 

2043—2044. 

» Si  tu  ne  veux  pas  nous  rendre  misérables,  considère, 
auguste  majesté,  qu’elle  est  aujourd’hui  notre  vie  et  les 
devoirs  du  Véda  entièrement.  2045. 

» On  peut  tuer  méchamment  l’homme  à la  science  mé- 
chante. Donne-moi  ta  permission,  et  j’irai  de  toutes  mes 
forces  tuer  Souyodhana,  comme  le  feu  déchaîné,  qui  a le 


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VANA-PARVA. 


2A9 


vent  pour  cocher,  consume  une  forêt  de  bois  sec.  Que  ta 
majesté  me  commande  par  un  mot  seulement  ! » 

2046 — 2047. 

A Bhima,  qui  parlait  ainsi,  le  roi  Youddhislithira, 
Varna  incarné,  répondit  en  ces  termes,  caressant  le  Pân- 
douide  et  le  baisant  sur  la  tête  : 2048. 

« Sans  aucun  doute,  guerrier  aux  longs  bras,  tu  immo- 
leras Souvodhana,  toi  et  l’archer,  qui  possède  Cândiva, 
mais  quand  treize  années  auront  coulé,  2049. 

» Parce  que  le  temps,  comme  tu  me  l'as  dit,  seigneur, 
en  sera  venu  ! Je  ne  puis  dire  un  mensonge,  et  ce  défaut 
n’existe  pas  en  moi.  2050. 

» Suspendons  jusque-là,  fils  de  Kountt,  la  méchanceté 
aux  résolutions  criminelles.  C’est  à toi,  qu'est  réservée  la 
mort  de  cet  inaiïrontable  Souvodhana  et  de  ses  parents!  » 

Tandis  que  Youddhishthira,  le  fils  d’ Varna,  tenait  ce 
langage  à Bhima,  arriva  le  vertueux  et  grand  saint  Vriha- 
daçva.  2051 — 2052. 

Aussitôt  que  le  pieux  Dharraaràdja  le  vit  arriver,  i! 
honora  l’anachorète,  qui  suivait  le  sentier  du  devoir,  et 
lui  offrit,  suivant  les  rites,  un  bassin  de  caillebotte,  de 
miel  et  de  beurre  clarifié.  2053. 

Dès  que  Youddhishthira  aux  longs  bras,  assis  au-des- 
sous de  lui,  vit  le  solitaire  assis  et  délassé,  il  s’épancha  en 
maintes  choses  lamentables  : 2054. 

« Révérend,  provoqué  à jouer  par  des  joueurs  habiles  à 
la  science  méchante,  j’ai  perdu  au  jeu  des  dés  ma  fortune 
et  mon  royaume.  2055. 

» Bon,  ignorant  la  science  des  dés,  mon  épouse,  qui 
m’est  plus  chère  que  la  vie,  fut  conduite  à la  salle  du  jeu 
par  des  hommes  aux  pensée , vicieuses.  2056. 


250 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Mon  partenaire,  m’ayant  de  nouveau  gagné  au  jeu, 
m’a  relégué  dans  cet  épouvantable  séjour  des  bois  et 
m’a  imposé  d’habiter,  revêtu  de  peaux,  dans  la  grande 
forêt.  2057. 

u J’ai  donc  placé  ma  triste  habitation  dans  ces  bois,  où, 
plongé  au  fond  de  la  douleur,  j’entends  de  bien  horribles 
paroles  sur  le  chapitre  du  jeu  des  dés.  2058. 

» Loin  de  les  oublier  dans  mon  cœur,  où  elles  sont  des- 
cendues, je  pense  toute  la  nuit  au  langage,  que  mes  amis 
désolés  tiennent  sur  le  jeu  et  ses  conséquences.  2059, 

» Je  suis  comme  sans  âme,  séparé  de  ce  magnanime 
archer  de  l’arc  Gàndîva,  qui  renferme  en  lui-même  tous 
les  souffles  de  notre  existence.  2060. 

» Quand  pourrai-je  à mon  gré  voir  ici  revenu,  ayant 
étudié  les  armes,  ce  Bibhatsou  au  cœur  noble,  qui  est 
doué  de  compassion  et  sait  dire  des  choses  aimables? 

» 11  n’est  pas  sur  la  terre  un  roi  plus  malheureux  que 
moi  ! Nulle  part,  ta  sainteté  n’en  a vu  ; elle  n’en  a ouï- 
dire  avant  ce  jour  aucun  autre.  2061 — 2062. 

» 11  n’existe  pas,  à mon  avis,  d’homme  plus  affligé  que 
moi  I » 

Vrihadaçva  reprit  : 

• « Tu  dis,  ivre.de  ta  douleur,  fils  de  Pàndou,  il  n’existe 

nulle  part,  il  n’est  pas  un  homme  plus  malheureux  que 
moi  ! Je  te  raconterai  ici,  grand  roi,  si  tu  veux  me  prêter 
l’oreille,  un  homme,  qui  fut  plus  désolé  que  toi,  maître  . 
de  la  terre.  » — « Que  ta  sainteté  parle,  répondit  le  roi. 

2063—2064. 

» Je  désire  entendre  avec  étendue  l'Imtoire  de  ce  roi 
tombé  dans  une  telle  condition,  n Vrihadaçva  lui  dit 
alors  : « Écoute,  sire,  d’une  oreille  attentive  avec  tes 


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VANA-PARVA. 


251 


frère  l'hùtoire  de  ce  roi,  qui  fut  plus  malheureux  que  toi, 
Atchyouta,  roi  de  la  terre.  11  y avait  che*  les  Nishadhains 
un  monarque  appelé  Vîraséna.  2065 — 2006 — 2007. 

» Il  avait  un  fils,  nommé  Nala,  habile  dans  le  juste  et 
l’utile.  Poushkara,  aidé  par  la  tricherie,  gagna  ce  roi  au 
jeu,  nous  a dit  la  renommée.  2068. 

» Enseveli  dans  le  chagrin,  il  mit  avec  son  épouse  son 
habitation  dans  les  bois.  Tandis  qu’il  habitait  là.  dans  cette 
forêt,  il  ne  lui  resta  jamais  ni  serviteurs,  ni  char,  ni  frères, 
ni  parents  ; mais  ta  majesté,  sire,  est  environnée  de  héros, 
tes  frères,  semblables  aux  Dieux,  et  des  principaux 
brahmes,  égaux  eux-mêmes  à Brahma  : ne  veuille  donc 
pas  te  désoler,  d 

Youddhishthira  lui  répondit  : « Je  désire  entendre  avec 
étendue  l'histoire  de  ce  Nala  au  bien  grand  cœur  : veuille 
me  la  raconter,  6 le  plus  éloquent  des  êtres,  qui  sont 
doués  de  la  parole.  » 2069 — 2070 — 2071. 

« 11  y eut,  dit  Vrihadaçva,  un  roi  vigoureux  appelé 
Nala,  fils  de  Vîraséna.  11  était  beau,  doué  des  vertus,  que 
l’on  désire,  habile  à manier  les  chevaux.  2072. 

» 11  se  tenait  sur  le  front  de  tous  les  rois  des  enfants  de 
Manou,  comme  le  maître  des  Dieux,  ou  tel  que  le  soleil 
avec  sa  splendeur.  2073. 

» (fêtait  un  héros  pieux,  qui  savait  le  Véda-,  il  était  le 
souverain  des  Nishadhains  ; il  était  véridique,  grand,  à la 
tète  d’une  nombreuse  armée,  mais  il  aimait  les  dés.  2074. 

» Il  était  désiré  des  hommes  et  des  femmes,  il  était  gé- 
néreux, il  tenait  comprimés  ses  organes  des  sens;  coura- 
geux. défenseur,  il  était  le  plus  excellent  des  archers  et 
semblait  Mauou  même  rendu  visible  à la  terre.  2075. 

» Tel  ôtait  même  chez  les  Vidarhhains  le  héros  Bhlrna 


252 


LE  MAHA-BHARATA. 


au  courage  épouvantable,  doué  de  toutes  les  qualités,  ai- 
mant les  hommes,  mais  privé  de  postérité.  2070. 

» Il  tâchait  par  les  plus  grands  efforts  d'obtenir  une 
lignée,  quand  il  vint  chez  lui,  rejeton  de  Bharata,  un 
brahmarshi,  nommé  Damana.  2077. 

» Bhtma,  qui  désirait  des  enfants  et  qui  savait  le  devoir, 
enchanta  avec  son  épouse  par  les  traitements  de  son  hos- 
pitalité, Indra  des  rois,  cet  anachorète  à la  grande  splen- 
deur. 2078. 

» Rendu  propice,  Damana  de  lui  accorder  une  grâce, 
à lui  et  à son  épouse  : la  plus  belle  des  filles  et  trois  jeunes 
princes,  généreux  à la  vaste  renommée,  2079. 

» Doués  de  toutes  les  qualités,  épouvantables  par  elle8 
et  d'une  valeur  effrayante  : c’était  Damayanti,  Dama, 
Dànta  et  le  radieux  Damana.  2080. 

» Damayanti  à la  taille  gracieuse  obtint  par  sa  beauté, 
sa  gâce,  sa  splendeur  et  sa  renommée  une  grande  célé- 
brité parmi  les  hommes  les  plus  favorisés.  2081. 

» Quand  le  temps  de  la  jeunesse  fut  arrivé,* on  lui  fit 
une  parure  de  suivantes  ; et  des  compagnes  s’assirent  au- 
dessous  d’elle  par  centaines,  comme  autour  de  Çatchî. 

u Là,  environnée  de  ses  amies,  brillait , telle  que  l’éclair 
de  la  foudre,  la  charmante  fille  de  Bhtma,  ornée  de  toutes 
les  parures.  2082 — 2088. 

» Cette  vierge  aux  grands  yeux  était  douée , comme 
Çrl,  d'une  beauté  supérieure  ; et  nulle  part  on  ne  voyait 
de  pareilles  formes,  ni  chez  les  Yakshas,  ni  chez  les  Dieux  ; 

» Et  jamais  chez  les  autres  hommes  on  ne  vit  une 
beauté  égale,  jamais  il  n’en  fut  parlé.  Remplissant  l’ânie 
d’amour,  cette  aimable  enfant  était  belle  pour  les  Dieux 
mêmes.  2084 — 2086. 


VANA-PARVA. 


253 


» Le  roi  Nala,  incomparable  sur  la  terre  parmi  les 
hommes,  semblait  par  sa  beauté  lui-même  être  l’Amour 
incarné.  2080. 

» On  se  fit  un  plaisir  de  louer  Nala  près  d'elle  ; on  se 
fit  un  plaisir  de  vanter  mainte  et  mainte  fois  Damavanti 
auprès  du  Nishadhain.  2087. 

» Ce  récit  continuel  de  leurs  qualités  fit  naître  l'amour 
en  eux,  et  ce  sentiment,  fils  de  Rounti,  ne  fit  que  s'aug- 
menter l'un  pour  l’autre.  2088. 

» Nala  ne  put  alors  supporter  cet  amour  dans  son  cœur  ; 
il  vint  en  secret  et  s'assit  dans  un  bois,  qui  était  près  du 
gynœcée.  2080. 

» 11  vit  là  des  cygnes  aux  parures  d’or,  qui  se  prome- 
naient dans  le  bois:  il  prit  un  de  ces  volatiles.  2090. 

» L'hôte  des  airs  dit  alors  ces  paroles  à Nala  : « Si  lu 
épargnes  ma  vie,  sire,  je  ferai  une  chose,  qui  te  serait 
agréable.  2091. 

» Je  parlerai  si  bien  de  toi,  Nishadhain,  en  présence  de 
Damayantl,  quelle  n’estimera  jamais  un  autre  homme  que 
toi.  » 2092. 

» A ces  mots,  le  prince  relâcha  l'oiseau.  Les  cygnes 
s’envolèrent  et  se  dirigèrent  vers  les  Vidarbhains.  2093. 

» Arrivés  dans  leur  ville,  les  volatiles  s’abattirent  en 
présence  de  Damayantl  ; elle  vit  cette  bande  d'oiseaux. 

» Environnée  de  ses  amies,  elle  admira  ces  hôtes  de 
l’air  à la  beauté  merveilleuse  ; elle  essaya  en  se  hâtant  de 
prendre  un  de  ces  oiseaux.  209A — 2095. 

» Les  cygnes  de  s’envoler  partout  dans  les  jardins  du 
sérail  , et  les  jeunes  filles  de  courir  ici  et  là  après  la  gent 
emplumée.  2090. 

» L’oiseau,  que  poursuivait  Damayantl,  s'arrêta  devant 


254 


LE  MAHA-BHARATA. 


elle,  et,  prenant  une  voix  humaine,  lui  tint  ce  langage  : 

« Damayantl,  il  est  chez  les  Nishadhains  un  roi  nommé 
Nala  : il  est  égal  en  beauté  aux  Açvins  et  n'a  pas  son  pa- 
reil chez  les  hommes.  2007 — 2098. 

» Noble  dame,  si  tu  devenais  son  épouse,  ta  naissance 
et  ta  beauté  ne  seraient  pas  sans  fruit,  vierge  à la  jolie 
taille.  2099. 

» En  effet,  nous  avons  vu  des  Rakshasas,  des  Ouragas, 
des  hommes,  des  Gandharyas  et  des  Dieux  ; mais  nulle 
part,  avant  ce  jour,  une  telle  personne  ne  s’est  offerte  à 
nos  yeux.  2100. 

» Tu  es  la  perle  des  femmes,  Nala  est  le  plus  beau  des 
hommes.  Qu'on  fasse  donc  une  alliance  assortie  du  plus 
noble  avec  la  plus  distinguée.  » 2101. 

» A ce  discours  du  cygne,  monarque  des  hommes,  Da- 
mayantl répondit  alors  : « Parle  à Nala  de  cette  manière.  » 
» Après  que  l'oiseau  eut  ainsi  conversé  avec  la  jeune 
Tille,  il  repassa  du  Vidarbha  chez  les  Nishadainset  décou- 
vrit tout  à Nala.  2102 — 2103. 

o Aussitôt  que  Damayantl  eut  entendu  ce  langage  du 
cygne,  son  âme,  sire,  ne  conserva  plus  dès-lors  son  as- 
siette à l'égard  du  jeune  prince.  2104. 

n La  vierge  devint  triste,  ensevelie  dans  ses  pensées, 
maigre,  poussant  de  longs  soupirs,  et  le  visage  sans  couleur. 

» Les  yeux  fixés  au  ciel,  plongée  dans  la  rêverie, 
décolorée,  son  mil  empreint  d'ivresse,  l’amour  en  un  mo- 
ment avait  toute  pénétré  son  âme.  2105 — 210(3. 

» Elle  ne  trouvait  plus  jamais  de  plaisir  dans  les  ali- 
ments, ni  sur  un  siège,  ni  dans  un  lit;  elle  ne  dormait  plus, 
ni  la  nuit,  ni  le  jour,  et  pleurait,  en  répétant  : « Hélas  ! 
hélas!  » 2107. 


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VANA-PARVA. 


25b 


» Ses  compagnes  s'annonçaient  par  des  signes  les  pha- 
ses de  cette  situation.  Enfin  la  troupe  de  ses  amies  lit  con- 
naître au  monarque  des  hommes,  au  roi  du  Vidarbha,  quelle 
était  la  condition  de  sa  Damayantl.  A cette  nouvelle,  que 
les  compagnes  de  celle-ci  apportaient,  le  roi  Bhtma  de 
penser  qu'il  s’était  passé  une  bien  grande  chose  à l’égard 
de  sa  fille  : « Pourquoi,  se  demanda-t-il , ne  voit-on  pas 
maintenant  ma  fille  dans  son  assiette  ordinaire?  » 

2108—21 09 — 21 10. 

» Le  monarque,  voyant  sa  bile  parvenue  à l'âge  de 
l’adolescence , songea  à faire  le  swayamvara  de  Dama- 
yantî.  2111. 

» Le  souverain  de  consulter  les  rois,  et  ces  guerriers, 
sire,  de  lui  répondre  : « Qu’on  proclame  le  swayamvara  ! » 

» Tous  les  princes  apprennent  ce  swayamvara  de  Da- 
mayantl,  et  les  rois  accourent  chez  Bhirna,  à son  invita- 
tion. 2112—2113. 

» Ils  remplissent  la  terre  du  bruit  de  leurs  chevaux,  de 
leurs  éléphants,  de  leurs  chars  ; tous  ils  étaient  richement 
ornés,  admirables,  forts,  distingués  par  des  guirlandes  et 
des  parures  diverses.  211A. 

» Bhirna  aux  longs  bras  fit  à ces  princes  magnanimes 
l’accueil,  dont  ils  étaient  dignes  ; et  ils  habitèrent  là,  ho- 
norés dans  son  palais.  2115. 

» Dans  ce  temps,  les  plus  grands  saints  des  Dieux,  ri- 
shis  aux  vastes  cœurs,  parcouraient  la  terre  : ils  vinrent 
d’ici  au  inonde  d’Indra.  2116. 

u C'étaient  Nàrada  et  Parvata  à la  grande  science,  aux 
grands  vœux  ; ils  entrèrent  parfaitement  honorés  dans  le 
palais  du  roi  des  Dieux.  2117. 

» Maghavat  rendit  ses  hommages  aux  deux  célestes 


256 


LE  MAHÀ-BHARATA. 


saints-,  il  s’enquit  de  leur  santé  inébranlable,  et  leur  de- 
manda si  leur  inspection  était  bien  répandueen  tous  lieux. 

« La  santé  de  nous  deux  va  bien,  souverain  des  Dieux, 
lui  répondit  Nàrnda ; et,  dans  l'univers  entier,  fortuné 
seigneur,  tous  les  rois  sont  bien  portants.  » 2118—2119. 

» A ces  mots  de  NArada,  le  meurtrier  du  puissant 
Yritra  lui  demanda  : o Ces  rois  de  la  terre,  qui  savent 
le  devoir,  qui  abandonnent  la  vie,  qui  reçoivent  la  mort, 
comme  il  convient,  sans  détourner  le  visage  devant  les 
armes;  ce  monde  immortel,  comme  ma  vache Kâmadouh, 
ne  les  voit  plus  aujourd'hui  ? 2120 — 2121. 

» Où  vont-ils  ces  héroïques  kshatryas  ? car  je  ne  vois 
plus  venir  ces  monarques,  mes  hôtes  chéris!  » 2122. 

» A ces  paroles  de  Çakra , Nàrada  lui  répondit  ; 
« Écoute  de  ma  bouche,  Maghavat,  pour  quelle  raison  tu 
ne  vois  plus  ces  rois.  2123. 

» 11  est  au  roi  du  Vidarbha  une  fille,  nommée  Da- 
niayantl,  et  qui  surpasse  en  beauté  toutes  les  femmes  sur 
la  terre.  2124. 

» On  va  bientôt  célébrer  le  swayamvara  de  cette  prin- 
cesse. Les  rois  et  les  fils  de  roi  se  rendent  là  de  toutes 
parts.  2125. 

b Les  souverains  aspirent  à cette  perle  du  monde,  et 
tous,  meurtrier  du  puissant  Vritra,  ils  se  disputent  avec 
ardeur  sa  main.  » 2126. 

b Tandis  qu'il  racontait  ainsi,  les  plus  grands  des  Im- 
mortels, les  gardiens  du  monde,  accompagnés  d'Agui, 
s’approchèrent  du  roi  des  Dieux.  2127. 

b Ils  entendirent  la  grande  parole  de  Nàrada  et,  trans- 
portés à ces  mots , ils  se  dirent  ; « Allons— y aussi, 
nous!  » 2128. 


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VANA-PARVA. 


257 


» Alors,  tous  avec  leur  suite,  avec  leurs  chars,  ils  se 
rendent  chez  les  Vidarbhains,  où  affluaient,  grand  roi, 
tous  les  princes  de  la  terre.  2129. 

» Quand  le  roi  Nala  eut  appris  cette  assemblée  des  rois, 
il  y vint,  l’âme  joyeuse,  plein  de  son  amour  pour  Da- 
mayanti.  2130. 

» Les  Dieux,  chemin  faisant,  aperçurent  Nala,  se  tenant 
sur  le  sol  de  la  terre  daus  toute  la  perfection  de  sa  beauté, 
comme  l’Amour  visible,  animant  un  corps.  2131. 

» A la  vue  de  ce  jeune  homme  brillant  comme  le  soleil, 
les  gardiens  du  monde  restent  hors  d’eux-mémes  dans 
l’admiration  de  sa  beauté  parfaite.  2132. 

a Les  habitants  du  ciel  arrêtent  leurs  chars  au  milieu 
des  airs,  descendent  de  la  voûte  céleste,  sire,  et  disent 
au  Nishadhain  : 2133. 

« Oh  ! oh  ! Nala,  roi  des  Nishadhains,  ta  majesté  est 
dévouée  à la  vérité.  Fais  alliance  avec  nous,  6 le  plus 
grand  des  hommes,  et  sois  notre  messager.  213â. 

» Nala  de  leur  promettre  en  ces  termes,  Bharalide  : 
« Je  le  ferai  ! » et,  joignant  ses  deux  mains  au  front,  de 
leur  demander  : 2135. 

« Qui  sont  vos  excellences  ? Qui  est  cette  personne,  qui 
me  désire  pour  son  messager?  F.t  quelle  chose  dois-je 
faire  pour  vous?  Racontez-le-moi  exactement.  » 2130. 

» A ces  mots  du  Nishadhain , Maghavat  répondit  : 
« Sache  que  nous  sommes  des  Immortels  et  que  nous 
allons  pour  Damayanti.  2137. 

» Je  suis  Indra;  tu  vois  Yama,  Agni  et  même  le  sou- 
verain des  eaux.  Celui-ci,  prince,  est  Yama,  qui  met  fin  à 
la  vie  des  hommes.  2138. 

» Annonce  à Damayanti  que  nous  sommes  arrivés  ; que 
U " 17 


268 


LE  MAHA-BHARATA. 


les  gardiens  du  monde,  Mahéndra  et  les  autres,  viennent 
au  palais  dans  le  désir  de  la  voir  ; 2130. 

» Que  les  Dieux,  Çakra,  Agni,  Varouna,  Yama  aspirent 
à l’honneur  d’obtenir  sa  main  ; qu'elle  choisisse  un  de 
ces  Immortels  pour  son  époux.  » 2140. 

» A ces  paroles  de  Çakra,  Nala  répondit,  joignant  ses 
mains  au  front  : e Ne  veuillez  pas  m’envoyer,  moi,  qui 
viens  pour  la  même  affaire.  2141. 

» Comment  un  homme,  qui  a de  l’amour,  peut-il  avoir 
de  la  puissance  sur  une  femme?  Que  mes  souverains  me 
permettent  de  leur  présenter  cette  observation  à tel  point 
exorbitante.  » 2142. 

« Je  le  ferai  ! nous  as-tu  répondu  aussitôt  que  tu  nous 
eus  entendus,  lui  dirent  les  Dieux.  Comment  ne  voudrais- 
tu  pas  le  faire  maintenant!  Allons  ! marche,  Nishadhain, 
et  ne  tarde  pas.  » 2143. 

u A ces  mots  des  Immortels,  Nala  répondit  : « Les  ap- 
partements sont  bien  gardés;  comment  pourrai-je  en- 
trer? » 2144. 

« Je  te  ferai  entrer  ! » lui  répondit  Çakra.  « Soit  ! » 
reprit-il;  et  de  s’en  aller  près  de  Damayautt.  2146. 

» 11  vit  alors  cette  noble  Vidarbhaine,  environnée  par 
la  foule  de  ses  amies  et  toute  rayonnante  de  ses  formes  et 
de  sa  beauté,  2148. 

» Avec  le  corps  le  plus  délicat,  une  taille  svelte,  de 
l>eaux  yeux,  effaçant,  pour  ainsi  dire,  la  splendeur  de  la 
lune  par  son  éclat.  2147. 

» La  vue  de  cette  princesse  au  charmant  sourire  aug- 
menta sou  amour,  mais  il  contint  sa  passion  pour  accom- 
plir sa  mission  dans  la  vérité.  2148. 

» Troublées  à la  vue  du  Nishadhain,  les  illustres  dames 


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VANA-PARVA. 


25» 


se  levèrent  de  leur  siège,  entraînées  par  sa  beauté.  2140. 

» Remplies  de  joie  et  pleines  d’admiration,  elles  de 
louer  Nala,  de  ne  pas  lui  adresser  un  seul  mot,  et  de  l’ho- 
norer  au  fond  de  leurs  âmes.  2150. 

« Oh!  se  disaient-elles  en  elles-mêmes,  quelles  superbes 
formes!  quelle  beauté!  quelle  fermeté  est  à ce  magna- 
nime! Est-il  un  Dieu?  ou  bien  un  Yaksha?  Est-ce  un 
Gandharva?  » 2151. 

« Vaincues  par  sa  beauté,  mais  retenues  par  la  pudeur, 
ces  nobles  dames  ne  pouvaient  articuler  un  seul  mot.  2152. 

» Damayanti  fut  la  première,  à qui  l'étonnement  rendit 
la  parole,  et,  l'admirant,  elle  dit  au  héros  Nala,  qui  l’ad- 
mirait : 2153. 

n Qui  es-tu,  toi,  de  qui  les  membres  sont  tous  beaux  et 
qui  augmentes  mon  amour?  Es-tu  venu  ici  comme  un 
Dieu?  Je  désire  le  savoir  de  ta  bouche,  héros  sans  péché! 

» Et  comment  tu  es  venu?  Et  comment  je  te  vois  ici? 
Mes  appartements  sont  bien  gardés  et  les  ordres  du  roi 
sont  terribles  ! » 2164 — 2155. 

» Nala  de  répondre  à ces  mots  de  la  Vidarbhaine  : « Sa- 
che, noble  dame,  que  je  suis  Nala  et  que  je  viens  ici  comme 
l’envoyé  des  Dieux.  2150. 

» Les  Immortels  Çakra,  Agni,  Varouna,  Yama  désirent 
obtenir  ta  main;  choisis,  femme  charmante,  un  de  ces 
Dieux  pour  ton  époux.  2157. 

» C’est,  grâce  à leur  puissance,  que  je  suis  venu  in- 
visible ici  : personne  ne  m’a  vu  entrer  ; personne  ne  m'a 
donc  arrêté.  2158. 

» Voilà  pourquoi,  noble  dame,  les  plus  grands  Dieux 
m'ont  envoyé  ; maintenant  que  tu  m’as  entendu,  char- 
mante vierge,  tourne  ta  volonté  suivant  ton  désir!  «2159. 


260 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Celle-ci,  ayant  fait  son  adoration  aux  Dieux,  répondit 
en  souriant  à Nala  : u Aime  selon  ta  foi,  sire!  Que  ferai- 
je  pour  toi?  2160. 

» Je  ne  possède  pas  une  autre  richesse  que  moi-mème  ; 
elle  est  toute  à toi,  seigneur  : place  ta  bienveillance  en 
pleine  confiance.  2161. 

»>  Prince,  cette  parole,  que  m’ont  dite  les  cygnes,  elle 
nie  bride  : c’est  à cause  de  toi,  héros,  que  j’ai  fait  convo- 
quer les  rois.  2162. 

h Si  tu  repousses  mon  amour,  ô toi,  qui  donnes  l'hon- 
neur, ton  refus  me  jetera  dans  le  poison,  dans  les  eaux, 
dans  le  feu,  dans  la  prison.  » 2163. 

» Nala  répondit  à ces  mots  de  la  Vidarbhaine  : « Com- 
ment désires-tu  un  homme,  toi,  que  les  Dieux  environnent 
de  leurs  vœux  : 2164. 

» Ces  magnanimes  seigneurs,  les  créateurs  du  monde! 
Moi,  qui  n’égale  pas  la  poussière  de  leurs  pieds!  Que  ton 
âme  se  tourne  vers  eux.  2105. 

» Car  le  mortel,  s’il  fait  une  chose,  qui  déplaise  aux 
Dieux,  court  au-devant  de  la  mort.  Sauve-moi,  vierge,  de 
qui  le  corps  est  charmant  ; place  ton  choix  sur  les  plus 
grands  des  Dieux.  2166. 

n Unis-toi  aux  Dieux,  et  jouis  de  vêtements  immacu- 
lés, des  plus  belles  parures,  de  guirlandes  célestes  et  va- 
riées. 2167. 

» Qui  ne  choisirait  pour  son  époux,  cet  Agni,  le  souve- 
rain des  êtres,  qui,  ayant  saisi  la  terre  entièrement,  doit 
un  jour  la  dévorer  à nouveau?  2168. 

» Qui  ne  choisirait  pour  son  époux  cet  Yama,  qui  re- 
tient la  foule  des  êtres  dans  le  devoir  par  la  crainte  de  son 
châtiment?  2166. 


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VANA-PARVA. 


261 


» Qui  ne  choisirait  pour  son  époux  ce  vertueux,  ce  ma- 
gnanime, ce  grand  roi  des  Dieux,  le  fléau  des  Dànavas  et 
des  Daityas  ? 2170. 

» Si  tu  fixes  la  pensée  de  ton  âme  sur  Varouna,  prends- 
le  sans  balancer  pour  ton  époux;  écoute  ces  paroles  amies 
des  gardiens  du  monde.  » 2171. 

» Ce  langage  du  Nishadhain  entendu,  Damayant!  de  lui 
répondre,  ses  yeux  inondés  par  l’eau,  que  produit  la  dou- 
leur : 2172. 

« Je  commence  par  adresser  mon  adoration  â tous  les 
Dieux  et  je  te  choisis  ensuite  pour  mon  époux,  roi  de  la 
terre;  je  te  le  dis  avec  vérité.  » 2173. 

» Le  roi  dit  alors  à la  vierge,  tremblante  et  ses  mains 
jointes  ; «Je  suis  venu  en  qualité  de  messager,  princesse; 
agis  de  cette  manière,  noble  dame.  217â. 

» En  effet,  moi,  qui  ai  entendu  les  Dieux  de  mes  oreilles, 
comment  puis-je,  après  avoir  commencé  cette  affaire  pour 
les  autres,  la  tourner  à mon  intérêt  particulier?  2175. 

» Voilà  quel  est  le  devoir,  mais  ce  sera  aussi  mon  inté- 
rêt propre  ; agis  de  cette  manière,  noble  dame,  et  je  ser- 
virai ainsi  mon  intérêt  particulier.  » 2176. 

» Ensuite  Damayanli,  au  candide  sourire,  prononçant 
avec  lenteur  ces  mots  troublés  par  ses  larmes,  répondit  au 
roi  Nala  : 2177. 

« J’aperçois  un  moyen,  qui  ne  te  met  pas  en  risque  de 
périr,  et,  grâce  auquel,  on  n'aura  à te  reprocher  aucune 
faute.  2178. 

n Toi,  monarque  des  hommes,  et  les  Dieux,  Indra  à 
leur  tête,  venez  tous  de  compagnie  au  lieu,  où  sera  célé- 
bré mon  swayamvara.  2179. 

» Là,  souverain  des  hommes,  en  présence  des  gar- 


262 


LE  MAHA-BHARATA. 


diena  du  monde,  je  te  choisirai  pour  mon  époux;  et  de 
cette  manière,  tigre  des  hommes,  il  ne  peut  y avoir  au- 
cune faute  de  ta  part.  » 2180. 

» C’est  en  ces  termes  que  la  Vidarbhaine,  seigneur, 
parla  au  roi  Nala,  qui  s’en  retourna  avec  ces  paroles  au 
lieu,  où  attendaient  les  Dieux  rassemblés.  2181. 

» Les  grands  souverains,  gardiens  du  monde,  le  virent 
ainsi  revenir.  A peine  l’ont-ils  vu  qu’ils  l'interrogent  sur 
toute  l’aventure  : 2182. 

« As-tu  vu,  sire,  Damayanti  au  candide  sourire  ? Qu’a- 
t-elle  dit  ? Veuille  bien  le  répéter  devant  nous  tous,  roi 
sans  péché!  » 2183. 

Nala  répondit  : 

« Après  que  vos  divinités  m’eurent  donné  leurs  instruc- 
tions, je  suis  entré  dans  le  palais  de  Damayanti  à la  bien 
grande  porte,  environnée  de  vieillards,  le  bâton  à la 
main.  21 8â. 

» Personne,  grâce  à votre  puissance,  ne  me  vit  entrer 
là,  si  ce  n'est  la  fille  du  roi.  2185. 

» J'ai  vu  ses  compagnes  et  elles  me  virent  ; et  toutes, 
souverains  des  Dieux,  elles  furent  saisies  d’étonnement  à 
ma  vue.  2186. 

» Tandis  que  je  lui  dépeignais  vos  majestés,  ô les  plus 
grands  des  Souras,  la  vierge  au  charmant  visage,  éprise 
d’amour,  m’a  choisi  pour  son  époux.  2187. 

» Et  la  jeune  enfant  m’a  dit  : « Que  ces  Dieux  réunis 
viennent  avec  toi  au  lieu,  tigre  des  hommes,  où  sera  cé- 
lébré mon  swayamvara.  2188. 

» IA,  en  leur  présence  même,  je  te  choisirai,  Nisha- 
dhain,  pour  mon  époux,  et,  de  cette  manière,  il  n'y  aura, 
guerrier  aux  longs  bras,  aucune  faute  de  ta  part.  » 21 89. 


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VANA-PARVA. 


263 


» La  chose  est  exactement  comme  je  vous  l’ai  racontée. 
Que  vos  majestés,  souverains  des  Tridaças,  décident  ce 
qui  reste  à faire.  » 2190. 

» Ensuite,  un  temps  heureux  étant  arrivé,  dans  un  jour 
lunaire  favorable  et  dans  un  moment  propice,  le  roi 
Bhima  offrit  aux  gardiens  du  monde  un  sacrifice  pour  son 
swayamvara.  2191. 

« A cette  nouvelle,  tous  les  princes  de  la  terre,  con- 
sumés d’amour,  arrivent  à la  hâte,  désireux  d’obtenir  la 
main  de  Damayantt.  2192. 

» Les  rois,  tels  que  de  grands  lions  sur  une  montagne, 
entrent  dans  l’amphithéâtre,  sur  lequel  s'ouvre  une  porte 
arcadée,  brillante  de  colonnes  d’or.  2193. 

» Là,  tous  les  souverains  de  la  terre,  portant  des  guir- 
landes parfumées  et  des  pendeloques  de  pierreries  étince- 
lantes, s'asseoient  sur  différents  sièges.  219â. 

» C’était  une  assemblée  de  rois  aussi  pure  que  Bhogavatt, 
la  ville  des  Nàgas  : elle  était  remplie  de  monarques, 
comme  une  caverne  de  la  montagne  est  pleine  de  tigres. 

» On  voyait  là  des  bras  potelés,  semblables  à des  mas- 
sues, aussi  délicats  par  la  forme  que  par  la  couleur,  et 
que  les  doigts  rendaient  pareils  à des  serpents  aux  cinq 
tètes.  2195—2196. 

» Tels  que  les  constellations  dans  le  ciel,  ainsi  bril- 
lait nt  les  visages  des  rois  par  de  beaux  cheveux  annelés, 
des  sourcils  arqués,  des  yeux  charmants  et  des  nés  bien 
faits.  2197. 

» Enfin,  Damayantl  à la  séduisante  ligure  entra  dans 
l'assemblée,  ravissant  par  sou  éclat  les  yeux  et  les  âmes 
des  rois.  2198. 

» Sur  quelque  membre  d’elle  que  tombât  la  vue  de  ces 


264 


LE  MAHA-BHARATA. 


magnanimes,  elle  y demeurait  attachée,  et  leur  regard  ne 
pouvait  plus  s'en  aller  autre  part.  2199. 

» Tandis  qu’on  proclamait  les  noms  des  rois,  ne  voilà- 
t-il  pas,  Bharatide,  que  la  lillede  Bhirna  voit  cinq  hommes 
absolument  identiques  par  les  formes.  2200. 

» Quand  elle  vit  les  cinq  personnes  se  tenir  toutes  de- 
vant elle  avec  des  corps,  qui  n’offraient  aucune  différence, 
la  Vidarbhaiue  dans  l’incertitude  ne  put  reconnaître  le 
roi  Nala.  2201. 

» Qui  que  ce  fut  d’entre  eux  qu’elle  regardât,  elle 
croyait  voir  le  prince  Nala,  et  la  noble  dame  songeuse  se 
mit  à penser  en  elle-même  : 2202. 

« Comment  distinguerai-je  ici  les  Dieux  ? Et  comment 
saurai-je  que  c'est  le  roi  Nala?  » Pendant  que  la  Vidar- 
bhaine  roulait  ces  pensées  dans  une  profonde  douleur, 
elle  se  rappela  les  signes,  qui  sont  propres  aux  Dieux 
et  dont  elle  avait  ouï  parler  : « Je  ne  vois  dans  aucun 
d’eux,  se  dit-elle,  ces  caractères,  qui  appartiennent  aux 
Dieux  posés  à terre  et  que  m’ont  racontés  les  vieillards.  » 
Elle  agita  cette  idée  mainte  et  mainte  fois  dans  son  esprit 
et  se  fixa  enfin  sur  une  résolution.  2203 — 2204 — 2205. 

» Elle  pensa  que  le  moment  était  arrivé  de  recourir  à 
la  protection  des  Dieux,  et  elle  adressa  une  adoration  à 
ces  Dieux  dans  sa  conscience  et  dans  ses  paroles.  2206. 

» Elle  réunit  au  front  les  deux  paumes  de  ses  mains, 
et,  tremblante,  elle  tint  ce  langage  aux  Immortels:  « C’est 
sur  la  parole  des  cygnes  que  j'ai  choisi  le  Nishadhain  pour 
mon  époux.  Que  les  Dieux  me  le  fassent  connaître  avec 
certitude,  afin  que  je  ne  l'offense,  ni  de  pensée,  ni  de  pa- 
role! 2207—2208. 

» Que  les  Dieux  me  le  fassent  connaître  avec  certitude, 


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VANA-PARVÀ. 


205 


puisque  ce  monarque  est  l’époux  même,  que  les  Dieux 
m’ont  réservé  ! 2209. 

» Que  les  Dieux  me  le  fassent  connaître  avec  certitude, 
puisque  j'ai  commencé  ce  vœu  dans  l’amour  de  Nala.  2210. 

» Que  les  Dieux  me  le  fassent  connaître  avec  certitude, 
et  que  les  grands  souverains,  gardiens  du  monde,  ren- 
trent chacun  dans  sa  forme , alin  que  je  puisse  recon- 
naître le  roi  5 la  renommée  pure  ! » 

» A peine  eurent-ils  entendu  cette  plainte  touchante  de 
Damayantl,  cette  résolution  suprême,  cet  attachement 
sincère  au  Nishadhain,  cette  âme  aux  pensées  immacu- 
lées, cet  amour  et  ce  dévouement  à Nala;  les  Dieux  mon- 
trèrent, comme  elle  avait  demandé , leur  puissance  à 
porter  les  caractères,  qui  sont  propres  aux  Immortels , et 
alors  elle  vit  ces  Dieux  sans  sueur,  les  yeux  immobiles, 
2211—221 2 — 2213 — 221  à. 
u Se  tenant  sans  toucher  la  terre,  parés  d’habits  sans 
poussière  et  de  guirlandes  inflétrissables,  tandis  que  le 
Nishadhain  fut  révélé  par  le  clignement  des  y eux,  la  terre, 
qu’il  touchait,  la  sueur  et  la  poussière,  dont  il  était  im- 
prégné, et  ses  guirlandes  fanées. 

» Quand  la  fille  de  Rhtma  vit  clairement  les  Dieux  et  le 
monarque  à la  renommée  pure,  elle  choisit  légalement,  fils 
de  Bharata  et  de  l’àndou,  le  Nishadhain  pour  son  époux. 
La  jeune  fille  aux  grands  yeux  le  loucha,  pleine  de  pudeur, 
à l’extrémité  de  son  vêtement,  elle  posa  sur  ses  épaules 
une  guirlande  d’une  beauté  supérieure,  et  le  choix  de  la 
vierge  royale  fut  'ainsi  déclaré.  2215-2216-2217-2218. 

» Tout  à coup  s’éleva  un  bruit  de  ; «Hà!  hà!  » jeté  par 
les  rois.  Les  Dieux  et  les  rishis  de  crier  alors  : a Bien  1 bien  ! » 

» Ces  clameurs  venaient  de  personnes  étonnées,  qui  cé- 


LE  MAHA-BHAB.4TA. 


2«e 

lébraient  le  roi  Nala;  mais  ce  prince,  fils  de  Vîraséna,  ras- 
sura Daraayanti,  à la  jolie  taille,  et  d’une  âme  joyeuse  : 
«Sache,  noble  vierge,  que  je  ferai  toujours  mon  plaisir, 
moi,  ton  époux,  d'obéir  à ta  voix,  parce  que  tu  n’as  pas 
craint  d’aimer  un  homme  en  présence  des  Dieux.  Aussi 
long-temps  que  les  souilles  de  l'existence  resteront  en  moi, 
fille  au  candide  sourire,  aussi  long-temps  je  vivrai  en  toi; 
je  te  le  dis  en  vérité.  .>  C'est  ainsi  que,  les  mains  jointes  au 
front,  il  honora  Damayantl  de  ces  paroles. 

2219—2220—2221—2222—2223. 

» Pleins  d’ mie  joie  mutuelle,  ils  se  mirent  alors  sous  la 
protection  de  ces  Dieux,  qu’ils  avaient  pu  voir,  Agni  à 
leur  tète.  2224. 

» Aussitôt  que  la  tille  de  Bhima  eut  choisi  le  Nisha- 
dhain,  tous  les  gardiens  du  monde  à la  grande  puissance 
d’accorder,  l’âme  joyeuse,  huit  grâces  à Nala.  2225. 

» L’époux  de  Çatchl  content,  Çakra  lui  donna  de  le  voir 
manifestement  an  milieu  des  sacritices  avec  la  voie  su- 
prême et  fortunée.  2226. 

» Agni,  qui  mange  l'offrande,  lui  accorda  l’amour  par- 
tout, où  le  Nishadhain  pouvait  le  désirer,  et  les  mondes, 
qui  ont  par  eux-mêmes  la  lumière.  2227. 

v Yarna  lui  départit  la  nourriture,  le  breuvage,  la  fer- 
meté dans  le  devoir;  le  Dieu  des  eaux  lui  donna  de  com- 
mander aux  ondes  en  tous  lieux,  où  il  en  serait  besoin. 

» Tous,  ils  offrent  à ce  beau  couple  des  guirlandes  ri- 
ches d’une  exquise  odeur  ; et,  quand  ils  eurent  comblé  les 
époux  de  ces  grâces,  les  Dieux  reprirent  le  chemin  du  ciel. 

» Les  rois,  apprenant  avec  admiration  le  mariage  de 
Nala  et  de  Damayantl,  s’en  retournèrent  joyeux  comme 
ils  étaient  venus.  2228 — 2229 — 2230. 


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VANA-PARVA. 


267 


» Ces  Indras  des  rois  partis,  Bhlma  au  grand  cœur  fit 
célébrer  satisfait  cet  hymen  de  Nala  avec  Damayantl.  2231. 

» Quand  il  eut  habité  là  aussi  long-temps  qu’il  y trouva 
du  plaisir,  le  Nishadhain,  le  meilleur  des  hommes,  ayant 
pris  congé  de  Bhlma,  s'en  revint  à sa  ville.  2232. 

» Le  monarque,  à la  renommée  pure,  qui  avait  obtenu 
la  perle  des  femmes,  goûta  la  volupté  avec  elle,  sire, 
comme  le  meurtrier  du  puissant  Vrilra  avec  Çatchl.  2233. 

» Infiniment  heureux  et  resplendissant  comme  le  soleil, 
ce  roi  héroïque  se  conciliait  l’amour  de  ses  sujets,  qu’il 
défendait  avec  justice.  2234. 

» Ce  roi  sage  célébra  un  açvamédha,  comme  Nahousha, 
fils  d’Yayàti,  et  différents  autres  sacrifices,  riches  des 
honoraires  convenables.  2235. 

» Semblable  à un  Immortel,  Nala  passait  le  temps  avec 
Damayantl  en  des  bois  charmants  et  de  ravissants  bocages. 

» Ce  magnanime  engendra  au  sein  de  son  épouse  un 
fils,  appelé  Indraséna,  et  une  fille,  qui  fut  également  nom- 
. mée  lndrasénà.  2236 — 2237. 

« Ainsi,  partageant  sa  vie  entre  les  sacrifices  et  la  vo- 
lupté,ce  monarquedes  hommes  gouvernaitla  terre,  pleine 
de  richesses.  2238. 

» Quand  la  fille  de  Bhlma  eut  fait  choix  du  Nishadhain, 
les  Dieux  rencontrèrent,  chemin  faisant,  les  âges  Dwàpara 
et  Kali,  qui  marchaient  de  compagnie.  2230. 

» A cette  vue  le  meurtrier  du  puissant  Vritra,  Çakra 
dit  à Kali  : u Dis-moi,  Kali  ! Où  vas-tu  ainsi,  accompagué 
de  Dwàpara  (1).  » 2240, 

(1)  Le  troisième  et  le  quatrième  personnifiés  du  inonde,  ou  le 
siècle  d'airain  et  lu  sioclo  do  1er. 


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268 


LE  A1AHA-BHARATA. 


« Nous  allons  au  swavamvara  de  Damayantl  ! lui 
répondit  Kali  : je  la  choisirai  pour  mon  épouse  ; mon  âme 
a son  penchant  vers  elle.  » 2241. 

o Le  swayamvara  est  fini  ! reprit  Çakra  en  riant;  elle  a 
choisi  devant  nous  le  roi  Nala  pour  son  époux,  » 2242. 

» Ces  paroles  de  Çakra  allument  la  colère  de  Kali  ; il 
salue  tous  les  Dieux  et  leur  tient  ce  langage  ; 2243. 

o Parce  qu’elle  a choisi  un  homme  pour  son  époux  au 
milieu  des  Immortels,  il  faut  tirer  d’elle  un  grand  et  juste 
châtiment.  » 2244. 

» A Kali,  qui  parlait  ainsi,  les  Dieux  répondent  : 
« C’est  de  notre  agrément , que  Damayantl  a mis  sou 
choix  sur  Nala.  2245. 

» Quelle  femme  ne  l’eut  arrêté  sur  le  prince  Nala?  11 
est  doué  de  toutes  les  vertus,  il  sait  tous  les  devoirs  et 
marche  dans  son  vœu,  comme  il  convient.  2246. 

» 11  a lu  entièrement  les  quatre  Védas,  les  cinq  Lé- 
gendes, et  rassasie  continuellement  les  Dieux,  suivant  les 
rites,  de  sacrifices  dans  son  palais  ; 2247. 

» Lui,  qui  fait  son  plaisir  de  l’innocence;  lui,  de  qui  les 
paroles  sont  vraies,  qui  est  ferme  dans  ses  vœux  ; ce  tigre 
des  hommes,  ce  prince  égal  aux  gardiens  du  monde,  en 
qui  la  vérité,  la  science,  la  pureté,  la  constance,  la  com- 
pression des  sens,  la  pénitence  et  la  placidité  ont  leurs  so- 
lides assises!  Qui  aimerait,  Kali,  à maudire  Nala,  qui  est 
d’une  telle  beauté?  2248 — 2249. 

» L’insensé,  qui  trouverait  du  plaisir  Kali,  à maudire 
Nala,  qui  est  doué  de  telles  vertus,  se  maudirait  lui-méme  ; 
il  se  donnerait  la  mort  de  sa  propre  main  ! 2250. 

» 11  se  plongerait  dans  le  Naraka  malheureux,  ce  grand 
lac  sans  fond  ! » Après  ces  mots  adressés  à Kali  et  Dwâ- 


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VANA-PARVA. 


269 


para,  les  Dieux  reprirent  le  chemin  du  ciel.  2251. 

» Ceux-ci  étant  partis , Kali  dit  à son  compagnon  : 
o Je  ne  puis  comprimer  ma  colère,  Dwâpara  ! j’entrerai 
dans  Nala  ! 2252. 

» Je  vais  aller  pour  sa  ruine;  il  ne  jouira  plus  du 
royaume  avec  la  fille  de  Bhim»  ! Toi,  entre  dans  les  dés 
et  veuille  bien  faire  alliance  avec  moi.  » 2253. 

» Aussitôt  cet  arrangement  conclu  avec  son  compagnon, 
Kali  de  se  transporter  aux  lieux,  où  était  le  roi  Nisha- 
dhain.  2254. 

» Toujours  aux  aguets  pour  saisir  l’occasion,  qu’il  dési- 
rait, Kali  demeura  long-temps  chez  les  Nishadhains  : il  la 
trouva  enfin  dans  la  douzième  année.  2255. 

» Le  Nishadhain,  ayant  lâché  son  uriue,  fut  touché  par 
elle  et  resta  ainsi  jusqu’au  crépuscule  du  soir.  11  oublia  de 
purifier  ses  deux  pieds  et  Kali  en  profita  pour  entrer 
dans  lui.  2256. 

» 11  n’était  pas  loin  de  Poushkara,  quand  il  entra  dans 
Nala  ; il  s’en  alla  vers  lui  et  dit  ; « Viens  ! joue  avec 
Nala  ! 2267. 

» Aidé  par  moi,  tu  vaincras  certainement  le  roi  Nala  au 
jeu  des  dés.  Règne  sur  les  Nishadhains,  quand  tu  auras 
gagné  au  roi  Nala  son  royaume.  » 2258. 

» A ces  mots  de  Kali,  Poushkara  de  s'avancer  vers  Nala; 
et  Kali,  sous  la  forme  d’un  veau,  né  d’une  vache,  se  tint 
aux  côtés  de  Poushkara.  2259. 

» Ce  vainqueur  des  héros  ennemis  s’approcha  du  héros 
Nala,  et,  souillé  par  le  veau,  il  dit  mainte  et  mainte  fois  à 
son  frère  : « Jouons  ! » 2260. 

» Le  monarque  au  grand  cœur  ne  put  supporter  ce 


270 


LE  MAHA-BHARATA. 


défi  et,  comme  la  Vidarbhaine  regardait,  il  pensa  que 
c’était  l’instant  de  jouer  son  or  brut,  travaillé  et  monnayé, 
ses  chars,  ses  attelages,  ses  vêtemens  ; et,  possédé  par 
Kali,  Nala  fut  alors  vaincu  au  jeu.  2201 — 2262. 

» Aucun  de  ses  atnis  n'endura  ce  jeu  sans  ivresse,  mais 
aucun  ne  fut  capable  d’arrêter  dans  son  jeu  ce  dompteur 
des  ennemis.  2263. 

» Alors  tous  les  habitants  de  la  ville,  Bharatide,  vinren 
avec  les  ministres  pour  voir  le  roi  et  mettre  obstacle  à sa 
démence.  226â. 

» Son  cocher  s’avance  vers  Dainayantî  et  lui  annonce  : 
« Voici  le  peuple  de  la  ville,  reine,  qui  se  tient  à la  porte, 
amené  par  une  afiaire.  2265. 

» Que  l'on  fasse  connaître  au  monarque  Nishadhain 
que  les  sept  parties  intégrantes  de  l’administration  royale 
sont  toutes  ici,  ne  pouvant  supporter  le  malheur  d’un  roi, 
qui  sait  voir  les  choses  du  devoir,  n 2266. 

» A la  suite  de  cet  incident,  la  fille  de  Bhlma,  déchirée 
par  le  chagrin,  l’âme  battue  par  la  douleur,  dit  ces  mots 
au  Nishadhain  d’une  voix  attendrie  par  ses  larmes  : 2267. 

« Sire,  le  peuple  de  cette  ville,  désirant  te  voir,  attend 
à la  porte,  accompagné  des  ministres  et  honoré  par  tous 
ceux,  qui  sont  dévoués  au  roi.  2268. 

b Que  ta  majesté  daigne  se  montrer  â ses  yeux  I » Elle 
répéta  ces  mots  deux  et  plusieurs  fois.  Mais  le  roi,  sous 
l’empire  de  Kali  ne  répondit  pas  une  seule  parole  à la 
reine  dans  un  tel  état,  gémissante,  avec  les  angles  rouges 
des  jeux.  Enfin  les  ministres  et  les  habitants  eux-mêmes 
de  la  cité,  disant  : « ün  ne  le  voit  pas  ! » pleins  de  pu- 
deur, mais  accablés  de  chagrin,  firent  invasion  dans  les 


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VANA-PARVA. 


271 


appartements.  Que  dirai-je,  Youddhishthira ? Le  jeu  de 
Nala  et  de  Poushkara  dura  plusieurs  mois,  au  bout  des- 
quels le  monarque  à la  renommée  pure  fut  entièrement 
vaincu.  2269—2270— 2271. 

» Quand  Damayanti,  hors  d’elle-même,  vit  ce  roi  Pou- 
nvaçloka,  que  le  jeu  avait  rendu  comme  fou,  tenir  des 
propos  insensés,  la  fille  de  Bhima,  pénétrée  de  crainte  et 
de  tristesse,  chercha  dans  sa  pensée  ce  qui  était  à faire 
au  sujet  d'un  prince  aussi  grand.  2272 — 2273. 

» Elle,  soupçonnant  qu’il  y avait  là  une  faute,  désirant 
faire  une  chose  agréable  et  voyant  Nala,  dépouillé  de 
tout  son  avoir,  elle  avait  dit  ces  paroles  à Vrihadsénà,  sa 
suivante  et  sa  nourrice,  bonne,  dévouée,  habile  en  toutes 
les  choses,  parlant  bien  et  d'une  renommée  supérieure  : 

227 h -2275. 

« Va,  Vrihadsénà  ; fais  venir  les  ministres  à l’ordre  de 
Nala,  et  demande-leur  ce  qu’on  a apporté  de  richesses  et 
ce  qu’il  reste  de  fortune.  » 2270. 

» Tous  les  ministres,  ayant  connu  l'ordre  du  roi,  se 
dirent  : « Maintenant,  c’est  notre  destin,  qui  va  s'agiter  ! » 
Et,  cela  dit,  ils  se  rendirent  où  était  Nala.  2277. 

» Toutes  les  parties  intégrantes  de  l’administration 
royale  revinrent  de  nouveau  ; la  fille  de  Bhima  les  an- 
nonça, mais  le  roi  n’en  tint  compte.  2278. 

n Quand  elle  vit  que  son  époux  ne  donnait  aucune  at- 
tention à ses  paroles,  Damayanti  rentra,  pleine  de  confu- 
sion, dans  ses  appartements.  227$). 

» Comme  elle  axait  vu  Pounyaçloka,  ses  yeux  constam- 
ment fixés  sur  les  dés  et  Nala  perdre  toute  sa  fortune, 
elle  adressa  de  nouveau  ces  paroles  à sa  nourrice  : 2280. 

« Va  de  rechef  auprès  de  Vàrshnéva,  d’après  l’ordre  de 


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272 


LE  MAHA-BHARATA. 


Nala;  amène  ici  le  cocher,  Vrihadsénà;  il  s’agit  d’une 
grande  affaire.  » 2281. 

» Aussitôt  qu’elle  eut  ouï  ces  paroles  de  Damayanil, 
Vrihadsénà  d'amener  Vârshnéya  et  les  hommes  attachés 
au  service  du  roi.  2282. 

>>  Alors  caressant  Vârshnéya  d'une  voix  douce,  l’irré- 
prochable fille  de  Bhima,  qui  savait  le  temps  et  le  lieu, 
dit  au  cocher  que  le  moment  était  arrivé:  2283. 

« Tu  connais  le  roi,  car  il  a toujours  usé  de  toi  conve- 
nablement; veuille  donc  lui  rendre  service  dans  le  péril, 
où  il  se  trouve.  2284. 

» A chaque  défaite,  que  le  monarque  éprouve  de  Poush- 
kara,  sa  passion  pour  le  jeu  en  reçoit  une  ardeur  nouvelle. 

» A chaque  fois  que  tombent  les  dés  de  Poushkara,  à 
chaque  fois  ces  dés  marquent  leur  inimitié  contre  Nala, 
qui  obéit  à la  volonté  de  »on  rival.  2285 — 2280. 

» 11  n’écoute  convenablement  les  paroles,  ni  de  ses 
amis,  ni  de  ses  parents;  et,  fasciné,  il  ne  tient  aucun 
compte  de  mon  langage  même.  2287. 

» 11  n'y  a rien  là,  sans  doute,  à mon  avis,  qui  soit  la 
faute  du  magnanime  Nishadhain,  puisque  le  roi  ne  fait 
nul  cas  de  mes  paroles  mêmes.  2288. 

» J'ai  donc  recours  à toi,  cocher;  accomplis  mon  ordre; 
car  mon  affection  ne  peut  luire  uulle  part,  elle  va  même 
s’éteindre.  2289. 

» Attelle  au  char  de  Nala  ses  coursiers  chéris,  aussi 
rapides  que  la  pensée  : fais  monter  dans  le  char  ce  couple 
d'enfants,  et  veuille  bien  les  conduire  à Kounlina.  2290. 

» Lue  fois  remis  à mes  parents  ces  deux  enfants,  ce  char 
et  ces  chevaux,  habite  là  à ton  gré,  ou  vas  autre  part.  » 

u Vârshnéya,  le  cocher  de  Nala,  rapporta,  sans  rien 


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VANA-PÀRVA. 


273 


omettre  ces  paroles  de  Damayantt  au  milieu  des  ministres 
du  roi,  suivant  leur  éminence;  2291 — 2292. 

» Puis,  il  prit  une  résolution  de  concert  avec  eux,  reçut 
congé,  fit  monter  les  deux  enfants,  seigneur,  et  partit 
avec  cet  attelage  pour  la  cité  des  Vidarbhains.  2293. 

» Quand  il  eut  déposé  le  meilleur  des  chars,  les  cour- 
siers, le  jeune  Jndraséna  et  la  jeune  fille  appelée  du  même 
nom,  le  cocher  dit  adieu  au  roi  Bhlma,  et,  désolé,  gémis- 
sant, il  retourna  vers  le  roi  Nala  en  passant  par  la  ville 
d'Ayodhyâ.  2294 — 2295. 

» Là,  il  s'avança,  plein  de  douleur,  vers  le  prince,  qui 
gouvernait  ces  contrées,  et  mit  son  habileté  à conduire 
les  chars  aux  gages  du  monarque  Hitouparna.  2296. 

» Après  le  départ  de  Vârshnéya,  Pounyaçloka,  conti- 
nuant à jouer,  perdit  avec  Poushkara  son  royaume  et 
toute  espèce  de  biens,  qu’il  possédât.  2297. 

o Poushkara  dit  en  riant,  sire,  à Nala,  qui  avait  déjà 
perdu  son  royaume  : « Poursuivons  le  jeu!  Quel  autre 
enjeu  te  reste-t-il  encore?  2298. 

» Je  t’ai  gagné  tout,  excepté  Damavantl  seule...  Eh 
bien  ! si  tu  m’en  crois,  fais  ton  enjeu  avec  Damayantl  ! » 

» A ces  paroles,  le  cœur  de  Pounyaçloka  fut  comme  dé- 
chiré par  la  colère,  et  il  ne  lui  répondit  pas  un  seul  mot. 

2299—2300. 

» Aussitôt  qu’il  eut  ouï  Poushkara,  l’illustre  Nala,  plein 
d'un  profond  ressentiment,  abandonna  les  parures  de 
tous  ses  membres.  2301. 

» Vêtu  d'un  seul  habit,  à peine  couvert,  mettant  le 
comble  au  chagrin  de  ses  amis,  le  roi  sortit,  laissant  der- 
rière lui  son  éminente  prospérité.  2302. 

» Damayantl,  habillée  d’un  seul  vêtement,  le  suivit  dans 
m 18 


27â 


LE  M YHA-BHARATA. 


sa  marche  : le  Nishadhain  habita  avec  elle  trois  nuits  hors 
de  la  ville.  2303. 

» Poushkara  fit  proclamer  dans  la  ville,  grand  roi  : 

« Quiconque  gardera  à Nala  la  fidélité  due  au  roi,  je  1 en- 
verrai à la  mort!  » 230â. 

» Les  citoyens,  efirayés  par  ce  langage  et  la  haine  de 
Poushkara,  ne  rendirent,  Youddhishthira,  aucun  honneur 
au  banni.  2305. 

» Le  roi,  digne  d’honneur,  mais  non  honoré,  demeura 
ainsi  trois  nuits  près  de  la  ville,  habitant  des  lieux  hu- 
mides. 2300. 

» L’infortuné  resta  là,  accablé  par  la  faim,  arrachant 
des  racines  ou  des  fruits,  et  Damayantl  le  suivait.  2307.  ! 

» Nala,  que  la  famine  tourmentait  beaucoup,  vit  dans 
un  jour  lunaire  certains  oiseaux,  dont  les  ailes  ressem- 
blaient à l’or.  2308. 

» Leroi  vigoureux  des  Nishadhains  de  penser  alors  : 

« Voici  une  nourriture,  qui  s’oITre  maintenant  à moi  : ce  , 

me  sera  une  richesse  ! » 2309. 

» 11  jeta  sur  eux  son  vêtement  inférieur  ; mais  tous  les 
oiseaux  de  s’envoler,  emportant  son  habit.  2310. 

» Les  volatiles,  prenant  l'essor,  font  tomber  ces  paroles 
sur  Nala,  placé  sur  la  terre,  confus,  baissant  la  tête  et 
voyant  son  habit  s’enfuir  dans  l’espace  : 2311. 

» Nous  sommes  les  dés,  et  nous  sommes  venus,  in- 
sensé, pour  t’enlever  ton  vêlement;  nous  n étions  pas 
satisfaits  de  te  voir  partir  avec  un  habit!  » 2312. 

» Voyant  les  dés  venus  près  de  lui,  sire,  et  se  voyant 
lui-même  sans  vêtement,  Pounyayloka  dit  alors  ces  mots 
à Damayantl  : 2313. 

a La  colère  de  ces  dés  m’a  précipité  du  trùue;  malheu- 


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VANA-PARVA. 


275 


reux,  poursuivi  par  la  faim,  je  ne  puis  trouver  ma  subsis- 
tance, irréprochable  dame.  2314. 

» Les  Nishadhains  à cause  d’eux  me  refusent  tout  bon 
traitement;  enfin,  devenus  oiseaux,  femme  timide,  ils 
emportent  mon  vêtement.  2315. 

» Tombé  dans  ces  difficultés  extrêmes,  désolé,  l'ânie 
perdue,  écoute  cette  bonne  parole  de  moi,  ton  époux  ! 

» te  chemins  nombreux  se  rendent  tous  dans  la  ré- 
gion méridionale,  après  qu’on  a dépassé  Avant!  et  le  mont 
Rikshavat  ; voici  le  grand  mont  Vindhya  et  le  fleuve 
Payoshni,  quicoule  vers  la  mer.  Ces  hermitages  des  grands 
rishis  sont  doués  avec  abondance  de  fruits  et  de  racines. 

2316—2317—2318. 

» Voici  la  route  des  Vidarbhains,  celle-ci  mène  dans  le 
Koçala  : au-delà , ce  pays  a la  région  méridionale  à sa 
droite.  » 2319. 

» Le  roi  Nala  dit  avec  intention  plus  d’une  fois  ces  pa- 
roles à Damayanti,  indiquant  avec  tristesse,  Rharatide,  les 
lieux  à cette  fille  de  Bhlma.  2320. 

» Ensuite,  d’une  voix  attendrie  par  ses  larmes,  Da- 
mayanll,  déchirée  par  la  douleur,  tint  au  Nishadhaiu  ce 
langage  touchant  : 2321. 

« Mon  cœur  se  trouble,  mes  membres  s’affaissent  entiè- 
rement, prince , à chaque  fois  que  je  pense  à ton  des- 
sein. 2322. 

» Comment,  t'ayant  délaissé  sans  habit,  dépouillé  de 
tes  richesses,  privé  de  ton  royaume,  m’en  irais-je  dans  la 
forêt  solitaire?  2323. 

» Si  je  pouvais,  grand  roi,  dans  ce  bois  effroyable, 
éteindre  la  peine  de  tes  fatigues,  de  tes  soucis,  de  tes 
tourments  par  la  faim,  l’habiter  me  serait  un  plaisir  ! 2324. 


270 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Il  n’existe  dans  toutes  les  douleurs  aucun  remède, 
que  les  médecins  estiment  égaler  une  épouse:  je  te  le  dis 
en  vérité.  » 2325. 

» Nala  répondit  : 

« 11  en  est  ainsi  que  tu  dis;  il  n'est  rien  d'égal  à une 
épouse,  Damayanti  à la  taille  gracieuse  ; elle  est  l'amie,  le 
consolateur  de  l'homme  dans  les  chagrins.  2326. 

» Je  n’ai  pas  envie  de  t’abandonner.  Non!  Pourquoi  le 
crains-tu,  femme  timide?  Je  pourrais  m’abandonner  moi- 
même,  irréprochable  dame,  mais  toi,  jamais!  » 2327. 

« Si  tu  ne  veux  pas  m’abandonner  ici,  auguste  majesté, 
reprit  Damayanti,  pourquoi  donc  alors  m’indiques-tu  le 
chemin  du  Vidarbha?  2328.  0 

» Tu  ne  désires  pas  me  délaisser,  roi  des  hommes;  je 
le  sais  ; mais  les  déchirements  de  ton  âme  te  forceront  à 
m’abandonner,  souverain  de  la  terre.  2329. 

» En  effet,  tu  m’indiques  à chaque  instant  ma  route,  0 
le  plus  grand  des  hommes,  et,  par  là,  tu  augmentes  mon 
chagrin,  toi,  qui  ressembles  à un  Immortel.  2330. 

» Si  tu  as  résolu  de  chercher  un  asile  chez  mes  parents, 
allons  de  compagnie  au  Vidarbha,  si  telle  est  ta  pensée. 

» Le  roi  des  Vidarbhains  te  rendra  les  déférences,  qui 
te  sont  dues,  ô toi,  qui  donnes  l’honneur  ; et,  vénéré  par 
lui,  tu  goûteras  le  plaisir  dans  notre  palais.  » 2331-2332. 

« De  même  que  le  royaume  est  à ton  père,  lui  répondit 
Nala,  de  même  il  serait  à moi,  je  n’en  doute  pas;  mais  je 
n’irai  jamais  là  dans  le  malheur,  dont  je  suis  atteint.  2333. 

» Comment,  précipité  de  mes  grandeurs,  irais-je,  pour 
augmenter  ta  douleur,  dans  ces  lieux,  où  je  suis  allé, 
plein  de  l’abondance  en  toutes  choses  pour  augmenter  ta 
joie?  » 2334. 


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VANA-PARVA. 


277 


» Ainsi  parlant  mainte  et  mainte  fois  à Damayantl,  le 
roi  Nala  de  flatter  la  noble  dame,  qui  bientôt  allait  se  cou- 
vrir avec  la  moitié  d’un  vêtement.  2335. 

>»  Ces  infortunés,  n'ayant  à eux  deux  qu’un  seul  habit, 
s'avançaient  çà  et  là,  tourmentés  par  la  faim  et  la  soif  ; 
enfin,  ils  arrivèrent  à une  certaine  maison.  2336. 

Parvenu  là,  accompagné  de  la  Vidarbhaine,  le  souve- 
rain desNishadhains  s’affaissa  sur  lesol  de  la  terre.  2337. 

» Manquant  même  d'un  habit,  dénué  de  ceinture,  cou- 
vert de  poussière  et  plein  de  souillures,  il  s’endormit  de 
fatigue  sur  la  terre  avec  Damayantl.  2338. 

» La  noble  et  chaste  dame,  bien  délicate,  accablée  sous 
le  poids  de  sa  douleur,  fut  bieutôt  enlevée  par  le  som- 
meil. 2330. 

» Mais,  tandis  que  Damayantl  donnait,  le  roi  Nala,  la 
pensée  et  l’àme  broyées  par  le  chagrin,  ne  put,  souverain 
des  hommes,  goûter  le  sommeil  comme  devant.  2340. 

Il  promena  sa  pensée  sur  les  choses,  dont  il  fut  témoin, 
la  perte  de  son  royaume,  la  désertion  complète  de  ses  amis 
et  sa  chûte  dans  une  forêt  : 2341. 

« Que  peut-il  m’arriver  après  cela  ? Que  peut-il  me  sur- 
venir après  de  telles  infortunes?  Ne  vaut-il  pas  mieux 
mourir  qu’être  abandonné  des  hommes?  2342. 

a C'est  l’extrême  attachement  de  cette  femme  pour  moi, 
qui  l’a  fait  tomber  dans  la  peine  à cause  de  Nala;  mais,  si 
elle  se  trouvait  séparée  de  moi,  elle  s’en  irait  sans  doute 
chez  ses  parents.  2343. 

» Cette  chaste  épouse  obtiendra  le  malheur  avec  moi, 
sans  aucun  doute;  mais,  si  je  l’abandonne,  il  y a doute; 
elle  trouvera  le  bonheur  quelque  part.  » 2344. 

» 11  s'arrêta  à différentes  résolutions,  il  roula  cette  idée 


278 


LE  MAHA-BHARATA. 


mainte  fois  dans  son  esprit,  et  le  monarque  des  hommes 
pensa  que  le  plus  sûr  moyen  était  l’abandon  de  Dama- 
yantl  : 2345. 

« Sa  splendeur  ne  rend-elle  pas  impossible  à tous  gens 
quelconques  d'insulter  dans  sa  route  cette  femme  illustre, 
vertueuse,  fidèle  à son  époux,  et  qui  m’est  ni  dévouée  ! « 

» Ce  fut  à cette  idée  que  s’arrêta  alors  son  esprit,  et, 
poussé  par  l'âme  méchante  de  Kali  à l’abandon  de  son 
épouse,  il  s’abstint  de  réveiller  Damayantt.  234G — 2347. 

n Songeant  qu'il  était  sans  habillement,  et  qu’elle  n’a- 
vait elle-même  qu’un  seul  habit,  le  roi  en  vint  à la  pensée 
de  lui  couper  la  moitié  de  son  vêtement.  2348. 

« Comment  lui  couperai-je  sa  robe  ? se  demanda-t-il  ; et 
comment  ne  réveillerai-je  pas  mon  épouse?  » Dans  cette 
préoccupation,  le  roi  Nala  de  parcourir  la  maison.  2340. 

«Tandis  qu’il  errait  ici  et  là,  Bharatide,  Nala  dans  un 
endroit  de  cette  maison,  tomba  sur  un  excellent  cimeterre 
sans  fourreau.  2350. 

» Le  fléau  des  ennemis,  grâce  à l’arme,  coupa  sa  robe, 
rejeta  l’instrument,  et,  délaissant  la  Vidarbhaine  endor- 
mie, s’enfuit  l’âme  égarée  (1).  2851. 

« Ensuite,  ayant  repris  du  cœur,  le  roi  des  Nishadliains, 
étant  revenu  à la  maison,  se  mit  à soupirer  ces  mots  alors 
qu’il  vit  Damayantt  : 2352. 

« Mon  épouse,  que  n’avaient  pu  voir  avant,  ni  le  vent, 
ni  le  soleil,  la  voilà  donc,  qui  dort  maintenant  sur  la  terre 
au  milieu  de  cette  maison  comme  une  femme  sans  appui  ! 

(1)  Bopp  cite  ce  ver»  en  exemple  dan*  son  Dictionnaire  avec  une  variante  : 
gatatchétasas,  te  rapportant  à Nala,  qui  nous  semble  préférable  à la  leçon 
de  notre  édition  : gatachétnnAn , qui  se  rapporte  à Damayantt,  endormie 
et  la  conscience  éteinte . 


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VANA-PARVA. 


279 


» Cette  dame  au  charmant  sourire , que  recouvre  la 
moitié  d’un  habit  coupé,  comment  va-t-elle  se  réveiller, 
telle  qu’une  insensée?  2353 — 2354. 

» Comment,  délaissée  par  moi,  cette  ravissante  fille  de 
Bbirna  ira-t-elle  seule  dans,  ces  bois  terribles,  fréquentés 
des  serpents  et  des  carnassiers.  2355. 

» Que  les  Adityas,  les  Vasous,  les  Roudras,  les  deux 
Açwins  avec  la  troupe  des  vents  te  défendent,  vertueuse 
dame;  tu  es  euvironnée  par  le  devoir.  » 2356. 

» Après  qu'il  eut  parlé  ainsi  à son  épouse  chérie  d’une 
beauté  incomparable  sur  la  terre,  ce  prince,  à qui  Kali 
avait  dérobé  la  raison,  partit  5 la  h&te.  2357. 

» Le  roi  Nala  s’en  allait  et  il  revenait  à chaque  fois  vers 
la  maison,  entraîné  par  Kali  et  ramené  par  la  tendresse. 

» Son  cœur  dans  son  désespoir  était,  pour  ainsi  dire, 
partagé  en  deux  : tel  que,  sur  une  balançoire,  mainte  fois 
il  s’éloignait  de  la  maison  et  mainte  fois  il  se  rapprochait 
d'elle.  2358—2359. 

» Entraîné  par  Kali,  Nala  courut  avec  égarement,  aban- 
donnant son  épouse  endormie,  et  soupirant  beaucoup  de 
choses  touchantes.  2360. 

» L’âme  perdue,  touché  par  Kali,  roulant  mainte  et 
mainte  pensée  dans  son  esprit,  le  pi-ince  marchait  affligé, 
désertant  son  épouse,  comme  une  éléphante  délaissée  dans 
la  forêt  solitaire.  2361. 

» Après  le  départ  de  Nala,  sire,  Damayantl  à la  taille 
charmante,  de  qui  la  fatigue  était  dissipée,  se  réveilla  ; 
effrayée  de  se  trouver  seule  dans  ces  bois  déserts.  2362. 

» Ne  voyant  pas  son  époux,  saisie  de  chagrin  et  de  dou- 
leur, épouvantée , elle  se  mit  à appeler  le  Nishadhain  à 
haute  voix,  en  criant  : « Grand  roi  ! » 2363. 


280 


LE  MAHA-BHARATA. 


« Oh  là!  mon  protecteur!....  oh  là!  grand  roi!....  oh 
là,  mon  maître!....  Pourquoi  ui’ abandonnes-tu  ! Hélas! 
je  suis  morte  ! je  suis  perdue!  L’épouvante  me  saisit  dans 
cette  forêt  solitaire.  2364. 

» Ne  sais-tu  pas  le  devoir,  grand  roi  ? Ne  dis-tu  pas  la 
vérité  ? Comment,  après  que  tu  m'as  parlé  ainsi,  au  nom  de 
la  vérité,  ro’as-tu  quittée  endormie  au  milieu  de  ces  bois  ? 

» Comment  as-tu  pu  t’en  aller,  abandonnant  une  épouse 
fidèle,  polie,  innocente  surtout,  et  qui  est  la  victime  d’un 
ennemi  ? 2365 — 2366. 

» Tu  peux  accomplir  ici  convenablement  en  moi,  sou- 
verain des  hommes,  ces  paroles,  que  jadis  tu  as  dites  en 
présence  des  gardiens  du  monde.  2367. 

» La  mort  n’a  pas  été  disposée  à propos,  sire,  pour  les 
mortels,  puisque  moi,  ton  amie,  délaissée  par  toi,  je  vis 
encore,  ne  fùt-ce  qu’un  seul  instant.  2368. 

» Une  telle  moquerie  est-elle  convenable  ici,  taureau 
des  hommes?  J'ai  peur!  Regarde-moi, à le  plus  inafl'ron- 
table  des  souverains  ! 2369. 

» On  te  voit!....  on  te  voit!....  c’est  toi,  que  l’on  voit 
derrière  ces  arbrisseaux,  Nishadhain,  où  tu  te  caches!.... 
Pourquoi  ne  me  réponds-tu  pas?  2370. 

» C’est  une  chose  cruelle,  Indra  des  rois,  que  tu  ne  me 
rassures  pas,  hélas!  moi  gémissante,  qui  suis  venue  ici, 
prince,  suivant  tes  pas  dans  ce  désert.  2371. 

» Ce  n’est  pas  moi,  que  je  plains,  ni  rien  autre  chose; 
mais  comment  vivras-tu  seul?  » Voilà  ce  que  je  me  dis  ; et 
c’est  sur  toi  que  je  pleure.  2372. 

» Comment,  sire,  brûlé  par  la  soif,  pressé  de  la  faim, 
accablé  de  fatigue,  seras-tu  ce  soir,  quand  tu  ne  me  verras 
pas,  assise  au  pied  de  ton  arbre?  » 2373. 


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VANA-PARVA. 


281 


» Ensuite,  tourmentée  par  une  amère  douleur,  consu- 
mée de  ressentiment,  elle  courut  çà  et  là,  désolée  et  ver- 
sant des  larmes.  237 A. 

» Tantôt  la  royale  enfant  se  relève  ; d’autres  fois  elle 
tombe  , troublée  ; tantôt  elle  s'affaisse  dans  la  crainte  ; 
d’autres  fois  elle  pleure  et  pousse  des  cris.  2375. 

» Elle  soupire,  agitée  mainte  et  mainte  fois,  consumée 
de  la  plus  cuisante  douleur  ; et,  quand  elle  a soupiré,  la  * 
chaste  fille  de  Bhlma  pleure  et  dit  : 2376. 

« Toujours  une  plus  grande  douleur  naitra  pour  nous 
de  la  peine  sous  la  malédiction  de  ce  mauvais  génie, 
qui  a précipité  dans  l'infortune  le  malheureux  Nisha- 
dhain  ! 2377. 

» C'est  ainsi  que  ce  méchant  a traité  l’innocence  de 
Nala,  qu’il  précipite  dans  les  plus  grands  maux,  après 
une  vie  coulée  au  milieu  des  plaisirs  ! » 2378. 

» C’était  de  cette  manière  qu’en  gémissant  l’épouse 
du  roi  magnanime  cherchait  les  traces  de  son  époux  dans 
cette  forêt,  hantée  par  les  bêtes  de  proie.  2379. 

» La  fille  sauglotlanle  de  Bhlma  courait  çà  et  là  comme 
une  folle,  et  répétait  mainte  et  mainte  fois  çà  et  là  : « Hé- 
las! hélas!  sire.  » 2380. 

» Tandis  qu'elle  jetait  ces  hautes  clameurs,  criait  comme 
une  pygargue,  soupirait  mille  choses  touchantes,  et  gé- 
missait mainte  et  mainte  fois,  un  boa,  reptile  au  grand 
corps,  stimulé  par  la  faim,  saisit  la  fdle  de  Bhlma,  venue 
près  de  lui,  mais  s’enfuyant  à la  hâte.  2381 — 2382. 

» Dévorée  par  le  serpent,  et  noyée  dans  le  chagrin,  elle 
ne  déplora  pas  son  destin  autant  qu’elle  plaignit  le  sort 
du  Nishadhain  : 2383. 

« Hélas!  mon  protecteur,  di»ait-»lle,  pourquoi  ne  viens- 


282 


LE  MAHA-BHARATA. 


tu  pas  à mon  secours  dans  ce  bois  solitaire,  où  je  suis  dé- 
vorée par  ce  boa,  comme  une  femme  sans  défenseur?  238A. 

» Comment  peux-tu  exister  encore,  Nishadhain,  après 
que  tu  m'as  abandonnée?  Où  ta  majesté  s’en  va-t-elle 
maintenant  que  tu  m’as  délaissée  dans  cette  forêt,  sei- 
gneur? 2385. 

» Es-tu  délivré  de  la  malédiction?  As-tu  recouvré  ta 
pensée,  ta  raison  et  les  richesses?  Qui  éteindra  ta  lassi- 
tude, Nishadhain,  quand  tu  es  fatigué,  tourmenté  par  la 
faim,  flétri  par  lu  douleur,  tigre  sans  péché  des  rois?  » 
lin  chasseur  de  gazelles,  qui  errait  alors  dans  le  bois  touffu, 
entendit  cette  plainte;  il  s'avança  promptement  et  vit  la 
princesse  aux  grands  yeux,  que  dévorait  un  serpent. 

2386—2387—2388. 

» Le  tueur  de  gazelles,  hâtant  le  pas,  entra  lestement 
sur  la  scène  et  frappa  le  reptile  au  front  avec  une  flèche 
acérée.  2389. 

» L’homme,  qui  gagnait  sa  vie  à tuer  des  gazelles, 
voyant  la  bête  ne  faire  aucun  mouvement,  débarrassa  la 
princesse  et  l’arrosa  d'eau,  2390. 

» Lui  fit  reprendre  connaissance,  lui  apporta  de  la  nour- 
riture, Bharatide,  et  l’interrogea  : « Qui  es-tu,  toi,  qui 
as  les  yeux  du  faon  de  la  gazelle,  et  comment  es-tu  venue 
dans  ces  bois?  2391. 

» Comment  tombas-tu  dans  cette  grande  infortune,  no- 
ble dame?  » Ainsi  questionnée  par  lui,  souverain  des 
hommes,  Damayantl  de  lui  raconter  circonstanciellement 
toute  cette  histoire.  Le  chasseur  de  gazelles,  voyant  cette 
femme  couverte  seulement  avec  la  moitié  d'un  vêtement, 
remplie  d’une  fraîcheur  délicate,  le  corps  sans  défaut,  sa 
croupe  et  sa  gorge  potelées,  le  visage  ressemblant  à la 


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VANA-PARVA. 


288 


pleine  lune,  ses  yeux  ombragés  par  des  cils  courbés  et  sa 
voix  d’une  grande  suavité,  ressentit  la  puissance  de  l’a- 
mour; et,  sous  l’empire  de  cette  passion,  le  libertin  de 
flatter  la  princesse  d’une  voix  tendre  et  d’une  extrême 
douceur.  La  noble  dame  s’en  aperçut,  et  l’épouse  fidèle  à 
son  mari,  saisie  d’une  violente  colère  à la  vue  de  cé  mé- 
chant, s'enflamma  en  quelque  sorte  de  ressentiment.  Ciel 
homme  aux  pensées  criminelles  brillait,  irrité,  de  la  fièvre 
de  lui  faire  violence.  ( De  la  stance  2392 à laitance  2398.) 

» 11  croyait  sentir  comme  une  flamme  de  feu  ardente, 
irrésistible.  Damavanti,  pleine  de  colère,  accablée  de  cha- 
grin et  séparée  même  du  royaume  de  son  époux,  le  mau- 
dit dans  le  temps  où  la  route  fut  rouverte  à sa  voix  : « Si 
mon  âme,  dit-elle,  n’est  pas  occupée  d’une  autre  pensée 
que  du  Nishadhain,  que  cet  homme  abject  tombe  sans 
vie!  » A peine  eût-elle  articulé  ces  mots,  celui,  qui  ga- 
gnait sa  vie  à tuer  des  gazelles,  tomba  inanimé  sur  la 
terre  comme  un  arbre,  consumé  par  le  feu. 

2398—2399—2400. 

» Quand  elle  eut  donné  la  mort  au  chasseur  de  gazelles, 
la  femme  aux  yeux  de  lotus  bleu  s’avança  vers  la  forêt 
déserte,  épouvantable,  qui  résonnait  au  chant  des  troupes 
de  grillons,  2401. 

» Remplie  de  gazelles,  d’ours,  de  buffles,  de  tigres,  de 
rourous,  d’éléphants  et  de  lions,  pleine  de  bandes  d’oiseaux 
variés,  hantée  par  des  voleurs  Mlétchhas,  2402. 

» Couverte  d'arishtas , d’arjounas , de  kinçoukas , 
d’angoudas,  d’ébéniers,  de  figuiers  religieux,  de  gislées 
tomenteuses,  de  bambous  et  de  shorées,  de  dalbergies 
et  de  cotonniers,  2493. 

» Ombragée  de  jambousiers,  de  manguiers,  de  loghras. 


284 


LE  MAHA-BHARATA. 


de  khadiras,  de  sâlas  et  de  roseaux,  toute  revêtue  de 
lotus,  de  myrobolans  emblics,  de  plakshas,  de  cadambas 
et  d’oudoumvaras,  2404. 

» Abritée  sous  des  jujubiers,  des  æglés  marméloset  des 
nyagrodhas , encombrée  de  dattiers,  de  pyàlas,  de  pal- 
miers, dechebulies  et  de  bélérics  myrobolans,  2405. 

i)  Surplombée  de  montagnes  diverses,  cuirassée  de  cent 
métaux  différents,  avec  des  arbrisseaux  retentissants  de 
ramages  et  des  grottes  admirables  à voir,  2406. 

» Des  étangs,  des  rivières,  des  lacs,  des  volatiles  et 
des  quadrupèdesen  toutes  les  sortes.  Elle  vit  làde  nombreux 
Piçàtchas  , des  Ouragas  et  des  Rakshasas  aux  formes 
épouvantables,  partout  des  viviers,  des  marais,  des  cimes 
de  montagnes,  des  ruisseaux  et  des  cascades  à la  vue  ad- 
mirable. 2407 — 2408. 

» La  fdle  du  roi  des  Vidarbhains  vit  là,  par  troupeaux, 
et  les  buffles,  et  les  sangliers,  et  les  ours,  et  les  serpents 
des  bois.  2409. 

» Éminemment  douée  de  splendeur,  de  renommée  de 
beauté  et  de  constance,  la  Vidharbaine  allait  seule , re- 
cherchant alors éson  Nala.  2410. 

» Arrivée  dans  cette  forêt  épouvantable,  il  n’y  avait 
rien  là,  qui  pût  effrayer  la  fille  du  roi  Blilrna,  oppressée 
du  malheur  de  son  époux.  2411. 

» Elle  rencontre  la  surface  d’une  roche,  s'y  asseoit  et 
là,  sire,  accablée  de  sa  douleur,  le  corps  enveloppé  du 
chagrin,  que  lui  inspire  son  époux,  la  princesse  de  gémir 
en  ces  termes  : 2412. 

« Souverain  du  peuple  des  Nishadhains  aux  longs  bras, 
à la  vaste  poitrine,  où  f en  es-tu  allé,  sire,  après  que  tu 
m’eus  abandonnée  dans  cette  forêt  déserte  ? 2413. 


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VANA-PARVA. 


285 


» Comment  te  conduis-tu  sans  vérité  à mon  égard,  tigre 
héroïque  des  hommes,  quand  tu  as  célébré  des  açva-mé- 
dhas  et  d’autres  sacrifices  avec  de  nombreux  honoraires  ! 

» Veuille  bien  te  rappeler  cette  parole,  que  tu  as  pro- 
noncée en  ma  présence,  fortuné  prince  à la  grande  splen- 
deur et  le  plus  vertueux  des  hommes.  2514 — 2515. 

» Veuille  bien  considérer,  souverain  de  la  terre,  ce  qui 
fut  dit  près  de  toi  et  ce  qui  fut  dit  en  ma  présence  par  les 
cygnes,  hôtes  de  l’air.  2416. 

» D’une  part,  tu  as  bien  lu,  sire,  les  quatre  Vôdas,  les 
Angas  et  les  Oupângas  avec  étendue  ; mais,  d'une  autre 
part,  la  vérité,  assurément  ! est  une.  2417. 

» Veuille  donc,  souverain  des  hommes,  donner  sa  vérité 
à cette  parole,  que  jadis , héroïque  immolateur  des  enne- 
mis, tu  as  dite  en  ma  présence.  2418. 

» Hélas  ! je  suis  donc  privée  de  toi , vaillant  Nala  ! 
Pourquoi  ne  me  répouds-tu  pas,  homme  sans  péché,  dans 
ce  bois  épouvantable  ? 24 19. 

» 11  va  me  dévorer,  assailli  par  la  faim,  ce  roi  horrible 
des  bois,  les  formes  effrayantes,  la  gueule  ouverte  I..., 
Pourquoi  ne  viens-tu  pas  me  sauver?  2420. 

« Je  n'aurai  jamais  une  autre  amante  que  toi  ! » as-tu 
dit.  Rends  donc  vraie,  noble  prince,  cette  parole,  que 
jadis  tu  m’as  dite,  toi,  qui  es  mon  époux  désiré,  souverain 
des  hommes,  à moi,  ta  femme  désirée  et  chérie,  qui  gémis 
comme  une  insensée  ! Pourquoi  ne  ine  réponds-tu  pas,  4 
moi  consternée,  maigre , pâle,  souillée  , vêtue  avec  la 
moitié  d'un  habit,  et  qui  sanglotte,  roi  de  la  terre,  comme 
une  femme  sans  protecteur  ! 2421 — 2422 — 2423. 

» Moi,  qui  pleure,  semblable  à une  antilope  esseulée, 
qu’on  a séparée  de  son  troupeau,  pourquoi  ne  m’honores- 


286 


LE  MAHA-BHARATA. 


tu  pas,  vénérable  aux  grands  yeux,  toi,  qui  traînes  les 
corps  des  ennemis  sur  le  champ  de  bataille?  2424. 

» Moi,  Damavantl,  esseulée  dans  ces  grands  bois,  je  te 
dis,  grand  roi  : « Pourquoi  ne  me  réponds-tu  pas  ? » 

» Mes  regards  te  cherchent,  mais  ils  ne  peuvent  te  voir 
dans  cette  montagne , toi,  le  plus  grand  des  hommes , 
doué  du  noble  caractère  de  ta  race  et  beau  en  tous  tes 
membres  charmants.  2425 — 2426. 

« Qui,  dans  ce  bois  si  épouvantable,  repaire  des  tigres  et 
des  lions,  qui  donc,  ou  assis  sur  un  lit,  ou  debout,  ou  pas- 
sant, interrogerai-je  sur  toi,  souverain  des  Nishadhains, 
le  plus  vertueux  des  hommes,  qui  mets  le  comble  à mes 
chagrins,  dans  la  peine,  qui  m’accable,  et  la  douleur,  qui 
me  déchire  ? 2427 — 2428. 

» As-tu  vu  ou  rencontré  dans  cette  forêt  le  roi  Nala  ? 
Maisà  qui  faut-il  demander  si  Nala  est  passé  dans  ce  bois? 

« Le  magnanime  Nala,  ce  roi  charmant,  aux  yeux  sem- 
blables au  lotus,  ce  destructeur  des  bataillons  ennemis, 
que  tu  cherches,  le  voici  ! » De  qui  entends-je  maintenant 
cette  voix,  pleine  de  douceur?  Est-ce  le  fortuné  Tclia- 
tourdanshtra  aux  grandes  mâchoires,  le  roi  de  cette  forêt? 

2429 — 2430 — 2431. 

» Ce  tigre,  il  vient  en  face  de  moi  ! Je  vais  avec  lui  sans 
crainte  : « Ta  majesté,  seigneur,  est  dans  ces  bois  le  roi 
des  gazelles.  2432. 

» Sache  que  je  suis  appelée  Damayantt,  la  tille  du  mo- 
narque des  Vidarbhains,  et  l’épouse  de  Nala,  le  roi  des 
Nishadhains,  qui  détruit  les  ennemis.  2433. 

» Rassure -moi,  infortunée,  déchirée  par  la  douleur, 
abandonnée  seule  et  cherchant  mon  époux;  dix-moi , 
Indra  des  gazelles,  si  tu  as  vu  Nala.  2434. 


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VANA-PARVA. 


287 


» Cependant,  roi  de  ces  bois,  si  tu  ne  peux  me  rien  dire 
sur  Nala,  dévore-moi,  6 le  meilleur  des  animaux,  et  dé- 
livre-moi de  cette  peine.  » 2435. 

» 11  a entendu  ma  plainte  dans  cette  forêt,  et  il  ne  me 
rassure  pas  ! Je  vais  interroger  ce  fleuve  aux  douces 
eaux,  qui  se  rend  à la  mer;  2430. 

» Ou  cette  montagne  pure,  qui  élève  ses  nombreux 
sommets  variés,  ravissants,  qui  semblent  resplendir  de 
couleurs  diverses,  2437. 

» Remplie  de  mille  métaux,  ornée  de  pieiTeries  diffé- 
rentes et  qui  se  dresse,  comme  si  elle  était  le  drapeau  de 
cette  vaste  forêt,  2438. 

» Hantée  des  gazelles,  des  ours,  des  sangliers,  des  élé- 
phants, des  tigÆs  et  des  lions  ; elle,  qui  répète  de  tous 
côtés  les  chants  des  oiseaux  variés,  2439. 

» Qui  est  ornée  de  butéas,  feuillus,  d’açokas,  de  mhnu- 
sops,  de  rottleries,quiest  embellie  degislées  tomenteuses, 
de  plakshas  et  de  karnikaras  aux  belles  fleurs.  2440. 

» devais  maintenant  l’interroger  sur  le  roi,  mon  époux, 
cette  montagne  sublime,  pleine  de  rivières  et  de  cimes 
aux  nombreux  oiseaux  : 2441. 

« Révérende,  la  plus  belle  des  montagnes,  au  céleste 
aspect,  renommée,  secourable,  adoration  te  soit  rendue, 
montagne  des  plus  fortunées.  2442. 

» Je  te  salue  ! Moi,  que  voici  venue,  sache  que  je  suis 
la  fille  d’un  roi,  la  bru  d'un  roi,  l'épouse  d’un  roi,  et  que 
mon  nom  est  Damayantl.  2443. 

» Le  roi,  mon  père,  est  le  souverain  du  Vidarbha;  c’est 
un  héros  au  grand  char;  il  s’appelle  Bhima  ; il  est  le  mo- 
narque de  la  terre  et  le  protecteur  des  quatre  ordres. 

» C’est  un  sacrificateur  de  râdjasoùyas,  d’açva-médhas 


288 


LE  M \HA-BHARATA. 


et  de  sacrifices  aux  riches  honoraires  : les  yeux  beaux, 
jolis,  grands,  c’est  le  meilleur  des  princes.  2444 — 2445. 

» Pieux,  sa  conduite 'est  vertueuse,  sa  parole  vraie  ; il 
ne  médit  jamais,  il  est  d’un  bon  caractère,  il  est  doué  de 
bravoure;  sa  prospérité  est  vaste  et  sa  pureté  est  celle  du 
devoir.  2446. 

» 11  défend,  comme  il  sied,  les  Vidarbhains;  il  a 
vaincu,  reine,  les  armées  des  ennemis  : sache  que  je  suis 
la  fille  de  ce  prince,  moi,  révérende,  venue  ici  vers  toi. 

» lin  auguste  roi  chez  les  Nishadhains,  le  plus  grand 
des  hommes,  est  mon  beau-père  : on  l’appelle  Vîraséna  ; 
un  nom,  qu’il  justifie  (1)  ! 2447 — 2448. 

» Un  fortuné  héros  au  courage  infaillible  est  le  fils  de 
ce  roi  : c’est  lui,  qui  maintenant  occupe  le  trône,  qu’il 
tient  par  succession  de  son  père.  2449. 

» 11  porte  le  nom  de  Nala  : ce  prince  azuré,  l’iinmola- 
teur  des  ennemis,  est  encore  appelé  Pounyaçloka  : pieux, 
sachant  les  Védas,  éloquent,  auteur  de  bonnes  actions, 
il  boit  le  soma  et  nourrit  des  feux  sacrés.  2450. 

» 11  exerce,  comme  il  sied,  l’empire,  par  les  sacrifices, 
la  générosité  et  les  combats.  Sache  que  je  suis,  moi,  ver- 
tueuse femme  venue  ici  en  ta  présence,  l’épouse  de  ce  roi  ; 
que  j’ai  renoncé  à ma  félicité,  que  je  suis  privée  de  mon 
époux,  tombée  dans  l’infortune,  sans  protecteur,  et  que 
je  cherche  mon  époux,  ô la  plus  sainte  des  montagnes. 

2451—2452. 

n As-tu  vu  le  roi  Nala,  éminente  montagne,  dans  cette 
forêt  épouvantable,  sur  tes  cent  sommets,  qui  rasent 
le  ciel  ? 2453. 


(i)  V iras  tua  veut  dire  : celui,  t/ui  renferme  en  lui  une  mince  fie  héros. 


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VANA-PARVA. 


280 


» Ce  héros  sage,  plein  d’âme,  brave,  emporté,  aux 
longs  bras,  vaillant  comme  un  roi  des  éléphants,  est  mon 
illustre  époux.  2454. 

» As-tu  vu  Nala,  le  souverain  des  Nishadhains?  Pour- 
quoi, sainte  montagne,  ta  voix  ne  me  rassure-t-elle  pas, 
troublée,  esseulée,  gémissante,  comme  si  j’étais  ta  Allé 
elle-même,  tombée  dans  l’infortune  ? Si  tu  es  dans  ce  bois, 
souverain  de  la  terre,  héros  vaillant,  qui  sais  le  devoir  et 
qui  as  fait  un  pacte  avec  la  vérité,  pourquoi  ne  te  montres- 
tu  pas  à mes  yeux  ? Quand  donc  entendrai-je  mon  Nisha- 
dhain  me  crier  de  sa  voix  profonde  et  si  douce,  pareille 
à celle  d’un  Immortel  ou  semblable  au  tonnerre  des 
nuages  épais,  quand  l’entendrai-je  ce  magnanime  roi  me 
crier  de  sa  voix  éclatante  et  noble  : « Vidarbhaine  ! » 
2455 — 2450 — 2457 — 2458. 

» Voix  pieuse,  opulente,  détruisant  mon  chagrin,  qui  me 
rassurait  dans  mes  frayeurs,  monarque,  auii  du  devoir  ! » 

» Après  que  Damayantt,  la  Aile  du  roi,  eut  parlé  de 
cette  manière  à la  haute  montagne,  elle  reprit  sa  route 
vers  la  contrée  septentrionale.  2459 — 2460. 

» Quand  elle  eut  marché  trois  jours  et  trois  nuits,  la 
noble  dame  vit  un  bois  de  pénitents  incomparable,  em- 
belli de  célestes  forêts,  2461. 

» Orné  d’ascètes  semblables  à Atri,  à Bhrigou,  à Va- 
çishtha,  domptés,  se  retranchant  la  nourriture,  doués  de 
la  purification  et  de  la  compression  des  sens,  2462. 

» De  solitaires  aux  organes  vaincus,  ayant  pour  vête- 
ment la  peau  ou  l’écorce,  des  feuilles  pour  aliment,  ou 
vivant  d’eau  et  repus  du  vent.  2463. 

» Elle  vit  un  cercle  charmant  d’hermitages,  habité  par 
des  pénitents,  hanté  par  des  bandes  variées  de  quadru- 

10 


m 


290 


LE  MAHA-BHARATA. 


pèdes  et  fréquenté  par  des  troupes  de  singes.  2464. 

» La  femme  aux  beaux  sourcils,  aux  beaux  cheveux,  aux 
belles  hanches,  à la  belle  poitrine,  au  visage  orné  de 
belles  dents,  respira,  quand  elle  se  vit  dans  un  lieu  peuplé 
de  pénitents.  2465. 

» Resplendissante,  les  cheveux  longs  et  bien  noirs, 
l’illustre  épouse  du  fils  de  Viraséna  franchit  le  seuil  de 
cette  enceinte  d’hermitages.  2466. 

» La  pieuse  et  sainte  Damayantl,  la  perle  des  femmes, 
après  qu’elle  eut  salué  ces  hommes  riches  de  pénitences, 
se  tint  devant  eux,  inclinée  par  la  modestie.  2467. 

« Sois  la  bien-venue  ! » lui  dirent  tous  les  ascètes  ; et 
ces  hommes,  qui  avaient  thésaurisé  la  pénitence,  ren- 
dirent à la  princesse  les  honneurs,  qu’exigeait  d’eux  la 
convenance.  2468. 

u Assieds-toi!  Dis!  Que  ferons-nous  pour  toi?  » lui 
dirent  ces  ascètes.  La  belle  k la  jolie  taille  leur  fit  cette 
réponse  : « Vos  saintetés  voient -elles  ici  prospérer, 
hommes  vertueux  et  sans  péchés,  les  feux  de  la  pénitence, 
les  devoirs,  les  volatiles  et  les  quadrupèdes,  les  bonnes 
œuvres  de  vos  obligations  particulières?  » 2469 — 2470. 

» Ceux-ci  lui  répondirent  : « La  prospérité  existe  pour 
nous  en  toutes  choses  ! Dis-nous,  femme  illustre,  ô toi,  de 
qui  les  membres  sont  tous  charmants,  qui  es-tu  et  que  dé- 
sires-tu faire?  2471. 

» Car  la  vue  de  ta  beauté  supérieure  et  de  ta  splendeur 
incomparable  a fait  naître  ici  l’admiration  en  nous  : ras- 
sure-toi  ! N’aie  pas  de  crainte  ! 2472. 

» Es-tu,  noble  dame,  la  Déesse  de  ce  bois?  Ou  l’èpouse 
de  ce  mont  ? Ou  la  femme  de  ce  fleuve  ? Dis-nous  la  vé- 
lité,  irréprochable  dame  ! » 2478. 


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VANA-PARVA. 


291 


« Je  ne  suis  pas,  répondit-elle  à ces  rishis,  la  Divinité 
de  cette  forêt;  je  ne  suis,  brabmes,  ni  l’épouse  de  ce  mont, 
ni  même  celle  de  ce  fleuve.  2474. 

» Je  suis  une  fille  de  Manou,  sachez-le  tous,  hommes 
riches  en  pénitences.  Je  vais  vous  raconter  mon  histoire 
en  détail  : écoutez-moi  avec  attention.  2475. 

» Il  est  chez  les  Vidarbhains  un  monarque,  nommé 
le  roi  Bhtma.  Apprenez  tous,  ô les  plus  saints  des  brahmes, 
que  je  suis  la  fille  de  ce  prince.  2476. 

» Les  Nisbadhains  ont  un  roi  illustre,  héroïque,  victo- 
rieux dans  les  batailles;  on  l’appelle  Nala.  Sachez  encore 
que  ce  monarque  est  mon  époux.  2477. 

» Il  est  adonné  au  culte  des  Dieux,  ami  de  la  caste  des 
brahmes,  conservateur  de  la  race  des  Nisbadhains  ; il  pos- 
sède une  grande  splendeur,  une  grande  force  ; 2478. 

» 11  est  véridique,  il  connaît  les  devoirs,  il  est  plein  de 
science,  fidèle  à la  vérité,  pieux,  dévoué  aux  Dieux,  chéri 
de  la  fortune,  il  broie  les  ennemis  et  triomphe  de  leurs 
cités.  2479. 

» Ce  prince  Nala,  le  sacrificateur  des  ennemis  et  le  plus 
vertueux  des  rois,  est  mon  époux  aux  grands  yeux,  au 
visage  pareil  à la  lune  dans  une  pléoménie,  et  d'une 
splendeur  égale  à celle  du  roi  des  Dieux.  2480. 

» Ce  sacrificateur  des  principaux  sacrifices,  qui  est  par- 
venu à la  rive  ultérieure  des  Védas  et  des  Védàngas,  qui 
immole  les  ennemis  dans  le  combat  et  qui  possède  une 
splendeur  égale  au  soleil  et  à la  lune,  2481. 

» Ce  roi  de  la  terre,  adonné  au  devoir  de  la  vérité,  pro- 
voqué au  jeu  par  certains  hommes  vils,  experts  dans  les 
tricheries  et  dont  l’éducation  n’a  point  façonné  les  âmes, 
a perdu  frauduleusement,  et  son  royaume,  et  ses  richesses, 


202 


LE  MAHA-BHARATA. 


gagnés  par  des  joueurs  habiles.  Sachez  que  c’est  lui,  ce 
roi  des  rois,  de  qui  je  suis  l’épouse  ; 2482 — 2483. 

» Qu’on  m'appelle  Damayantl  et  que  j’aspire  à voir  mon 
époux!  C’est  pour  lui  que  j’ai  parcouru  ici,  accablée  de 
ma  douleur,  les  halliers,  les  montagnes,  les  rivières,  les 
lacs,  tous  les  marais  et  les  bois  entièrement,  cherchant  le 
magnanime  Nala,  mon  mari,  instruit  dans  les  armes  et 
versé  dans  la  science  des  combats.  Ce  prince  Nala,  souve- 
rain du  peuple  Nishadhain,  ne  serait-il  pas  venu  dans  cette 
forêt  charmante  de  vos  saintetés,  dans  ce  bois  de  péni- 
tence? lui,  à cause  de  qui  je  suis  venue,  brahmes,  en  ces 
lieux  grandement  épouvantables,  dans  cette  forêt  terrible, 
effrayante,  habitée  par  des  bêtes  de  proie  et  des  tigres! 
Si,  après  quelques  jours  écoulés,  je  ne  vois  pas  le  roi  Nala, 
j’emploierai  ce  qu’il  y a de  mieux  pour  me  délivrer  de  ce 
corps!  Qu’ai-je  à faire  de  la  vie,  sans  ce  prince  éminent? 
[De  ta  stance  2484  à la  stance  2400.) 

» Comment  puis-je  maintenant  exister,  accablée  de  cha- 
grin par  l’absence  de  mon  époux?  » Les  pénitents,  qui 
avaient  la  vue  de  la  vérité,  dirent  alors  à Damayantl,  la 
fille  de  Bhlma,  qui  se  plaignait  ainsi,  abandonnée  au  mi- 
lieu de  ces  bois  : « Ton  avenir  sera  heureux,  noble  et 
charmante  femme.  2490 — 2491. 

» Nous  voyons,  grâce  à notre  pénitence,  ce  qui  n'est 
pas  encore  ; tu  verras  bientôt  ce  Nishadhain  Nala , 
le  souverain  des  Nishadhains,  qui  terrasse  les  enne- 
mis. 2492. 

» Fille  de  Bhima,  tu  verras  ce  roi  vertueux,  affranchi 
d'inquiétudes,  toutes  ses  fautes  eflacées,  et  riche  de  toutes 
les  pierreries.  2493. 

» Tu  le  verras,  ce  dompteur  des  ennemis,  régner  dans 


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VANA-PARVA. 


298 


sa  capitale,  imprimant  la  terreur  à ses  adversaires  et  ar- 
rachant la  douleur  de  ses  amis.  2494. 

» Tu  verras,  noble  dame,  ton  époux,  ce  prince  à la  noble 
famille  ! » A peine  eurent-ils  adressé  ces  paroles  à la  fille 
du  roi,  épouse  chérie  de  Nala,  tous  ces  pénitents  de  s'éva- 
nouir aux  yeux  avec  les  feux  consacrés  et  les  hermitages. 
A la  vue  de  ce  prodige,  la  bru  du  roi  Viraséna,  Dama- 
yantî  au  corps  sans  défaut,  resta  saisie  d’étonnement  : 
« Est-ce  un  rêve,  que  j’ai  vu?  se  dit-elle;  ou  quelle  hallu- 
cination vient  de  se  produire  ici  ? 2495 — 2490 — 2497. 

» Où  sont  passés  tous  ces  pénitents?  Qu’est  devenue 
cette  enceinte  d’hermitages?  Où  s'en  est  allée  cette  rivière 
charmante  aux  ondes  pures,  dont  les  bords  étaient  habi- 
tés par  des  brahmes?  » 2498. 

» La  fille  de  Bhima  au  candide  sourire,  Damayantl  cons- 
ternée, le  visage  sans  couleur,  abandonnée  au  chagrin,  que 
lui  inspirait  son  époux,  demeura  long-temps  plongée  dans 
ces  réflexions.  2499. 

» Elle  s’en  alla  sur  une  autre  terre,  où,  voyant  des 
arbres  aç.okas,  les  yeux  noyés  de  pleurs,  elle  gémit  cette 
plainte  d'une  voix  suffoquée  par  ses  larmes  : 2500. 

« Dans  ce  bois,  où  je  suis  venue,  près  de  cet  açoka  fleuri, 
qui  répète  les  gazouillements  des  oiseaux,  le  plus  char- 
mant des  arbres,  mon  cœur  semble  oppressé  par  la  masse 
de  ses  boutons!  2501. 

» Hélas!  cet  arbre  fortuné  brille  sur  l’orée  du  bois, 
comme  le  roi  fortuné  de  la  montagne  avec  un  bouquet  de 
fleurs  sur  la  tète  ! 2502. 

» Açoka  d’un  aspect  aimable,  délivre-moi  bientôt  de 
mes  chagrins!  As-tu  vu  ce  roi,  qui  n’est  pas  suivi  par  le 
trouble,  que  produit  la  crainte  du  chagrin  ? 2503. 


204 


LE  MAHA-BHARATA. 


» As-tu  vu  un  prince  appelé  Nala,  le  dompteur  des  en- 
nemis, l’époux  chéri  de  Damayantl,  le  souverain  du  Ni- 
shada,  lui,  que  j'aime?  2504. 

» Fais  que  j'aille  sans  chagrin,  arbre  açoka,  vers  ce  hé- 
ros, s’il  est  venu  dans  cette  forêt,  plongé  dans  l'infortune, 
couvert  avec  la  moitié  seulement  d'un  vêtement,  lui,  de 
qui  l’épiderme  du  corps  est  si  délicat  ! Ton  nom  est  juste, 
açoka  i tu  es  bien  açoka  (1),  toi,  qui  détruis  le  chagrin.  » 

2505—2506. 

» Affligée,  la  noble  fille  de  Bhima  décrivit  un  pradak- 
shina  autour  de  l’arbre  açoka  et  s'en  alla  dans  un  lieu 
plus  épouvantable.  2507. 

» La  fille  de  Bhfma  vit  là  de  nombreux  arbres,  des  ri- 
vières nombreuses,  de  nombreuses  montagnes  charmantes, 
de  nombreux  volatiles  et  quadrupèdes  ; elle  vit,  dans  la 
recherche  de  son  époux,  des  cavernes,  des  collines  et  des 
rivières  d’un  admirable  aspect.  2508 — 2509. 

.>  Après  quelle  eut  marché  une  longue  route , Da- 
mayantî  au  sourire  candide  rencontra  une  grande  cara- 
vane, pleine  de  chars,  d’éléphants  et  de  chevaux,  2510. 

n Traversant  une  rivière  charmante,  délicieuse,  aux 
ondes  limpides , aux  eaux  bien  calmes,  vaste  fleuve,  cou- 
vert de  roseaux,  2511. 

» Résonnant  au  cri  des  ardées,  répétant  les  plaintes  des 
tchavravâkas  et  des  pygargues , embelli  par  de  grandes 
lies  et  rempli  de  poissons,  de  crocodiles  et  de  tortues. 

» Aussitôt  quelle  vit  la  grande  caravane,  l’illustre 
femme  à la  taille  distinguée,  épouse  de  Nala,  s'approcha 
et  entra  au  milieu  du  monde.  2512 — 2513. 


(1)  Sam  chagrin. 


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VANA-PARVA. 


295 


# Maigre,  les  couleurs  effacées,  les  cheveux  couverts  de 
poussière,  souillée  d’impuretés,  accablée  de  chagrin,  elle 
était  revêtue  avec  la  moitié  d’un  vêtement  et  portait  l’ex- 
térieur de  la  folie.  251â, 

,»  D’entre  ces  hommes,  les  uns  courent  effrayés  à sa 
vue , ceux-ci  roulent  une  pensée  différente,  les  autres 
poussent  des  cris,  ceux-là  rient  d’elle,  quelques-uns  l’in- 
vectivent, d autres,  éminent  fiharatide,  la  questionnent 
émus  de  compassion  : 2515 — 2510. 

" Qui  es- tu,  noble  femme  ? De  qui  es-tu  la  fille  ? Que 
cherches-tu  dans  ce  bois  ? Ta  vue  a mis  le  trouble  parmi 
nous  ! Es-tu  une  fille  de  Manou  ? 2517. 

» Parle  avec  sincérité  : es-tu  la  Divinité  de  cette  forêt,  ou 
de  cette  montagne,  ou  de  cette  région  ? Nous  nous  mettons 
sous  ta  protection,  noble  dame!  2518. 

» Soit  Yakshi,  soit  Rakshasi,  ou  femme  de  condition, 
si  tu  l’es,  accorde-nous  le  salut  de  cette  manière,  etsauve- 
nous,  irréprochable  femme.  2519. 

» Que  la  caravane  heureuse  accomplisse  promptement 
son  voyage  ! Agis  de  telle  sorte , noble  dame,  que  le 
bonheur  nous  environne  ! » 2520. 

» A ces  mots  la  vertueuse  fille  de  roi,  Damayanti  ré- 
pondit en  ces  termes,  accablée  du  malheur  de  son  époux, 
à toute  la  caravane  et  à son  chef  : « Hommes,  qui  êtes 
ici,  enfants,  vieillards,  adultes,  et  vous  les  principaux  de 
cette  caravane,  2521 — 2522. 

» Sachez  que  je  suis  une  fille  de  Manou  ; que,  née  d’un 
souverain  des  enfants  de  Manou,  je  suis  la  bru  d’un  roi, 
l’épouse  d’un  roi,  et  que  j’aspire  à voir  mon  époux.  2523. 

» Mon  père  est  le  souverain  du  Vidarbha,  mon  époux 
est  le  monarque  des  Nishadhains.  Ce  prince  éminent  est 


206 


LE  MAHA-BHARATA. 


appelé  Nala,  et  je  cherche  ce  héros  invincible.  252â. 

» Si  vous  savez  quelque  chose  sur  ce  roi,  sur  ce  Nala,  le 
tigre  des  hommes  et  le  destructeur  des  bataillons  enne- 
mis, hâtez-vous  de  m’apprendre  cette  agréable  nouvelle.  » 

» Le  chef  de  la  caravane,  appelé  Çoutchi,  le  seigneur  de 
cette  grande  société,  dit  à la  femme  aux  membres  sédui- 
sants : « Écoute  ma  parole,  noble  dame.  2â25 — 2526. 

» Moi,  chef  et  guide  de  cette  caravane,  femme  illustre 
au  candide  sourire,  je  ne  vois  pas  au  milieu  d’elle  un 
homme,  qui  porte  ce  nom  de  Nala.  2527. 

» Dans  ce  bois  entier,  habité  par  des  êtres,  qui  ne  sont 
pas  des  hommes,  je  ne  vois  que  des  gazelles,  des  ours, 
des  tigres,  des  buffles,  des  éléphants  et  des  lions.  2528. 

» Je  ne  vois  pas,  si  ce  n'est  toi,  femme,  uu  seul  homme 
dans  la  grande  forêt.  Ainsi  veuille  nous  être  aujourd'hui 
favorable  Manibhadra,  le  roi  des  Yakshas  ! » 2529. 

a Où  va  cette  caravane  ? répondit-elle  aux  marchands 
et  à tous  ceux,  qui  en  faisaient  partie  : je  désire  le 
connaître.  » 2530. 

« Cette  caravane,  reprit  le  chef,  appartient  à Soubahou, 
le  roi  de  Tchédi,  qui  voit  la  vérité.  Bientôt,  lille  d’un  fds 
de  Manou,  elle  entrera  dans  ses  terres  pour  lui  remettre 
ses  bénéfices.  » 2531. 

» Quand  cette  femme  aux  membres  séduisants  eut  en- 
tendu ces  paroles  du  chef,  elle  marcha  avec  la  caravane 
dans  le  désir  de  retrouver  son  époux.  2532. 

» Après  une  longue  route,  les  marchands  virent  dans 
une  forêt  immense,  horrible,  un  vaste  lac,  florissant  de 
tous  les  côtés,  parfumé  de  lotus,  délicieux,  plein  de  bois 
pour  se  chauffer  et  de  grasses  prairies,  embelli  de  fleurs 
et  de  fruits  à satiété,  habité  par  des  oiseaux  variés,  avec 


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VANA-PARVA. 


297 

des  eaux  douces,  limpides,  ravissant  l’ame  et  bien  fraiches. 
Les  porteurs  de  fardeau,  très-fatigués,  eurent  la  pensée 
d'y  faire  une  halte.  2533 — 2534 — 2535. 

» Ils  demandent  l'approbation  du  chef,  ils  entrent  dans 
cette  forêt  des  plus  belles,  et  l'immense  caravane  se  rend 
sur  la  rive  occidentale,  où  elle  met  son  habitation.  2530. 

» Là,  à l'heure  où  le  jour  est  arrivé  au  milieu  de  sa 
carrière,  tandis  que  la  caravane  fatiguée  donnait  dans 
un  lieu  frais  et  silencieux,  il  survint  un  troupeau  d’é- 
léphants. 2537. 

» Énivrés  par  l’écoulement  du  mada,  ils  venaient  boire 
dans  le  fleuve  de  la  montagne.  La  caravane  vit  donc  alors 
ces  nombreux  pachydermes  réunis  en  troupeaux.  2538. 

» A la  vue  de  ces  éléphants  sauvages,  accoutumés  dans 
les  bois,  ils  s’élancent  tous  rapidement,  pleins  de  fureur, 
avec  le  désir  de  les  tuer.  2539. 

» L’impétuosité  de  leur  attaque  fut  difficile  à soutenir 
par  ces  proboscidiens , comme  si  des  sommets  rompus 
s’écroulaient  du  faite  d’une  montagne  sur  le  sol  de  la 
terre.  2540. 

» On  coupa  à ces  bêtes  tremblantes  le  retour  au 
bois.  Les  éléphants,  de  qui  le  chemin  était  rompu,  de 
broyer  vite  sur  la  terre  cette  immense  caravane  endormie, 
au  moment  quelle  s’agitait,  A son  réveil.  Ceux-ci,  qui  ont 
besoin  de  secours,  jettent  de  grands  hélas  ! hélas  ! 

2541—2542. 

» Ils  courent  en  grand  nombre,  aveuglés  par  le  som- 
meil, et  se  jettent  dans  les  arbrisseaux  de  la  forêt:  ils  sont 
frappés,  les  uns  par  les  défenses,  ceux-là  par  les  trompes, 
les  autres  par  les  pieds  des  éléphants.  2543. 

» De  nombreux  chameaux  blessés,  troublés  par  les 


298 


LE  MAHA-BHARATA. 


gens  de  pied,  couraient  emportés  par  la  terreur,  et  s’en- 
trechoquaient mutuellement.  2544. 

» On  poussait  des  cris  affreux,  on  tombait  sur  la  terre; 
ceux-ci,  troublés,  de  grimper  sur  les  arbres;  ceux-là 
tombaient  dans  les  inégalités  du  sol.  2545. 

» Ainsi  de  plusieurs  manières,  ces  éléphants,  sous 
l’impulsion  victorieuse  du  Destin,  portaient  le  désordre, 
sire,  en  tout  ce  cercle  opulent  de  caravane.  2546. 

» C'était  des  clameurs  immenses  à porter  la  terreur 
dans  les  trois  mondes  : « Voici  un  funeste  incendie,  qui 
s’élève!  Sauvez-vous!  Courez  maintenant  ! 2547. 

<c  Ce  sac  de  pierreries  est  rompu  ! Prenez  ! Pourquoi 
vous  enfuyez-vous  ? Cette  richesse  est  en  commun  : non  ! 
ma  parole  est  dite  en  vain  ! » 2548. 

» Ainsi  les  uns  parlaient  et  les  autres  couraient  alors, 
talonnés  par  la  crainte  : « Je  vous  le  dis  encore  ! Pensez- 
y donc,  insensés  ! » 2549. 

» Tandis  que  s’opérait  cette  épouvantable  destruction 
d’existences,  Damayanti  se  réveilla , l’àme  agitée  par  la 
crainte.  2550. 

» Elle  vit  ce  carnage,  qui  inspirait  la  terreur  à tout  le 
monde  : la  jeune  femme  contempla  de  ses  yeux,  pareils 
au  lotus,  un  spectacle,  quelle  n’avait  pas  encore  vu.  2551. 

<>  Elle  se  leva,  son  âme  troublée  par  la  crainte,  la  res- 
piration de  son  visage  suspendue.  Ceux,  qui  avaient 
échappé  à la  bande  sauvage,  certains,  qui  n’avaient  pas 
reçu  de  blessures,  disaient  tous  de  concert  : « De  quelle 
œuvre  cette  catastrophe  est-elle  le  fruit?  C’est  peut-être 
que  l’illustre  Manibhadra  ne  fut  point  assez  honoré  par 
nous  ! 2552 — 2553. 

» 11  en  fut  sûrement  ainsi  du  seigneur  Kouvéra,  le  for- 


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VANA-PARVA. 


200 


tané  souverain  des  Yakshas  ! Ou  nous  n’avons  pas  com- 
mencé par  honorer  d’abord  ceux,  qui  nous  ont  suscité  cet 
obstacle  ! 2554 , 

» Les  pronostics  des  oiseaux  nous  sont  contraires,  assu- 
rément! Cependant  les  planètes  ne  nous  sont  pas  défavo- 
rables. Quelle  est  donc  cette  chose  si  différente,  qui  nous 
arrive  ici  ? » 2555. 

» D’autres  consternés,  qui  avaient  perdu  leur  fortune 
et  leurs  parents,  disaient  : « Cette  femme  à l’air  égaré, 
qui  est  entrée  dans  la  grande  caravane,  cette  femme  à l'as- 
pect hideux,  s’est  fait  une  forme,  qui  n’est  pas  celle  d'un 
être  humain;  c’est  elle  d’abord,  qui  a produit  ce  sortilège 
épouvantable.  2550 — 2557. 

» C’est  une  Rakshasl,  pour  sûr  ! Ou  bien  une  Yakshi  ! 
Ou  même  une  Piçàtchl  épouvantabe  ! C’est  elle  qui  a com- 
mis cette  scélératesse  ; il  n’y  a point  à hésiter  là-dessus  ! 

» Si  nous  voyons  cette  coupable,  qui  insulte  la  cara- 
vane, la  détruit,  lui  inflige  une  masse  de  maux,  nous  la 
tuerons,  certainement  ! à coups  de  poing,  de  lacets,  de 
boules  de  terre  ou  de  mottes  de  gazon  ! » Aussitôt  quelle 
eut  entendu  leurs  horribles  paroles,  Damayanti,  honteuse, 
troublée,  effrayée,  craignant  un  crime,  bâta  son  pas  vers 
la  forêt  et  prononça  cette  plainte  sur  elle-même  : 
2558  -2559—2500—2561. 

« Hélas  ! au-dessus  de  moi,  le  Destin  accomplit  sa 
grande,  son  épouvantable  entreprise  ! La  prospérité  ne 
dure  pas  : de  quelle  œuvre  est-elle  la  récompense  ? 2502. 

» Je  ne  me  rappelle  pas  aucune  mauvaise  action,  que 
j’aie  faite  jamais  à qui  que  ce  fût,  si  légère  soit-elle,  en 
œuvre,  en  pensée,  en  parole.  De  quelle  œuvre  la  prospé- 
rité est  donc  la  récompense  ? 2503. 


300 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Peut-être  c’est  à une  grande  faute  tombée  au  milieu  de 
ma  naissance,  que  je  dois  maintenant  d’être  plongée  dan3 
cette  infortune  immense  et  douloureuse  : 256â. 

» Son  royaume  enlevé  à mon  époux,  sa  défaite  par  son 
frère,  ma  séparation  d’avec  mon  époux,  mes  deux  enfants 
éloignés  de  moi,  2566. 

» Mon  abandon  absolu,  mon  habitation  dans  ces  bois, 
où  repairent  de  nombreux  serpents,  et,  après  un  seul  jour 
d’intervalle,  la  destruction  de  ces  gens,  réduits  mainte- 
nant à des  débris  ! » 2306. 

» Sortie  de  ce  lieu,  la  Vidarbhaine  alors  déplora  le 
carnage  accompli  ; elle  déplora,  monarque  des  hommes, 
son  époux,  son  père,  son  fils  et  son  ami  : « Quelle  mau- 
vaise action  ai-je  commise  pour  qu’il  me  soit  arrivé  un 
océan  d’hommes  au  milieu  d'une  forêt  déserte?  25(17-2568. 

» Il  fut  détruit  par  ce  troupeau  d’éléphants,  et  c'est 
mon  destin  funeste,  qui  a produit  ce  malheur  ! Peut-être 
ai-je  à subir  maintenant  une  bien  longue  infortune  ? 2569. 

» On  ne  meurt  pas  avant  que  l’heure  de  la  mort  ne  soit 
arrivée  : c’est  une  loi,  que  j’ai  apprise  des  vieillards  ; et 
c’est  pour  cela  que  je  n’ai  pas  été  broyée  aujourd’hui, 
malheureuse  affligée,  sous  les  pieds  de  ce  troupeau  d’é- 
léphants. 2570. 

» Il  n’existe  aucune  chose  parmi  les  hommes,  qui  ne 
soit  l’ouvrage  du  Destin  : je  n'ai  rien  fait  de  coupable 
dans  la  condition  même  de  l’enfance,  ni  en  pensée,  ni  en 
parole,  ni  en  œuvre,  pour  mériter  cette  peine.  Mais,  je 
pense,  les  gardiens  du  monde  se  sont  rassemblés  au 
temps,  où  fut  célébré  mon  swavamvara;  2571 — 2572. 

» Et  j'ai  alors  refusé  les  Dieux  pour  Nala  : c’est  par 
leur  puissance  que  j’ai  peut-être  subi  cette  séparation.  » 


VANA-PARVA. 


3CH 

» Après  que  la  noble  dame,  accablée  de  chagrin,  eut 
ainsi  soupiré  ces  plaintes  et  d'autres,  Damayanti,  fidèle  à 
son  époux,  fit  route  alors  avec  des  brahmes,  qui  avaient 
lu  entièrement  les  Védas,  comme  une  phase  de  la  lune 
autumnale,  qui  a épuisé  les  restes  de  son  ambroisie. 

2573—2574—2576. 

» La  jeune  femme,  ayant  marché  une  longue  route, 
arriva  un  soir  à la  grande  ville  de  Soubahou,  le  roi  de 
Tchédi,  fidèle  à la  vérité.  2570. 

» Elle  entra  dans  la  capitale,  couverte  de  sa  moitié  d'un 
vêtement.  Les  citadins  la  virent  s’avancer  comme  une 
folle,  troublée,  maigre,  abattu,  non  lavée  et  les  cheveux 
épars.  A peine  l’eurent-ils  vue  entrer  dans  la  ville  du  roi  de 
Tchédi,  les  jeunes  enfants  du  pays  la  suivirent  par  curio- 
sité : elle  marchait,  environnée  d’eux,  près  du  château 
royal.  2577 — 2578 — 2579. 

» La  mère  du  roi,  qui  était  dans  le  palais,  la  vit,  en- 
tourée de  cette  foule,  et  dit  à sa  nourrice  : « Amène  cette 
femme  ici  en  ma  présence.  2580. 

» Cette  multitude  la  persécute,  accablée  de  chagrin, 
ayant  besoin  de  secours  ; et  je  lui  vois  une  telle  beauté, 
quelle  peut  en  illuminer  mon  palais.  2581. 

» Elle  porte  le  costume  d’une  folle,  mais  c’est  une 
femme  noble;  elle  a ses  yeux  grands  comme  ceux  de 
Çrt  1 » La  nourrice  écarte  la  foule  et,  pleine  d’admiration, 
fit  monter  Damayanti  dans  les  riches  appartements  du 
palais,  sire,  où  elle  fut  interrogée  ; « Dans  le  chagrin,  qui 
t’accable,  tu  n’en  portes  pas  moins  une  beauté  supérieure. 

2582—2583. 

» Tu  brilles  comme  l’éclair  au  milieu  des  nuages  : 
dis-moi  qui  tu  es  et  de  qui  tu  es  la  fille  ; car,  sans  le 


SOS 


LE  MAHA-BHARATA. 


secours  des  parures,  ta  beauté  n'est  pas  humaine.  2585. 

» Sans  compagnon  parmi  les  hommes,  ne  crains-tu  pas, 
toi,  qui  portes  la  splendeur  des  Immortels  1 » A ces  paroles 
entendues,  la  ülle  de  Bliirna  répondit  en  ces  termes  : 
u Sache  que  je  suis  un  être  humain,  étroitement  liée  à 
mon  mari,  une  ouvrière  indépendante,  une  servante,  qui 
possède  une  famille  et  que  j’habite  où  il  me  plaît  ; 

2585 — 2580. 

» Que  je  vis  seule,  que  je  me  nourris  de  racines  et  de 
fruits  là,  où  le  soir  je  trouve  un  asile.  Mon  époux  a des 
vertus  incalculables  et  il  m'est  toujours  dévoué.  2587. 

» Je  lui  reste  attachée  et  je  suis  ce  vaillant  comme 
l'ombre  suit  le  corps  ; mais,  par  la  volonté  du  Destin,  il 
eut  un  amour  excessif  pour  le  jeu.  25S8. 

u Vaincu  dans  une  partie,  il  s’eu  est  allé  seul  au  fond 
des  forêts;  et  moi,  j’ai  suivi  dans  les  bois  mon  courageux 
époux,  le  consolant,  vêtu  d'un  seul  habit,  troublé  et 
comme  un  fou  ! Un  jour,  dans  un  certain  bois,  pressé  par 
la  faim,  l’âme  égarée,  ce  brave,  taudis  qu'il  cherchait  à 
tuer  des  oiseaux,  perdit  même  cet  habit,  ta  seule  chose, 
qu’il  possédât.  Alors,  vêtue  d’un  seul  habit,  je  suivis  en 
divers  lieux  mon  époux  nu,  hors  de  sens  et  comme  un  in- 
sensé, et  mes  nuits  s’écoulèrent  sans  goûter  le  sommeil.  A 
la  suite  d'un  temps  assez  long,  il  me  laissa  endormie,  je 
ne  sais  où.  2589 — 2590 — 2591 — 2592. 

» 11  se  couvrit  de  la  moitié  de  mon  vêtement  et  m'aban- 
donna, moi,  pure  de  tout  péché.  Depuis  lors,  je  cherche 
mon  époux,  consumée  par  le  chagrin,  le  jour  et  la  nuit  ; 
mais  je  ne  vois  pas  ce  mortel,  cher  à mon  cœur  et  semblable 
au  calice  d’un  lotus,  et  je  ne  trouve  nulle  part  mon  époux, 
ce  maître  souverain  de  ma  vie , pareil  aux  Immortels,  u 


VANA-PARVA. 


203 


» La  mère  du  roi  dit  elle-même  à la  fdle  de  Bhima  dé- 
solée, qui  se  plaignait  beaucoup  d’une  voix  affligée,  et  les 
j eux  remplis  de  larmes  : 2503 — 250A — 2505. 

« Demeure  avec  moi,  noble  dame;  mon  plaisir  le  plus 
grand  sera  d’être  avec  toi  ! Mes  gens,  s’il  te  plaît,  cher- 
cheront ton  époux.  2596. 

» Il  y a plus  : ses  excursions  çà  et  là  doivent  le  con- 
duire ici.  Demeurant  avec  nous,  illustre  dame,  tu  verras 
ton  époux.  » 2597. 

» A ces  paroles  de  la  mère  du  roi,  Damayantî  de  ré- 
pondre en  ces  termes  : « Je  puis  demeurer  avec  toi,  mère 
d'un  héros,  à ces  conditions  : 2598. 

» Je  ne  mangerai  pas  les  restes,  je  ne  ferai  pas  le  lave- 
ment des  pieds,  et  je  ne  parlerai  d’aucune  manière  à 
d’autres  hommes.  2599. 

» Qui  que  soit  l’homme,  qui  me  désire,  tu  devras  le 
punir.  L’insensé  mérite  de  toi  plus  d'une  fois  la  mort  : tel 
est  le  vœu,  que  je  m’impose.  2600. 

» 11  faudra  que  je  voie  des  brahmes  pour  la  recherche 
de  mon  époux,  si  je  demeure  ici  de  cette  manière  : il  n’y 
a pas  le  moindre  doute.  2601. 

» Autrement,  mon  habitation  est  ailleurs  dans  ma  pen- 
sée ! » La  mère  du  roi  lui  lit  cette  réponse  d’une  âme  sa- 
tisfaite : 2602. 

« Témoin  du  vœu,  par  lequel  tu  t’es  liée,  je  ferai  tout 
cela  ! » Et,  quand  elle  eut  parlé  ainsi  à la  fille  de  Bhima, 
monarque  des  hommes,  la  mère  du  roi’dit  à sa  fille,  nom- 
mée Sounandà  : « Sounandà,  sache  (d)  que  cette  femme. 


(i)  Westcrgaanl  traduit  ce  mot  abhidjAnlshu'a  par  [in  amicUiam  re<H- 
pert;  je  ue  vois  pas  que  cet  exemple  cité  justifie  sa  traduction. 


304  LE  MAHA-BHARATA. 

belle  comme  une  Déesse,  est  une  ouvrière  indépendante. 

2003—2604. 

» Arrivée  à l’égalité  de  ton  âge,  qu’elle  soit  ton  amie  ! 
Joue  avec  elle  d’une  âme,  que  la  crainte  ne  trouble 
jamais.  » 2605. 

» Quand  elle  eut  reçu  Damayanti  de  cette  manière, 
Sounandâ , environnée  de  ses  amies , retourna , bien 
joyeuse,  dans  son  palais.  2606. 

» Damayanti  elle-même  se  réjouit  d’habiter  là,  comblée 
d’honneurs,  sans  trouble  et  agréablement  satisfaite  dans 
tous  ses  désirs.  2607. 

u Après  que  le  roi  Nala  eut  abandonné  Damayanti,  mo- 
narque des  hommes,  il  vit  une  grande  forêt  incendiée  au 
milieu  de  ces  bois  épais.  2008. 

w 11  entendit  au  centre  du  feu,  la  voix  de  quelque 
Génie;  il  courut:  « Nala!  » appelait-on  à haute  voix,  et 
l’on  répéta  plus  d’une  fois  : « Pounvaçloka  ! 2609. 

» Ne  crains  pas  1 » A ces  mots,  Nala  d'entrer  au  milieu 
de  la  forêt;  il  vit  le  roi  des  serpents  au  teint  bleu,  orné  de 
pendeloques.  2610. 

» Portant  ses  mains  réunies  au  front,  le  Nàga  tremblant 
dit  à Nala  : « Sache,  auguste  prince,  que  je  suis  le  ser- 
pent Karkautaka.  2611. 

» Je  trompai  le  maharshi  Nàrada  aux  macérations  im- 
menses ; et,  enveloppé  de  colère,  je  fus  maudit  par  lui, 
monarque  des  enfants  de  Manou.  2612. 

« Reste,  me  dit-il,  quelque  part  immobile,  comme  une 
montagne,  jusqu’au  temps  où  vivra  Nala!  Je  le  guiderai 
de  ton  côté  ! » C’est  toi,  en  effet,  qui  dois  me  délivrer  de 
la  malédiction,  jetée  sur  moi.  2613. 

» Je  ne  puis,  grâce  à sa  puissance,  écarter  un  pied  de 


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VANA-PARVA. 


306 


l’autre  ; je  t’enseignerai  ce  que  tu  as  de  mieux  à faire  : 
veuille  bien  me  délivrer.  201  A. 

» Je  serai  ton  ami  : il  n'existe  pas  un  serpent,  qui  soit 
égal  à moi.  Viens  promptement,  lève-moi,  je  me  ferai 
léger  pour  toi  ! » 2615. 

» Le  roi  des  serpents  se  rendit  à ces  mots  pas  plus 
grand  que  le  pouce;  Nala  le  prit  et  s’avança  avec  lui  vers 
un  endroit,  où  la  forêt  n’était  pas  incendiée.  2616. 

« Quand  il  fut  arrivé  dans  un  lieu  plein  d’air  et  libre 
du  feu,  le  serpent  Karkautaka  reprit  la  parole  au  moment 
qu’il  désirait  le  quitter  : 2617. 

« Va,  Nishadhaln,  comptant  un  certain  nombre  de  tes 
pas  : je  te  donnerai  ensuite,  guerrier  aux  longs  bras,  ce 
qu’il  y a de  plus  excellemment  avantageux  pour  toi  ! » 

» Nala  se  mit  donc  à compter  ; et,  comme  il  posait  le 
dixième  pas,  il  fut  mordu  par  le  Nâga.  A peine  eut-il  reçu 
la  morsure  que  sa  forme  disparut  aussitôt.  2618 — 2619. 

» Se  voyant  blessé,  le  roi  s’arrêta  avec  étonnement  et 
vit  en  même  temps  sa  forme  elle-même  dessinée  sur  le 
serpent.  2620. 

» Karkautaka  lui  dit,  en  le  flattant  : « Les  hommes  ne 
te  reconnaîtront  pas,  en  ne  te  voyant  plus  sou3  la  forme, 
que  j’ai  fait  disparaître.  2621. 

« Tu  subiras  cette  métamorphose,  Nala,  grâce  à mon 
venin,  parce  qu’une  grande  douleur  te  fut  infligée.  2622. 

» Cette  peine  subsistera  en  toi,  grand  roi,  aussi  long- 
temps que  K ali  ne  t’aura  pas  délivré  des  membres  pleins 
de  mon  poison.  2623. 

» Persécuté,  homme  sans  péché  et  qui  ne  méritais 
pas  ce  traitement,  tu  ne  l'as  pas  maudit  dans  ta  colère; 
à cause  de  cela,  je  sauverai  ta  majesté.  262A. 
in 


20 


306 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Grâce  à moi,  tu  n'auras  aucun  danger,  roi  tigre  des 
hommes,  à craindre,  ni  des  bêtes  de  proie,  ni  de  l’enne- 
mi, ni  des  hommes,  qui  savent  le  Véda.  2625. 

» Mou  venin,  sire,  ne  te  causera  aucune  incommodité, 
et  tu  obtiendras  toujours,  Indra  des  rois,  la  victoire  dan3 
les  batailles.  2626. 

» Va  d'ici,  monarque  des  Nishadhains,  à la  charmante 
ville  d’ Ayodhya  et  rends-toi , sous  le  nom  du  cocher 
Bàhouka,  auprès  du  roi  Ritouparna,  versé  dans  les  dés. 
Ce  roi  te  donnera  l'habileté  aux  dés  en  échange  de  la 
science  à traiter  et  diriger  les  chevaux.  2027 — 2628. 

» Le  fortuné  rejeton  d’ikshwâkou  deviendra  ton  ami  ; 
et,  quand  tu  sauras  les  dés,  lu  posséderas  le  moyen  le 
plus  sûr  de  rentrer  dam  ton  royaume.  2629. 

» Ne  plonge  pas  ton  âme  dans  le  chagrin  ; tu  marche- 
ras de  compagnie  avec  ton  épouse,  ton  royaume  et  tes 
enfants  ; je  te  le  dis  en  vérité.  2630. 

» Quand  tu  auras  envie  de  revoir  ton  ancienne  forme, 
sire,  il  te  faudra  penser  à moi  et  te  revêtir  de  cet  habit. 

» Couvert  de  ce  vêtement,  tu  reprendras  ta  forme 
passée.  » A ces  mots,  le  Nàga  de  lui  offrir  une  couple  de 
célestes  habits  ; 2631 — 2632. 

» Et,  quand  il  eut  donné  à Nala  ces  instructions  et  ces 
vêtements,  le  roi  des  serpents  disparut  aussitôt  à ses  yeux. 

» Après  que  le  Nàga  se  fut  évanoui  à sa  vue,  le  Nisha- 
dhain  Nala  reprit  sa  route  et,  le  dixième  jour,  il  entra 
dans  la  ville  de  Ritouparna.  2033 — 2634. 

» 11  se  présenta  devant  le  roi  et  lui  dit  : « Je  suis 
Bàhouka,  habile  à conduire  les  chevaux  ; je  n’ai  pas  dans 
cet  art  mon  égal  sur  la  terre.  2635. 

» Je  suis  à consulter  par  les  habiles  dans  les  cas  difli- 


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VANA-PARVA. 


307 


ciles;  je  sais  préparer  les  mets  et  je  connais  parfaitement 
les  arts,  que  les  autres  exercent  dans  ce  monde.  Je  m'ef- 
forcerai de  faire  tout  ce  qui  paraîtrait  à d'autres  une  chose 
de  la  plus  grande  difficulté  : prends-moi  à tes  gages, 
Ritouparna.  » 2636 — 2637. 

« Demeure  chez  moi,  s’il  te  plait,  Bàhouka,  répondit 
celui-ci  : je  ferai  tout  cela;  ma  pensée  de  tous  les  instants 
est  tournée  principalement  vers  une  marche  rapide.  2638. 

u Mets  donc  tes  soins  à ce  que  mes  coursiers  aient 
toujours  de  la  vitesse.  Tu  es  le  préposé  aux  chevaux  ; 
cent  centaines  d’or  sont  tes  gages.  2630. 

» Djivila  et  Vârshnéya  te  seront  toujours  soumis  ; tu  seras 
content  de  ces  deux  hommes.  Habite  chez  moi,  Bàhouka.  » 

» A ces  mots  du  roi,  Nala  demeura,  comblé  d'honneurs, 
dans  la  ville  de  Ritouparna,  en  compagnie  de  Djivila  et 
de  Vârshnéya.  2640 — 2641. 

» Le  monarque  habitait  là,  toujours  occupé  de  sa  chère 
Vidarbhaine,  et  tous  les  soirs  il  ne  manquait  jamais  à 
chanter  ce  çloka  seulement  : 2642. 

« Où  la  vertueuse  femme  est-elle  couchée  maintenant, 
fatiguée,  tourmentée  par  la  faim  et  la  soif,  tournant  sa 
pensée  vers  ce  malheureux  ? Ou  de  qui  s’approche-t-elle 
maintenant?  » 2643. 

» Au  roi,  qui  parlait  ainsi,  Djivila  dit  une  nuit  : « Tu 
pleures  continuellement  une  femme  aimée  : j’ai  le  désir 
de  t’entendre,  seigneur  Bàhouka,  me  dire  de  qui  elle  était 
fdle  et  quelle  est  cette  femme,  que  tu  pleures.  # Nala  ré- 
pondit à son  compagnon  ; « Un  certain  Mandaprajna  (1) 
avait  une  femme  très-estimée,  de  qui  la  parole  avait  une 

(1)  Qui  a peu  de  science. 


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308 


LE  MAHA-BHARATA. 


grande  autorité,  ce  Manda  fut  obligé  de  se  séparer  d’elle 
pour  une  certaine  aflfaire.  2044 — 2045 — 2640. 

» Il  erre,  éloigné  d'elle,  l'insensé,  accablé  par  la  dou- 
leur, consumé  par  le  chagrin,  sans  sommeil  le  jour  et  la 
nuit.  2047. 

» Au  temps  de  la  nuit,  il  se  la  rappelle  et  chante  ainsi 
le  çloka.  Parcourant  toute  la  terre,  arrivé  quelque  part, 
il  habile,  sans  mériter  cette  infortune,  un  lieu  quelconque, 
et  se  la  rappelle  même  encore.  Cette  femme  a suivi  son 
mari  dans  une  forêt  pénible.  2048 — 2640. 

» Abandonnée  par  ce  mortel,  qui  a peu  de  vertu,  la 
jeune  femme,  si  elle  vit  encore  dans  la  peine,  esseulée, 
ignorante  des  routes,  accoutumée  une  autre  condi- 
tion, 2050. 

« Le  corps  assiégé  parla  soif  et  la  faim,  cette  jeune 
femme,  si  elle  vit  encore  dans  la  peine,  fut  abandonnée,  vé- 
nérable personne,  par  l’infortuné  Mandaprajna  dans  une 
forêt  grande,  épouvantable,  parcourue  sans  cesse  par  des 
animaux  carnassiers.  » C’est  ainsi  que  le  roi  Nishadhain, 
sans  perdre  le  souvenir  de  Damayantt,  habitr.it,  inconnu 
sous  le  déguisement,  ce  palais  du  monarque.  » 

2661—2652—3653. 

Vrihadaçva  reprit,  continuant  à raconter  .• 

« Après  que  Nala  eut  perdu  son  royaume  et  qu’il  fut 
tombé  avec  son  épouse  au  rang  des  serviteurs,  Bhtma 
d’envoyer  des  brahmes  à la  recherche  de  ce  prince,  qu’il 
désirait  voir.  2664. 

» 11  donna  aux  messagers  ses  instructions  et,  leur  ayant 
remis  une  éminente  richesse  : v Cherchez  Nala  et  ma  fille 
Damayantt,  leur  dit-il.  2655. 

» Cette  œuvre  étant  accomplie  et  le  roi  des  Nishadbains 


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VANA-PAHVA. 


300 


reconnu,  je  donnerai  un  millier  de  vaches  à celui  d’entre 
vous,  qui  les  ramènera.  2656. 

» S'il  est  impossible  de  ramener  ici  Damayanli  ou  môme 
Nala,  je  n’en  donnerai  pas  moins  des  dotations  de  terre, 
un  village,  semblable  à une  ville.  2657. 

» Je  donnerai  une  richesse  de  mille  vaches  à qui  en 
rapportera  seulement  des  nouvelles  ! » Quand  il  eut  parlé 
ainsi,  les  brahmess’en  allèrent  joyeux  à tous  les  points  de 
l’espace,  dans  les  royaumes  étrangers,  peusant  au  Nisha- 
dhain  et  à son  épouse;  mais  ils  ne  trouvèrent  nulle  part 
Nala  ni  la  fille  de  Bhlrna.  2668 — 2650. 

» Ensuite,  un  brahme  nommé  Soudéva,  fouillant  la  dé- 
licieuse ville  de  Tchédi,  rencontra  la  V'idarbhaine  dans  le 
palais  du  roi.  2660. 

» Cette  femme,  d’une  beauté  alors  peu  renommée,  mais 
incomparable,  se  tenait,  accompagnée  de  Sounandà,  dans 
un  jour  trois  fois  saint  du  roi.  2661. 

» Quand  il  vit  cette  dame  supérieure  aux  grands  yeux, 
maigre,  souillée,  telle  que  la  lumière  du  soleil  enveloppée 
d'une  masse  de  fumée,  2662. 

» 11  conclut  d'après  les  inductions  et  pensa  : « C'est  la 
fille  de  Bhlrna  1»  Il  se  dit  : « Comme  la  dame,  que  j’ai 
vue  jadis,  celle-ci  n’est  pas  moins  belle.  2663. 

» Je  suis  au  comble  de  mes  vœux  maintenant  que  j’ai 
vu,  semblable  à la  lune  dans  sa  pléoménie  et  telle  queÇrl 
aimée  du  monde,  cette  reine  au  teint  blanc,  aux  seins 
ronds  et  charmants,  aux  grands  yeux  de  lotus  suaves, 
dissipant  grâce  à sa  splendeur  les  ténèbres  de  toutes  les 
plages  et  pareille  à la  Volupté,  épouse  de  l’Amour  ; 

2664-2665. 

» Cette  femme,  aimée  comme  la  clarté  de  la  lune  en 


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310 


LE  MAHA-BHARATA. 


son  plein  et,  pour  ainsi  dire,  arrachée  du  lac  des  Vidar- 
bhains  par  une  faute  de  la  destinée  ; 2666. 

» Au  corps  souillé  de  boue  et  de  poussière,  comme  une 
tige  arrachée  de  lotus  ou  comme  la  lune,  que  llâhou  dé- 
vore dans  une  nuit  de  pléoménie.  2667. 

» Abattue,  troublée  par  le  chagrin,  que  lui  inspire  la 
perte  de  son  époux,  elle  ressemble  à une  rivière,  dont  le 
cours  est  desséché,  à un  lotus  dépouillé  de  ses  pétales,  à 
un  oiseau  effrayé.  2668. 

« Bien  délicate,  douée  des  membres  les  plus  nobles, 
accoutumée  à des  maisons  pavées  de  pierreries,  clic  est 
comme  un  lac  de  lotus,  éminent,  riche,  saccagé  par  les 
trompes  des  éléphants.  2669. 

» De  même  qu’une  tige  de  lotus  brûlée  par  le  soleil  ou 
telle  que  si  elle  était  arrachée,  elle  n'est  pas  ornée,  elle, 
si  digne  de  parures,  cette  femme,  qui  possède  les  qualités 
de  la  beauté  et  de  la  générosité.  2670. 

» Privée  de  sa  famille,  privée  des  chères  jouissances  de 
l'amour,  elle  ressemble  au  croissant  de  la  lune,  couvert 
dans  le  ciel  par  de  sombres  nuages.  2671. 

» Portant  un  corps  affligé  par  le  désir  de  voir  son  mari, 
la  plus  belle  de  ses  parures  était  sans  aucun  doute  son 
époux,  elle,  que  je  vois  A cette  heure  sans  parures  ! 

n Abandonnée  par  lui,  elle  ne  brille  plus,  cette  bril- 
lante, parce  que  Nala,  privé  d'elle,  mène  une  vie  excessi- 
vement déplorable  I 2672 — 2673. 

» Elle  porte  son  corps  sans  périr  de  chagrin  ! Mon  àme 
est  dans  le  trouble,  en  voyant  affligée,  elle,  qui  mérite  le 
plaisir,  cette  femme  aux  cheveux  noirs,  aux  grands  yeux 
de  lotus  ! Quand  donc  aura-t-elle  traversé  cette  douleur 
et  se  reposera- t-elle  sur  la  rive  ultérieure  du  chagrin, 


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VANA-PARVA. 


311 


heureuse  comme  la  vertueuse  Rohint  de  sa  réunion  avec 
l'astre  des  nuits?  Le  roi  Nishadhain,  tombé  du  trône, 
ayant  recouvré  la  terre,  ne  sera  pas  insensible  sans  doute 
à la  joie  d’avoir  pu  retrouver  cette  femme,  née  dans  une 
telle  famille,  douée  d'un  tel  caractère  et  florissante  de 
jeunesse.  2074—2675—2676—2677. 

» Le  Nishadhain  est  digne  de  la  Vidarbhaine  et  cette 
dame  aux  y~ux  noirs  est  digne  de  lui.  Il  me  sied  de  ras- 
surer cette  épouse,  qui  aspire  à la  vue  d’un  époux  incom- 
parable, plein  d’âme  et  d’énergie.  Je  vais  donc  relever  le 
courage  dec  ette  dame,  au  visage  semblable  à la  pleine 
lune,  plongée  dans  la  rêverie  et  désolée,  elle,  qui  jamais 
auparavant  n’avait  connu  la  douleur!  » Quand  il  eut 
considéré  les  choses  par  ces  diverses  causes  et  sous  diffé- 
rents caractères,  le  brahme  Soudéva  s' approcha  de  la  fille 
de  Bhiuia  et  lui  dit  : » Je  suis  Soudéva,  Vidarbhaine,  le 
cher  ami  de  ton  frère.  2678 — 2676 — 2680 — 2681. 

» Docile  aux  ordres  du  roi  Bhlma,  je  suis  venu  ici  à ta 
recherche.  Ton  père,  la  reine,  ta  mère,  et  tes  frères  se 
portent  bien  ! 2682. 

» Tes  nobles  enfants  demeurent  là,  jouissant  l’un  et 
l’autre  d'une  bonne  santé.  Ta  famille  entière  semble,  à 
cause  de  toi,  avoir  exhalé  son  dernier  souffle.  2683. 

« Des  brahmes,  qui  te  cherchent,  parcourent  la  terre 
par  centaines.  » Aussitôt,  Youddhishthira,  que  Damayanti 
eut  reconnu  Soudéva,  2684. 

» Elle  l’interrogea  successivementsurtousses  amis,  et, 
déchirée  par  le  chagrin,  sire,  elle  pleura  beaucoup,  2686. 

» En  voyantle  brahme  de  haut  rang,  ami  de  son  frère  ; et 
Sounandà,  très-affligée,  à la  vue  des  larmes,  qu’elle  versait, 

» Causantàpart  avec  Soudéva,  dit  ces  mots,  Bbaratide, 


312  LE  MAHA-BHARATA. 

à sa  mère  : « L'ouvrière  indépendante  fond  en  larmes, 

» Depuis  quelle  s’est  abouchée  avec  un  brahme.  Sache 
ce  quelle  a,  si  tu  le  juges  convenable.  » La  mère  du  sou- 
verain de  Tchédi  sortit  alors  du  gynœcée  royal  et  s'avança 
jusqu'au  lieu,  où  la  jeune  femme  était  avec  le  brahme  : 
elle  fit  amener  Soudéva,  monarque  des  hommes, 

2686—2687—2688 —268». 

» Et  lui  demanda  : « De  qui  cette  noble  femme  est-elle 
l’épouse?  ou  de  qui  est-elle  fille?  Comment  cette  belle  aux 
yeux  charmants  est-elle  séparée  de  sa  famille  et  de  son 
époux  ? 2690. 

» Tu  la  connais,  brahme  : comment  est-elle  devenue  ce 
qu'elle  est.  Je  désire  entendre  complètement  toute  cette 
histoire  de  ta  bouche.  2691. 

» Réponds  à mes  questions  avec  sincérité  sur  cette 
femme  à la  beauté  céleste.  » A ces  mots,  sire,  l'excellent 
brahme  Soudéva,  pénétré  de  plaisir,  lui  raconta  l’histoire 
exacte  de  Damayantl.  2692 — 2693. 

u II  est  chez  les  Vidarbhains,  dit  Soudéva,  un  monarque 
vertueux,  à la  grande  splendeur  : ou  l’appelle  Bhlma. 
Cette  illustre  dame  est  sa  fille  : Damayanti  est  son  nom. 

» il  est  un  roi  des  Nishadhains,  fils  de  Viraséna;  il  est 
appelé  Nala.  Cette  noble  femme  est  l’épouse  de  ce  roi 
sage,  qui  porte  aussi  le  nom  de  Pounyaçloka. 

2694  -2695. 

» Son  frère  l'a  vaincu  au  jeu  ; ce  monarque  de  la  terre 
a perdu  son  royaume.  11  s’en  est  allé  avec  Damayantl,  et 
qui  que  ce  puisse  être  ne  sait  où.  2696. 

» Nous  parcourons  cette  terre  à cause  de  Damayantl  ; 
cette  jeune  dame  est  entrée  dans  la  maison  de  ton  fils. 

» Il  n’existe  pas  une  fille  de  Manou,  qui  lui  soit  égale  en 


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VANA-PARVA. 


81S 


beauté  : elle  porte  eotre  les  deux  sourcils  un  signe  naturel 
des  plus  distingués.  2607 — 2608. 

» 11  ressemble  au  lotus  ronge  au  milieu  de  sa  carnation 
d’azur.  Je  l’ai  vu  sur  elle,  caché  qu'il  est,  couvert  par  la 
souillure,  comme  la  lune  est  masquée  par  un  nuage. 

» Le  créateur  a fait  de  cette  marque  un  signe  pour  la 
prospérité  ; et,  de  même  que  le  croissantde  la  lune  troublée 
ne  brille  pas  d'une  grande  lumière  au  quatrième  jour,  telle 
on  ne  voit  pas  luire  sa  beauté  ; et  son  corps,  couvert  de 
souillures,  pareil  à l'or,  mais  non  paré,  ne  resplendit  pas 
manifestement.  2690 — 2700 — 2701. 

» Cette  tache  sur  ce  corps  me  révèle  cette  jeune  femme  : 
je  reconnais  ici  la  reine,  comme  on  devine  à la  chaleur 
un  feu  caché.  » 2702. 

» A peine  Soudéva  eut-il  articulé  ces  paroles,  Sou- 
nandà  aussitôt  de  laver  la  souillure,  qui  dérobait  le  signe 
à la  vue;  2703. 

b Et,  l’impureté  détruite,  le  signe  naturel  de  Damayanti 
brilla  comme  la  lune  dans  un  ciel  dégagé  de  ses  nuages. 

b A la  vue  de  cette  marque,  Bharatide,  Sounandà  et  la 
mère  du  roi  embrassent  la  jeune  femme,  et  reslentenviron 
une  heure  ne  faisant  que  verser  des  larmes.  2704 — 2705. 

b La  mère  du  roi  essuye  enfin  ses  pleurs  et  prononce 
lentement  ces  paroles  : «Tu  es  la  fille  de  ma  sœur,  qui 
m’est  révélée  par  ce  signe.  2706. 

b Ta  mère  et  moi,  nous  sommes  les  lilles  charmantes  à 
voir  du  magnanime  roi  Soudâmati,  le  souverain  des  Da- 
çàrnains.  2707. 

b Elle  lut  donnée  au  roi  Bhlina  et  moi  à Virabàhou.  Tu 
étais  née  à peine,  quaud  je  te  vis  chez  les  Daçârnains 
dans  le  palais  de  mou  père.  2708. 


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LE  MAHA-BHARATA. 


SIA 

» La  maison  de  notre  père  est  pour  toi  ce  qu'elle  est 
pour  moi,  et  telle  que  la  souveraine  puissance  est  à moi, 
ainsi  est-elle  à toi,  Damayantî.  » 2709. 

» Damayantî,  d'une  âme  joyeuse,  s’inclina  devant  elle 
et,  monarque  des  hommes,  elle  adressa  ces  paroles  à la 
sœur  de  sa  mère  : 2710. 

* Inconnue  même,  j’ai  trouvé  chez  toi  une  habitation 
agréable  : j’ai  toujours  été  comblée  de  toutes  les  choses 
désirées,  j’ai  toujours  été  défendue  par  toi.  2711. 

» Mon  séjour  ici,  d’agréable  qu’il  était,  serait  plus 
agréable  encore,  sans  aucun  doute;  mais  j’ai  été  long- 
temps absente,  veuille  bien  me  donner  congé,  ma  mère. 

» Conduits  chez  mon  père,  mes  deux  faibles  enfants  y 
demeurent.  Abandonnés  par  leur  père  et  par  moi,  com- 
ment ne  seraient-ils  pas  accablés  de  chagrin  ? 2712 — 2713. 

» Si  tu  veux  faire  ici  une  chose,  qui  me  soit  agréable, 
ordonne  qu’on  me  prépare  vite  un  char  : je  désire  retour- 
ner chez  les  Vidarbliains.  » 271A.  < 

« Soit  ! » répondit  avec  joie  la  sœur  de  sa  mère  ; et  la 
mère  du  roi,  sire,  lit  partir,  avec  l’approbation  de  son  fds, 
l’éminente  jeune  femme  dans  une  litière,  que  portaient 
des  hommes,  ô plus  auguste  des  Bharaüdes,  défendue 
par  une  grande  armée  et  bien  pourvue  d’habits,  de  vivres 
et  de  breuvages.  2715 — 2716. 

» Enlin,  peu  de  temps  après,  elle  arriva  chez  les  Vi- 
darbhains,  où  elle  reçut  les  honneurs,  que  sa  famille  en- 
tière lui  rendit  avec  joie.  2717. 

b Ayant  retrouvé  ses  deux  enfants,  sa  mère,  son  père, 
tous  ses  parents  et  tous  ses  amis  en  parfaite  santé,  l’il- 
lustre reine  Damayantî,  monarque  des  hommes,  honora 
les  Dieux  et  les  brahmes  d’une  manière  supérieure. 


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VANA-PARVA. 


315 


» Le  prince,  joyeux  de  voir  sa  fille  rendue  à ses  yeux, 
rassasia  les  désirs  de  Soudéva  avec  un  millier  de  vaches, 
un  village  et  d'autres  richesses.  2718 — 2719 — 2720. 

» Reposée  dans  le  palais  de  son  père,  quand  l’aube  du 
jour  eut  éclairé  la  nuit , elle  dit,  sire , ces  paroles  à sa 
mère  : 2721 . 

« Si  tu  veux  que  je  vive,  efforce-toi,  ma  mère,  je  le  dis 
en  vérité,  de  faire  venir  Nala,  ce  héros  des  hommes.  » 

» A ces  mots  de  Damayantt,  la  reine,  vivement  afUigée 
et  baignée  de  larmes,  ne  fit  aucune  réponse.  2722-2723. 

» Quand  tout  le  gynœcée  la  vit,  plongée  dans  une  telle 
condition,  il  retentit  de  fond  en  comble  de  tristes  hélas! 
hélas  ! et  versa  un  torrent  de  larmes.  272â. 

» Elle  dit  ensuite  ces  paroles  au  grand  roi  Bhima,  son 
époux  : « Damayantl,  ta  fille,  regrette  son  mari  ; 2725. 

» Et,  bannissant  la  pudeur,  elle  te  dit  elle-même,  sire  : 
* Que  tes  domestiques  s’en  aillent  à la  recherche  de 
Ppunyaçloka.  » 2720. 

» A cet  avertissement  de  son  épouse,  le  roi  envoya  des 
brahmes  soumis  à sa  volonté  par  tous  les  points  du  monde 
avec  cet  ordre  : « Efforcez-vous  de  découvrir  Nala.»  2727. 

» Alors  tous  les  brahmes,  au  moment  de  leur  départ, 
vont  trouver  Damayantl  sur  les  injonctions  du  roi,  et  lui 
exposent  leur  mission.  2728. 

« Répétez  çà  et  là  mainte  et  mainte  fois  ces  paroles 
dans  tous  les  royaumes,  leur  dit  la  fille  de  Bhima  : 2729. 

o Où  es-tu  allé,  joueur,  après  que  tu  eus  coupé  la  moitié 
de  mon  vêtement,  et  que,  moi,  ton  épouse  dévouée,  tu 
m'eus  abandonnée,  toi,  mon  époux,  dans  mon  sommeil, 
au  milieu  d’une  forêt?  2730. 

» Elle  t'attend,  cette  jeune  femme,  de  la  manière  que  tu 


316 


LE  MAHA-BHARATA. 


lui  as  indiquée,  consumée  d’un  profond  chagrin,  couverte 
de  la  moitié  d'un  vêtement  et  pleurant  cent  larmes  à la 
fois.  Rends-moi  ta  faveur,  héroïque  prince,  et  donne- 
moi  une  réponse.  » 2731 — 2732. 

» Tenez  ce  langage  et  dites  encore  d'autres  paroles  de 
manière  qu'il  soit  touché  de  compassion  à mon  égard  : en 
effet,  le  feu  ne  brûle  pas  une  forêt,  s'il  n’est  pas  agité  par 
le  vent.  2733. 

a C’est  à l’époux  de  nourrir  et  de  protéger  son  épouse. 
Comment  ces  deux  choses  ont-elles  péri  en  toi,  homme 
vertueux  et  qui  sais  le  devoir  ? 2734. 

» Ta  majesté  fut  toujours  dite  savante,  généreuse, 
pleine  de  miséricorde  ; elle  est  devenue  insensible,  je  le 
crains,  d’après  la  perte  de  ma  fortune.  2735. 

n Mets  donc  ta  compassion  sur  moi,  tigre  des  hommes. 
Ton  premier  devoir , c'est  l’humanité , ai-je  ouï 
dire.  » 2736. 

» S’il  ne  vous  est  fait  aucune  espèce  de  réponse,  infor- 
mez-vous de  toutes  les  manières  : « Qui  est  cet  homme  7 
Et  où  est-il?»  2737. 

» Mais,  s’il  est  un  homme,  qui  puisse  répondre  à ces 
paroles,  recevez  sa  réponse,  ô les  plus  grands  des  brahmes, 
et  rapportez-la  moi.  2738. 

» Revenez  sans  paresse  et  cachez-lui  bien  que,  si  vous 
avez  parlé,  ce  fut  suivant  mon  ordre.  2739. 

» S’il  est  riche,  ou  s’il  est  pauvre,  ou  s’il  est  dans  l’im- 
puissance, sachez  ce  qu’il  a le  désir  de  faire.  » 2740. 

» Quand  Damayantl  leur  eut  parlé  de  cette  manière, 
sire,  les  brahmes  de  s’en  aller  à tous  les  points  du  monde 
chercher  Nala,  plongé  alors  dans  l’infortune.  2741. 

» Mais  ils  eurent  beau  fouiller  les  royaumes  étrangers. 


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VANA-PARVA. 


817 


les  villages,  les  hermitages,  les  parcs  de  tous  les  pâtres, 
res  brahmes  n'y  trouvèrent  point  Nala.  2742. 

» Ils  firent  entendre  çà  et  là,  souverain  des  hommes, 
les  paroles,  dont  ils  étaient  chargés  et  comme  Damayantt 
les  avait  prononcées.  2743. 

» Après  beaucoup  de  temps  écoulé,  un  brahme,  nommé 
Parnâda,  revint  à la  ville,  où  il  tint  ce  langage  à la  fille  de 
Bhlma  : 2744. 

« Occupé,  Damayantt , à chercher  le  roi  des  Nisha- 
dhains  Nala,  je  me  suis  rendu  à la  ville  d’Ayodhyâ,  où  je 
me  suis  approché  du  Bliangàsouride.  2745. 

h J'ai  fait  entendre  ta  parole,  comme  tu  l’as  prononcée, 
noble  dame,  à l’éminent  Ritouparna  au  milieu  d'une  grande 
assemblée.  2746. 

» A ce  langage,  le  roi  Ritouparna,  ni  qui  que  ce  soit 
dans  cette  assemblée  ne  répondit  pas  un  seul  mot,  quoique 
je  lui  eusse  parlé  plus  d’une  fois.  2747. 

» Mais,  après  que  le  roi  m’eut  donné  congé,  un  certain 
homme  de  Ritouparna,  nommé  Bàhouka,  me  dit  à 
part  : 

» (Cest  un  individu  aux  bras  courts,  difforme,  le  cocher 
de  cet  Indra  des  hommes,  habile  à conduire  les  chevaux 
rapidement  et  cuisinier  expert  dans  l'art  de  préparer  les 
mets  : ) 2748 — 2749. 

« Il  poussa  de  nombreux  soupirs,  versa  mainte  et 
mainte  fois  des  larmes,  m’interrogea  sur  ma  santé  et  me 
dit  ensuite  ces  paroles  : 2750. 

« De  nobles  dames,  tombées  dans  l’infortune,  se  dé- 
fendent elles-mêmes.  On  gagne  le  Swarga  par  la  vérité, 
sans  aucun  doute.  2751. 

» Délaissées  par  leurs  époux,  les  femmes  de  qualité  ne 


318 


LE  MAFIA-BHARATA. 


s’irritent  jamais  : elles  portent  la  rie  comme  la  cuirasse 
de  la  vertu.  2752. 

» Celle-ci  ne  doit  pas  s’irriter  ici  de  ce  qu’elle  fut  aban- 
donnée par  le  sien  en  délire,  placé  dans  une  situatiou  pé- 
nible et  tombé  du  bonheur.  2753. 

» Elle  ne  doit  pas,  cette  femme  au  teint  bleu,  s'irriter 
contre  son  époux,  consumé  par  les  soucis  et  qui,  cher- 
chant de  la  nourriture,  vit  les  oiseaux  emporter  son  vête- 
ment. 275A. 

» Elle  ne  le  doit  pas , honorée  ou  non,  quand  elle  a vu 
son  époux,  croulé  du  trône,  dépouillé  de  sa  prospé- 
rité, précipité  dans  l’infortune  et  tombé  dans  un  tel 
état.  » 2755. 

» Sur  les  paroles  de  cet  homme,  je  suis  revenu  ici  en 
toute  hâte.  Maintenant  que  ta  grâce  fasse  connaître  au 
roi  ce  témoignage.  » 2756. 

» A ce  rapport  de  Parnâda,  monarque  des  hommes, 
Damayantt,  les  yeux  remplis  de  larmes,  fut  trouver  sa 
mère  et  lui  dit  à part  : 2757. 

« Cette  chose,  ma  mère,  ne  doit  jamais  être  confiée  au 
roi;  je  vais  envoyer  en  ta  présence  Soudéva,  le  plus  ver- 
tueux des  brahmes.  2758. 

» Agis  de  telle  sorte  que  sa  majesté  ne  connaisse  pas 
mon  opinion,  si  tu  veux  faire  une  chose,  qui  me  soit 
agréable.  2756. 

» Que  Soudéva  s’en  aille  vile,  sans  tarder,  â la  ville 
d' Ayodhya,  pour  me  ramener  Nala  avec  la  même  bonne 
fortune  qu’il  m’a  ramenée  moi-même  promptement  au  mi- 
lieu de  mes  parents  ! » Ensuite,  la  noble  Vidarbhaine  ho- 
nora d’une  richesse  infinie  le  saint  brahme  Parnâda,  quand 
il  se  fut  bien  reposé  : « Je  te  donnerai  encore  plus  de 


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VANA-PARVA. 


SIS) 


richesse,  brahme,  lui  dit-elle,  une  fois  que  Nala  sera 
venu  ici.  2700 — 2761 — 2762. 

» En  effet,  6 le  plus  vertueux  des  brahmes,  tu  auras  fait 
pour  moi  une  œuvre  considérable,  qu’un  autre  n'aurait 
pas  accomplie,  en  me  réunissant  bientôt  à mon  époux  1 » 

» A ces  mots,  le  brahme  au  bien  grand  cœur,  ayant 
relevé  son  courage  par  les  bénédictions  les  plus  fortunées, 
retourna  dans  sa  maison,  heureux  d'avoir  conduit  sa  mis- 
sion à bonne  fin.  2703 — 276A. 

» Damayantl,  adressant  la  parole  à Soudéva,  lui  dit, 
pleine  de  douleur  et  de  chagrin,  en  présence  de  sa  mère, 
Youddhishthira  : 2765. 

« Va  à la  ville  d’ Ayodhya,  Soudéva,  et  dis  ces  paroles 
auroiRilouparna,qui  y demeure,  comme  si  tu  étais  venu 
pour  son  plaisir  : 2766. 

« Damayantl,  la  fille  de  Bhtma,  célèbre  de  nouveau  un 
swayamvara  : les  rois  et  les  fils  de  rois  affluent  de  tous 
les  côtés  à lu  ville  du  Vidarbha.  2767. 

k Le  jour  fixé  est  celui  qu'on  verra  demain  : fais  dili- 
gence, si  lu  veux  y assister,  dompteur  des  ennemis. 

» A l'instant  où  le  soleil  se  lève,  elle  choisira  un  second 
époux  ; car  on  ne  sait  pas  si  le  héros  Nala  vit  encore,  u 

2768—2769. 

u A ces  mots,  le  brahme  Soudéva  s’en  alla,  auguste 
majesté,  et  répéta  au  roi  Ritouparna  ce  que  Damayunti 
lui  avait  dit.  2770. 

» A peine  eut-il  entendu  ce  langage  de  Soudéva,  le 
monarque  Ritouparna,  flattant  son  cocher  d’une  voix  ca- 
ressante, dit  à Ràhouka  : 2771. 

'I  Je  désire  aller  dans  un  seul  jour  chez  les  Vidarbhains 
au  swayamvara  de  Damayantl,  si  tu  le  crois  possible,  toi, 


320 


LE  AURA-BHARATA. 


Bàhouka,  à qui  est  connue  la  vraie  nature  des  chevaux.  > 

» Quand  le  souverain  lui  eut  parlé  de  cette  manière, 
tils  de  Kounti,  l’esprit  de  Nala  fut  déchiré  par  la  douleur, 
et  cet  homme  au  grand  cœur  agita  ces  réflexions  : 

« Damayant!  agirait-elle  ainsi  par  le  délire,  où  l’a  jeté 
sa  douleur?  Ou  serait-ce  un  grand  moyen,  quelle  imagine 
pour  me  ramener? 

» Malheur,  hélas  ! la  chaste  Vidarbhaine  aimait  son 
époux,  et  je  l’ai  offensée,  moi  vil,  misérable,  qui  ou- 
vris mon  cœur  à la  pensée  du  crime  ! 2772 — 2773 — 2775. 

» Mais  la  nature  des  femmes  est  inconstante;  etee  serait 
pour  moi  une  grande  tache  dans  le  monde,  si  elle  tenait 
cette  conduite  dans  son  désespoir,  mon  offense  ayant  dé- 
truit l’amour  de  cette  femme  à la  taille  svelte,  troublée 
par  le  chagrin,  que  mon  abandon  lui  inspire  !...  Voilà  ce 
que  jamais  elle  ne  fera,  surtout  quand  elle  est  mère  ! 

2776—2777. 

» J’irai  et  je  connaîtrai  la  vérité  ou  le  mensonge  ! Je 
tournerai  ce  désir  bien  arrêté  de  Ritouparna  à mon  intérêt 
particulier.  » 2778. 

» Quand  il  eut  décidé  cette  résolution  dans  sa  pensée, 
Bàhouka,  l'Ame  affligée  et  ses  mains  réunies  au  front,  de 
répondre  en  ces  termes  au  roi  Ritouparna  : 2779. 

« Sire,  je  t’en  fais  la  promesse  ; tu  iras  en  un  seul  jour, 
tigre  des  hommes,  à la  capitale  des  Vidarbhains.  » 2780. 

» Bàhouka  fit  l’inspection  des  coursiers,  et,  d'après 
l'ordre  du  Bhangàsouridc,  il  entra  dans  l’écurie  des  che- 
vaux. 2761. 

» Quoique  Ritouparna  à chaque  instant  le  pressât  de 
se  hâter,  Bàhouka, qui  désiraitbien  connaître  les  chevaux, 
y songea  mainte  et  mainte  fois.  2782. 


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VANA-PARVA. 


321 


» Il  choisit  des  chevaux  maigres,  puissauts,  capables 
d’une  longue  route,  pleins  de  force  et  d’énergie,  en  les- 
quels dominaient  les  qualités  de  la  race,  dépourvus  de 
marques  viles,  aux  vastes  lombes,  aux  grandes  mâchoires, 
purs,  nés  sur  le3  bords  du  Sindhou,  avec  dix  boucles  de 
crins  et  la  vitesse  du  vent.  2783 — 278â. 

» Le  roi,  les  ayant  vus,  dit,  saisi  d’un  léger  mouvement 
de  colère  : « Que  prétends-tu  faire?  Ton  choix  trom- 
pera notre  attente!  2785. 

» Comment  ces  chevaux  de  mon  écurie,  qui  ont  peu  de 
souffle  et  de  vie,  pourront-ils  nous  porter  ? Comment  de 
tels  coursiers  pourront-ils  marcher  une  longue  route?  » 

« Une  marque  sur  le  front,  lui  répondit  Bàhouka,  deux 
sur  la  tête,  quatre  sur  le  flanc  droit  et  le  flanc  gauche,  au- 
tant sur  la  poitrine,  une  sur  le  dos  : voilà  à quels  signes 
on  distingue  les  bons  chevaux.  2786 — 2787. 

» Ces  coursiers  iront  dans  le  Vidarbha,  je  n’en  fais  au- 
cun doute  ; mais,  parle,  sire,  et  j’attèlerai  les  autres,  que 
tu  juges  plus  convenables.  » 2788. 

» Ritourpama  reprit  : 

u Tu  connais  la  vraie  nature  des  chevaux,  Bâhouka; 
tu  es  habile  : hâte-toi  d'atteler  ceux,  que  tu  penses  capa- 
bles. » 2789. 

» L'adroit  Nala  d’atteler  aussitôt  à son  char  quatre 
vigoureux  coursiers,  doués  de  rapidité,  en  qui  étaient  in- 
nées les  vertus  de  la  race.  2790. 

» Le  roi,  plein  de  hâte,  s’empressa  de  monter  sur  le 
char  attelé,  et  les  chevaux  légers  de  précipiter  leurs  pieds 
sur  la  terre.  2791. 

u Le  fortuné  roi  Nala,  sire,  le  plus  excellent  des  hommes, 
avait  caressé  les  chevaux,  pleins  de  force  et  d'énergie, 
u 21 


322 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Après  qu’il  eut  retenu  ses  coursiers  avec  les  rênes,  il 
eut  envie  de  partir,  fit  monter  le  cocher  Vàrshnéya  et  dé- 
ploya la  plus  grande  vitesse.  2792 — 2793. 

» Les  excellents  coursiers,  que  Bàhouka  excitait  suivant 
l'art,  volèrent  au  milieu  des  airs  à la  stupéfaction  du  maître. 

» Quand  il  vit  les  chevaux  traîner  le  char  avec  la  rapi- 
dité du  vent,  le  fortuné  souverain  d'Ayodhyâ  fut  trans- 
porté de  la  plus  haute  admiration.  279A — 2796. 

» Lorsqu’il  entendit  le  bruit  du  char  et  qu'il  vit  diriger 
son  attelage,  Vàrshnéya  de  penser  alors  que  Bàhouka 
connaissait  l’art  de  manier  les  chevaux  : 2796. 

« Cet  homme,  se  disait-il,  ne  serait-il  pas  Matali,  le  co- 
cher du  roi  des  Dieux?  Tant  sont  grands  ces  signes,  que 
l’on  voit  dans  le  héros  Bàhouka  ! 2797. 

» Ne  serait-il  pas  Çftlihotra,  qui  sait  la  vraie  nature  de 
la  race  des  chevaux,  et  dont  le  corps  d’une  beauté  su- 
périeure est  passé  dans  la  condition  humaine?  2798. 

» Ou  bien  ne  serait-ce  pas  le  roi  Nala,  le  vainqueur  des 
cités  ennemies?  Voilà  donc  cette  majesté  revenue  ! » C’é- 
tait ainsi  qu'il  pensait.  2799. 

« Nala  sait  la  science,  Bàhouka  ne  l’ignore  pas  : je  vois 
une  science  égale  dans  Bàhouka  et  dans  Nala.  2800. 

» De  plus,  il  y a égalité  d’àge  en  Bàhouka  et  en  Nala... 
Cependant  Nala  à la  grande  vigueur  n’atteindra  jamais 
à la  science  de  celui-ci  ! 2801. 

» Ces  magnanimes  parcourent  inconnus  cette  terre,  li- 
vrés à différents  destins  et  sous  des  apparences,  signalées 
dans  les  Çâstras.  2802. 

» 11  y aurait  doute  en  mon  esprit  sur  cette  difformité 
du  corps;  et  de  plus  il  n’aurait  pas  la  taille  : voilà  quel  est 
mou  sentiment.  2803. 


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VANA-PARVA. 


328 


» Ixi  mesure  de  l’âge  est  la  même,  mais  il  y a une  dif- 
férence dans  les  formes  : Nala  est  doué,  je  pense,  de  toutes 
les  qualités  ; mais  il  n’en  est  point  ainsi  de  Bâhouka.  » 

» C’est  ainsi,  grand  roi,  que,  roulant  une  foule  d'idées 
en  son  cœur,  pensait  Vârshnéya  le  cocher  de  Pounyaçloka. 

2804—2805. 

» Ritouparma,  ce  roi  Indra  des  rois,  songeant  à la  con- 
naissance des  chevaux,  que  possédait  Bâhouka,  s’ en 
réjouissait  avec  le  cocher  Vârshnéya.  2800. 

» Admirant  son  attention,  sa  vigueur,  la  direction  des 
chevaux , ses  efforts  des  plus  grands , il  savourait  un 
plaisir  infini.  2807. 

» 11  traversait  rapidement  les  rivières,  les  montagnes, 
les  forêts  et  les  lacs,  comme  un  oiseau,  qui  fend  l’air. 

» Tandis  que  le  char  volait,  le  vainqueur  des  cités 
ennemies,  le  roi  Bhangâsouride  vit  tomber  à terre  son  vête- 
ment supérieur.  2808 — 2809. 

a Alors  qu’il  s’empressait  de  resaisir  son  habit  tombé, 
le  roi  magnanime  dit  à Nala  : « Je  vais  le  ramasser  ! 

n Retiens  ces  coursiers  à la  marche  rapide  : attends  un 
instant,  homme  à la  vaste  intelligence,  que  Vârshnéya 
m’ait  rapporté  ici  mon  vêtement.  » 2810 — 2811. 

« Ton  habit  est  tombé  loin  d’ici  ! répondit  Nala  ; nous 
l’avons  déjà  passé  d’un  yodjana  ; il  n’est  plus  possible  de 
le  reprendre.  » 2812. 

» Nala  parlait  encore,  quand  le  roi  Bhangâsouride  arriva 
sur  l’orée  d’un  bois,  sire,  où  s’élevait  un  beleric  myro- 
bolan,  chargé  de  fruits.  2813. 

n A sa  vue,  le  roi  dit  en  se  hâtant  à Bâhouka  : « Vois, 
cocher,  ma  faculté  éminente  pour  compter!  281 4. 

» Aucun  homme  ne  sait  tout,  il  n’existe  personne,  qui 


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LE  MAHA-BHARATA. 


524 

sache  tout,  et  nulle  part  la  science  n'a  mis  son  habitation 
dans  un  seul  homme.  2815. 

n Tu  vois,  Bâhouka,  les  feuilles  et  les  fruits,  qui  sont 
à cet  arbre  ; ce  qui  en  est  tombé  çà  et  là  est  au  nombre  de 
cent,  plus  un,  avec  un  fruit.  Il  y a sur  les  deux  grosses 
branches  cinq  kotis  de  feuilles.  2816 — 2817. 

» Sépare  dans  ta  pensée  les  deux  mères  branches  et 
tous  les  rameaux,  qui  les  accompagnent,  tu  trouveras  sur 
eux  deux  mille  cent  moins  cinq  fruits.  » 2818. 

» Alors  Bâhouka  dit  au  roi  : « Sire,  ô toi,  qui  traînes 
les  ennemis,  c’est  bien  te  vanter  devant  moi  ! 2819. 

•>  Je  vais  rendre  la  chose  évidente,  en  arrachant  ce 
beleric  myrobolan  ; il  n’y  aura  pas  d’incertitude,  sire,  le 
compte  en  étant  fait  ici.  2820. 

» J’arracherai  l’arbre  à tes  yeux,  auguste  majesté  : en 
effet,  je  ne  sais  pas  s’il  en  est  ainsi  ou  non.  2821. 

» Je  compterai  ses  fruits  sous  tes  regards,  monarque 
des  hommes.  Que  Vârshnéya  retienne  un  moment  les 
rênes  des  coursiers  ! -u  2822. 

» Le  roi  dit  à son  cocher  : « Ce  n’est  pas  le  temps  de 
s'amuser!  » Mais  Bâhouka,  déployant  un  suprême  effort, 
lui  répondit  : 2823. 

« Attends  un  instant;  je  sais  que  la  majesté  est  pressée, 
mais  ce  voyage  suit  une  route  heureuse.  Tiens  ! cocher 
Vârshnéya.  » 2824. 

» Ritouparna  lui  dit,  en  le  caressant,  rejeton  de  Kou- 
rou  : « C’est  toi,  qui  es  le  cocher,  Bâhouka;  il  n’y  en  a 
pas  d'autre  sur  la  terre.  2825. 

» Je  désire  aller  par  toi  dans  le  Vidarblia,  homme 
expert  à conduire  les  chevaux  ; j’ai  recherché  ton  assis- 
tance, ne  veuille  pas  me  susciter  un  obstacle.  2826. 


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VANA-PARVA. 


326 


» J'accomplirai  le  déair , que  tu  nie  témoigneras , 
Bâhouka,  si  marchant  à cette  heure,  où  nous  avons  le 
soleil,  tu  montres  la  Vidarbhaine  à mes  yeux.  » 2827. 

» Compte  le  béleric  myrobolan,  dit  Bâhouka;  je  te  con- 
duirai ensuite  vers  la  Vidarbhaine  : exécute  ma  parole.  » 
o Compte  le  seul  endroit  de  la  branche,  que  je  t'ai 
montrée,  mortel  sans  péché,  reprit  le  roi,  en  quelque 
sorte  malgré  lui.  2828 — 2829. 

» Compte  ses  fruits,  ô toi,  qui  sais  la  vérité  et  apporte- 
nouslajoie.  » Nala  descendit  lestement  du  char  et  bientôt 
il  eut  arraché  l’arbre.  2830. 

« Puis,  saisi  d’étonnement,  il  parla  au  monarque  en  ces 
termes  : «J'ai  compté  autant  de  fruits  que  tu  as  dit.  2831. 

» J’ai  vu,  sire,  ta  faculté  plus  que  merveilleuse  ; je  dé- 
sire entendre  la  science,  qui  fit  naître  ce  prodige.  » 2832. 

u Le  roi  dit,  pressé  d’arriver  : <<  Sache  que  je  connais 
la  science  des  dés,  et  que  je  suis  habile  calculateur.  » 

« Donne-moi  cette  science,  répondit  Bâhouka,  et  reçois 
de  moi,  sire,  la  science  des  chevaux.  » 2833 — 2834. 

» Alors,  séduit  par  l’importance  de  la  chose  et  par  son 
désir  de  posséder  la  science  hippique,  le  roi  Ritouparna 
dit  à Bâhouka:  « Qu’il  en  soit  ainsi  ! 2835. 

» Reçois,  telle  que  tu  l’as  dit,  cette  science  éminente 
des  dés  ! C.e  mien  dépôt,  Bâhouka,  demeure  en  toi  comme 
est  en  toi  la  science  des  chevaux  ! » 2836. 

» A ces  mots,  Ritouparna  lit  part  de  sa  science  à Nala, 
et  celui-ci  avait  à peine  reçu  la  science  des  dés  que  Kali 
déserta  son  corps.  2837. 

n Bâhouka  vomit  long-temps  de  sa  bouche  le  poison 
amer  du  serpent  Kali,  et  le  feu  de  la  malédiction  sortit 
alors  de  ce  prince  malheureux.  2838, 


320 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Le  roi,  déchiré  par  elle,  fut  long-temps  comme  un 
égaré;  et,  quand  il  se  fut  délivré  lui-même  du  poison, 
Kali  de  reprendre  sa  forme.  2839. 

» Le  souverain  des  Nishadhains,  Nala  voulait,  irrité,  le 
maudire  ; mais  Kali  effrayé,  tremblant,  joignant  ses 
mains  au  front,  lui  dit  : 28A0. 

« Réprime  ta  colère,  monarque  des  hommes;  je  te 
donnerai  une  gloire  éminente,  la  mère  d’indraséna  irritée 
m’a  jadis  maudit,  quand  elle  fut  abandonnée  par  toi.  En- 
suite cruellement  oppressé,  Indra  invaincu  des  rois,  j’ha- 
bitai dans  toi  avec  une  vive  douleur.  2841 — 2842. 

» Consumé,  nuit  et  jour,  par  le  venin  du  roi  des  Nàgas, 
j’ai  recours  à ta  protection  : écoute  cette  parole  de  ma 
bouche.  2843. 

» Les  hommes,  qui,  dans  le  monde,  parleront  sans 
cesse  de  toi,  n'auront  jamais  à redouter  un  danger,  qui 
vienne  de  ma  part,  si  tu  ne  lances  pas  une  imprécation 
contre  moi,  quand,  frappé  déjà  par  ta  femme,  j’ai  recours 
à ta  protection.  » A ces  mots,  le  roi  Nala  de  comprimer 
sa  colère.  2844 — 2845. 

» La  peur  fit  entrer  précipitamment  Kali  dans  le  heleric 
myrobolan,  et  dès-lors  on  ne  vit  plus  Kali  s’entretenir 
avec  le  Nishadhain.  2840. 

» L’immolatour  des  héros  ennemis,  le  roi  vigoureux 
des  Nishadhains,  libre  de  soucis  et  doué  d'une  joie  infinie, 
remonta  dans  son  char  et  regagna  le  temps  perdu  à comp- 
ter les  fruits,  en  marchant  vers  la  cité  avec  une  légèreté 
extrême  et  ses  rapides  coursiers.  2847 — 2848. 

» Le  beleric  myrobolan  cessa  d’être  en  honneur  parce 
qu  il  avait  prêté  un  azyle  à Kali.  Nala  d’une  âme  joyeuse 
pressa  mainte  et  mainte  fois  ses  rares  chevaux,  qui  sem- 


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VANA-PA1WA. 


327 


biaient  voler  comme  des  oiseaux  : le  roi  à la  grande  renom- 
mée s’avança,  tournant  la  face  aux  Yidarbhains  ; 

2849—2850. 

» Et  Kali  uiéme,  après  qu'il  eut  évité  ta  malédiction  de 
Nala,  reprit  le  chemin  de  son  habitation.  Le  grand  mo- 
narque Nalafut  délivré  de  son  oppression  fiévreuse  ; mais, 
affranchi  de  Kali,  il  n'avait  pas  repris  sa  forme.  2851. 

b Eusuite,  il  fut  annoncé  au  roi  Bhtma  que  Ritourparna 
au  courage  infaillible  arrivait  chez  les  Vidarbhains  à 
l’heure  du  soir.  2852. 

» Sur  l’ordre  de  Bhima,  il  entra  dans  la  ville  de  Koun- 
tina.  Tous  les  points  cardinaux  et  les  plages  intermédiai- 
res résonnaient  au  bruit  de  son  char.  2853. 

b La  foule  entendit  le  fracas  du  char,  les  chevaux  de 
Nala,  et  fut  transportée  de  joie  en  sa  présence.  2854. 

b Damayanti  elle-même  entendit  le  bruit  profond  du 
char,  semblable  à celui  du  nuage,  tonnant  au  milieu  de  la 
saison  pluvieuse.  2855. 

» La  multitude  fut  saisie  d’un  immense  étonnement  à 
ce  violent  tumulte  des  chevaux,  contenus  sous  la  main  de 
Nala.  2856. 

» La  lille  de  Bhima  estima  que  le  bruit  du  char  égalait  - 
celui  des  coursiers.  Les  paons,  qui  perchaient  sur  les 
maisons,  les  éléphants  au  milieu  des  étables  et  les  chevaux 
entendirent  résonner  le  char  du  maître  de  la  terre.  A ce 
bruit,  levant  la  tête,  comme  s’ils  désiraient  l’arrivée  des 
nuages,  les  éléphants  et  les  paons  de  pousser  des  cris. 

« Comme  le  bruit  de  ce  char,  qui  remplit  la  terre,  jette  la 
joie  dans  mon  cœur,  c’est  le  roi  Nala,  qui  arrive  ! ainsi 
parla  Damayanti.  Si  je  ne  vois  pas  cet  héroïque  Nala  au 
visage  pareil  à la  lune,  aux  vertus  incalculables, j’en  mour- 


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328 


LE  MAHA-BBARATA. 


rai  ; il  n'y  a nul  doute  ! Si  je  n’entre  pas  dans  les  bras  de 
ce  héros  à l’attouchement  délicieux,  je  cesserai  d’être;  je 
n’en  fais  aucun  doute  ! Si  le  Nishadhain  , qui  retentit 
comine  un  nuage,  ne  vient  pas  à moi,  je  monterai  aujour- 
d’hui même  sur  un  bûcher , où  brûle  un  feu  semblable  à 
l’or  ! Si  cet  Indra  des  rois,  qui  a la  force  d’un  éléphant  ivre 
et  le  courage  d’un  lion,  ne  vient  pas  auprès  de  moi,  j’en 
mourrai  : il  n’y  a là  aucun  doute  ! Je  ne  me  rappelle  au- 
cun mensonge  ; je  ne  me  rappelle  aucune  offense,  ni  une 
parole  vaine,  qui  me  soit  jamais  échappée  ; et  ce  héros 
Nishadhain  patient,  généreux,  supérieur  aux  rois,  qui  suit 
en  secret  des  impulsions  nobles,  est  pour  moi  tel  qu’un 
eunuque  ! Séparé  de  ce  qui  lui  est  agréable,  ce  coeur  de 
moi,  qui  me  rappelle  ses  qualités  et  ne  suis  occupée  jour 
et  nuit  que  de  cette  pensée,  est  déchiré  par  le  chagrin  î n 
Ainsi  gémissait  la  princesse,  fils  de  Bharata,  comme  une 
personne,  qui  a perdu  l’esprit.  {De  la  stance  2857j)d  la 
ttanee  2868.  ) 

» Elle  monta  sur  le  sommet  élevé  de  son  palais  avec  le 
désir  de  voir  Pounyaçloka,  et  vit  le  char  entrer  dans  la 
moyenne  enceinte,  Ritourparna,  accompagné  de  Vàrsh- 
néya  et  de  Bâhouka.  (leux-ci  descendirent  du  grand  char. 

2868—2869. 

» Ils  dételèrent  les  chevaux  et  rangèrent  le  char.  Le 
monarque  Ritouparna  après  eux  quitta  le  banc  du  char. 

» 11  s'approcha  du  roi  Bhlma  au  courage  infaillible, 
et  celui-ci  le  reçut  avec  les  plus  grands  honneurs. 

2870—2871. 

» Honoré  par  ce  roi,  le  souverain  de  la  terre  et  des 
hommes  habita  dans  la  charmante  cité  de  Kountina. 

» Promenant  ses  regards  de  tous  les  côtés,  il  ne  vit 


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VANA-PARVA. 


329 


rien  alors.  Il  s’aboucha  avec  Bhtma,  le  monarque  du  Vi- 
darbha,  il  n’obtint  pas  l’hymne  des  femmes,  qu’on  accorde 
môme  à la  légère  et  sans  cause.  « Que  dois-je  faire  pour  toi  ? 
Sois  ici  le  bienvenu  ! » lui  demanda  Bhlma. 

2872 — 2873 — 2874. 

» (le  prince  ne  savait  pas  qu'il  était  venu  pour  sa  fille. 
Ritoupama,  le  sage  roi,  de  qui  le  courage  ne  se  démentait 
jamais,  ne  voyait  d’aucune  manière  ou  le  roi  ou  la  fille  du 
roi  ; on  ne  parlait  pas  de  swayamvara  ; on  ne  voyait  pas 
les  brahmes  se  réunir.  2875 — 2876. 

» Le  monarque  du  Koçala,  considérant  ces  choses  dans 
sa  pensée,  vint  trouver  Bhima  et,  s'inclinant  devant  sa 
majesté,  lui  dit  : « Me  voici  venu  ! » 2877. 

» Bhlma  souriant  pensait  bien  à la  venue  du  prince  ; 
mais  la  cause  en  était  loin  de  son  esprit  à plus  de  cent 
vodjanas?  2878. 

« Il  a devancé  les  autres  rois,  se  disait -il,  et  il  est  venu 
me  saluer;  il  a traversé  de  nombreux  villages,  et  n’a 
point  obtenu  sans  doute  ce  qui  était  convenable.  2879. 

» La  cause  de  sa  venue,  tout  l’indique,  est  une  petite 
affaire  ; dans  la  suite,  je  saurai  quelle  est  cette  cause,  et 
ce  qu’elle  n’est  pas  1 » Le  monarque,  ayant  honoré  son 
hôte,  lui  donna  congé.  « Repose-toi,  lui  dit-il  mainte  et 
mainte  fois  ; tu  es  fatigué,  i 2880 — 2881. 

» Le  prince  satisfait,  l’àtne  joyeuse,  honoré  par  le  mo- 
narque satisfait,  se  retira,  accompagné  des  serviteurs  du 
roi,  et  entra  dans  l’habitation,  qui  lui  était  assignée.  2882. 

» Après  que  le  roi  Ritouparna  s’en  fut  allé,  escorté  par 
Vàrshnéya,  Bàhouka  prit  le  char  et  passa  avec  lui  dans  la 
remise  des  chars.  2883. 

» 11  détela  ses  chevaux,  'os  pansa  lui-même,  suivant  le 


330 


LE  MAHA-BHARATA. 


Traité,  et,  quand  il  eut  rendu  la  vigueur  aux  coursiers,  il 
fit  son  lit  sur  le  siège.  2884. 

u Quand  Damayanü,  consumée  par  le  chagrin,  vit  le 
roi  Bhangâsouride,  le  filsdu  cocher  Vàrshnéya  et  Bàhouka 
sous  le  travestissement,  2885. 

» La  Vidarbhaine  pensa  : « A qui  était  ce  char  si 
bruyant  ! Tel  était  son  grand  bruit  qu’on  aurait  dit  le  char 
de  Nala  même,  et  cependant  je  ne  vois  pas  le  Nisha- 
dhain  ! 2880. 

» Peut-être  Vàrshnéya  a-t-il  appris  de  lui  cette  science  ; 
et  voilà  pourquoi  ce  char  roulait  avec  un  bruit  si  grand 
qu’on  aurait  dit  le  char  de  Nala!  2887. 

» Peut-être  Ritouparna  est-il  un  roi  comme  était  Nala  : 
aussi  le  bruit  de  son  char  semble-t-il  celui  du  char  de 
Nala.  » 2888. 

» lies  réflexions  faites,  monarque  des  hommes,  la  belle 
Dainayanti  envoya  une  messagère  à la  recherche  du  Ni- 
shadhain  : 2889. 

« Va,  Kéçinî  ! sache,  dit-elle,  qui  est  ce  conducteur  de 
char,  ce  Bàhouka  le  court,  le  diflbrme,  que  voilà  couché 
sur  le  siège  du  char.  2890. 

» Va,  noble  femme  ; et,  commençant  par  des  paroles 
douces,  interroge  avec  attention  cet  homme  sur  sa  bonne 
santé;  car  il  est,  irréprochable  dame,  un  homme  suivant 
la  vérité.  2801 . 

» 11  y a ici  un  grand  doute  pour  moi  : serait-il  le  prince 
Nala  ? Parle-lui  de  manière  à mettre  la  satisfaction  dans 
mon  âme  et  la  joie  dans  mon  cœur.  2892. 

# A la  fin  de  l’entretien , vertueuse  et  ravissante  dame, 
fais  bien  attention  à sa  réponse,  comme  au  langage  d'un 
ascète.  » 2893. 


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VANA-PARVA. 


331 


» La  messagère,  étant  allée,  parla  & Bàhouka  avec  at- 
tention ; et  la  noble  Damayanti  regardait  au  sommet  de 
son  palais.  2804. 

« Sois  le  bien-venu,  Indra  des  hommes  ! lui  dit  kéçinl; 
je  te  demande  comment  va  ta  santé.  Écoute  attentive- 
ment, homme  éminent,  la  parole  de  Damayanti.  2895. 

u Quand  êtes-vous  partis  et  quelle  raison  vous  amène 
ici?  Parle!  La  Vidarbhaine  désire  entendre  cela  de  ta 
bouche  suivant  la  vérité.  » 2896. 

Bàhouka  lui  répondit  : 

« Le  magnanime  roi  du  koçala  entendit  un  brahme 
dire  : « Demain  Damayanti  doit  célébrer  un  second 
swayamvara.  » 2897. 

» A cette  nouvelle,  le  monarque  est  parti,  accompagné 
de  moi  et  de  son  cocher,  avec  ses  chevaux  de  première 
qualité,  qui  ont  la  vitesse  du  vent  et  peuvent  marcher 
cent  yodjanas.  » 2898. 

« Et  celui,  qui  est  le  troisième  d'entre  vous,  d'où 
vient-il  ? observa  Kéçini.  De  qui  est-il  (ils  ? Et  toi,  qui  est 
ton  père?  Et  comment  cette  affaire  te  fut-elle  confiée?  n 

« On  l’appelle  Vàrshnéya,  reprit  Bàhouka;  il  était 
cocher  de  Pounyaçloka,  noble  dame;  après  la  fuite  de 
Nala,  il  entra  au  service  du  Bhangàsouride.  2899-2900. 

» Moi,  je  suis  versé  dans  la  science  hippique  ; llitouparna 
m'a  confié  la  conduite  de  son  char;  il  m’a  préposé  lui- 
même  à la  direction  des  citai  s et  la  préparation  des  mets.  » 

« Mais  Vàrshnéya  doit  savoir  où  et  comment  s'en  est 
allé  le  roi  .Nala!  répliqua  Kéçini.  11  a dû  te  raconter  cela, 
Bàhouka!  » 2901—2902. 

« Les  deux  enfants  de  Nala  aux  Ixumes  œuvres,  dit 
Bàhouka,  ont  été  amenés  ici;  ensuite,  il  s’en  est  allé  à sa 


382 


LE  MAHA-BHARATA. 


volonté,  et  Vârshnéya  même  ne  sait  pas  où  est  le  Nisha- 
dhain.  2903. 

» Nul  homme  ne  connaît  Nala,  femme  illustre;  il  erre 
inconnu  dans  ce  monde  ; le  souverain  de  la  terre  a perdu 
sa  forme.  2904. 

» Celle,  qui  est  la  plus  proche  de  lui,  connaît-elle  Nala 
elle-même?  En  effet,  Nala  ne  dit  jamais  quels  traits  il  porte 
maintenant.  » 2905. 

« Ce  brahuie,  qui  est  allé  d'abord  à Ayodhyâ,  fit  Ké- 
çinî,  a répété  mainte  et  mainte  fois  ces  paroles  d’une 
femme  : 2900. 

a Où  t'en  es-tu  allé,  joueur,  après  que  tu  eus  coupé  la 
moitié  de  mon  vêtement  et  que  toi,  mon  époux,  tu  m'eus 
abandonnée,  moi,  ton  épouse  dévouée,  endormie  au  milieu 
d'une  forêt  ? 2907. 

» Consumée  de  chagrins  les  jours  et  les  nuits,  cou- 
verte avec  une  moitié  de  vêtement,  elle  attend  de  la  ma- 
nière que  tu  l’as  ordonné,  2908. 

n Environnée  de  ta  faveur,  cette  femme,  qui  pleure  tou- 
jours dans  une  telle  douleur;  et  donne-moi,  prince  hé- 
roïque, une  réponse.  2909. 

» Dis,  seigneur  à la  haute  sagesse,  dis  ce  récit  aimé 
d'elle;  la  vertueuse  Vidarbhaine  désire  entendre  cette  pa- 
role même.  2910. 

» La  princesse  du  Vidarbha  a l’envie  d’entendre  ta 
bouche  répéter  cette  réponse,  qui  fut  jadis  rendue  par  toi 
au  brahmc  touchant  ces  paroles  d’elle.  » 2911. 

n A ces  mots  de  Kéçinî,  rejeton  de  Kourou,  le  cœur  de 
Nala  fut  troublé  par  la  douleur  et  ses  yeux  se  remplirent 
de  larmes.  2912. 

» Mais,  comprimant  sa  peine,  le  monarque,  consumé 


VANA-PARVA. 


333 


par  le  chagrin,  articula  de  nouveau  ces  paroles  d'une  voix 
suffoquée  par  ses  pleurs  : 2013, 

« Les  femmes  de  condition,  tombées  dans  l’infortune, 
se  défendent  elles-mêmes.  Le  Swarga  est  conquis  par  la 
vérité  : il  n’y  a pas  de  doute.  2914. 

» Abandonnées  de  leurs  époux,  les  femmes  de  qualité 
ne  se  livrent  jamais  à la  colère  : elles  portent  les  souf- 
fles de  l'existence  comme  les  cuirasses  de  la  vertu. 

» Si  elle  fut  délaissée  par  un  époux  en  délire,  précipité 
dans  l’infortune,  déchu  de  tout  plaisir,  elle  ne  doit  pas  à 
cause  de  cela  ouvrir  son  coeur  à la  colère.  2915 — 2910. 

» La  femme  à la  carnation  d’azur  ne  doit  pas  s’irriter 
contre  son  époux,  consumé  de  soucis,  qui  vit  les  oiseaux 
enlever  son  vêtement  et  qui  mendie  son  existence  ; 2017. 

k Elle,  qui,  honorée  ou  non,  vit  son  mari  tombé  dans 
une  telle  condition,  précipité  du  trône,  dépouillé  de  sa 
prospérité,  tourmenté  par  la  faim  et  plongé  dans  l’infor- 
tune. » 2018. 

» En  prononçant  ces  paroles,  l’àme  péniblement  affli- 
gée, Nala  ne  put  retenir  ses  larmes  et,  fils  de  Bh&rata,  il 
se  mit  à pleurer.  2919. 

» Kéçinl  alors  s’en  alla  et  rapporta  entièrement  à Da- 
mayanti  les  paroles  et  l’émotion  du  cocher.  2920. 

» A ces  mots,  Damayanti,  toute  livrée  à sa  douleur  et 
soupçonnant  qu’il  était  Nala,  tint  ce  langage  à Kéçinl  : 

a Va  de  nouveau,  Kéçinl;  observe  Bâhouka;  et,  placée 
auprès  de  lui,  sans  rien  dire,  examine  bien  ses  actions. 

2921—2922. 

» Quand  il  fera  là  quelque  chose,  noble  dame,  consi- 
dère là  son  action  dans  le  principe  même.  2923. 

» 11  ne  faut  pas  lui  donner  le  feu;  rnets-y  obstacle, 


384 


LE  MAHA-BHARATA. 


Kéçint.  S'il  demande  l’eau,  il  ne  faut  d'aucune  manière  te 
presser  de  lui  en  donner.  2024. 

» Quand  tu  auras  bien  vu  tout  cela,  viens  m’informer 
de  son  action  et  de  tout  ce  que  tu  verras  dans  Bâhouka 
sortir  d’une  cause  divine  ou  humaine.  2925. 

» Tout  autre  chose,  que  tu  voies,  ne  manque  pas  de 
m'en  instruire.  » A ces  mots  de  Damayanti,  kéçini  s’en 
alla.  2920. 

» Ayant  vu  les  caractères  d’un  homme  versé  dans  la 
science  des  chevaux,  elle  revint  et  raconta  exactement  à 
Damayanti  ce  qu’elle  avait  vu  dans  Bâhouka  procéder 
d'une  cause  divine  ou  humaine  : « Assurément,  Da- 
mayanti ! dit-elle;  je  n'ai  jamais  vu  nulle  part  ni  ouï-dire 
un  tel  homme,  qui  fit  un  service  aussi  pur.  Y a-t-il  un 
lieu  bas,  sous  lequel  il  faille  passer,  on  ne  le  voit  jamais  se 
baisser.  2027—2928—2920. 

» I.’endroit  se  hausse  à son  désir,  afin  qu’il  puisse  y 
marcher  à son  aise.  Dans  un  étroit  défilé,  il  naît  pour  lui 
une  vaste  et  bien  large  ouverture.  2930. 

» Le  roi  envoya  plus  d'une  fois  en  grande  quantité  des 
viandes  de  bétail  pour  les  aliments  de  Ritouparna.  2931. 

» Là,  sont  préparées  des  urnes  pour  les  ablutions  ; j'ai 
vu  Bâhouka  les  remplir  d’eau.  2932. 

» Quand  il  eut  fait  son  ablution,  il  s’est  avancé  et,  pre- 
nant une  poignée  d'herbe,  il  l’a  offerte  au  soleil.  2933. 

» 11  s’occupa  ensuite  à laver  promptement  le  char  et 
les  chevaux.  A la  vue  de  ces  choses  très-merveilleuses,  je 
suis  revenue  ici  avec  étonnement.  2934. 

« J'ai  vu  en  lui  une  autre  merveille  bien  grande , femme 
charmante;  c’est  qu’ayant  touché  le  feu,  il  n’en  fut  pas 
brûlé.  2935. 


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VANA-PARVA. 


335 


» L'eau  coule  sans  exception  à sa  volonté  avec  une  ra- 
pidité extrême  : j’ai  vu  encore  d’autres  prodiges  non 
moins  étonnants.  293*1. 

» 11  prend  des  fleurs  et  les  broie  avec  lenteur  entre  ses 
mains,  mais  les  fleurs  broyées  ne  changent  pas  ; 2937. 

« Elles  sont  mêmes  plus  odorantes  et  plus  droites 
qu'avant.  A la  vue  de  ces  traits  merveilleux,  je  suis  vite 
accourue  ici.  » 2938. 

» Dès  que  Damayant!  entendit  raconter  ces  actions  de 
Pounyaç.loka,  elle  pensa  que  Nala  était  arrivé  et  qu’il  se 
révélait  par  ses  faits  et  gestes.  2930. 

» Soupçonnant  à de  pareils  signes  que  Bàhouka  était 
son  époux,  elle  adressa  de  nouveau  ces  paroles  d’une  voix 
tendre  à kéçini  : 2940. 

« Retourne,  noble  femme,  et  apporte-moi  de  la  viande 
préparée  pour  Bàhouka  et  enlevée  du  grand  char  à sa  né- 
gligence. » 2941. 

» Kéçini  alla  donc  ; elle  enleva  de  la  viande  très-chaude 
à la  face  même  de  Bàhouka,  et  se  hâtant,  rejeton  de  Kou- 
roudansle  service,  quelle  rendait,  courut  la  donneràDa- 
mayanti.  Aussitôt  que  celle-ci,  qui,  par  un  long  usage  an- 
térieur, était  accoutumée  aux  viandes  apprêtées  pour  son 
époux,  l’eut  mangée,  elle  pensa  que  Nala  était  un  simple 
cocher  et,  vivement  affligée  alors,  elle  se  lamenta,  et,  tom- 
bée dans  le  plus  profond  abattement,  elle  lava  sa  bouche. 

2942—  2943— 294  4. 

» Elle  envoya,  Bharatide , ses  deux  enfants  avec 
Kéçini.  A peine  Bàhouka  eut-il  reconnu  Indrasénà,  ac- 
compagnée de  son  frère,  il  courut,  les  embrassa,  les  fit 
monter  dans  son  anka  ; enfin  le  roi  s’approcha  en  père  de 
ce  couple  enfantin,  qui  ressemblait  aux  lils  des  Immortels. 


336 


LE  MAHA-BHARÀTA. 


» L’âme  étroitement  assiégée  par  la  douleur,  le  Nisha- 
dhain  pleura  d’une  voix  tendre  et  montra  plus  d'une  fois 
son  émotion.  2945 — 2946 — 2947. 

» 11  s'arracha  bientôt  à ces  deux  enfants  et  dit  ces  mots 
à Kéçini  : « Ce  jeune  couple,  éminente  femme,  ressemble 
à mes  deux  enfants.  2948. 

» Leur  aspect  inattendu  m’a  fait  verser  des  larmes.  On 
pourrait  soupçonner  ta  conduite  à tort  en  te  voyant  venir 
trop  souvent  ici  ; et  nous,  excellente  dame,  nous  sommes 
les  hôtes  du  lieu.  Va-t-eu!  Hommage  te  soit  rendu!  » 2949. 

» Ayant  vu  toute  l’émotion  du  sage  Pounyaçloka , 
Kéçini  s’en  revint  et  fit  part  de  tout  à Damayantt,  qui, 
douloureusement  affligée  et  remplie  du  désir  de  revoir  son 
époux,  envoya  de  nouveau  Kéçini  en  présence  de  sa  mère  : 

2950—2951—2952. 

« J’ai  déjà  plusieurs  fois  observé  Bâhouka  par  le  désir 
de  retrouver  en  lui  Nala  ; l’extérieur  me  présente  seul  un 
objet  de  doute,  je  désire  lui  parler  à lui-méme.  2953. 

# Qu’il  soit  donc  introduit  auprès  de  moi;  ou  veuille 
bien  m’accorder  cette  permission  ; fais  cela,  ma  mère,  au 
su  ou  à l’insu  de  mon  père.  » 2754. 

» A ces  mots  de  la  Vidarbhaine,  la  reine  dit  à Bhima  ; 
« Que  ta  majesté  acquiesce  au  projet  de  sa  fille  ! » 2955. 

» Ainsi  approuvée  de  son  père  et  de  sa  mère,  éminent 
Bharatide,  elle  fit  entrer  Nala  dans  cette  partie  du  palais, 
où  elle  avait  ses  appartements.  2956. 

» A peine  Nala  eut-il  vu  Damayantt  que,  pénétré  de 
peine  et  de  chagrin,  il  s’inonda  de  ses  larmes.  2957. 

» Aussitôt  qu’elle  vit  son  époux  en  proie  à une  telle 
émotion,  Damayanti,la  noble  dame,  fut  saisie  d’une  amère 
douleur.  2958. 


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VANA-PARVA. 


S37 


» Alors,  vêtue  d’une  robe  rouge,  les  cheveux  en  gerbe, 
le  corps  plein  de  taches  et  de  souillures,  elle  adressa, 
grand  roi,  ces  paroles  à Bàhouka  : 2959. 

« As-tu  jamais  vu,  Bàhouka,  un  homme  sachant  le  de- 
voir, qui  s’en  aille,  abandonnant  sa  femme  endormie  dans 
une  forêt  déserte?  2960. 

» Quel  autre,  si  ce  n’est  Nala  à la  gloire  pure,  s’en  est 
allé,  délaissant  au  milieu  d’une  solitude  son  épouse  bien- 
aimée,  innocente,  l'âme  égarée  par  la  fatigue  ? 2961. 

» Quelle  offense  avais-je  commise  par  ignorance  contre 
ce  monarque  auguste,  pour  mériter  qu’il  s’en  allât,  m’a- 
bandonnant, accablée  par  le  sommeil,  dans  une  forêt  »oli- 
tilaire?  2962. 

» Comment  as-tu  pu  me  délaisser,  moi,  la  mère  de  tes 
enfants,  ton  épouse  dévouée,  remplie  d'amour  et  qui  jadis 
t'avais  choisi  pour  mon  époux  au  mépris  des  Dieux  mêmes, 
rendus  visibles  ? 2963. 

» Quand  tu  pris  ma  main  devant  le  feu,  à la  face  des 
Dieux,  n’as-tu  pas  dit  : « Je  serai  <1  toi!  « Q’est  devenue  la 
vérité  de  cette  promesse  ? » 29 Oâ. 

» Tandis  qne  Damayanti  exposait  devant  lui  toutes  ces 
choses,  il  répandait  avec  douleur  en  torrents  l’eau,  dont 
la  source  est  dans  le  chagrin.  2965. 

» Nala,  de  ses  yeux  charmants,  d'une  noirceur  extrême, 
aux  angles  rouges,  d’où  ruisselait  cette  eau,  la  voyant 
accablée  de  chagrin,  lui  dit  ces  paroles  : 2966. 

a Si  j’ai  perdu  mon  royatime,  ce  n’est  pas  moi,  qui  en 
suis  l’auteur  ; c’est  Kali  ! Si  je  t’ai  abandonnée,  femme 
timide,  c’est  Kali,  qui  en  est  coupable  ! 2967. 

» Jadis,  lorsqu’il  était  dans  le  malheur  du  péché,  tu  l'as 

22 


ut 


388 


LE  MAHA-BHARATA. 


frappé  d'une  malédiction  dans  les  bois,  où  tu  habitais  dé- 
solée et  me  pleurant  le  jour  et  la  nuit.  2068. 

» Consumé  par  cette  imprécation , Kali  habita  dans 
mon  corps.  Brûlé  continuellement  par  elle,  comme  un 
feu,  mis  sur  un  autre  feu,  il  sera  vaincu  par  ma  résolution 
et  ma  pénitence  : c'est  là  ce  qui  doit  arriver,  charmante 
femme,  à la  fin  de  nos  chagrins.  2969 — 2970. 

» Le  méchant,  il  m’a  quitté  : il  s’est  éloigné  de  moi,  et 
je  suis  venu  ici  pour  toi,  où  ma  présence,  ravissante  dame, 
n’a  pas  une  autre  cause.  2971. 

» Comment  une  femme  telle  que  toi,  ayant  abandonné 
nn  époux  dévoué  et  fidèle,  dame  craintive,  ferait-elle  ja- 
mais choix  d’un  autre  ? 2972. 

» Des  messagère  parcourent  toute  la  terre  à l'ordre  du 
roi  ; ils  annoncent  que  la  fille  de  Bhirna,  libre  d’elle-même, 
va  se  choisir  un  second  époux  à son  gré,  assorti  à sa  con- 
dition. Sur  cette  nouvelle,  le  BUangàsouride  accourut  ici  à 
la  hâte.  » 2073—297 h. 

» Dès  qu'elle  eut  ouï  cette  plainte  de  Nala,  la  craintive 
Damayanll,  tremblante  et  les  mains  jointes,  lui  tint  ce 
langage  : 2975. 

« Ne  veuille  pas  me  soupçonner  sans  fondement,  prince 
fortuné,  car  je  t’ai  choisi  pour  mon  époux  de  préférence 
aux  Dieux,  monarque  des  Nishadhains.  2076. 

» Des  brahmes  sont  allés  pour  te  joindre  de  tous  les 
côtés,  aux  dix  points  de  l’horizon,  chantant  mes  paroles 
comme  des  hymnes.  2977. 

» Ensuite,  un  brahme  savant,  nommé  Parnâda,  se  ren- 
dit vers  toi,  seigneur,  à Koçalâ,  dans  le  palais  de  Rilou- 
parna.  2978. 

» 11  dit  bien  mes  paroles,  il  rapporta  convenablement 


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VANA-PARVA. 


339 


une  réponse;  mais  c’est  un  moyen,  que  j'avais  imaginé, 
Nishadhain,  pour  te  ramener.  2979. 

» Nul  autre  que  toi  dans  le  monde,  monarque  des  Ni- 
shadhains , n'est  capable  de  marcher  avec  des  chevaux 
cent  yodjanas  dans  un  seul  jour.  2980. 

» Puissé-je  toucher  tes  pieds,  maître  de  la  terre,  par 
cette  vérité  que  jamais  je  n’ai  fait  en  pensée  même  une 
chose  indigne.  2981. 

» Ce  vent  erre  dans  le  monde  comme  le  témoin  des 
êtres,  qu'il  brise  ma  vie,  si  j’ai  commis  un  péché  ! 2982. 

» Cet  astre  aux  rayons  chauds  circule  toujours  au-des- 
sus du  monde,  qu'il  brise  ma  vie,  si  j’ai  commis  un 
péché!  2983. 

» Cette  lune,  la  lin  de  tous  les  êtres,  marche  comme 
un  témoin,  quelle  brise  ma  vie,  si  j'ai  commis  un  péché. 

» Dieux , qui  tous  les  trois  soutenez  les  trois  mondes 
entiers , dites  que  c’est  la  vérité , ou  abandonnez- 
moi  (1)  ! » 2984—2990. 

» A peine  eut-elle  ainsi  parlé,  le  vent  du  sein  des  airs 
articula  ces  mots  : « Elle  n’a  commis  aucun  péché;  je  te 
dis  la  vérité,  Nala  ! 2991. 

» Le  riche  trésor  de  sa  vertu  fut  bien  gardé,  sire;  et, 
pendant  ces  trois  années,  nous  avons  été  nous-mêmes  les 
témoins  et  les  gardes  de  Damayantl  ! 2992. 

» Cet  incomparable  moyen  fut  imaginé  par  elle  à cause 
de  toi  : cent  hommes  viennent  ici  tous  les  jours,  mais  au- 
cun autre  n'y  est  jamais  entré,  si  ce  n’est  toi  ! 2993. 

» La  fille  de  Bhtma  est  digne  de  toi,  sire,  et  tu  es 


(I)  L'édition  de  Calcutta,  sautant  cinq  chiffres,  compte  ce  çloka  2990  : 
noue  allons  faire  comme  elle  afin  de  ue  pas  noua  séparer. 


LE  MAHA-BHARATA. 


340 

digne  de  la  fille  de  Bhima.  Tu  ne  dois  concevoir  ici  aucun 
soupçon  : unis-toi  à ton  épouse!  » 2994. 

» Le  vent  parlait  encore,  quand  une  pluie  de  fleurs 
tomba  du  ciel  ; les  tambours  des  Dieux  résonnèrent  et  le 
vent  souilla  d’une  haleine  favorable.  2995. 

>i  A la  vue  de  ces  choses  merveilleuses,  le  dompteur 
des  ennemis,  le  roi  Nala,  Bharatide,  écarta  le  soupçon  à 
l'égard  de  la  chaste  Damayantl.  2996. 

» Le  monarque  de  la  terre  se  revêtit  d’une  robe  imma- 
culée, tourna  sa  mémoire  vers  le  roi  des  Nàgas  et  reprit  à 
l’instant  sa  forme  naturelle.  2997. 

» A la  vue  de  son  époux,  qui  avait  recouvré  sa  forme 
première,  la  vertueuse  fille  de  Bhima  poussa  des  cris  d’al- 
légresse et  embrassa  Pounyaçloka.  2998. 

» Le  roi  Nala,  rétabli  dans  son  ancienne  splendeur, 
embrassa  Damayantl,  ses  deux  enfants,  et  se  réjouit  dé- 
cemment. 2999. 

» Alors  déposant  sa  tête  sur  le  sein  de  son  époux,  la 
femme  au  charmant  visage,  aux  grands  yeux,  gémit,  envi- 
ronnée d’une  profonde  douleur.  3000. 

» Alors  aussi,  ayant  embrassé  la  femme  au  candide 
sourire,  au  corps  souillé  de  taches,  le  tigre  des  hommes 
resta  bien  long-temps  inondé  par  le  chagrin.  8001. 

» La  mère  de  la  Vidarbhaine  se  fit  un  plaisir  de  racon- 
ter à Bhima,  sire,  toute  l’histoire  de  Damayantl  et  de  Nala. 

» Le  grand  roi  dit  à Nala,  après  qu’il  se  fut  purifié  : 
« Je  vois  arrivé  un  beau  matin,  que  tu  vas  agréablement 
passer  avec  Damayantl.  » 3002 — 3003. 

« Ensuite  les  deux  époux,  remplis  de  joie,  employèrent 
la  nuit  à se  raconter,  sire,  toutes  leurs  anciennes  pérégri- 
nations dans  la  forêt.  3004. 


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VANA-PARVA. 


3A1 


» La  Vidarbbaine  et  Nala  habitaient  dans  ie  palais  du 
roi  Bhima  avec  des  pensées  joyeuses  et  le  désir  d’un 
plaisir  mutuel.  3005. 

» C’est  ainsi  qu’à  sa  quatrième  année  de  séparation,  il 
se  réunit  à son  épouse  et  que,  tous  ses  vœux  accom- 
plis, son  affaire  bien  réussie , il  goûta  une  joie  su- 
prême. 3006. 

» D&mavantl  elle-même  savoura  le  plaisir  de  sa  réunion 
avec  son  époux,  comme  la  terre,  quand  elle  obtient  la 
pluie  sur  ses  fruits  à moitié  mûrs.  3007. 

» Ainsi  réunie  à son  époux,  ses  soucis  calmés,  tous  ses 
vœux  comblés,  son  cœu»  gonflé  par  la  joie , la  fille  de 
Bhima,  quand  elle  eut  secoué  le  sommeil,  resplendit  comme 
la  nuit  dans  un  clair-de-lune.  3008. 

» Après  qu'il  eut  passé  la  nuit  en  compagnie  de  Da- 
mayantl,  le  roi  Nala  dans  une  superbe  parure  vit  au  temps 
convenable  le  monarque  de  la  terre.  3000. 

» Nala  de  s'incliner  avec  soumission  devant  son  beau- 
père  ; après  lui,  la  belle  Damayantt  fit  ses  révérences  à 
son  père.  3010. 

» L’auguste  Bhima  le  reçut  comme  un  fils  et,  quand 
il  eut  rendu  au  prince  les  honneurs,  dont  il  était  digne,  il 
releva  le  courage  de  la  fidèle  Damayanli  dans  la  compa- 
gnie de  son  époux.  Le  roi  Nala  reçut  suivant  l’étiquette 
ces  marques  d'honneur.  3011—  801 2. 

b 11  annonça  dignement  au  roi  son  adoration.  Un  bruit 
immense,  enfant  de  la  joie,  éclata  dans  la  ville,  jeté  par 
le  peuple  joyeux  de  voir  Nala  dans  une  telle  situation.  La 
cité  resplendit,  ornée  de  bouquets,  d’étendards  et  de  dra- 
peaux. 3013 — 301  â. 

b Les  rues  royales  étaient  arrosées,  bien  parées,  riches 


LE  MAHA-BHARATA. 


342 

de  fleure  brillantes  ; chaque  citoyen  devant  sa  porte  avait 
broyé  des  fleurs.  3015. 

» L’honneur  était  rendu  il  tous  les  grands  autels  des 
Dieux.  Le  puissant  Ritouparna  apprit  lui-même  avec 
plaisir  que  le  personnage  de  Bàhouka  avait  caché  Nala, 
réuni  maintenant  à Damayanti.  Ce  roi  fit  appeler  Nala  et 
demanda  son  pardon  au  prince.  3016 — 3017. 

» Estimé  pour  son  intelligence,  Nala  de  lui  pardonner 
avec  raison.  Le  plus  éloquent  des  hommes,  le  monarque 
honoré,  qui  savait  la  vérité,  dit  au  Nishadhain  avec  l’éton- 
nement sur  la  figure  : oOh!  bonheur  1 te  voilà  donc  réuni 
à ton  épouse  !»  et  il  le  félicita.  3018 — 3019. 

« Quelque  offense,  que  j’aie  commise  envers  toi,  quand 
tu  habitas  inconnu  dans  mon  palais,  n’en  tien»  pas  compte , 
monarque  de  la  terre.  3020. 

» Soit  que  j’aie  agi  avec  connaissance,  soit  que  j’aie  agi 
par  ignorance,  en  toute  chose  faite,  qui  u’ était  pas  à faire, 
daigne  me  pardonner.  » 3021. 

u Tu  n’as  pas  commis  la  moindre  offense  contre  moi, 
lûi  répondit  Nala;  et,  l’eusses-tu  même  commise,  je  n’en 
concevrais  pas  de  colère,  je  devrais  te  la  pardonner. 

» Tu  fus  jadis  mon  ami  et,  qui  plus  est,  mon  parent, 
monarque  des  hommes  ; veuille  donc  avoir  plus  de  joie 
que  de  crainte.  3022 — 3023. 

» J’ai  habité  doucement  chez  toi  au  comble  de  tous  mes 
désirs,  et  je  n’aurais  jamais  été  dans  mon  palais  comme 
j’ai  toujours  été  dans  le  tien,  sire.  3024. 

» Cette  connaissance  des  chevaux,  qui  est  en  moi,  je 
désire  te  la  donner,  si  tu  veux,  prince,  et  la  rendre 
tienne.  » 3025. 

» A ces  mots,  le  Nishadhain  donna  la  science  à Ritou- 


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VANA-PARVA. 


343 


parna,  qui  la  reçut  de  la  manière  indiquée  par  les 
Çàstras.  3026. 

» Après  que  le  monarque  Bhangàsouride,  sire,  eut  reçu 
la  science  hippique,  il  donna  la  connaissance  des  dés  au 
roi  des  Nishadhains.  3027. 

» Puis,  ayant  pris  un  autre  cocher,  il  s’en  retourna  dans 
sa  capitale.  Ritouparna  une  fois  parti , monarque  des 
hommes,  le  roi  Nala  n'habita  pas  un  temps  bien  long  dans 
la  ville  de  Koundina.  3028 — 3020. 

» Quand  il  eut  demeuré  là  un  mois,  fils  de  Kounti,  le 
Nishadhain  fit  ses  adieux  à Ilhlma,  et  regagna  de  cette 
ville,  avec  une  petite  suite,  le  pays  des  Nishadhains.  3030. 

» Le  maître  de  la  terre  se  hâtait,  ébranlant,  pour  ainsi 
dire,  la  terre  avec  un  seul  magnifique  char,  seize  élé- 
phants, cinquante  chevaux  et  six  cents  fantassins.  Le  ma- 
gnanime entra  dans  sa  capitale  avec  la  plus  vive  émotion. 

3031—3032. 

» Le  fils  de  Vlraséna,  Nala  vint  trouver  Poushkara  et 
lui  dit  : « J’ai  regagné  au  jeu  une  richesse  considérable. 

» Damayantl  et  toute  autre  chose  quelconque  existante 
en  ma  possession  : voilà  mon  enjeu  : que  le  tien,  Poush- 
kara, soit  ton  royaume  ! 3033 — 303.1. 

» Que  le  jeu  recommence  : c'est  ma  pensée  bien  arrê- 
tée ! Jouons  nos  vies,  s’il  te  plaît,  sur  un  seul  coup  ! 303à. 

» Le  vainqueur  enlève  à l’autre  son  bien  : ou  le  royaume, 
ou  la  richesse.  Donne  un  contre-enjeu  : c’est  ce  que  l’on 
appelle  un  premier  devoir.  3036. 

» Si  tu  ne  désires  pas  le  jeu  des  dés,  que  le  jeu  du 
combat  ait  lieu  et  qu’un  duel  apporte  ici  la  mort,  ou  à toi 
ou  à moi  ! 3037. 

» Tel  que  ce  bien  de  famille,  le  royaume  est  à désirer 


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S A4  LE  MAHA-BH4RATA. 

d’une  manière,  qui  est  celle  des  magnanimes,  ont  dit  les 
Çàstras,  airui  ta  pensée  doit  s’arrêter  maintenant  sur 
l’une  de  ces  deux  choses,  Poushkara  : ou  les  dés  par  le 
jeu,  ou  le  combat,  en  courbant  l'arc  ! » 3038 — 3039. 

» A ces  mots  du  Nishadhain,  Poushkara,  qui  regardait 
sa  victoire  comme  certaine,  répondit  en  riant  au  monarque 
de  la  terre  : 3040. 

« 11  est  heureux,  Nishadhain,  que  tu  aies  gagné  des 
richesses  pour  en  faire  un  enjeu  contre  moi  : il  est  heu- 
reux que  cette  chose  si  difficile  tourne  à la  perte  de  Da- 
mayautl.  30 Al. 

» 11  est  heureux  que  tu  vives  avec  ton  épouse,  mo- 
narque aux  longs  bras,  et  que  la  fille  de  Bhima  soit  parée 
de  celte  richesse,  que  je  vais  te  gagner.  20A2. 

» Elle  viendra  évidemment  à moi,  comme  les  Apsaras 
vont  dans  le  ciel  vers  Indra.  Je  pensais  continuellement  à 
toi,  Nishadhain,  comme  une  personne  dans  l'attente. 

a Ma  satisfaction  n’est  pas  dans  le  jeu  à vaincre  des 
troupes  d’ennemis  : elle  est  à te  gagner  maintenant  la 
Damayanti  sans  défaut  à la  jolie  taille.  3043 — 3044. 

a Je  serai  alors  au  comble  de  mes  vœux,  car  elle  est  sans 
cesse  dans  mon  cœur,  a Quand  il  entendit  ce  langage  de 
l'homme  abandonné  à beaucoup  de  vains  discours,  Nala 
irrité  eut  envie  de  lui  trancher  la  tête  avec  son  cimeterre  ; 
mais,  souriant  avec  des  yeux  rouges  de  colère,  le  roi  Nala 
dit  : 3045—3046. 

« Jouons!  Pourquoi  parles-tu?  Vaincu,  tu  ne  parleras 
pas  ! » Alors  commença  le  jeu  de  Poushkara  et  de  Nala. 

» Celui-ci  gagna,  s’il  te  plait,  son  partenaire  dans  une 
seule  partie  : celui-là  perdit  ses  trésors  de  pierreries  eu 
monceaux  ; il  perdit  même  sa  vie.  3047 — 3048. 


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VANA-PARVA. 


345 


» Le  roi  vainqueur  de  Poushkara  lui  dit  en  souriant  : 
« Tout  ce  royaume  est  à moi,  sans  conteste.  J’ai  arraché 
l’épine  de  mon  pird!  3049. 

» 11  était  impossible  que  tu  visses,  ô le  plus  vil  des 
rois,  la  princesse  du  Vidharbha  ! Tu  es  môme  devenu  son 
esclave,  toi,  insensé,  et  ta  suite.  3050. 

# L’œuvre  de  ma  défaite  ne  fut  pas  ton  ouvrage,  Kali 
seul  en  fut  l'auteur  ; et  voilà  ce  (pie  tu  ue  sais  pas,  in- 
sensé! 3051. 

» Je  ne  t’imputerai  jamais  la  faute,  qui  fut  commise  par 
un  autre  : vis  comme  tu  voudras,  je  te  fais  grâce  de  la  vie. 

» Je  te  rends  toutes  les  richesses,  qui  forment  ton  apa- 
nage, héros  ; et  de  cette  manière,  sans  doute,  je  n’aurai 
que  de  la  satisfaction  en  toi.  3052 — 3053. 

» Je  n’abandonnerai  jamais  mon  amitié  pour  toi,  car 
tu  es  mon  frère,  Poushkara  ! Puisses-tu  vivre  une  centaine 
d’automnes!»  3054. 

» Après  qu’il  eut  ainsi  flatté  son  frère,  Nala,  de  qui  le 
courage  était  une  vérité,  le  renvoya  dans  sa  ville,  l’ayant 
embrassé  mainte  et  mainte  fois.  3055. 

» Caressé  de  cette  façon  par  le  Nishadhain,  Poushkara, 
le  corps  incliné,  sire,  et  les  mains  jointes,  répondit  eu 
ces  termes  à Pounyaçloka  : 3056. 

« Qu’une  renommée  impérissable  environne  ton  nom! 
Vis  heureux  une  myriade  d’années,  toi,  prince,  qui  me 
donnes  la  vie  et  un  gouvernement  ! » 3057, 

» Ainsi  honoré  par  son  suzerain,  le  roi  Poushkara,  ayant 
habité  pendant  un  mois  auprès  de  lui,  s'en  alla  joyeux  à 
sa  ville,  environné  de  sa  famille,  accompagné  d’une  nom- 
breuse armée,  escorté  d’une  suite  uiodeste,  sire,  et  le 
corps  resplendissant  comme  le  soleil.  3058 — 3059. 


LE  MAHA-BHARATA. 


316 

» Dès  qu’il  eut  congédié  Poushkara  en  bonne  santé  et 
comblé  de  richesses,  le  fortuné  monarque  'entra  dans  sa 
capitale,  infiniment  décorée.  3050. 

» Entré,  le  roi  des  Nishadhains  flatta  les  citadins  ; la 
joie  hérissa  le  poil  des  habitants  de  la  ville  et  de  la 
campagne  ; 3061. 

» Et  tous,  joignant  les  mains,  dirent,  les  ministres  à 
leur  tête  : «Maintenant  nous  sommes  heureux,  sire,  nous, 
qui  avons  obtenu  le  bonheur  d’habiter  auprès  de  toi, 
comme  les  Dieux  aux  côtés  de  Çakra  ! » 3062. 

» Dans  la  ville  calmée,  joyeuse,  dans  tout  l’éclat  d'une 
grande  fête,  le  roi  fit  amener  Damayanli  au  milieu  d'une 
armée  nombreuse.  3063. 

» L’immolateur  des  héros  ennemis,  Bhima,  son  père,  à 
l'âme  sans  mesure,  au  courage  infaillible,  envoya  Da- 
mayantt,  comblée  d'honneurs;  306i. 

» Et  le  roi  Nala  vécut  aussi  heureux  avec  la  Vidarbh&ine 
venue,  accompagnée  de  ses  lils,  que  le  monarque  des 
Dieux  dans  le  Nandana.  3065. 

» Le  héros  à la  vaste  renommée  gouverna  de  nouveau 
le  royaume,  qu’il  avait  recouvré,  et  lit  briller  dans  le 
Djamboudwipa  un  nom,  qui  avait  obtenu  un  grand  éclat. 

» Il  offrit  différents  sacrifices,  suivant  les  rites,  avec 
des  honoraires  convenables  ; ainsi  toi-même,  Indra  des 
rois,  les  célébreras-tu  bientôt,  environné  de  tes  amis. 

3066-3067. 

» C’est  le  jeu,  ô le  plus  vertueux  des  hommes  et  le  plus 
éminent  des  Bharatides,  qui  précipita  dans  un  tel  mal- 
heur ce  conquérant  des  cités  ennemies,  Nala  avec  son 
épouse.  3068. 

» Nala  fut  plongé  solitairement,  souverain  de  la  terre, 


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VANA-PARVA.  337 

au  milieu  de  cette  infortune  épouvantable,  immense  ; en- 
suite, la  prospérité  lui  fut  rendue.  3069. 

» Toi,  fils  de  Pàndou,  tu  jouis  du  plaisir  dans  cette 
grande  forêt  en  société  de  tes  frères  et  de  Krishnà,  le  de- 
voir toujours  présent  à ta  pensée.  3070. 

» Tu  es  assis  continuellement,  sire,  à côté  de  brahmes 
éminents,  qui  sont  parvenus  à la  rive  ultérieure  des  Védas 
et  des  Védàngas.  Quel  sujet  de  plainte  as-tu  ici?  8071. 

» Ce  récit  du  Nàga  karkotaca,  de  Damayantt,  de  Nala 
et  du  saint  roi  Ritoupama,  anéantit  la  puissance  de  Kali. 

» Il  t’est  possible  de  reprendre  courage,  Atchyouta, 
monarque  des  hommes,  après  que  tu  as  ouï  de  cette  ma- 
nière un  tel  itahâsa,  destructeur  de  Kali.  8072 — 3073. 

» Après  que  tu  as  pensé  continuellement  à la  mobilité 
des  choses  humaines,  ne  dois-tu  pas  songer  également  au 
lever  et  au  coucher  de  ce  prince?  3073. 

» Maintenant  que  tu  as  entendu  cette  histoire,  reprends 
courage,  sire  ; cesse  de  f affliger  et  ne  veuille  pas,  grand 
roi,  t'affaisser  dans  le  malheur.  3075. 

» Alors  que  le  Destin  est  contraire,  et  que  l’énergie  ne 
donne  pas  son  fruit,  les  hommes,  que  fuit  la  prospérité, 
ne  s’abandonnent  pas  au  désespoir.  3076. 

» L’infortune  ne  s’ asseoira  jamais  au  foyer  de  ces  hom- 
mes, qui  raconteront  et  qui  entendront  sans  cesse  cette 
grande  histoire  de  Nala.  3077. 

U Une  fois  qu’ils  auront  entendu  cet  itihâsa  antique,  su- 
blime, éternel,  la  réussite  viendra  les  trouver,  et  ils  s’é- 
lèveront à la  richesse.  3078. 

» L’homme  obtiendra  des  fils,  des  petit-fds,  des  trou- 
peaux et  la  préséance  ; la  maladie  n'approchera  pas  de 
lui  et  il  goûtera  la  joie,  sans  nul  doute.  3079. 


3A8 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Je  détruirai,  moi,  fils  de  Prithâ,  ce  qui  te  fait  trem- 
bler de  peur  et  te  pousse  à dire  : « Ne  me  défie  plus  au 
jeu  des  dés  ! » 3080. 

# Je  connais  la  science  entière  des  dés;  acquière-la,  fils 
de  Kountl,  au  courage,  qui  ne  se  dément  jamais,  je  te 
parle  d’un  esprit  favorable.  » 3081. 

L’âme  joyeuse,  le  roi  dit  alors  à Vrihadaçva  : « Révé- 
rend, je  désire  connaître  la  science  des  dés,  suivant  la  vé- 
rité. » 3082. 

L'anachorète  donna  au  magnanime  Pàndouide  la  science 
des  dés  ; et  quand  il  eut  fait  ce  don,  l’homme  aux  grandes 
pénitences  s’en  alla  se  baigner  à Àçvaçiras.  3083. 

Après  le  départ  de  Vrihadaçva,  Youddhishthira,  ferme 
en  ses  vœux,  entendit  les  brabmes  pénitents,  allant  çà  et 
là,  rassemblés  des  bois,  des  tirthas  et  des  montagnes,  dire 
que  l'Ambidextre,  le  sage  fils  de  Kountl,  pratiquait  une 
terrible  pénitence  et  faisait  du  vent  sa  nourriture. 

388â— 3085. 

« Le  Prithide  aux  longs  bras,  disaient-ils,  subit  mie 
pénitence  difficile  à traverser,  et  jamais  on  n'en  vit  un  au- 
tre s’infliger  d'aussi  terribles  macérations  que  Dhanan- 
djaya,  le  fils  de  Prithâ,  l'ascète  aux  vœux  humbles,  l'ana- 
chorète fortuné,  solitaire,  qui  semble  le  Devoir  lui-même 
revêtu  d’un  corps.  » 5086 — 3087. 

A cette  nouvelle,  sire,  qu’il  se  macérait  dans  la  grande 
forêt,  le  Pàndouide  se  lamenta  sur  son  bien-aimé  frère,  le 
victorieux  fils  de  kountl.  3088. 

Youddhishthira,  qui  avait  besoin  de  secours,  interrogea 
d’un  cœur  torturé  dans  le  grand  bois  les  bralunes  aux  con- 
naissances variées.  3089. 


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LE  PÈLERINAGE  AUX  TIRTHAS. 


Djanamédjaya  dit  : 

« Révérend,  quand  le  Prithide,  mon  bisaïeul,  eut 
quitté  le  Kàmvaka,  que  firent  les  Pàndouides,  séparés  de 
l’Ambidextre?  3090. 

» En  effet,  ce  héros  au  grand  arc,  victorieux  des  ar- 
mées, était  la  voie,  où  marchaient  ses  frères  ; il  me  semble 
être  pour  eux  ce  qu’est  Vishnou  au  milieu  des  Adityas. 

» Comment  furent  dans  le  bois  mes  vaillants  ayeux, 
privés  de  ce  héros,  égal  en  courage  à Indra  et  qui  ne  re- 
culait jamais  dans  les  batailles?  » 3091 — 3092. 

Vatçampâvana  répondit  : 

Après  que  le  fils  de  Pàndou  au  courage  infaillible  eut 
quitté  la  forêt  Kàmyaka,  ses  frères  s'abandonnèrent  à la 
douleur  et  aux  regrets.  3093. 

L’âme  de  tous  fut  sans  joie  comme  des  oiseaux,  à qui 
l’on  a coupé  les  ailes,  comme  des  colliers  de  perles,  dont 
les  fils  sont  cassés.  3094. 


350 


LE  MAHA-BHABATA. 


Le  bois,  privé  de  ce  héros,  infatigable  dans  ses  travaux, 
devint  aussitôt  ce  que  serait  le  bois  du  Tchattraratha,  s’il 
était  privé  de  Kouvéra.  3005. 

Sans  lui,  Djanamédjaya,  les  Pàndouides,  ces  tigres  des 
hommes,  habitaient,  étrangers  à la  joie,  dans  le  Kâ- 
myaka.  300(5. 

Ces  héros  vaillants,  ô le  plus  vertueux  des  Bharatides, 
abattaient  pour  les  brahmes  avec  des  flèches  pures  diffé- 
rents animaux  propres  au  sacrifice.  3007. 

Ces  braves  dompteurs  des  ennemis  annonçaient  conti- 
nuellement une  nourriture  forestière,  qu’ils  donnaient  aux 
brahmes  ou  qu’ils  offraient  pour  les  sacrifices.  3008. 

Tous  ces  héros  demeuraient  là,  pleins  de  tristesse  ; 
l’âme  de  tous,  sire,  était  sans  joie,  depuis  que  Dhanan- 
djaya  était  parti.  3099. 

Pàntchâll  était  afiligée  plus  que  tout  autre  au  souvenir 
de  son  troisième  époux  ; elle  adressa  donc  ces  paroles  à 
l’atné  contristé  des  Pàndouides  (1)  : 3100. 

« Ce  bois  n'a  rien  qui  plaise  à mes  yeux,  Ô le  meilleur 
des  Bharatides,  sans  l’Arjouna  aux  deux  bras,  égal  à un 
arjouna  aux  mille  branches.  4001 . 

» Cette  terre  me  semble  vide  çà  et  là  ; cette  forêt  aux 
nombreuses  merveilles,  aux  arbres  fleuris,  ne  m’est  plus 
aussi  agréable  sans  l’Ambidextre,  semblable  au  nuage 
d’azur,  à la  démarche  d’éléphant  dans  la  fièvre  de  rut. 

4002—4003. 

» Le  Kàmyaka  ne  brille  plus  sans  le  héros  aux  yeux  de 


(1)  Ici  l'édition  de  Calcutta,  au  lieu  de  compter  cette  stance  3100,  qui 
est  son  numéro  d’ordre,  saute  par-dessus  900  chiffres  et  la  compte,  pour 
continuer  ainsi,  4000  ! Nous  allons  suivre  sou  exemple  et  marcher  de  pair 
avec  elle. 


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VANA-PARVA. 


351 


lotus  bleu,  de  qui  le  bruit  de  l’arc  frappe  l’oreille  comme 
le  bruit  de  la  foudre  ! 5005. 

» Je  ne  puis  goûter  de  paix,  sire,  au  souvenir  de  l’Am- 
bidextre ! o Quand  le  meurtrier  des  héros  ennemis,  Bhi- 
maséna  l’entendit  se  plaindre  ainsi,  il  tint,  grand  roi, 
ce  langage  à üraàupadl  : « Ce  que  tu  dis,  noble  dame 
à la  jolie  taille,  cause  du  plaisir  à mon  âme,  et,  sem- 
blable à la  nourriture  des  Immortels,  cela  réjouit  mon 
cœur. 

» Sans  ce  tigre  des  hommes,  dont  les  bras  unis,  potelés, 
ronds,  portant  un  arc,  des  flèches,  un  cimeterre,  où  la 
mâaurvi  imprima  des  cicatrices,  et  sur  lesquels  des  bra- 
celets d’or  figurent  des  couronnes,  ces  bras,  qui  sont  pa- 
reils à des  massues  ou  qui  ressemblent  à des  serpents  aux 
cinq  têtes,  le  ciel  a comme  perdu  son  soleil  ! 

» Lui,  sous  le  grand  bras  duquel  réfugiés,  les  Pântchâ- 
lains  et  les  Kourouides  ne  craindraient  pas  même  les  ar- 
mées des  Souras,  déployant  leurs  efforts!  Je  ne  puis 
goûter  de  plaisir  dans  le  Kàmyaka  sans  Phâlgouna,  ce 
héros  magnanime,  sous  le  bras  duquel  abrités,  il  nous 
semble  5 tous  que  la  terre  est  déjà  conquise  et  nos  en- 
nemis terrassés  sur  le  champ  de  bataille  ! (De  la  stance 
5006  ù la  stance  5012.) 

» Sans  lui,  je  vois  tous  les  points  du  ciel  enveloppés 
d’obscurité  ! » Le  fils  de  Pândou,  Nakoula  dit  ensuite,  le 
gosier  plein  de  larmes  : 5012. 

» Sans  lui,  de  qui  les  Dieux  même  racontent  les  exploits 
célestes  sur  le  champ  de  bataille,  sans  le  plus  brave  des 
combattants,  quel  plaisir  y a-t-il  dans  ce  bois  ? 5013. 

» Ce  héros,  à la  grande  splendeur,  qui,  passé  dans  la 
région  septentrionale,  a vaincu  en  bataille  des  peuples  à la 


352 


LE  MAEA-BHARATA. 


vaste  puissance  et  conquis  les  superbes  chevaux  des  Gan- 
dharvas!  4014. 

» Lui,  qui  a donné  en  présent  d’ amour  et  d’amitié  au 
roi  son  frère  dans  sou  grand  sacrifice  du  ràdjasoùya  des 
chevaux  fortunés,  rapides  comme  lèvent,  tachetés  comme 
la  perdrix  ! 4015. 

» Sans  l’archer  à l’arc  terrible , le  frère  puiné  de 
Bhiuia,  l'habitation  dans  le  bois  délicieux  du  kâmyaka  ne 
ressemble  pas  maintenant  au  séjour  des  Dieux  ! » 4016. 

» Sahadéva  dit  d son  tour  : 

« Depuis  que,  dans  ma  demeure,  estimée  du  Vasou- 
dévide,  j’ai  vu  désert  le  bien  noble  siège  de  graminées 
Kouças,  où  s’asséyait  ce  héros  à la  grande  splendeur,  qui 
offrit  jadis  au  roi  dans  le  grand  sacrifice  du  râdjasoûya 
les  richesses  et  les  jeunes  filles,  prix  de  sa  victoire,  et  qui, 
vainqueur  eu  bataille  des  Yàdavas  réunis,  vint  seul  te  les 
abandonner  en  sacrifice,  mon  cœur,  auguste  majesté,  ne 
parvient  jamais  à se  calmer  ! 4017 — 4018 — 4019. 

» Je  désire  que  nous  désertions  cette  forêt,  dompteur  des 
ennemis  ; car  ce  bois  sans  le  héros  n’est  plus  agréable.  * 

Quand  il  entendit  les  discours  de  ses  frères  et  de 
Krishna,  qui  tous  regrettaient  Dhanandjaya,  le  désespoir 
entra  dans  l’âme  de  Youddhishthira.  4020 — 4021. 

11  vit  alors  Nàrada,  le  magnanime  Dévarshi,  enflammé 
d’une  beauté  brahmique,  comme  le  feu,  dont  la  flamme 
dévore  une  oblation.  4022. 

Dès  que  lui  et  ses  frères  virent  s’approcher  l'anachorète, 
Dharmaràdja  de  se  lever  suivant  les  convenances  et  de 
rendre  hommage  au  magnanime.  4023. 

Environné  de  ses  frères,  comme  Çalakratou  est  entouré 
par  les  Dieux,  la  force  du  fortuné  et  du  plus  vertueux 


VANA-PARVA. 


353 


des  Kourouides  resplendit  enflammée  au  plus  haut  dégré. 

De  même  que  Sâvitri  n’abandonne  pas  les  Védas,  telle 
Yadjnasénl  n'abandonnait  pas  avec  raison  les  Prithides, 
ses  époux,  comme  le  soleil  ne  déserte  pas  les  cimes  du 
Mérou.  4024 — 4025. 

Quand  Nàrada,  le  vénérable  anachorète,  eut  reçu  leur 
hommage,  il  encouragea,  mortel  sans  péché,  le  fils  de 
Dharma  sous  une  forme  convenable.  4026. 

Il  dit  au  magnanime  Youddhishthira-Rharmarâdja  : 
« Parle,  6 le  plus  vertueux  des  hommes  vertueux  ! De 
quelle  chose  as-tu  besoin  ? Que  te  donnerai-je?  » 4027. 

Le  roi  fils  de  Dharma,  s’étant  incliné  avec  ses  frères, 
dit,  en  joignant  ses  mains,  à Nàrada,  estimé  par  les  Dieux  : 

« Puisque  tu  es  satisfait,  anachorète  éminent,  honoré 
dans  tous  les  mondes,  je  pense  que  ce  que  tu  veux  faire 
est  déjà  fait,  grâce  à ta  bienveillance,  hermite  saint  dans 
tes  voeux.  4028 — 4029. 

» Mais  si  je  dois  être,  irréprochable  brahme,  favorisé 
par  toi  dans  la  société  de  mes  frères,  veuille  bien,  6 le 
meilleur  des  solitaires,  me  dissiper  un  doute  suivant  la 
vérité.  4030. 

» Que  ta  sainteté  veuille  bien  me  dire  quel  fruit 
recueillerait  entièrement  de  sa  piété  l’homme,  qui  ferait  le 
tour  de  la  terre,  appliqué  à visiter  les  tlrthas.  » 4031. 

Nàrada,  lui  répondit  : 

« Écoute,  sire,  comment  cette  question  fut  déjà  posée 
par  le  sage  Bhlshma  ; tout  ce  que  je  rais  te  dire  vient  de  la 
bouche  de  Poulastya.  4032. 

» Jadis  Bhlshma,  la  plus  solide  colonne  du  devoir,  se 
lia  d’un  vœu  pour  ses  pères  et  demeura  avec  les  anacho- 
rètes sur  les  rives  de  la  Bh&giratht,  4033. 
tu 


23 


364 


LE  M AHA-BH  AR  AT  A. 


» Dans  ce  lieu  pur  et  saint,  habité  par  les  Dévarshis, 
éminent  roi,  aux  portes  de  la  Gangà,  hanté  par  les  Gan- 
dharvas  et  les  Dieux.  4034. 

» Le  héros  à la  grande  splendeur  rassasia  les  Pitris  et 
les  Dieux  ; il  rassasia  les  rishis  de  la  manière  enseignée 
dans  les  Castras.  4035. 

» Après  quelque  temps  passé  à murmurer  la  prière, 
l’homme  à la  vaste  renommée  vit  le  plus  saint  des  rishis, 
Pouslastva,  semblable  à une  merveille.  4036. 

» Quand  il  vit  l’anachorète  aux  terribles  pénitences, 
flamboyant  de  beauté,  pour  ainsi  dire,  il  obtint  une  joie 
sans  égale  et  touiba  dans  une  profonde  admiration.  4037. 

uBhtslima,  la  plus  forte  colonne  du  devoir,  honora  de  la 
manière  enseignée  dans  le  Castra,  fils  de  Bharata,  l’émi- 
nent anachorète  arrivé  près  de  lui.  4038. 

» 11  prit  un  arghya  sur  sa  tète,  et,  pur,  l’âme  soumise, 
il  adressa  ces  mots  au  plus  saint  des  Brahmarshis  : 4039. 

« Je  suis  Bhîshina  ; je  suis  ton  esclave,  anachorète  aux 
vœux  constants;  ta  vue  me  purifie  de  tous  mes  péchés.  » 

» Ces  paroles  dites,  grand  roi,  Bhtshma,  le  plus  ver- 
tueux des  hommes  vertueux,  retint  sa  voix  et,  joignant  ses 
deux  mains  au  front,  Youddhishthira,  il  garda  le  silence. 

4040—4041. 

>»  A la  vue  de  ce  Bhlshma,  le  meilleur  du  sang  de  Kou- 
rou,  consumé  par  le  jeûne,  la  lecture  et  les  Védas,  l’ana- 
chorète conçut  de  la  joie.  404*2. 

» Poulastya  lui  dit  : 

« Je  suis  content,  û toi,  qui  connais  le  devoir,  prince 
aux  vœux  constants,  de  ta  modestie,  de  cette  répression 
des  sens  et  de  ta  vérité.  4043. 

» 11  est  égal  à toi  ce  devoir,  qui  embrasse  le  dévoue- 


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VANA-PARVA. 


355 


ment  à ses  pères  : c’est  pour  cela  que  tu  me  vois,  mon 
fils;  ma  satisfaction  en  toi  est  extrême.  40 44. 

» Dis-moi  ! Que  ferai-je  pour  toi,  mortel  sans  péché, 
moi,  de  qui  la  vue  n’est  pas  stérile?  Je  te  donnerai,  0 le 
plus  vertueux  des  Kourouidcs,  ce  que  tu  me  deman- 
deras. » 4045. 

« Je  suis  récompensé  déjà,  anachorète,  honoré  dans 
tous  les  mondes,  lui  répondit  Bhishma,  par  cela  même 
que  tu  es  satisfait  et  parce  que  j’ai  ici  le  bonheur  de  te 
voir,  seigneur,  à mon  avis.  4040. 

» Mais,  si  je  dois  être  favorisé  par  toi,  ô le  plus  ver- 
tueux des  hommes  vertueux,  dissipe  un  doute,  que  je  vais 
t’exposer  : c’est  là  ce  que  je  désire.  4047. 

» Il  est  dans  mon  cœur  une  certaine  incertitude  sur  le 
mérite  des  tlrthas  : je  désire  l’entendre  discuter.  Que  ta 
sainteté  veuille  bien  me  l’éclaircir.  404S. 

» L’homme,  qui  fait  le  tour  de  la  terre,  0 toi,  qui  res- 
sembles à un  Immortel,  quel  mérite  acquiert-il  par-là? 
Dis-moi  cela,  brahmarshi,  bien  considéré.  » 4049. 

« Eh  bien  ! reprit  Poulastya,  je  vais  te  raconter  la  voie 
sublime  des  rishis  : écoute  d'une  àme  attentive,  mon  fils, 
quel  fruit  on  amasse  à visiter  les  tlrthas.  4050. 

j Celui,  de  qui  les  mains,  les  pieds  et  l’esprit  sont  bien 
comprimés,  qui  a de  la  science,  de  la  pénitence  et  de 
la  gloire,  savoure  le  fruit  d’un  llrtha.  4051. 

» L’homme,  qui,  satisfait  d’une  chose  quelconque,  se 
détourne  des  présents  et  s’éloigne  de  l’orgueil,  savoure  le 
fruit  d’un  tirtha.  4052. 

» L'homme  pur,  sans  arrogance,  content  d’une  faible 
nourriture,  qui  a vaincu  les  organes  des  sens,  qui  est 
affranchi  de  tous  les  péchés,  savoure  le  fruit  d’un  tirtha. 


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356 


LE  MAHA-BHARATA. 


» L'homme  sans  colère,  dévoué  à la  vérité,  ferme  dans 
ses  vœux,  et  qui  parmi  les  êtres  ne  ressemble  qu’à  lui- 
mème,  Indra  des  rois,  savoure  le  fruit  d’un  tîrtha. 

4053—4054. 

» Les  rishis  disent  que  les  sacrifices,  célébrés  ici  en 
l’honneur  des  Dieux  suivant  l'ordre,  obtiennent  de  toute 
manière  une  récompense  dans  ce  monde  et  dans  l’autre 
vie  selon  la  vérité.  4055. 

» Le  pauvre  ne  peut  offrir  de  sacrifices,  monarque  de  la 
terre.  Les  sacrifices,  qui  ont  besoin  de  vases  nombreux  et 
de  l’attirail  d’une  préparation  variée,  sont  toujours  offerts 
par  des  princes  ou  par  ces  mortels,  que  distinguent  les 
richesses;  non  par  des  hommes,  dépourvus  d’opulence, 
ni  par  des  indigents,  dénués  de  facultés  et  qui  ne  pos- 
sèdent autre  chose  que  leur  àme  ! 4056 — 4057. 

» Écoute,  souverain  des  hommes,  la  cérémonie,  qu’il 
est  possible  aux  pauvres  mêmes  d'obtenir  et  qui  est  égale 
aux  fruits  saints  du  sacrifice,  ô le  plus  vaillant  des  guer- 
rière. 4058. 

» C’est  le  plus  grand  mystère  des  rishis  , excellent 
Bharatide:  le  saint  pèlerinage  aux  tlrthas  l’emporte  sur  les 
sacrifices  eux-mêmes.  4059. 

» Sans  avoir  jeûné  pendant  trois  jours,  sans  avoir  donné 
ni  or,  ni  vaches,  mais  pour  avoir  seulement  visité  diffé- 
rents tlrthas,  le  pauvre  devient  comme  s’il  avait  offert 
l’agnishtoma  (1)  et  les  autres  sacrifices,  accompagnés  de 
larges  honoraires.  La  récompense,  qu’il  n’obtiendra  pas 
d’eux,  il  la  doit  à ses  visites  aux  tlrthas.  4060 — 4061. 

» Que  l’homme  vertueux  se  plonge,  dans  le  monde  des 


(*)  La  louange  du  feu,  espèce  de  sacrifice. 


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VANA-PARVA. 


857 


hommes,  au  bain  du  Dieu  des  Dieux , célèbre  dans  les . 
trois  mondes  et  connu  sous  le  nom  de  Poushkara  ! 

« Ce  Poushkara  vaut  dix  milliers  de  kotis  des  autres 
tirthas,  fils  de  Kourou  à la  haute  intelligence.  C’est  près 
de  lui  que  passent  les  trois  parties  du  jour,  dans  un  con- 
tinuel voisinage,  seigneur,  les  Adityas,  les  Roudras,  les 
Vasous,  les  Sâdhyas  et  les  chœurs  des  Maroutes,  les  Gan- 
dharvas  et  les  Apsaras  ; c’est  là  que  les  Dieux,  cultivant 
la  pénitence,  les  Daltyas  et  les  Brabmarshis,  doués,  sei- 
gneur, de  la  plus  haute  vertu,  s’absorbent  dans  la  con- 
templation divine.  4062 — 4063 — 4064 — 4065. 

» Le  sage  est  lavé  de  tous  ses  péchés  dans  ces  bains, 
eût-il  même  l’amour  au  fond  du  cœur  ; et  il  est  honoré  sur 
la  voûte  du  ciel.  4066. 

» C'est  dans  ce  tirtha,  grand  roi,  que  résida  toujours, 
plein  d’une  ineffable  joie,  l’aïeul  suprême  des  créatures, 
ce  bienheureux,  qui  trône  sur  un  lotus.  4067. 

» Jadis,  pieux  roi,  les  Dieux  et  les  chœurs  des  rishis, 
doués  de  la  plus  haute  vertu,  ont  acquis  dans  ces  lacs 
fleuris  une  perfection  suprême.  4068. 

» L’homme,  qui  mettant  son  plaisir  dans  le  culte  des 
Dieux  et  des  Mânes,  fait  là  ses  ablutions,  le  fruit,  qu’il  en 
obtient,  ont  dit  les  sages,  est  dix  fois  aussi  grand  que  celui 
d’un  açvamédha!  4060. 

» Celui,  qui,  entré  dans  le  bois  du  Poushkara,  y don- 
nerait la  nourriture  à un  seul  brahme,  jouirait  du  bonheur 
de  cette  action,  Bhtshma,  dans  ce  monde  et  dans  l’autre 
vie.  4070. 

» L'homme  instruit,  plein  de  foi,  éloigné  des  injures, 
qui  donnerait  là,  à un  brahme  la  chose,  avec  laquelle  il 
soutient  lui-même  sa  vie,  des  fruits,  des  racines  ôu  des 


S58 


LE  MAHA-BHARATA. 


herbes,  gagnerait  une  récompense  égale  à celle  d’un 
açva-médha.  Brahmes , kshatryas , vaiçvas  ou  n>ême 
çoûdras , une  fois  que  ces  magnanimes  ont  touché  les 
eaux  de  ce  tlrtha,  ils  ne  renaissent  plus  dans  une  matrice; 
en  premier  lieu,  celui,  qui  s’y  rend  au  mois  de  Kârttikl. 

4071— 4072— 4073. 

» L’hoinme,  qui,  joignant  ses  mains  au  front,  matin  et 
soir,  tourne  vers  ce  tlrtha  son  pieux  souvenir,  obtient 
les  mondes  impérissables  dans  le  palais  de  Brahma. 

» Qu'il  se  baigne,  lils  de  Bharata,  dans  tous  les  tirthas  ! 
A peine  lavé  dans  le  Poushkara,  ou  l’homme  ou  la  femme 
en  sort  purifié  de  tous  les  péchés,  commis  depuis  la  naissance. 
Tel  que  le  meurtrier  de  Madhou  est  le  premier  de  tous 
les  Dieux,  tel  le  Poushkara  est  appelé,  sire,  le  premier 
des  tirthas!  Après  qu'il  a demeuré,  humble  et  pur,  douze 
années  dans  le  Poushkara,  l'homme  recueille  le  fruit  de 
tous  les  sacrifices  et  va  dans  le  monde  de  Brahma  ; et 
celui,  qui  y demeure  le  seul  mois  de  Kârttikl,  a les  mérites 
de  celui,  qui  sert  le  feu  sacré  un  cent  complet  d’années  ! 
Ces  deux  choses  sont  égales  dans  le  Poushkara.  11  y 
a trois  éclatantes  cimes  et  trois  splendides  cataractes. 

4074 — 4075 — 4076 — 4077 — 4078 — 4079. 

» La  sainteté  consacre  les  piscines  et  le  reste;  nous 
ne  savons  quelle  est  ici  la  cause.  11  est  difficile  d'atteindre 
au  Poushkara,  il  est  difficile  d'y  cultiver  la  pénitence. 

» L’aumône  est  difficile  dans  le  Poushkara,  il  est  bien 
difficile  d'y  mettre  son  habitation.  Quand  il  aura  de- 
meuré là  douze  nuits,  humble  et  se  refusant  les  aliments, 

» Qu’il  tourne  au  midi  et  qu’il  entre  dans  le  Djarn- 
boumârya,  fréquenté  par  les  Mânes  et  les  Dévarshis. 
Après  un  séjour  dans  ce  lieu,  il  obtient,  comblé  de  toutes 


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VANY-PARVA. 


359 

les  choses,  qu’il  peut  désirer,  le  fruit  d’ un  açva-médha. 
Ayant  habité  là  cinq  nuits,  l'homme  en  sort  avec  une  àme 
pure.  4080—4081—4082—4083. 

» Ce  qu’il  obtient,  ce  n’est  pas  l’enfer,  mais  une  su- 
blime perfection.  Du  Djamboumàrya,  continuant  son  pèle- 
rinage, qu’il  s’en  aille  à l’hermitage  de  Tandoûlika. 

» Là,  il  n’obtient  pas  les  enfers,  mais  il  va  dans  le 
monde  de  Brahma.  Mettant  son  plaisir  à honorer  les  Dieux 
et  les  Pitris,  il  se  rend  au  lac  d'Agastya.  4084 — 4085. 

» Y demeure-t-il  trois  nuits,  sire,  il  acquiert  le  fruit 
d'un  agnishtoma.  S'il  y fait  sa  nourriture  de  fruits  et 
d’herbes,  il  gagne  les  pieds  de  Kârtikéya.  4086. 

» Delà,  il  porte  ses  pas,  éminent  Bharatide,  vers  l’her- 
raitage  de  kanva,  honoré  dans  le  monde  et  chéri  de  la  for- 
tune, vers  le  bois  saint  dé  Dharma  et  autre,  4087. 

» Où,  à peine  entré,  il  est  exempt  de  tout  péché,  quand 
il  a honoré  les  Dieux  et  . les  Mânes  d'un  cœur  humble  et  se 
refusant  la  nourriture.  4088. 

» 11  obtient  le  fruit  d'un  sacrifice  opulent,  où  tous  les 
désirs  sont  rassasiés.  Que  de-là,  tournant  au  midi,  il  s'en 
aille  à la  Descente-d'Yayàti.  4089. 

» 11  acquiert  autant  de  fruit  que  par  le  sacrifice  d'un 
açva-médha.  Que  de-là  il  se  dirige,  dévotement  et  s’inter- 
disant toute  nourriture,  vers  Mahâkàla.  4090. 

» Après  s’ètre  baigné  dans  le  tlrlha  Rôti  ; il  recueillera 
le  fruit  d’un  haya-médha  (1}.  Que  l’homme,  instruit  du 
devoir,  se  rende  ensuite  au  bain  de  Sthânou,  l'époux 
d’Oumà.  4091. 

(t)  La  même  chose  que  l'âçva-méda, le  sacrifice  d'un  cheval,  hnya  ou 
açva. 


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360 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Il  est  célèbre  dans  les  trois  mondes  sous  le  nom  du 
Figuier-de-Roudra.  Là,  quand  il  se  sera  approché  d’I- 
çana,  il  aura  mérité  le  fruit  de  mille  vaches,  distribuées 
aux  brakmes.  4092. 

» Devenu  le  plus  grand  des  hommes,  il  obtient  par  la 
grâce  de  Mabâdéva  un  empire  vaste,  sans  ennemis,  ac- 
compagné de  la  fortune.  4093. 

» Qu'il  s’approche  de  la  rivière  Narmadà,  célèbre  daus 
les  trois  mondes,  il  recueillera  le  fruit  d’uu  agnishloma, 
après  qu'il  aura  rassasié  d'oblations  les  Mânes  et  les 
Dieux.  4094. 

» S'il  visite,  voué  à la  continence  et  les  organes  des 
sens  vaincus,  le  Sindhou  au  midi,  il  obtient  le  fruit  d’un 
agnishtoma  et  monte  sur  le  char  des  Immortels.  4095. 

n S'il  fait,  comprimé,  écartant  de  sa  bouche  tout  ali- 
ment, un  pèlerinage  à Tcharmanvati,  il  acquiert,  avec  l'ap- 
probation de  Rantidéva,  la  récompense  d’un  agnishtoma. 

» Que  l'homme,  versé  dans  le  devoir,  s’en  aille  ensuite, 
Youddhishthira,  vers  l’Arbouda,  le  fds  de  l’Himàlaya,  là 
où  jadis  s’ouvrit  une  caverne  dans  la  terre.  4096 — 4097. 

» Là  est  l'hermitage  de  Vaçishtha,  célèbre  dans  les 
trois  mondes.  Après  une  seule  nuit  de  séjour,  il  aura  mé- 
rité le  fruit  d’un  millier  de  vaches,  données  aux  brakmes. 

« Si , voué  à la  continence  et  les  organes  des  sens 
vaincus,  il  se  lave  dans  le  bain  sacré  Pinga,  il  gagne,  ô le 
plus  vertueux  des  hommes,  le  fruit  de  cent  vaches  Kapilâ. 

» Qu'il  s'en  aille  ensuite,  Indra  des  rois,  au  sublime 
tlrtha  Prabhâsa,  où  habite  continuellement  Agni,  son  voi- 
sin (1),  4098—4099—4100. 


(1)  Ici,  se  présente  de  uouveau  la  même  distraction,  si  distraction  il  y a, 


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vana-parva. 


361 


» La  bouche  des  Dieux,  Djvalana,  qui  a le  vent  pour 
cocher.  L’homme  pur,  à l’ànie  dévote,  qui  s’est  baigné 
dans  ce  tlrtha,  héros,  obtient,  après  deux  nuits,  la  récom- 
pense d’un  agnishtoma.  Cela  fait,  qu’il  se  rende  au  lieu, 
où  la  Sarasvatl  se  réunit  à la  mer.  5001 — 5002. 

» Son  fruit  est  de  mille  vaches,  et  il  obtient  le  monde 
du  Swarga.  11  est  continuellement,  taureau  des  Bharatides, 
enflammé  de  splendeur,  comme  le  feu.  5003. 

» Après  qu’il  se  sera  lavé  d'une  âme  dévote  dans  le 
tlrtha  de  la  reine  des  eaux,  et  qu’il  aura  demeuré  là  trois 
jours,  il  devra,  au  sortir  du  bain,  rassasier  les  Mânes  et 
les  Dieux.  500A. 

» 11  obtiendra  le  mérite  d’un  açva-médha,  et  bril- 
lera comme  la  lune.  De-là,  qu’il  s’en  aille,  Ô le  plus 
vertueux  des  Bharatides,  vers  le  tlrtha  Grâce-don- 
née. 5005. 

» C'est  là  que  Dourvâsas  accorda  à Vishnou  une  grâce, 
d’où  vint  au  tlrtha  ce  nom  de  Grâce-donnée  ! L’homme, 
qui  s’y  baigne,  acquiert  le  fruit  de  mille  vaches.  5000. 

» Qu’il  se  transporte  avec  dévotion  et  dans  le  jeûne  à 
Dwàravatl  : l’homme,  qui  se  plonge  dans  le  Pindâraka 
obtient  beaucoup  d’or.  5007. 

» Dans  ce  tlrtha,  on  voit,  de  nos  jours  mômes,  des 
sceaux,  qui  montrent  aux  yeux  pour  empreinte  des  lotus  : 
ce  qui  est  une  chose  admirable  à voir,  dompteur  vertueux 
des  ennemis.  5008. 


que  nous  accusions  tout  à l’heure;  notre  édition,  au  lieu  de  compter  ce 
çloka  4100,  le  compte  5000  ! Nous  allon*  frre  de  même,  pour  ne  pas  rompre 
notre  société. 


362 


LE  MAHA-BHARATA. 


» On  y voit  fleurir,  enfant  de  Kourou,  en  présence  de 
Mahàdèva,  des  lotus,  ornés  de  tridents.  5009. 

» L'homme  qui,  arrivé  aux  lieux,  où  le  Sindhou  ren- 
contre la  mer,  s’est  baigné  d'une  âme  dévote  dans  le  tir— 
tha  de  la  reine  des  eaux  et  qui,  éminent  Bharatide,  a ras- 
sasié les  mânes,  les  rishis  et  les  Dieux,  obtient  le  monde 
de  Varouna,  enflammé  de  sa  propre  splendeur. 

5010—5011. 

n Honorer  le  Dieu  Içvara  aux  oreilles  en  fer  de  lance 
vaut  mieux,  Youddhishthira,  ont  dit  les  sages,  que  dix 
açva-médhas.  5012. 

» Que,  fléchissant  au  midi,  il  s'en  aille,  ô le  meilleur 
des  plus  grands  de  Kourou,  vers  un  tirtha,  célèbre  dans 
les  trois  mondes,  connu  sous  le  nom  de  Daml  et  qui  ef- 
face tous  les  péchés.  Là,  Brahma  et  les  autres  Dieux  ser- 
vent Mahéçvara.  5013 — 5014. 

» Là,  après  s'étre  lavé,  après  l'hommage  payé  à Rou- 
dra,  environné  par  les  troupes  des  Ganas,  sont  effacés 
tous  les  péchés,  que  l'honnne  baigné  a commis  depuis  sa 
naissance.  5015. 

» Là  Daml,  ô le  plus  vertueux  des  hommes,  est  célé- 
brée par  tous  les  Dieux  : un  bain  pris  là,  tigre  des  hom- 
mes, équivaut  à un  haya-médha.  501(3. 

» C’est  eu  ce  lieu  que  jadis,  altesse  à la  vaste  science, 
le  puissant  Vishnou  purifia  ses  mains,  qu'avait  teintes  le 
sang  des  Da'tyas  et  des  Danàvas  ! 5017. 

» Qu'il  s’en  aille  ensuite,  prince,  qui  sais  le  devoir,  au 
ruisseau  fameux  de  Vasou  : il  obtiendra  le  prix  d’un  açva- 
médha  pour  son  arrivée  sur  les  bords.  5018. 

» Alors  qu’il  s’y  est  baigné  avec  un  esprit  attentif  et 
pieux,  qu'il  a rassasié  les  Mânes  et  les  Dieux,  ô le  meilleur 


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VANA-PARVA. 


303 


des  meilleurs  de  Kourou,  il  est  comblé  d'honneurs  dans 
le  monde  de  Vishnou.  5019. 

» Après  qu'il  se  sera  baigné  et  qu’il  aura  bu  dans  le 
saint  lac  desVasous  en  forme  de  tirtha,  il  sera  estimé  des 
Vasous.  5020. 

» Quand  il  se  sera  plongé,  ô le  plus  vertueux  des  hom- 
mes, dans  le  bain,  nommé  le  Sindliou  septentrional,  qui 
lave  de  tous  les  péchés,  il  acquerra  beaucoup  de  riches- 
ses. 5021. 

» S'il  approche  du  Bhadratounga  en  état  de  pureté  et 
refusant  la  nourriture  à sa  bouche,  il  obtient  le  monde  de 
Brahma  et  marche  dans  la  voie  suprême.  5022. 

» L’homme,  qui  s’est  baigné  dans  le  ttrtha  des  jeunes 
fils  de  Çakra,  hanté  des  Siddhas,  ne  tarde  pas  à entrer 
dans  le  monde  du  Swarga.  5023. 

» Si  le  brahwe  se  lave  dans  le  tirtha  de  Rénoukà,  fré- 
quenté des  Siddhas,  il  devient  sans  tache,  comme  la  lune. 

» Si,  comprimé  et  se  refusant  la  nourriture,  il  fait  un 
pèlerinage  au  Pantchanada,  il  obtient  le  fruit  des  cinq  sa- 
crifices, nommés  suivant  l'ordre.  502A — 6025. 

» Qu’il  s’en  aille  de-là  au  lieu  sublime  de  Bhima.  Lue 
fois  qu’il  s’y  est  baigné,  ô le  plus  vertueux  des  Bharatides, 
il  renaît  fils  au  sein  de  Dévi.  Son  corps,  Indra  des  rois,  a 
l’éclat  des  pendeloques  d'or  bruni;  et  il  acquiert  le  fruit 
de  cent  mille  vaches.  5020 — 5027. 

» S’il  approche  du  Qrlkounta,  renommé  dans  les  trois 
mondes  et  s’il  y fait  son  adoration  à l’ayeul  suprême  des 
créatures,  il  gagne  le  fruit  d'un  millier  de  vaches.  5028. 

» Qu’il  porte  ensuite  ses  pas  vers  le  sublime  tirtha  le 
Limpide,  où  de  nos  jours  mêmes,  ô toi,  qui  sais  le  devoir, 
on  admire  des  poissons  d'or  et  d’argent.  5029. 


364 


LE  MAHA-BHARATA. 


» L'homme,  qui  s’y  est  baigné,  obtient  vite  le  monde 
d’Indra  et,  l’âme  pure  de  tous  péchés,  il  entre  dans  la 
voie  suprême.  5030. 

» Celui,  qui  fait  un  pèlerinage  â la  Vitastâ,  obtient, 
Bharatide,  après  qu'il  a rassasié  les  Mânes  et  les  Dieux,  le 
fruit  d'un  sacrifice  Vâdjapéya.  5031. 

» Dans  le  pays  deKâcm1re,on  donne  le  nom  de  Vitastâ 
au  palais  du  serpent  Takskaka,qui  délivre  de  tous  les  pé- 
chés (1).  5032. 

» L’homme,  qui  s'y  baigne,  ne  peut  manquer  d'obtenir 
le  Vâdjapéya  et,  l’âme  pure  de  toute  faute,  il  entre  dans 
la  voie  suprême  (2).  5033. 

» 11  faut  ensuite  aller  â la  Cavale,  célèbre  dans  les  trois 
mondes,  et  là,  après  s'être  baigné  suivant  la  règle  au  cré- 
puscule du  soir,  donner,  selon  ses  facultés,  la  nourriture 
au  Feu.  Il  est  un  lieu  nommé  le  Don  impérissable  des 
Pitris,  et  duquel  on  raconte  ainsi  l'histoire  chez  les  sages  : 

503A—5035. 

« Les  Rishis,  les  Pitris,  les  Dieux,  les  chœurs  des  Gan- 
dharvas  et  des  Apsaras,  les  Gouhyakas,  les  Kinnaras,  les 
Yakshas,  les  Siddhas,  les  Vidyâdharas,  les  hommes,  5036. 

» LesRaksasas,  les  fils  de  Diti,  les  Roudras  et  Brahma, 
les  sens  domptés,  entreprirent,  souverain  des  hommes, 
une  initiation  suprême,  qui  dura  mille  années.  5037. 

» Us  avaient  pour  but  de  se  concilier  Vishnou  ; ils  firent 
bouillir  l'ablution  et  célébrèrent  le  Dieu  chevelu  par  sept 
et  sept  hymnes.  5038. 

» Kéçava  satisfait  accorda  aux  su  ppliants  les  huit  lacultés 
du  pouvoir  sur-humain,  et  leur  donna,  maître  de  la  terre, 


(1-2)  Ce»  doux  verset»  ont  bien  Pair  de  n’ètrç  ici  qu’une  glose  ou  une  variante. 


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VANA-PARVA. 


3(55 


l'accomplissement  de  leurs  vœux  et  autres  choses  désirées. 

» Ces  dons  accordés  , il  disparut  comme  un  éclair  au 
sein  des  nuages.  Voilà,  d’où  est  venu,  fils  de  Bharata,  le 
nom  de  Saptatcharou  (1)  dans  les  mondes.  6039 — 5040. 

» La  nourriture  la  plus  excellente  pour  le  feu  est  de 
cent  mille  vaches,  de  cent  ràdjasoûyas  et  d'un  millier 
d'açva-médhas.  5041. 

n Ayant  fini  là,  Indra  des  rois,  il  entrera  dans  le  Pied- 
de-Roudra,  et,  quand  il  aura  adoré  Mahàdéva,  il  obtiendra 
le  fruit  d’un  agnishtoma.  6042. 

» Voué  à la  continence  et  le  cœur  appliqué,  il  s'avan- 
cera vers  Manivat  et  pour  une  seule  nuit  de  jeûne,  sire, 
il  obtiendra  le  fruit  d’un  agnishtoma.  6043. 

» Qu’il  se  rende,  Indra  des  rois,  à Dévikâ,  illustre  dans 
le  monde,  où  s’est  opéré  dit-on,  la  naissance  des  brahmes. 

» Ce  lieu,  chéri  du  Dieu,  qui  porte  à sa  main  le  trident, 
est  connu  dans  les  trois  mondes.  L’homme,  qui  s’est  bai- 
gné dans  la  Dévikâ,  qui  a honoré  Mahéçvara  et  qui  a donné 
l’oblation,  suivant  ses  facultés,  gagne  le  fruit  d'un  sa- 
crifice opulent,  où  tous  les  désirs  ont  leur  satisfaction. 

3044—6045—5046. 

» Ensuite,  est  le  itrtha  de  Roudra,  appelé  du  nom  de 
l’Amour  et  fréquenté  par  les  Dieux.  L’homme,  qui  se  plonge 
dans  ce  bain,  acquiert  vite  la  perfection.  5047. 

» Une  fois  arrivée  l’heure  de  la  mort,  l'homme  n’a 
rien  à regretter  dans  cette  vie,  s’il  a pu  se  baigner  dans 
ces  ondes  fieuries,  qui  portent  en  soi-même  le  prêtre  sacri- 
fiant et  les  parfums  de  Brahma.  5048. 

» Longue  de  cinq  yodjanas  sur  la  moitié  d’un  yodjana 


(1)  Les  sept  nourritures. 


LE  MAHA -BHARATA. 


3<W 

en  largeur,  telle  est  la  sainte  Dévikâ,  hantée  par  les  Dé- 
varshis.  504». 

» Qu'il  aille  de-là,  d toi,  qui  sais  le  devoir,  au  Dlrgha- 
satra,  en  observant  l'ordre  des  tlrlhas,  où  les  rishis  du 
plus  haut  rang,  les  Dieux,  Brahma  et  les  autres,  consacrés 
par  l'initiation,  enchaînés  dans  leurs  vœux,  cultivent  le 
Dirghasatra.  De  son  arrivée  seule  à ce  bain,  l'homme, 
Indra  des  rois  et  dompteur  des  ennemis,  obtient  le  fruit 
du  ràdjasoûya  et  de  l’açva-médha.  Qu’il  se  dirige  ensuite 
avec  dévotion  et  soumis  au  jeûne  vers  le  Vinaçana, 

6050  -6051—5052. 

» Où  coule  sur  les  flancs  du  Mérou  la  Sarasvati,  que 
Ton  voit  disparaître  aux  yeux  dans  le  gouffre  de  Trhamasa, 
la  cataracte  de  Çiva  et  le  saut  du  Nàga.  5053. 

. » L’homme,  qui  s’est  lavé  dans  la  cataracte  du 
Tchauiasa,  obtient  le  fruit  d’un  agnishtoma  : s'est-il  baigné 
dans  la  chùle  de  Çiva,  il  gagne  le  fruit  de  mille  vaches. 

» A-t-il  fait  ses  ablutions  dans  la  cataracte  du  Nâga, 
il  acquiert  le  monde  des  Nàgas.  Est-il  venu  , Indra 
des  hommes,  au  bain  inaccessible , appelé  la  Course-du- 
lièvre,  et  s’est-il  lavé  là  où  toujours,  au  mois  de  Karttikî, 
on  voit  chaque  année,  ô le  plus  vertueux  des  Bharatides, 
les  lotus  poussés  couvrir  dans  la  Sarasvat!  les  formes 
du  lièvre,  il  brille  continuellement,  tigre  des  hommes, 
avec  une  splendeur  semblable  à celle  de  la  lune. 

5054—5055—5050—6057. 

» S’il  fait  avec  dévotion  un  pèlerinage  au  Roti-de- 
Koumàras,  il  obtient,  rejeton  de  Kourou , le  fruit  d’un 
millier  de  vaches.  5058. 

» Qu'il  y fasse  ses  ablutions,  trouvant  du  plaisir  à ho- 
norer les  Mânes  et  les  Dieux,  il  gagnera  une  myriade  de 


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VANA-PARVA. 


2(57 


vaches  et  portera  sa  race  à un  point  supérieur  d’élévation. 

» Qu’il  visite  ensuite,  l’esprit  appliqué,  ô toi,  qui  sais 
le  devoir,  le  Koti-de-Roudras,  où  jadis,  grand  roi,  se  sont 
rassemblés  dix  millions  de  solitaires,  5059 — 5000. 

» Pénétrés  d’une  grande  joie,  amenés  par  le  désir  de 
voir  Roudra,  et  se  disant  l'un  à l’autre  : « Moi,  un  jour, 
moi  aussi  un  jour,  je  verrai  le  Dieu,  qui  porte  un  taureau 
sur  le  champ  de  son  enseigne  ! » 5001. 

» Ainsi  marchaient  ces  rishis.  Enfin,  par  le  désir  d’ob- 
tenir une  grâce,  les  logis,  souverain  de  la  terre,  se 
plongent  dans  une  profonde  contemplation.  5002. 

->  Alors,  pour  détruire  leur  ivresse,  furent  créés  dix 
millions  de  Roudras,  qui  se  tinrent  vis-à-vis  de  ces  rishis 
méditatifs.  5063. 

« Plus  tard,  je  le  verrai  ! » pensaient  chacun  d’eux  à 
part.  Satisfait  de  leur  dévotion  profonde,  le  grand  Dieu 
leur  accorda  la  grâce  demandée  : a Désormais,  leur  dit- 
il,  vous  croîtrez  en  vertu  ! u 5004 — 5005. 

» Quand  l'homme  s’est  baigné  dans  ce  Koti-de-Rou- 
dras, il  obtient,  devenu  pur,  te  fruit  d un  açva-médha  et 
porte  sa  famille  à un  point  supérieur  d’élévation.  5066. 

» Qu’il  visite,  Indra  des  rois,  le  confluent  de  la  Saras- 
vatl,  très-saint  et  célèbre  dans  le  monde,  là  où  les  Dieux, 
Brahma  et  les  autres,  avec  les  Rishis,  opulents  de  péni- 
tence, viennent  le  quatorze  de  la  quinzaine  lumineuse  de 
Tchaltra  et  servent  l'Immortel  aux  longs  cheveux. 

5007—5008. 

» Là,  quand  il  s'est  baigné,  tigre  des  hommes,  il  ob- 
tient beaucoup  d’or  et,  l'àme  délivrée  de  tous  péchés,  il 
s'élève  au  monde  de  Brahma,  5009. 

» Où,  quand  seront  arrivés  à leur  lin  les  sacriflces  accoui- 


363 


LE  MAHA-BHAAATA. 


plis  des  rishis,  monarque  des  hommes,  il  gagnera  le  fruit 
de  mille  vaches.  5070. 

» Qu’il  s’en  aille  ensuite,  auguste  majesté,  vers  le  Kou- 
roukshétra  béni,  où  tous  les  êtres  animés  sont  affranchis 
de  la  vue  des  péchés.  6071. 

« J'irai  dans  le  Kouroukshétra!  Je  ferai  mon  habitation 
dans  le  Kouroukshétra!»  L’homme,  qui  parle  continuelle- 
ment ainsi,  est  délivré  de  tous  ses  péchés.  5072. 

» La  poussière  même  des  mauvaises  actions,  si  elle 
est  poussée  dans  le  Kouroukshétra  par  le  vent,  conduit  à 
la  voie  suprême  ! 5073. 

» Ceux,  qui  habitent,  soit  au  midi  de  la  Sarasvalt, 
soit  au  septentrion  de  la  Drishadvalt,  ont  leur  demeure 
assurée  dans  le  Tripishtapa.  5074. 

» L’homme,  qui  habite  un  mois  sur  les  rives  de  la  Sa- 
rasvali,  Youddhishthira,  s’élève  dans  la  terre  grandement 
pure  de  Brahma,  où  résident,  maître  de  la  terre,  les  Dieux, 
Brahma  et  les  autres,  les  Rishis,  les  Siddhas  et  les  Tclia- 
rânas,  les  Gandharvas,  les  Apsaras,  les  Yakshas  et  les 
Pannagas.  5075 — 5076. 

» Grâce  au  Kouroukshétra , les  souillures  de  celui 
même,  qui  a l’amour  au  fond  du  cœur,  s'évanouissent, 
Youddhishthira,  et  il  entre  dans  le  monde  de  Brah- 
ma. 5077. 

» S’il  est  allé,  plein  de  foi  dans  le  Kouroukshétra,  il  ob- 
tient alors,  fils  de  Kourou,  le  fruit  d’un  açva-iuédha  et 
d’un  râdjasoûya.  5078. 

» Quand  il  s’est  incliné  devanlle  vigoureux  Yaksha,  gar- 
dien des  portes,  appelé  Mankanaka,  il  acquiert  le  fruit 
de  mille  vaches.  5079. 

» Qu’il  se  dirige  ensuite  vers  le  sublime  lieu  de  Vishnou, 


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VANA-PABVA. 


369 

nommé  l' Éternel,  vertueux  Indra  des  rois,  et  dont  Hari 
n'est  jamais  éloigné.  5080. 

» Là,  après  qu’il  s’est  baigné  et  qu’il  s’est  incliné  avec 
respect  devant  Hari,  l’origine  des  trois  mondes,  il  obtient 
un  açva-médha  et  il  entre  dans  le  monde  de  Vishnou. 

» Que  de-là,  il  se  rende  au  tîrtha,  nommé  Pâripl&va, 
célèbre  dans  les  trois  mondes,  il  y gagnera,  Bharalide,  le 
fruit  d’un  agnishtoma  pour  deux  nuits  de  séjour. 

5081—5082. 

» Qu’il  s’approche  du  tîrtha  la  Terre  et  qu’il  y gagne  le 
fruit  de  mille  vaches!  Cela  fait,  sire,  que  lepélerin  visite 
le  Çâloùkini,  et  que,  s’y  étant  plongé,  il  acquière  le  fruit 
même  contenu  en  dix  açva-niédhas.  Qu’il  porte  de-là  ses 
pas  vers  la  Sarpadévî,  le  tîrtha  sublime  des  Nâgas,  il  y 
obtiendra  un  agnishtoma  et  il  entrera  dans  le  monde  des 
Nâgas.  Qu'il  s’en  aille  ensuite,  ô toi,  qui  saisie  devoir,  près 
du  gardien  des  portes,  Tarantouka,  et  qu’il  acquière  le 
fruit  de  mille  vaches  pour  une  seule  nuit  de  jeûne.  S’il  va 
dévoiement  et  sans  rompre  le  jeûne  au  Pantchanada,  il  y 
gagnera  le  fruit  d'un  haya-médha,  après  qu'il  aura  lavé 
sa  bouche  dans  une  foule  de  tirthas.  Pèlerin  au  tîrtha  des 
Açwins,  il  naît,  revêtu  de  beauté.  [De  la  stance  5082  à la 
stance  5088.) 

» Qu’il  visite,  prince  vertueux,  le  tîrtha  sublime,  nommé 
le  Sanglier,  où  jadis  se  tint  Vishnou,  sous  la  forme  de  cet 
animal.  5088. 

» S’il  se  baigne  là,  ô le  meilleur  des  hommes,  il  ob- 
tiendra le  fruit  d'un  agnishtoma.  Qu’il  passe  de  ce  lieu  à 
Djayantt,  et  qu'il  entre,  Indra  des  rois,  dans  le  tîrtha  de 
la  Lune.  5089. 

» L’homme,  qui  s'y  lave,  obtient  le  fruit  d’un  râdja- 

2â 


lit 


370 


LE  MAHA-BHARATA. 


soûva.  L’homme,  qui  s’est  baigné  dans  l’Ékahansa,  gagne 
le  fruit  d’un  millier  de  vaches.  5090. 

» Le  pèlerin,  qui  vient  au  Kritaçaâutcha,  auguste  ma- 
jesté, arquiert  le  Pouudarika,  s’il  y fait  ses  ablutions. 

» A-t-il  habité  une  seule  nuit  au  lieu  du  magnanime 
Sthânou,  appelé  Moundjavata,  il  acquiert  l’empire  sur  les 
Ganas.  5091 — 5092. 

o S’il  vient  à l’ Yakshini,  renommée  dans  le  monde  et  s’y 
baigne,  il  obtient,  Indra  des  rois,  l’accomplissement  de 
tous  ses  désirs.  5093. 

» Pèlerin  attentif,  quand  il  aura  décrit  un  pradakshina 
autour  de  ces  lieux  opportuns  et  célèbres  du  Rouroukshé- 
tra,  estimé  pour  ses  piscines,  où  il  s’est  baigné,  où  il  a ho- 
noré les  Mânes  et  les  Dieux,  chose,  qui  fut  jadis  faite  par 
le  bien  magnanime  Râma,  fils  de  Djamadagni,  il  atteindra 
à la  réalisation  de  ses  vœux  et  il  obtient  le  fruit  d'unaçva- 
médha.  Qu’il  fasse  ensuite  un  saint  pèlerinage  aux  lacs  de 
Râma.  5094—5095—5096. 

» Là,  après  qu’il  eut  détruit  les  kshatryas,  Râma,  le 
héros  à la  splendeur  enflammée,  Indra  des  rois,  eut  bien- 
tôt créé  cinq  lacs,  qu’il  remplit  de  sang,  d’où  vint  leur 
nom,  tigre  des  hommes.  11  rassasia  tous  ses  pères  et 
ses  ayeux.  5097 — 5098. 

» Ensuite  ses  pères  contents  lui  dirent,  monarque  des 
hommes  : « Râma,  éminent  Râma,  nous  sommes  tous  sa- 
tisfaits de  toi,  (ils  de  Brighou,  5099. 

■i  Et  de  cette  piété  liliale,  et  de  ton  courage,  seigneur. 
Choisis  une  grâce  ! La  félicité  descende  sur  toi  ! Que  dési- 
res-tu, brahme  à la  grande  splendeur  (1)  ? » 6000. 


(i)  Cette  stance  est  comptée  6000  ! et  je  vois  qu'il  en  sera  ainsi,  de  ceo- 
laine  eu  centaine,  jusqu'au  chiffre  8,100  et  suivants. 

On  ne  peut  accuser  ici  la  distraction  : la  volonté  a déterminé  cette  ma- 


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VANA-PARVA. 


371 


>i  A ces  mots,  Râma,  le  plus  brave  des  combattants, 
joignit  les  mains  et  adressa,  roi  des  rois,  ce  langage  à ses 
pères,  qui  se  tenaient  dans  le  ciel  : 6001. 

» Si  vos  excellences  sont  contentes,  si  votre  bienveil- 
lance doit  se  manifester  en  moi,  je  désire  par  la  faveur  de 
mes  pères,  une  pénitence  plus  grande  encore.  6002. 

» J’ai  exterminé  les  kshatryas  dans  un  moment,  où  j’é- 
tais surmonté  par  la  colère  : que  l’énergie  de  mes  pères 
me  lave  de  ce  péché.  0003. 

» Que  mes  lacs,  devenus  des  tirthas,  soient  fameux  sur 
la  terre.  » Quand  ils  eurent  entendu  ces  belles  paroles  de 
Ràtna,  ses  pères  de  lui  répondre  avec  une  vive  satisfaction 
et  remplis  de  joie  : « Que  ta  pénitence  s’accroisse,  surtout 
à cause  de  ta  piété  tiliale.  6004. 

» Si,  vaincu  par  la  colère,  tu  as  exterminé  les  kshatryas, 
tu  seras  lavé  de  cette  faute,  et  ces  lacs,  péchés  de  tes 
œuvres,  passeront  à la  condition  des  tirthas  ; il  n’y  a là 
aucun  doute  ! L’homme,  qui  rassasiera  les  mânes,  après 
s'être  baigné  dans  ces  lacs,  recevra  de  ses  pères  satisfaits 
le  monde  éternel  du  Stvarga  et  l’objet  désiré  de  son  âme, 
dont  il  est  diflicile  d'obtenir  la  réalisation  sur  la  terre.  » 

» Quand  les  pères  de  liâma  lui  eurent  donné  ces  grâces, 
ils  firent  leurs  adieux  avec  joie  au  rejeton  de  Brighou,  et 
disparurent  à ses  yeux.  6005-6006-6007-6008-6009. 

» C'est  ainsi  que  les  lacs  de  Râma  sont  devenus  saints. 


nière  de  compter;  car,  la  distraction  ne  se  ferait  pa3  d'une  manière  si 
régulière  et  ne  tomberait  pas  juste  à chaque  fois  sur  uii  cent  complet  de 
stances. 

Il  en  est  ainsi,  je  crois,  parce  que  telle  est  l’importance  de  ces  matières,  le 
mérite  fies  tirthas , que  chaque  stance  parait  à l'éditeur  en  valoir  dix,  et 
que  chaque  centaine  lui  semble  elle-même  en  valoir  un  millier. 


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872 


LE  MAHA-BHARATA. 


Le  brahmatcharl  aux  vœux  purs,  qui  s’est  lavé  dans  ces 
lacs  obtient  beaucoup  d'or,  Indra  des  rois,  parcequ’il  a 
rendu  des  hommages  à Raina.  Le  pèlerin,  qui  visite  le 
Vançamoulaka,  fils  de  Kourou,  obtient  l’élévation  de  sa  fa- 
mille, quand  il  s’est  plongé  dans  le  Vançamoulaka.  Vient- 
il,  ô le  plus  sage  des  Bharatides,  au  tîrtha,  nommé  la  Pu- 
rification-du-corps,  où  le  baigné,  sans  aucun  doute,  puri- 
fie sa  personne,  le  corps  lavé  dans  ce  tîrtha,  il  entre  dans 
les  mondes  purs,  hors  desquels  il  n’est  rien  de  supérieur. 

6010—6011—6012—0013. 

» Qu’il  aille  ensuite,  ô toi,  qui  sais  le  devoir,  au  tîrtha 
renommé  dans  les  trois  mondes,  où  jadis  le  puissant 
Vishnou  a retiré  les  mondes  submergés.  6014. 

» Arrivé  sur  le  bord  de  ce  tîrtha  célèbre,  nommé  le 
Sauvetage -des-mondes,  et  quand  il  s’est  plongé  dans  cet 
excellent  tîrtha,  il  retire  lui-même  ses  propres  mondes  du 
naufrage.  6015. 

» S’il  visite  le  tîrtha  de  Çri  et  s’y  baigne  d’une  âme 
dévote,  il  acquiert  la  plus  grande  beauté,  après  qu’il  a 
honoré  les  Mânes  et  les  Dieux.  6010. 

« Arrivé  au  tîrtha  de  Kapilà,  une  fois  que,  voué  à lacon- 
tinenceet  l’âme  recueillie,  il  s’y  estbaignéetqu'ilareudu 
l’honneur  aux  Dieux  et  à ses  pères,  l'homme  obtient  le  fruit 
d'un  millier  àevaches  Kapilâs.  fait-il  un  pèlerinage  au  tîr- 
tha  du  Soleil  et  s'y  plonge-t-il  d’une  âme  dévote  ; quand, 
livré  au  jeûne,  il  a honoré  les  Mânes  et  les  Dieux,  il  ac- 
quiert le  fruit  d'un  agnishtoma  et  va  dans  le  monde  du 
soleil.  6017—6018—6019. 

» Le  pèlerin,  que  la  succession  des  lieux  amène  au  tîr- 
tha, nommé  l’Habitation-des-vaches,  après  qu'il  a fait  là 
ses  ablutions,  obtient  le  fruit  d’un  millier  de  vaches.  6020. 


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VANA-PARVA. 


373 


» Le  pèlerin,  qui  vient  au  tlrtha  Çankhinl,  l'homme, 
qui  se  baigne  dans  le  tîrtha  de  Dévl,  acquiert,  fils  de 
Kourou,  une  forme  supérieure.  6021. 

» Qu’il  s’en  aille  ensuite,  Indra  des  rois,  vers  le  gar- 
dien des  portes  Taranka.où  est  dans  la  Sarasvatl  le  tlrtha 
du  magnanime  roi  des  Yakshas.  6022. 

» L’homme,  qui  s'est  baigné  là,  sire,  obtient  le  fruit 
d’un  agnishtoma.  Que  l'homme  pieux,  roi  des  rois,  se 
rende  de-là  au  Tourbillon-de-Brabma.  6023. 

» Quiconque  a pu  s’y  laver,  gagne  le  monde  de 
Brahma.  De-là,  Indra  des  rois,  dirige-toi  vers  le  Beau- 
tlrtha,  qui  est  sans  égal.  002â. 

» Les  Pitris  et  les  Dieux  n’en  sont  jamais  éloignés. 
Fais-y  tes  ablutions,  trouvant  ton  plaisir  dans  le  culte 
des  Mânes  et  des  Dieux.  6025. 

» Tu  obtiendras  un  açva-médha  et  tu  iras  dans  le  monde 
des  Pitris.  Il  faut  ensuite  porter  ses  pas,  Ô toi,  qui  sais 
le  devoir,  vers  un  sublime  et  beau  tlrtha,  dans  Ambou- 
matl.  6026. 

» Une  fois  qu’il  s’est  baigné  dans  le  tlrtha  du  roi  de 
Kâç.î,  vertueux  Bharatide,  exempt  de  toutes  les  maladies, 
il  est  magnifié  dans  le  monde  de  Brahma.  6027. 

» Là,  est  le  tîrtha  de  la  Mère,  où  l’homme,  qui  s’y  est 
lavé,  sire,  augmente  sa  science  et  jouit  d’une  grande 
beauté.  6028. 

» Humble  et  soumis  au  jeûne,  que,  partant  de-là,  il  se 
rende  au  bois  Frais,  où  est  un  grand  tlrtha,  auguste  ma- 
jesté, difficile  à acquérir  d’une  autre  manière.  6029. 

» A l’arrivée,  un  seul  regard  purifie,  souverain  des 
hommes;  il  suffit  d’arroser  ses  cheveux  pour  être  pur. 

» Là,  est  un  tlrtha,  grand  roi,  nommé  le  Destructeur- 


374 


LE  MAHA-BHARATA. 


des-pointes-du-Porc-épic  ; sur  sa  rive  habitent  des  brah- 
mes  instruits,  attentifs  à la  sainte  écriture.  6030 — 0031. 

» Quand  on  s’est  baigné  dans  ce  tlrtha,  qui  enlève  ses 
traits  au  porc  épie,  6 le  plus  vertueux  des  Bharatides,  on 
éprouve  une  joie  suprême.  0032. 

» Les  plus  grands  des  brahnies  exstirpent  leurs  affec- 
tions par  l’énergie  du  souffle  vital  ; et,  l’âme  pure,  Indra 
des  rois,  ils  s’avancent  dans  la  voie  suprême.  6033. 

» Ce  tlrtha  vaut,  maître  de  la  terre,  dix  chevaux  pro- 
pres à i’açva-médha  ! Que  le  pèlerin  se  baigne  en  ses  eaux, 
tigre  des  hommes,  et  qu’il  marche  dans  la  voie  suprême. 

» Qu’il  visite  ensuite  le  tirtha,  renommé  dans  le  monde 
sous  le  nom  de  l’Homme.  Pressées  par  les  flèches  du  chas- 
seur, les  gazelles  noires,  qui  se  plongent  dans  ce  lac,  pas- 
sent à la  condition  humaine.  L’homme,  voué  à la  conti- 
nence et  l’esprit  appliqué,  qui  se  baigne  dans  ce  tirtha, 
est  exalté  dans  le  monde  du  Swarga,  l’âme  purifiée  de  tous 
ses  péchés.  A la  distance  d’un  kroça,  vers  l’orient  de 
l’Homme,  souverain  de  la  terre,  il  est  une  rivière,  appelée 
Apaga,  fréquentée  des  Siddhas.  L’homme,  qui  la  visite, 
n’ayant  pour  seul  aliment  que  du  çyâmâka,  et  qui  donne 
cette  nourriture  à un  seul  brahnte  en  vue  des  Mânes  et 
des  Dieux,  obtient  un  grand  fruit  de  ce  devoir;  car  c’est 
comme  s’il  l’avait  donnée  à dix  millions.  (De  la  stanre 
6034  à la  stance  6039.  ) 

» Là,  après  qu’il  s’est  baigné,  qu’il  a honoré  les  Mânes 
et  les  Dieux,  qu’il  a demeuré  une  seule  nuit,  il  acquiert  le 
fruit  d’un  agnishtoma.  6040. 

» Qu’il  passe  de-là,  roi  dgs  rois,  au  lieu  sublime  de 
Brahma,  illustre  dans  le  monde  sous  le  nom  du  Figuier- 
gloméré-de-Brahma.  6041. 


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VANA-PARVA. 


375 


» Ici,  quand  il  s'est  lavé,  Indra  des  rois,  près  des  fosses 
du  feu  et  sur  la  montagne  du  magnanime  Kapila  ; 6052. 

» Quand,  d'une  âme  pure  et  soumise,  il  s’est  approché 
de  Brahma,  alors,  délivré  de  tous  ses  péchés,  il  obtient  le 
monde  de  Brahma.  6053. 

» Lorsqu’il  est  arrivé  à la  montagne  inaccessible  de 
Kapila,  ses  impuretés  sont  consumées  par  le  feu  de  la 
pénitence,  et  il  obtient  la  faculté  de  se  dérober  à la 
vue.  6055. 

» Cela  fait,  qu’il  se  transporte  au  Sar&ka,  célèbre  dans 
le  monde;  et  quand,  le  quatorzième  jour  d'une  quinzaine 
obscure,  il  aura  visité  le  Dieu,  qui  a pour  enseigne  un 
taureau,  il  obtiendra  tous  ses  désirs  et  ira  dans  le  monde 
du  Swarga.  11  y a dans  le  Saraka,  fils  de  Kourou,  trois 
fois  dix  millions  de  tirthas.  6055 — 6056. 

u Dans  le  Koti-des-Roudras,  le  puits  et  les  lacs,  on 
remarque,  auguste  et  puissant  Bharathide,  un  tlrtha, 
nommé  la  Place-d’Ilà.  6057. 

» Quiconque  s'y  est  baigné,  quiconque  y a rendu  ses 
hommages  aux  Mânes  et  aux  Dieux,  n’obtient  pas  les 
enfers,  il  gagne  un  vàdjapéya.  6058. 

» L’homme,  qui  s’est  lavé  dans  le  Kindâna  et  le  Kin- 
djapya,  Bbaratide,  maître  de  la  terre,  acquiert  le  fruit 
d’une  aumône  et  d’une  prière  sans  mesure.  6059. 

» L’homme,  qui  a la  foi  et  qui  a vaincu  ses  organes  des 
sens,  s’il  touche  l’eau  dans  la  Kalaçî,  obtient  le  fruit  du 
sacrifice  agnishtoma.  6050. 

» Mais,  à l’orient  du  Saraka,  ô le  plus  vertueux  des 
enfants  de  Kourou,  est  le  tîrtha  du  magnanime  Nârada, 
connu  sous  le  nom  du  fils  d’Ambâ.  6051. 

» L’homme,  qui  s’est  baigné,  dans  ce  tlrtha  et  qui 


876 


LE  MAHA-BHÀRATA. 


abandonne  la  vie,  obtient,  Bharatide,  avec  l'agrément  de 
Nàrada,  les  mondes  supérieurs.  6052. 

» Qu'il  entre  dans  le  Poundarika  le  quatorzième  jour 
d’une  quinzaine  lumineuse.  Quiconque  s'y  est  lavé,  sire, 
gagne  le  fruit  d'un  sacrifice  Poundarika.  6053. 

# Qu’il  s'en  aille  ensuite  au  Tripishtapa,  renommé 
dans  les  trois  mondes,  où  coule  la  sainte  rivière  Vaitarinl, 
qui  efface  tous  les  péchés.  6055. 

» Une  fois  qu'il  s’y  est  baigné,  qu’il  a honoré  le  Dieu, 
qui  tient  le  trident  et  porte  le  taureau  pour  enseigne, 
l’âme  pure  de  tous  ses  péchés,  il  entre  dans  la  voie  su- 
prême. 6055. 

» Qu’il  fasse  de-là  une  excursion  à la  sublime  Forèt- 
Phalakt  ; les  Dieux,  Indra  des  rois,  fréquentent  toujours 
cette  Forêt-Phalakl,  6056. 

» Où,  plusieurs  milliers  d’années,  ils  se  sont  livrés  à de 
larges  pénitences.  L’homme,  qui  a pu  se  laver  dans  la 
Drishadvatl  et  qui  a rassasié  les  Dieux,  6057. 

» Obtient,  après  deux  nuits  de  jeûne,  le  fruit  d'un 
agnishtoma.  Qui  s’est  plongé,  6 le  plus  vertueux  des  Bha- 
ratides,  dans  le  tirtha  de  tous  les  Dieux,  6058. 

» Acquiert,  Indra  des  rois,  le  fruit  de  mille  vaches. 
L'homme,  qui  s'est  baigné  dans  le  tirtha  dit  C.reusé-par- 
la-main  et  qui  a rassasié  les  Dieux,  6059. 

» Obtient,  pour  deux  nuits  de  jeûne  , le  fruit  d’un 
agnishtoma,  un  ràdjasoûya  et  le  monde  des  Rishis.  6060. 

» Qu’il  fasse  ensuite  un  pèlerinage  au  tirtha  sublime, 
appelé  le  Mélange  : c’est  là,  comme  la  tradition  nous  l’ap- 
prend , que  jadis  le  magnanime  Vyâsa  fit , pour  les 
brahmes,  le  mélange  des  tlrthas.  Qui  peut  se  baigner 
dans  le  Mélange,  se  baigne  dans  tous  les  tlrthas. 


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VANA-PARVA. 


377 


» Que  de-là  on  s’en  aille,  d'une  âme  dévote  et  livrée  au 
jeûne,  dans  le  bois  de  Vyâsa.  L’homme,  qui  se  plonge 
dans  le  Rapide-comme-la-pensée,  obtient  le  fruit  d’un 
millier  de  vaches.  0061 — 0002 — 0063. 

# Quiconque  est  allé  dans  la  Madhouvati  au  tlrtha  de 
DévI,  s’y  est  baigné  et,  devenu  pur,  a honoré  les  Mânes 
et  les  Dieux,  6064. 

» Gagne  avec  l’approbation  de  Dévl,  le  fruit  de  mille 
vaches.  Celui , Bharatide , qui  , soumis  au  jeûne , se 
plonge  dans  le  confluent  de  la  Kaâuçikt  et  de  la  Drishad- 
valt,  est  délivré  de  tous  ses  péchés.  De-lâ,  on  se  rend  à la 
PI  ace- de- Vyâsa.  C’est  ici  que  le  sage  Vyâsa,  consumé  de 
chagrin  pour  la  mort  de  son  lils,  conçut  la  pensée  d’aban- 
donner la  vie  ; mais  ensuite  les  Dieux  rendirent  l’enfant  à 
son  amour.  6065 — 6066 — 6067. 

» Arrivé  à la  place  de  l’anachorète,  le  pèlerin  acquiert 
le  fruit  de  mille  vaches.  Quand  il  aura  visité  le  puits  de 
Kindata  et  vu  le  Tilaprastha,  il  s'élèvera,  libéré  de 
ses  dettes,  fils  de  Kourou,  à une  éminente  perfection. 
L’homme,  qui  se  baigne  dans  le  tlrtha  Védl,  obtiendra  le 
fruit  d’un  millier  de  vaches.  6068—6069. 

» Qui  se  plongera  dans  les  deux  tlrthas,  le  Jour  et  le 
Beau-jour,  fameux  l'un  et  l’autre  dans  le  monde,  gagnera, 
tigre  des  hommes,  le  monde  du  soleil.  6070. 

» Ces  choses  faites,  qu’il  se  dirige  vers  les  Fumées-de- 
la-gazelle,  célèbre  dans  les  trois  mondes,  et  qu’il  y fasse, 
6 le  plus  vertueux  des  princes,  ses  ablutions  dans  la 
Gaugâ,  il  acquerra  le  fruit  il'un  açva-médba,  après  qu'il 
aura  fait  son  adoration  à Mahàdéva.  Qui  se  plonge  au 
tlrtha  de  Dévl,  obtient  le  fruit  de  mille  vaches. 

6074—6072. 


378 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Qu'il  se  rende  ensuite  au  tirtha  le  Nain,  renommé 
dans  les  trois  mondes.  Lorsqu’il  se  sera  baigné  au  pied 
de  Vishnou,  et  qu’il  aura  adoré  le  céleste  Nain,  l’âme 
pure  de  tous  péchés,  il  entrera  dans  le  monde  de  Vishnou. 

» Quiconque  se  plonge  dans  le  Koulampouna  (1) , pu- 
rifie sa  famille.  6073 — 607 à. 

a Qui  se  baigne  dans  le  profond  Lac-du-Vent,  le  plus 
grand  bain  des  Maroutes,  est  exalté  dans  le  monde  du 
Vent.  6075. 

a Quiconque  se  baigne  dans  le  Lac-des-Immortels,  est 
magnifié,  par  la  puissance  des  Immortels,  dans  le  monde 
du  Swarga,  quand  il  a honoré  le  souverain  des  Immortels. 

u 11  y a le  tirtha  du  Cheval  : l’homme,  qui  s’y  baigne, 
suivant  les  régies,  ô le  plus  vertueux  des  princes,  obtient 
le  fruit  d’un  millier  de  vaches.  6076 — 6077. 

a Le  tirtha  du  Berceau-de-Ç.rl  est  dans  la  Sarasvati. 
Quiconque  s’y  plonge,  éminent  Bharatide,  gagne  le  fruit 
d’un  agnishtoma.  6078. 

» Qu'il  visite  ensuite,  auguste  rejeton  de  Kourou,  le 
Berceau-de-Vishnou.  Jadis,  assure-t-on,  de  saints  rishis, 
adorateurs  de  Vishnou,  adonnés  à des  pèlerinages  aux 
tlrthas,  vinrent  dans  le  Rouroukshétra;  et  c’est  alors,  ô le 
plus  vertueux  des  Bharatides,  que  fut  créé  sur  la  Saras- 
vati ce  berceau  dans  un  site,  qui  pût  flatter  délicieuse- 
ment les  regards  des  rishis.  Quiconque  s’y  baigne,  obtient 
le  fruit  d’un  agnishtoma.  6079 — 6080 — 6081. 

» Qu’il  s’en  aille  de-là,  ô toi,  qui  sais  le  devoir,  au 
tirtha  nompareil  des  Jeunes-filles  : l’homme,  qui  s’y  lave, 
gagne  un  millier  de  vaches.  6082. 

(I)  Generi*  purificator . 


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VANA-PARVA. 


379 


» Qu'il  se  rende  ensuite  au  tlrtha  sublime  du  Brahme. 
Ici,  l’homme,  qui  n’est  pas  de  la  dernière  caste,  obtient 
une  brahmanl  pour  son  épouse,  et,  l’âme  pure,  il  ne  peut 
manquer  de  parcourir  la  voie  de  Brahma.  Qu’il  passe  au 
bien  grand  tîrtha  de  Lunus,  ô le  meilleur  des  hommes  : 
quiconque  s’y  plonge,  sire,  acquiert  le  monde  de  Lunus. 
Que  de-là,  seigneur,  il  porte  ses  pas  au  tlrtha  des  Sept- 
Énergies.  6083 — 6084 — 6085. 

» C’est  là  que  jadis,  comme  nous  l’avons  appris,  Man- 
kanaka,  le  Siddhamaharshi,  célèbre  dans  le  monde,  sire, 
couché  et  blessé  à la  main,  distilla  de  sa  blessure  la  sève 
des  plantes.  A cette  vue,  pénétré  de  joie,  il  se  mit  à 
danser.  6080 — 6087. 

» Au  milieu  de  cette  danse,  héros,  tous  les  êtres  mo- 
biles et  immobiles,  jetés  dans  le  délire  par  sa  vigueur, 
commencèrent  les  uns  et  les  autres  à danser  eux-mèmes. 

» Les  saints,  riches  de  pénitences,  et  les  Dieux,  Brahma 
et  les  autres,  avertirent  le  Grand-Dieu  des  choses,  que 
l’ivresse  du  rishi  avait  produites.  6088 — 6089. 

« Il  te  faut  agir  de  manière,  Dieu,  que  cet  anachorète 
ne  danse  plus  ! » lui  dirent- ils.  Le  Dieu  vint  donc  trouver 
l’hermite,  qui  dansait  dans  la  joie,  dont  son  âme  était  pé- 
nétrée, et  lui  dit  pour  accomplir  le  bon  désir  des  Souras  : 
« Oh  ! oh  ! maharshi,  qui  sais  le  devoir,  pourquoi  ta  sain- 
teté danse-t-elle  ? 6090 — 6091. 

» Et  pourquoi  fais-tu  éclater  maintenant  ces  mouve- 
ments de  joie,  ô le  plus  grand  des  solitaires  ?»  — « C’est 
parce  que  l'ascète  se  tient  dans  la  route  du  devoir,  ô le 
plus  vertueux  des  brahmes  ! répondit  t’ dermite.  0092. 

» Ne  vois-tu  pas,  brahme,  la  sève  des  plantes,  qui 
coule  de  ma  main.  A cette  vue,  je  n’ai  pu  contenir  ma 


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880 


LE  MAHA-BHARATA. 


grande  joie  et  je  me  suis  mis  à danser!  » 6008. 

» Le  Dieu  alors  dit  en  souriant  au  saint,  que  la  passion 
jetait  dans  le  délire  : u Mais  moi,  brahme,  je  ne  me  laisse 
point  ainsi  tomber  dans  l’étonnement  : regarde-moi  ! » 

» A ces  mots,  le  sage  Dieu  se  piqua  le  pouce,  Indra 
pieux  des  rois,  avec  la  pointe  d'une  épingle.  609â-609ô. 

» Aussitôt  de  la  blessure,  il  sortit  une  cendre  sem- 
blable à la  neige;  et  confus  à cette  vue,  sire,  le  solitaire 
tomba  à ses  pieds  ; 6096. 

» Et  lui  dit  : 

« Je  ne  pense  pas  que  nulle  autre  grande  chose  au- 
dessus  des  Dieux  soit  au-dessus  de  Roudra.  Tu  es  la  voie. 
Dieu,  qui  tiens  le  trident,  où  circule  le  monde  des  Asou- 
ras  et  des  Souras  ! 6097. 

» Tout  ce  triple  monde  d' êtres  immobiles  et  mobiles  fut 
créé  par  toi  ; et,  à la  fm  d’un  youga,  tu  fais  de  nouveau  ta 
pâture  de  l’univers.  6098. 

» 11  est  impossible  aux  Dieux  mêmes,  combien  moins  à 
moi,  de  sonder  tes  profondeurs  ! Tous  les  Souras,  Brahma 
et  les  autres,  Dieu  sans  péchés,  sont  vus  en  toi  ! 6099. 

» Tu  es  le  créateur  et  la  cause  de  la  création  des 
mondes  : c’est,  grâce  à ta  faveur,  que  tous  les  Souras 
jouissent  ici  du  plaisir,  sans  craindre  les  dangers.  » 7000. 

» Quand  il  eut  ainsi  loué  ce  grand  Dieu,  le  risbi  ajouta 
ces  paroles  : « Que  par  ta  grâce,  Mahâdéva,  ma  péni- 
tence ne  s'écoule  pas  en  vain  ! » 7001. 

» A ces  mots,  le  Dieu  répondit,  l’àme  joyeuse,  au 
Brahmarshi  : « Que,  par  ma  grâce,  brahme,  ta  pénitence 
s’accroisse  mille  fois  I 7002. 

» J’habiterai  dans  cet  hermitage-ci  avec  toi,  grand  ana- 
chorète, et  pour  ceux,  qui  se  seront  baignés  dans  les 


VANA-PARVA. 


381 


Sept-énergies  et  qui  m'auront  honoré,  il  n’y  aura  dans  ce 
monde  et  dans  l’autre  vie  rien,  qui  soit  difficile  à acqué- 
rir. Us  iront  dans  le  monde  de  l'énergie  : il  n’y  a là  aucun 
doute.  » 7003—7004. 

» Sur  ces  mots,  le  Grand-Dieu  disparut  aussitôt.  — 
Que  le  pèlerin  s'en  aille  de-là  au  tirtha  d'Aâuçanas  re- 
nommé dans  les  trois  mondes,  7005. 

» Dont  s’approchent  continuellement  aux  trois  parties 
du  jour,  dans  le  désir  de  faire  une  chose  agréable  au  fils 
de  Bhrigou,  les  Dieux,  Brahma  et  les  autres,  les  rishis 
opulents  de  pénitence  et  l’adorable  Kàrttikéya.  Il  est  un 
tirtha,  Bharatide,  qui  efface  tous  les  péchés  et  qui  est 
nommé  la  Libératiou-du-crâne.  7006 — 7007. 

» L’homme,  qui  s’y  plonge,  est  délivré  de  toutes  ses 
impuretés.  Qu’il  aille  ensuite  se  laver  dans  le  tirtha  du 
Feu.  7008. 

» Il  obtiendra  le  monde  d’Agni  et  portera  sa  famille  à 
un  point  supérieur  d'élévation.  Quiconqueapusebaigner 
dans  le  tirtha  de  Viçvâmitra,  ô le  plus  vertueux  des  Bha- 
ratides,  acquiert  la  qualité  de  brahrne.  S’il  visite,  pur  et 
l’ame  domptée,  le  tirtha  dit  la  Matrice-de-Bralima,  et  s’y 
plonge,  il  obtient,  ô le  meilleur  des  hommes,  le  monde 
de  Brahma  et  purifie  sa  famille  jusqu'à  la  septième  géné- 
ration : il  n’y  a là  aucun  doute.  7009 — 7010 — 7011. 

» Qu'il  s’en  aille  de-là,  Indra  des  rois,  au  tirtha  de 
Kàrttikéya,  renommé  dans  les  trois  mondes  et  nommé 
Pritboûdaka.  7012. 

o Qu’il  y fasse  ses  ablutions,  et,  s’il  trouve  du  plaisir 
dans  l’adoration  des  Mânes  et  des  Dieux,  à peine  entré, 
homme  ou  femme,  à son  insu  ou  sciemment,  tout  ce  qu'il 
y a en  lui  d’impur,  causé  par  une  action  provenant 


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382 


LE  MAH  A-BHARAT  A . 


d’une  pensée  humaine,  s’efface  entièrement  7013 — 7014. 

» Le  fruit  d’un  açva-raédha  lui  appartient,  et  il  entre 
dans  le  monde  du  Swarga.  « On  a dit  que  le  Kouroukshé- 
tra  était  saint,  la  Sarasvatî  plus  que  le  Kouroukshétra,  les 
tlrthas  plus  que  la  Sarasvati  et  le  Prithoûdaka  plus  que 
les  tirthas;  mais  le  plus  grand  des  actes  religieux,  c'est 
de  renoncer  à sa  vie!  7015 — 7016. 

» L'homme,  qui  murmure  la  prière  dans  le  Prithoûdaka, 
ne  voit  jamais  la  mort.  » C’est  ainsi  qu’il  fut  chanté  par 
le  magnanime  Vyàsa à l'occasion  de  Sanatkoumâra.  7017. 

» Qu'il  visite  donc  ainsi  dévotement,  sire,  le  Prithoû- 
daka, il  n'existe  pas  un  autre  ttrtha,  fils  de  Kourou,  plus 
saint  que  le  Prithoûdaka.  701S. 

» 11  est  pur,  il  est  purifiant,  il  est  purificateur,  sans  au- 
cun doute.  Les  hommes  coupables,  qui  s’y  baignent,  vont 
au  ciel!  7019. 

« C'est  ainsi  que  les  sages  ont  parlé  sur  le  Prithoûdaka  : 
ce  ttrtha  roule  des  ondes  de  miel,  ô le  meilleur  des 
hommes.  7020. 

» Quiconque  s’y  est  baigné,  sire,  obtient  le  fruit  de 
mille  vaches.  Que,  suivant  l’ordre,  Indra  des  rois,  le  pè- 
lerin maintenant  fasse  une  excursion  au  tirtha  pur,  fameux 
dans  le  monde,  de  la  Sarasvati  et  de  la  Round.  Après 
qu’il  a jeûné  là  trois  nuits  et  qu’il  s’y  est  lavé,  il  est 
purifié  môme  du  crime  de  brahmanicide.  7021 — 7022. 

» L'homme,  quand  il  a passé  là  deux  nuits,  obtient  le 
fruit  d’un  aguishtoma,  et  rend  pure  sa  famille,  éminent 
Bharatide,  jusqu’à  la  septième  génération.  7023. 

» Darbhl,  (anachorète,  créa  jadis,  par  compassion 
pour  les  bralmies,  enfant  du  sang  de  Kourou,  le  tirtha 
nommé  la  Demi-Colonne.  7024. 


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VANA-PARVA. 


383 


» Le  Brahme  est  lié  sans  doute  par  les  prières,  les 
sacrifices,  le  jeûne,  l'initiation  et  ses  vœux  ; 7025. 

o Mais  le  sage,  manquât-il  de  prières  et  de  sacrifices, 
est  réputé  avoir  exactement  accompli  ses  vœux,  quand  il 
a pu  seulement  se  plonger  dans  ce  tîrtha  : tels  sont  les 
enseignements,  que  nous  avons  reçus  des  anciens.  7026. 

» Darbhl  y conduisit  les  quatre  mers  : celui,  qui  s’est 
baigné  dans  elles,  ô le  meilleur  des  hommes,  ne  tombe  pas 
dans  les  enfers.  7027. 

» Au  contraire,  il  obtient  les  fruits  de  quatre  milliers 
de  vaches.  Que  de-là  il  dirige  ses  pas  vers  le  tlrtha,  ap- 
pelé Cent-mille,  ô toi,  à qui  le  devoir  n’est  pas  inconnu. 

» Cent-mille  compose  deux  tîrthas.  L’homme,  qui  s’est 
plongé  dans  l’un  et  dans  l’autre,  gagne  le  fruit  de  mille 
vaches.  7028 — 7029. 

» Son  aumône  ou  son  jeûne  seront  multipliés  par  mille 
fois.  Qu’il  visite  ensuite,  Indra  des  rois,  le  tlrtha  sublime 
de  Rénoukâ.  7030. 

» Qu’il  fasse  ses  ablutions  dans  ce  tlrtha  et  sa  joie  d’ho- 
norer  les  Mânes  et  les  Dieux  : aussitôt,  l’âme  pure  de  tout 
péché,  il  obtiendra  le  fruit  d’un  agnishtoma.  7031. 

» A peine,  le  ressentiment  vaincu,  les  organes  des  sens 
domptés,  a-t-il  touché  l’eau  de  la  Délivrance,  qu’il  est 
affranchi  de  toutes  ses  fautes  commises  de  fait  ou  de  con- 
sentement. 7032. 

» Si,  voué  à la  continence,  et  les  sens  comprimés,  il 
s’en  va  de-là  aux  Cinq-arbres  exactement  orientés,  alors, 
doué  d’une  grande  vertu,  il  est  exalté  dans  le  monde  des 
gens  de  bien.  7033. 

» Là,  est  Sthânou  lui-même,  le  maître  de  l’ A oga,  le  Dieu, 
qui  arbore  un  taureau.  Une  fois  adoré  le  souverain  des 


384  LE  MAHA-BHARATA. 

Dieux,  sa  venue  seule  atteint  même  à un  heureux  succès. 

» Sous  lui  se  range  le  tirtha  de  Varouna,  enflammé  de 
sa  propre  splendeur  et  nommé  le  Resplendissant.  C’est  là 
que  jadis  Kât  ttikéva  fut  élu  général  de  l'armée  des  Dieux 
par  Brahmaet  les  autres  Immortels,  et  par  lesRishis,  opu- 
lents de  pénitences.  Au  levant  du  Resplendissant,  fils  de 
Kourou,  est  le  tirtha  de  Kourou.  7034 — 7035 — 7036. 

« L’homme,  voué  à la  continence  et  les  sens  domptés, 
qui  se  baigne  dans  le  tirtha  de  Kourou,  entre  dans  le 
monde  de  Brahma,  l'âme  purifiée  de  tous  ses  péchés. 

» Qu’il  porte  ses  pas  dévotement  et  livré  au  jeûne  vers 
le  tirtha  nommé  la  Porte-du-Swarga , il  obtiendra  le 
monde  du  Swarga , et  de  se  promener  dans  le  monde 
de  Brahma.  7037—7038. 

» Que  de-là  il  se  rende  au  Naraka  : les  enfers  ne  sont 
pas  la  récompense,  sire,  du  pèlerin,  qui  s’y  est  baigné. 

» Là,  est  exalté  Brahma,  qui  s’y  tient  sans  cesse,  tigre 
des  hommes,  avec  les  Dieux,  Nàràyana  à leur  tête. 

» là,  arrivé  près  de  Dévl,  l’épouse  de  Roudra,  il  n'ob- 
tiendra pas,  Indra  des  rois,  les  enfers  pour  sa  récompense. 

7039—7040—7041. 

» Là,  sous  les  yeux  du  Grand-Dieu,  l’époux  d’Oumà,  le 
souverain  des  Viçvas,  il  est  purifié,  grand  roi,  de  tous  ses 
péchés.  7042. 

» Quand  il  s’est  approché  de  Nàràyana,  de  qui  le  nom- 
bril donna  naissance  à un  lotus,  dompteur  des  ennemis,  il 
va  resplendissant  au  monde  de  Vishnou.  7043. 

» Toutes  les  peines  s'enfuiront  de  l’homme,  qui  s’est 
s’est  baigné  dans  les  tlrthas  de  tous  les  Dieux,  sire,  et  il 
brille  à l’égal  de  la  lune.  7044. 

» Que  le  pèlerin  s'en  aille  à laVille-de-S\vasti,et,quaiul 


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VANA-PARVA. 


385 


il  aura  décrit  un  pradakshina  autour  d’elle,  il  obtiendra  le 
fruit  d'un  millier  de  vaches.  7045. 

» Qu’il  dirige  sa  marche  vers  le  tirtha  nommé  le  Feu, 
qu’il  y rassasie  les  Mânes  et  les  Dieux,  Bharatide,  et  le  sa- 
crifice de  l’agnishtoma  sera  sa  récompense.  7048. 

» 11  y a le  puits  et  le  lac  de  la  Gangâ  ; il  y a dans  ce 
puits,  souverain  de  la  terre,  trois  kotis  de  tlrthas.  7047. 

» Le  fidèle  qui  s’est  baigné  là,  sire,  obtient  le  monde 
du  Swarga.  L’homme,  qui  s’est  plongé  dans  le  tirtha  des 
Fleuves,  et  qui  a honoré  Mahéçvara,  acquiert  l’empire  sur 
les  Ganas  et  porte  sa  famille  à un  degré  supérieur  d’éléva- 
tion. Qu’il  se  rende  ensuite  au  Figuier-de-Sthânou,  cé- 
lèbre dans  les  trois  mondes.  7048 — 7049. 

n L’homme,  qui  s’y  est  baigné,  obtient,  s’il  y reste  un 
jour,  le  monde  de  Roudra.  Qu’il  s’en  aille  à l’hermitage 
de  Vaçishtha  au  temps,  où  mûrit  le  fruit  du  jujubier,  qu’il 
y mange  le  jujube  et  qu'il  y jeûne  trois  jours;  mais 
celui,  qui  a jeûné  trois  nuits  dans  l’hermitage,  devient 
égal  au  pénitent,  qui  a mangé,  comme  il  convient,  douze 
ans  le  fruit  du  jujubier.  Que  le  pèlerin,  monarque  des 
hommes,  entre  dans  le  Chemin-d’ Indra. 

7050—7051—7052. 

» 11  est  exalté  dans  le  monde  de  Cakra,  grâce  au  jeûne 
et  à l’entretien  du  feu  sacré.  L’homme  pur  et  véridique, 
s'il  visite  l'Éka-ràtra  (1),  où  il  habite  un  seul  jour,  est 
magnifié  dans  le  monde  de  Brahma.  7053 — 7054. 

» Qu’il  visite  ensuite,  Indra  des  rois,  un  tirtha,  re- 
nommé dans  les  trois  mondes,  où  fut  l’hermitage  du  ma- 
gnanime soleil,  amas  de  lumières.  7055. 


(i)  lrn  seul  jour,  ou  plutôt,  une  seule  nuit. 

III 


25 


386 


LE  MAHA-BHARATA. 


» L’homme,  qui  s'est  baigné  dans  ce  tirtha  et  qui  a ho- 
noré l’astre  du  jour,  entre  dans  le  monde  du  soleil,  et 
porte  sa  famille  à un  degré  supérieur  d’élévation.  7056. 

» Le  pèlerin,  qui  s'est  plongé  dans  le  tirtha  de  Lunus, 
monarque  des  hommes,  est  reçu  dans  le  monde  de  Lunus  : 
il  n’y  a là  aucun  doute.  7057. 

» Qu’il  s’enaille  de-là,  sire,  toi,  qui  sais  le  devoir,  au 
tirtha  très-saint  du  magnanime  Dadhitcha,  lustration  cé- 
lèbre dans  le  monde  ; 7058. 

» ('.es  eaux,  où  est  venu  lui-même  cet  illustre  \ngiras, 
trésor  de  pénitences  ! L’homme,  qui  s’est  baigné  dans  ce 
tirtha,  obtient  le  fruit  d’un  açva-médha,  7050. 

» Et  reçoit  le  don  d’une  parole  éloquente.  Que,  dompté 
comme  un  brahmatchàri,  il  se  transporte  de-là  au  tirtha 
des  Jeunes-Filles.  7060. 

u Quand  il  a demeuré  là  trois  nuits,  sire,  avec  dévotion 
et  livré  au  jeûne,  il  obtient  une  centaine  de  filles  et  va 
dans  le  céleste  monde  du  Swarga.  7061. 

» Que  de-là,  ô toi,  qui  sais  le  devoir,  il  fasse  un  pèleri- 
nage à la  Sannihatl  même,  où,  chaque  mois,  se  rassem- 
blent, doué3  d’une  éminente  pureté,  Brahma  avec  les  au- 
tres Dieux  et  les  rishis,  qui  ont  thézaurisé  la  pénitence. 
S'il  touche  l’eau  dans  un  temps,  où  Ràhou  dévore  l’astre 
du  jour,  c’est  comme  s’il  offrait  continuellement  le  sacri- 
fice de  cent  açva-médhas.  Les  lirthas,  qui  existent  sur  la 
terre,  ceux,  qui  roulent  dans  l’atmosphère,  7062 — 7063. 

» Les  rivières,  les  lacs,  les  étangs,  les  marais,  tous  les 
cours  d’eau,  les  puits  et  les  autels  de  lirthas  se  rassem- 
blent, comme  il  est  certain,  monarque  des  hommes, 
chaque  mois,  à la  nouvelle  lune,  dans  la  Sannihati  : on 
n'en  saurait  douter.  7064 — 7066. 


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VANA-PARVA. 


*87 


» C'est  de  cette  réunion  des  tîrthas,  que  lui  vient 
ce  nom  de  Sannihati,  c’est-à-dire,  le  rassemblement. 
Quiconque  s’y  est  plongé,  et  qui  a bu  de  son  eau,  est 
exalté  dans  le  monde  du  Swarga.  7066. 

» Mais  le  mortel,  qui,  dans  un  jour  de  nouvelle-lune, 
au  temps  où  Rdbou  dévore  l'astre  de  la  lumière,  y vaque 
à la  cérémonie  d'un  çraddha,  écoute  quelle  en  est  la 
sainte  récompense.  7067. 

» L'homme,  qui  s’y  est  plongé  et  qui  a fait  le  çraddha, 
obtient  le  fruit  même  attaché  à mille  açva-médhas,  conve- 
nablement sacrifiés.  7068. 

» Quel  que  soit  le  péché,  que  l'homme  ou  la  femme  ait 
commis,  à peine  s’ est-il  baigné,  toute  faute  est  puri- 
fiée : il  n’y  a là  aucun  doute.  7069. 

» 11  s'élève  au  monde  de  Brahma  sur  un  char,  qui  a la 
beauté  du  lotus.  Ensuite,  lorsqu’il  aura  salué  l’Yaksha, 
gardien  des  portes,  Malchakrouka,  et  qu’il  aura  touché 
l’eau  du  tlrtha  Koti,  il  gagnera  beaucoup  d’or.  Ici,  ver- 
tueux Bharatide,  s’offre  un  tlrtha,  formé  d'un  lac  de  la 
Gangâ.  7070 — 7071. 

» Que  l’homme,  enchaîné  au  vœu  de  la  continence,  s’y 
plonge  avec  recueillement,  et  il  obtient  le  fruit  d’un  râdja- 
soùya  et  d’un  açva-médha.  7072. 

» Le  tlrtha  de  Vishnou  est  le  plus  distingué  sur  la  terre, 
le  Poushkara  dans  l’atmosphère,  le  Kouroukshétra  l’est 
dans  les  trois  mondes.  7073. 

» La  poussière,  que  le  vent  soulève  sur  le  Kouroukshétra, 
conduit  même  les  œuvres  de  péché  dans  la  voie  suprême. 

» Le  peuple,  qui  habite  dans  le  Kouroukshétra  au  sep- 
tentrion de  la  Drishadvatl,  ayant  la  Sarasvatl  au  midi, 
habite  dans  le  Tripishtapa  même.  7074 — 7075. 


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388 


LE  MAHA-BHARATA. 


« J’irai  dans  le  Kouroukshétra  ! Je  ferai  mon  habitation 
dans  le  Kouroukshétra  ! » Cette  parole  seule  prononcée 
eflace  tous  les  péchés.  7076. 

» Le  Kouroukshétra  possède  la  science  des  Védas,  il 
est  pur,  il  est  habité  par  des  brahmarshis.  Les  mortels, 
qui  demeurent  dans  ce  pays,  ne  sont  d’aucune  manière  à 
plaindre.  7077. 

» Tel  est  ce  Kouroukshétra,  qui  est  renfermé  tout-à- 
fait  dans  cinq  provinces,  situées  entre  la  Tarantoukâ  et  la 
Rantoukâ,  au  milieu  des  lacs  de  Ràrna  et  des  tirthas  de 
Matcliakrouka,  et  qui  est  appelé  justement  l’autel  septen- 
trional de  l’ayeul  suprême  des  créatures.  » 7078. 

Poulastya  reprit,  continuant  le  fil  de  ion  récit  : 

« Que  le  pèlerin  s’en  aille  ensuite,  grand  roi,  au  tlrtha 
nompareil  de  Dharma,  où  le  Dieu  éminent  des  morts  pra- 
tiqua une  austère  pénitence.  7079. 

» 11  a rendu  saint  et  son  nom  a rendu  célèbre  ce  tlrtha. 
Quand  l’homme  au  caractère  vertueux  s’y  est  baigné  avec 
recueillement,  sire,  7080. 

» 11  purifie  sa  race  jusqu'à  la  septième  génération  : il 
n’y  a là  aucun  doute.  Que  de-là,  Indra  des  rois,  il  porte 
ses  pas  à la  sublime  Purilication-de-la-science.  7081. 

» 11  obtieut  le  fruit  d’un  agnishtoma  et  va  dans  le 
monde  des  solitaires.  Que  l'homme  ensuite  visite  le  Bois- 
très-odorant,  sire,  7082. 

» Où  se  réunissent  Brahma  et  les  autres  Dieux,  les 
Rishis  opulents  de  pénitence,  les  Siddhas,  les  Tchàranas, 
les  Gandharvas,  les  Kinnaras  et  les  grands  Ouragas. 

» Dès  son  entrée  seule  dans  ce  bois,  il  est  délivré  de 
tous  ses  péchés.  Ensuite  vient  le  meilleur  des  fieuves  et  la 
plus  sainte  des  rivières,  7083 — 708â. 


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VANAPARVA. 


389 


» la  Déesse  nommée  Plaksha,  sire,  ou  la  sainte  Déesse 
appelée  Sarasvatl  ; qu’il  y fasse  ses  ablutions  dans  l’eau 
sortie  de  la  Fourmillière  ; mais  qu’il  commence  par  hono- 
rer les  .Mânes  et  les  Dieux  ; il  obtiendra  le  fruit  d’un  açva- 
médha. 

» Après  lui,  s’offre  le  tlrtha,  où  demeure  Içâna  : il  est 
très-difficile  de  l’obtenir,  c’est  la  décision,  dans  les  six  ca- 
taractes de  la  Çamyà,  qui  jaillit  de  la  Fourmillière.  Qui- 
conque s’y  baigne,  tigre  des  hommes,  a pour  sa  récom- 
pense un  açva-médha  avec  un  millier  de  vaches  Kapilâs  : 
telle  est  la  doctrine  enseignée  par  les  anciens.  S'il  visite," 
ô le  meilleur  des  hommes,  l’odorante  montagne  Çala- 
koumbhà  et  la  verte  Pantchayakshâ;  il  est  exalté  dans 
le  monde  du  Swarga!  S’il  aborde  le  tlrtha,  que  Çiva, 
Bharatide,  a creusé  de  son  trident;  s’il  y fait  ses  ablu- 
tions et  se  complaît  à honorer  les  Mânes  et  les  Dieux,  il 
obtient,  quand  son  âme  a déserté  son  corps,  l’empire  sur 
les  Ganas  : il  n'y  a là-dessus  aucun  doute.  (De  la  stance 
7085  à la  stance  7091.) 

» Qu’il  aille  ensuite,  Indra  des  rois,  au  lieu  chéri  de 
Dévî.  Ce  tlrtha,  d’une  acquisition  très-difficile,  est  cé- 
lèbre dans  les  trois  mondes  : on  l’appelle  Çàkambhart. 

» Mille  années  divines,  monarque  des  hommes,  la 
Déesse  aux  vœux  constants  y fit  sa  nourriture  d’une  poi- 
gnée d’herbes,  quelle  mangeait  de  mois  en  mois. 

7091—7092. 

» Des  saints,  riches  de  pénitences,  y vinrent  par  dévo- 
tion pour  Dévl,  qui  exerça  l'hospitalité  envers  eux,  Bha- 
ratide, en  leur  offrant  des  herbes.  7093. 

» C’est  de-là  que  lui  vint  ce  nom  de  Çàkambhari,  c’est-à- 
dire,  qui  nourrit  avec  de  l'herbe.  Que  le  bramatchàri 


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390 


LE  MAH  A-BHARATA. 


s’approche  avec  recueillement  de  la  (Jâkambhari,  qu'il  y 
demeure  trois  nuits,  et  que,  pur,  il  y mange  de  l’herbe  : 
la  récompense  de  l’homme,  qui , durant  douze  années,  a vécu 
d’herbes  seulement,  lui  est  réservée  par  la  volonté  de  la 
Déesse.  Qu'il  se  rende  ensuite  au  llrtha,  nommé  l’Or,  et 
fameux  dans  les  trois  mondes.  709A — 7095 — 7096. 

» Là,  Vishuou  jadis  se  concilia  Roudra  pour  gagner  sa 
faveur,  et  reçut  de  lui  un  nombre  infini  de  grâces,  bien 
difficiles  à obtenir  parmi  les  Dieux  mômes.  7097. 

» Le  meurtrier  de  Tripoura  lui  dit  très-satisfait,  Bhara- 
lide  : « Tu  seras  dans  l’univers,  Krishna,  celui,  que  j’aime 
le  plus.  7098. 

» Et  tout  ce  monde  te  reconnaîtra  pour  son  chel,  assu- 
rérnept!  » Venu  ici,  Indra  des  rois,  et  quand  il  a honoré 
le  Dieu,  qui  porte  le  taureau  pour  enseigne,  il  recueille  le 
fruit  d’un  açvauiédha  et  gagne  l’empire  sur  les  Ganas. 
Que  de-)à  il  fasse  un  pèlerinage  à la  Dhoùmavati  et  qu'il 
y demeure  trois  nuits.  7099 — 8000. 

» 11  obtient,  sans  nul  doute,  les  vœux,  dont  son  âme  a 
conçu  le  désir.  Mais,  si  l'homme,  qui  a la  foi  et  de  qui  les 
organes  sont  vaincus,  fait  le  tour  du  char  de  Dévl,  avec 
la  mpilié  d’un  pradakshiua,  et,  s'il  monte  dedans,  roi,  qui 
sais  le  devoir,  il  entre  dans  la  voie  suprême,  grâce  à la 
faveur  de  Mahâdéva.  8001 — 8002. 

» Que,  décrivant  un  pradakshina,  il  s’en  aille,  Bhara- 
tide  à la  grande  science,  vers  le  tlrtha  nommé  Dhârà,  qui 
efface  tous  les  péchés;  qu’il  s’y  baigne,  monarque  des 
hommes,  il  n’aura  point  à le  regretter.  Qu'il  s’en  aille  de- 
là rendre  son  hommage  au  Grand-Mont,  porte  de  la  Gangâ, 
qui  est  égale,  assurément  ! à la  porte  du  Stvarga;  s’il  y a 
l’ait  avec  recueillement  ses  ablutions  dans  le  Dix-millions- 


VANA-PARVA. 


8«i 


de-tlrthas,  il  obtient  le  sacrifice  Ponndartka  et  rehausse 
sa  famille  à un  degré  supérieur  d'élévation.  S'il  y de- 
meure un  seul  jour,  il  acquiert  un  millier  de  vaches. 

8003 — 8004 — 8005 — 8006. 

» S’il  rassasie  d’ offrandes  les  Dieux  et  les  Mânes,  suivant 
les  rites,  il  est  exalté  dans  le  monde  saint  des  sept  Gangàs, 
des  trois  Gangâs  et  du  tourbillon  d'Indra.  8007. 

n S’ est-il  ensuite  plongé  dans  le  Kanakhala,  a-t-il  ha- 
bité là  trois  jours,  il  moissonne  le  fruit  d'un  açva-médha, 
et  recueille  l’entrée  au  monde  du  Swarga.  8008. 

» Que  de-là,  seigneur,  le  pèlerin  se  rende  au  Figuier- 
de-Kapilà!  S'il  y passe  un  jour,  il  obtient  le  fruit  d’un 
millier  de  vaches.  8009. 

» Après  lui,  vient,  renommé  dans  tous  les  mondes, 
prince,  le  meilleur  des  meilleurs  de  Rourou,  le  tlrtha  du 
magnanime  Kapila,  le  roi  des  Nàgas.  8010. 

» Que  l’homme,  seigneur,  fasse  là  ses  ablutions,  dans 
le  tlrtha  des  Nàgas!  Il  gagne  pour  sa  récompense  un  millier 
de  vaches  Rapilàs.  8011. 

» Qu’il  s’en  aille  ensuite  au  Lalitika,  le  tlrtha  sublime 
de  Çàntanou:  l’homme,  qui  s’y  baigne,  sire,  n'obtient 
pas  les  enfers.  8012. 

» L’homme,  qui,  placé  dans  leur  confluent,  se  baigne 
au  milieu  du  Gange  et  de  l’Yamounâ,  amasse  dix  açva- 
médhas  et  porte  sa  famille  à un  degré  supérieur  d’éléva- 
tion. 8013. 

» Qu’il  se  dirige  ensuite,  Indra  des  rois,  vers  le  tlrtha, 
fameux  dans  le  monde  et  nommé  le  Très-odorant  : l’âme 
alors  purifiée  de  tous  ses  péchés,  il  est  exalté  dans  le 
monde  de  Brahma.  801  h. 

« Que  de-là,  seigneur,  le  pèlerin  se  rende  au  Tourbil- 


892 


LE  MAHA-BHARATA. 


lon-de-Roudra  : l’homme,  qui  s’y  est  baigné,  sire,  va 
dans  le  monde  du  Swarga.  801 5. 

» S'est-il  baigné,  vertueux  roi,  dans  le  confluent  de  la 
Gangà  et  de  la  Sarasvati,  il  recueille  un  açva-madha  et 
circule  dans  le  monde  du  Swarga.  8016. 

» Vient-il  visiter  le  seigneur  Bhadrakarna  et  honorer 
le  Dieu,  suivant  la  règle,  il  ne  tombe  pas  dans  les  enfers, 
mais  il  est  honoré  sur  la  voûte  du  ciel.  8017. 

» Que  de-là,  monarque  des  hommes,  le  pèlerin  se 
rende  au  Manguier-du-Bossu  : il  obtient  mille  vaches  et 
il  va  dans  le  monde  du  Swarga.  8018. 

» Que  le  pèlerin  s’en  aille  ensuite  au  Figuier-d’Aroun- 
dhati,  seigneur.  A peine,  après  trois  nuits  de  jeûne, 
voué  à la  continence  et  recueilli,  a-t-il  touché  l'eau  de  la 
mer,  il  acquiert  le  fruit  d'un  açva-médha,  il  gagne  une 
récompense  de  mille  vaches  et  porte  sa  famille  à un  degré 
supérieur  d’élévation.  8019 — 80*20. 

» Continent  et  recueilli,  qu’il  porte  dc-là  ses  pas  au 
Tourbillou-de-Brahma  : il  obtient  un  açva-médha  et  de 
marcher  dans  le  monde  de  Lunus.  8021. 

» S’est-il  rendu  à la  source  de  l’Yamounâ,  en  a-t-il  pu 
toucher  l'eau,  il  est  exalté  dans  le  monde  du  Swarga, 
grâce  au  fruit  d’un  açva-médha.  8022. 

» S’il  vient  au  tlrtha,  honoré  dans  les  trois  mondes  et 
nommé  le  Passage-dans-la-cuiller,  il  obtient  un  açva-mé- 
dha et  va  dans  le  monde  du  Swarga.  8023. 

» Va-t-il  à la  source  du  Sindhou,  demeure-t-il  là  cinq 
nuits  ; il  acquiert  beaucoup  d’or.  8024. 

» L’homme,  qui  fait  un  pèlerinage  à l’Autel  d’un  accès 
bien  difficile,  obtient  un  açva-médha  et  il  entre  dans  le 
monde  du  Swarga.  802&. 


— _ 


jgle 


VANA-PARVA. 


393 


» Une  fois  qu’ elles  æ sont  approchées  du  Fleuve-des- 
Rishis  et  de  l'hermitage  de  Vaçishtha,  toutes  les  castes, 
Bharatide,  deviennent  des  brahmes,  quand  elles  ont  dé- 
passé la  Goumtt.  8026. 

» Quiconque  s’avance  vers  le  Fleuve-des-Rishis  et  s’y 
baigne,  alors,  pur  de  ses  péchés,  ayant  honoré  les  Mânes 
et  les  Dieux,  il  obtient  le  monde  des  rishis.  8027. 

» L’homme,  qui  visite  la  Montagne-de-Bhrigou  et  qui 
demeure  là  un  mois,  se  nourrissant  d’herbes,  recueille, 
monarque  des  hommes,  le  fruit  d’un  arva-médha.  8028. 

» 11  est  délivré  de  tous  ses  péchés,  s’il  porte  ses  pas 
vers  la  Délivrance-du-héros.  S’avance-t-il , Bharatide , 
vers  le  tirtha  de  Krittikà  et  de  Magha  (1),  il  obtient  après 
deux  jours  écoulés,  le  fruit  d’un  agnishtoma.  Qu’il  s’ap- 
proche du  ttrtha  sublime  de  la  Science  à l’une  des  trois 
parties  du  jour,  qu’il  touche  là,  où  il  convient,  l'eau  de 
la  Science  et  qu’il  habite  un  jour  dans  le  grand  hermitage 
pour  la  délivrance  de  tous  ses  péchés. 

8029—8030—8031. 

» Se  prive-t-il  de  nourriture  une  seule  fois,  il  aura 
pour  habitation  les  mondes  resplendissants.  Reste-t-il  un 
mois  entier  dans  cette  demeure  sainte,  ne  rompant  le 
jeûne  que  de  trois  en  trois  jours,  l’âme  pure  de  tous  pé- 
chés, l’homme  acquerra  beaucoup  d’or;  il  élèvera  dans 
sa  race  dix  générations  avant  et  dix  générations  après  lui. 

» S’il  va  au  tirtha  des  Roseaux,  fréquenté  par  l’ayeul 
suprême  des  créatures,  il  obtient  un  açva-médha,  et  il 
entre  dans  la  voie  d’Ouçanas.  8032 — 8033 — 8034. 

» Arrivé  au  tirtha  Charmant,  hanté  par  les  Siddhas,  il 

(1)  Le  troisième  et  lu  dixième  d<-a  aatérismes  lunaires. 


LE  MAHA-BHARATA. 


304 

devient  participant  à la  beauté  : ainsi  les  anciens  nous 
l'ont  enseigné.  8035. 

» Que  de- là,  voué  à la  continence  et  les  sens  vaincus, 
il  se  rende  au  tîrtha  de  la  Brahmani  : il  obtient  le  monde 
de  Brahma  sur  un  char,  i|ui  a la  beauté  des  lotus.  8036. 

» Qu’il  s’en  aille  ensuite  au  sjiint  Nalmisba,  fréquenté 
par  les  Siddhas,  où  Brahma  habite  continuellement  avec 
les  troupes  des  Dieux.  8037. 

» La  seule  recherche  du  Naluiisha  efface  la  moitié  du 
(léché  : aussitôt  qu’il  y est  entré,  l’ homme  est  délivré  de 
toutes  ses  fautes.  8038. 

» L’homme,  qui  a la  dévotion  des  tlrthas,  habitera  un 
mois  dans  le  Naimisha  : les  tlrthas  de  la  terre,  héros, 
sont  tous  dans  le  Naimisha.  8039. 

» Si,  enchaîné  à son  vœu  et  se  refusant  la  nourriture , 
il  y fait  ses  ablutions,  alors,  Bharatide,  il  obtient  le  fruit 
d’un  pur  sacrifice  de  vaches.  8040. 

» L’homme,  qui,  livré  au  jeûne,  renonce  à la  vie  dans 
le  Natmisha,  purifie  sa  famille,  ô le  plus  vertueux  des 
Bharatides,  jusqu’à  la  septième  génération.  8041 . 

« Il  jouira  du  bonheur  dans  tous  les  mondes  ! » Tel 
est  le  sentiment  des  sages.  Le  Naimisha,  ô le  plus  grand 
des  princes,  est  continuellement  saint  et  pur.  8042. 

» L’homme,  qui  visite  la  source  du  Gange  et  qui 
jeûne  là  trois  nuits,  obtient  le  fruit  d'nn  açva-médha  et 
sera  toujours  uni  à l’Être  suprême.  8043. 

» Quiconque  fait  un  pèlerinage  à la  Sarasvatl , s’il 
rassasie  d'offrandes  les  Dieux  et  les  Mânes,  est  heureux 
dans  les  mondes,  qui  appartiennent  à la  déesse  Saras- 
vati,  il  n’y  a là-dessus  aucun  doute.  8044. 

» Qu’il  aille  ensuite,  voué  à la  continence  et  recueilli,  à 


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VAN  Y-PAR  VA. 


396 


la  Bâboudà  : il  est  exalté  dans  le  monde  du  Swarga,  après 
une  seule  nuit  de  séjour.  8045. 

» 11  obtient,  rejeton  de  kourou,  le  fruit  d’un  sacrifice 
Dévàsatra.  Que  de-là  il  se  rende  à la  Kshiravati,  sainte 
rivière,  environnée  des  plus  saints  anachorètes.  8040. 

» Se  voue-t-il  au  culte  des  Mânes  et  des  Dieux,  un 
açva-uiédhaest  sa  récompense.  S'il  passe,  adonné  à la  con- 
tinence et  recueilli,  au  limpide  Açoka,  et  s'il  habite  là  une 
seule  nuit,  il  est  magnifié  dans  le  monde  duSwarga.  Delà, 
qu'il  visite  le  Gopratri,  le  tirtha  sublime  de  Saràsoù, 

» D'où  Ràma,  ayant  abandonné  son  corps,  auguste  ma- 
jesté, s’en  est  allé  au  ciel,  par  l’énergie  de  ce  tirtha,  avec 
ses  chars,  sou  armée  et  ses  domestiques.  8047-8048-8049, 
» Aussi  d'après  la  faveur  et  la  résolution  de  Ràma, 
l’homme,  qui  s’est  baigné  dans  ce  tirtha  Gopratri,  noble 
Bbaratide,  est  exalté,  l'àrae  purifiée  de  tous  péchés,  dans 
le  monde  du  Swarga!  L'enfant  de  Manou,  qui  s’est  plongé 
dans  Gomati,  le  tirtha  de  Ràma,  obtient  un  açva-médha 
et  rend  pure  sa  famille.  11  y a là  cent  mille  tirthas,  émi- 
nent Bbaratide.  8060 — 8061 — 8052. 

b Quand,  livré  au  jeûne  et  les  sens  domptés,  il  a touché 
à ces  eaux,  il  obtient  le  fruit  saint  de  mille  vaches.  8053. 

» Qu’il  se  dirige  ensuite,  lndra-des  rois,  vers  l’éminente 
Place-de-f  époux  ; il  recueille  le  fruit  d’un  sacrifice  açva- 
médha.  8054. 

» L’homme,  qui  s’est  plongé  dans  le  tirtha  Koti,  sire, 
et  qui  a honoré  Çiva,  mille  vaches  deviennent  sa  récom- 
pense, et  il  est  brillant  de  splendeur.  8066. 

» Qu’il  aille  ensuite  à Vàrànasl  et  qu’il  adore  le  Dieu  à 
l’enaeigne  du  taureau,  il  obtiendra  un  ràdjasoûya  pour 
s’ être  baigné  dans  le  lac  de  Kapilà.  8066. 


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396 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Le  pèlerin  s'approche-t-il  de  l’Avimoukta,  rejeton  de 
Kourou,  la  vue  du  Dieu  des  Dieux  le  délivre  aussitôt  d’un 
brahmanicide,  s’il  en  est  coupable.  8057. 

» S’il  rejette  sa  vie,  le  fils  de  .Manou  obtient  la  déli- 
vrance. S’approche-t-il  du  tirtha  peu  accessible  de  Mar- 
kandéya,  au  confluent,  reuomraé  dans  le  monde,  de  la 
Gomatl  et  de  la  Gangà,  il  recueille,  Indra  des  rois,  un 
agnishtoma  et  porte  sa  famille  à un  degré  supérieur  d’é- 
lévation. 8058 — 8059. 

» Que,  d’une  âme  dévote  et  recueillie,  il  s’approche  de 
Gayâ  ; sa  venue  seule,  Bharatide,  lui  donne  le  fruit  d’un 
aç.va-môdha.  8000. 

» 11  y a encore  le  Figuier  impérissable,  célèbre  sous  ce 
nom  dans  les  trois  mondes,  il  fut  donné  aux  .Mânes  ou 
Pitris  ; c’est  de-là  qu’il  est  appelé  impérissable.  8001. 

» Que,  s’étant  lavé  dans  la  grande  rivière , il  rassasie 
d’ offrandes  les  Mânes  et  les  Dieux,  il  obtiendra  les  mondes 
éternels  et  il  rehaussera  sa  famille.  8002. 

» S’il  va  de-là  au  lac  de  Brahma,  embelli  par  la  forêt 
de  Dharma,  il  y gagne  le  monde  de  Brahma  et  une  nuit 
lumineuse.  8063. 

.»  Brahma  lui-même  a posé  dans  ce  lac  la  plus  sainte 
des  colonnes  victimaires  : qu’il  décrive  un  pradakshina  au- 
tour de  cette  colonne,  il  obtiendra  le  fruit  d’un  vâdjapéya. 

» Qu’il  se  dirige  ensuite,  Indra  des  rois,  vers  la  sta- 
tion appelée  la  Vache-laitière,  renommée  dans  le  monde, 
et  qu’ après  une  nuit  de  séjour,  il  donne,  sire,  une  vache 
pétrie  de  farine  et  de  sésame.  8O0â — 8065. 

» L’âme  pure  de  tout  péché,  il  ira,  pour  sûr,  dans  le 
monde  de  Lunus.  On  voit  là,  sire,  de  nos  jours  mêmes, 
un  signe  grand;  en  vérité,  bien  grand,  8066. 


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VANA-PAKVA. 


397 


» Qu’imprima  Kapilâ,  se  promenant  avec  son  veau  sur 
la  montagne  : on  y voit  à présent  même,  Bharatide,  les 
vestiges  des  pas  de  cette  vache  et  de  son  veau  ! 8067. 

» Quand  il  s'est  baigné  dans  ces  traces,  Indra  des  rois 
et  le  plus  vertueux  des  princes,  toute  œuvre  impure  quel- 
conque est  effacée.  8068. 

» Qu’il  aille  ensuite  au  Figuier-du-Vautour,  la  sainte 
place  du  Dieu  sage,  et  que,  s'étant  approché  de  l'Immor- 
tel, qui  a pour  enseigne  le  taureau,  il  se  lave  dans  la 
cendre.  8069. 

» Le  brahme  aura  accompli  le  vœu  de  douze  années,  et 
tous  les  péchés  des  autres  castes  seront  effacés.  8070. 

» Que  de-là  il  se  rende  à la  haute  montagne,  réson- 
nante de  chants,  où  l’on  voit,  éminent  Bharatide,  le  pied 
d’Oumà.  8071. 

» Ici,  le  brahme  aux  vœux  parfaits  rend  un  culte  à 
l'aurore;  en  effet,  ce  qu’il  honore  dans  ses  vœux,  c’est 
une  aurore,  qui  subsista  douze  années.  8072. 

» L'homme,  qui  se  rend  à la  fameuse  Porte-de-la-Ma- 
trice,  est  affranchi  par  là,  éminent  Bharatide,  de  passer 
à l’avenir  par  les  défilés  de  la  matrice.  8073. 

v Quiconque  habite  à Gayà  deux  quinzaines  obscure 
et  lumineuse  de  la  lune,  purifie  sa  famille,  sire,  jus- 
qu'à la  septième  génération  : il  n’y  a là-dessus  aucun 
doute. 

» S’il  va  seul  à Ga\â,  ou  sacrifie  un  açva-médha,  ou 
met  en  liberté  un  veau  noir,  il  obtient  de  nombreux  fils, 
objets  de  ses  désirs.  S07A — 8075. 

» Que  le  pèlerin  s'en  aille  de-là,  sire,  à l’halgouri,  il  y 
gagne  un  açva-médha  et  s'élèvera  à une  grande  perfec- 
tion. 8076. 


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LE  MAHA-BHARVFA. 


398 

» Qu'il  se  dirige  ensuite  avec  recueillement  sur  Dhar- 
maprastha,  Indra  des  rois,  où  réside  continuellement  le 
Devoir,  auguste  Youddhishthira.  8077. 

» Lorsqu'il  aura  tiré  l’eau  du  puits,  lavé  ses  membres 
et,  pur,  satisfait  d'offrandes  les  Mânes  et  les  Dieux,  Il 
montera  au  ciel,  tous  ses  péchés  effacés.  8078. 

» Après  vient  l’hermitage  de  Matanga,  le  grand  rishi 
contemplatif.  L'homme,  qui  eut  le  bonheur  de  franchir  le 
seuil  de  cet  hermitage,  obtient  le  fruit  d’un  sacrifice  ordi- 
naire de  vaches:  il  gagne  un  açva-médha,  s’il  touche  l’eau 
convenablement.  8079 — 8080. 

» Que  de-là  il  s’en  aille  à l’éminente  Place-de-Brahma, 
et  qu’il  s'avance,  Indra  des  rois,  vers  ce  Brahma,  le  plus 
grand  des  hommes,  il  recueille  le  fruit  d'un  açva-médha 
et  d’un  ràdjasoûya.  Que  le  pèlerin  se  dirige  ensuite,  sire, 
vers  le  Palais-du-roi.  8081 — 8082. 

» Là,  s’étant  baigné,  il  jouit  du  bonheur  comme  un 
kakshivatidc  et,  pur,  il  use  familièrement  des  entretiens 
continuels  avec  Yakshini  ; 8083. 

» Et,  par  sa  grâce,  il  est  purgé  d’un  brahmanicide. 
Que  de-là,  il  se  rende  au  Joyau-du-Nàga,  il  obtiendra  le 
fruit  d’un  millier  de  vaches.  808â. 

» Quiconque  boit  des  eaux  de  ce  tlrtha,  le  poison  d’un 
serpent,  qui  l’a  mordu,  ne  fait  aucun  progrès  sur  lui. 

» Là,  après  une  seule  nuit  de  séjour,  il  obtiendra  le 
fruit  de  mille  vaches.  Qu'il  aille  ensuite  au  bois  char- 
mant de  Gaâutama,  le  bramarshi.  8085 — 8080. 

» De-là,  quand  il  s’est  baigné  dans  le  Lac-d'Ahalyà,  il 
marchera  dans  la  voie  suprême.  Entre-t-il  dans  l’hermi- 
tage,  sire,  il  gagne  la  beauté  pour  lui-même.  8087. 

» Ici,  est  un  puits,  6 toi,  qui  sais  le  devoir,  renommé 


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VANA-PARVA. 


399 


<lans  les  trois  mondes.  Dès  qu’il  y aura  fait  ses  ablutions, 
il  recueillera  un  açva-médha.  8088. 

« Knsuite,  est  le  puits  do  Djanaka  le  saint  roi,  puits 
honoré  des  Tridaças  eux-mêmes.  S'il  y fait  ses  ablutions, 
il  obtiendra  le  monde  de  Vishnou.  8080. 

» Que  de-là,  il  se  rende  à la  Destruction,  effacement 
de  tous  les  péchés,  il  gagne  un  vâdjapéya  et  va  dans  le 
monde  de  Lunus.  8000. 

» Mais  s’approche-t-il  de  la  Gandakt,  source  de  l'eau 
pour  tous  les  tirlhas,  il  recueille  un  vàdjapéva  et  va  dans 
le  monde  du  soleil.  8091. 

» S’il  vient  après  cela  au  bord  de  la  rivière  Viçalyâ, 
renommée  dans  les  trois  inondes,  il  acquiert  un  agnish- 
toma  et  monte  dans  le  monde  du  Swarga.  8092. 

» A la  suite  de  ces  choses,  s’il  pénètre,  0 toi,  à qui  le 
devoir  est  connu,  dans  l’Adhivanga,  la  forêt  des  péni- 
tences, il  s’y  amuse  avec  les  Gouhyakas  : il  n’y  a là-des- 
sus aucun  doute,  auguste  majesté.  8093. 

» S’est-il  avancé  vers  la  rivière  Kampanà,  fréquentée 
des  Siddhas,  il  obtient  un  sacrifice  Pouudarîka  et  va  dans 
le  monde  du  Swarga.  8094. 

» Qu’il  vienne  après,  monarque  de  la  terre,  sur  le  cours 
delà  Mâhéçvarl  : il  recueille  un  açva-médha  et  porte  sa 
famille  à un  degré  supérieur  d'élévation.  8095. 

» S’approche-t-il  du  Lac-des-habitants-du-ciel,  souve- 
rain des  hommes,  sa  récompense  n’est  pas  l'enfer  ; sa  ré- 
compense est  un  vàdja-médha.  8090. 

U Que  de-là  il  s'en  aille,  continent  et  recueilli,  au  Pied- 
de-Lunus,  et,  quand  il  se  sera  baigné  au  pied  du  seigneur 
des  sacrifices,  il  obtiendra  le  fruit  d’un  açva-médha.  8097. 

u Ensuite,  viennent  dix  célèbres  millions  de  tlrthas. 


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400  LE  MAHA-BHARATA. 

éminent  Bharatide.  Ils  furent  jadis  attirés,  Indra  des  rois, 
par  le  puissant  Vishnou,  sous  la  forme  d’une  tortue,  Asoura 
cruel.  Que  le  pèlerin  fasse  son  ablution,  sire,  dans  ce  koti 
de  tlrthas;  il  gagne  un  sacrifice  Poundarika  et  il  passe 
dans  le  monde  de  Vishnou.  Que  de-là,  roi  des  rois,  il  s'en 
aille  à la  sainte  place  de  Nàrâyana  (1).  8098-8099-8100. 

» Qu’il  soit  toujours  recueilli  là  où  Vishnou  réside, 
Bharatide  ; là,  où  Brahma  et  les  autres  Dieux,  les  rishis 
opulents  de  pénitence,  les  A dit  y as,  les  Vasous  et  les  Rou- 
dras  honorent  Djanàrdana  en  Vishnou,  auteur  d’œuvres 
merveilleuses,  et  appelé  sous  le  nom  de  Çâlagrâma. 

» Quand  il  s'est  approché  de  Vishnou,  le  seigneur  des 
trois  mondes,  le  donateur  des  grâces,  l'impérissable,  il 
obtient  un  açva-médha  et  va  dans  le  monde  de  Vishnou. 

» Là  est  un  puits,  qui  efface  tous  les  péchés,  ô toi,  qui 
sais  le  devoir  ; là  sont  toujours  rassemblés  dans  ce  puits 
les  quatre  océans  de  la  terre.  8101 — 8102 — 8103 — 8104. 

» Quiconque  s’y  baigne,  Indra  des  rois,  n'obtient  pas 
les  enfers  pour  sa  récompense.  Se  rend-il  auprès  de  Ma- 
hâdéva,  le  donateur  des  grâces,  l’impérissable  Uoudra; 

» 11  resplendit  tel  que  la  lune,  délivrée  des  nuages, 
monarque  des  hommes.  L’homme,  qui,  pur  et  d’une  âme 


(i)  Cette  stance  contredit  la  supposition,  que  nous  avons  avancée  à la 
stance  6000.  En  effet,  si  elle  était  juste,  ce  distique  serait  numéroté  9000. 
Nout  aurions,  après  cent  nouvelles  stauces,  un  numéro  10,000,  et,  au  bout  de 
cent  autres  versets,  le  chiffre  11,000.  Mais  ces  trois  stances  sont  comptées 
suivant  leur  simple  valeur  : 8100,  8200,  8300,  et  nous  sommes  eucore  dans 
le  récit  du  prix  attaché  au  pèlerinage  à ces  bains  sacrés. 

Puisque  ce  n'est,  ni  la  distraction,  ni  l’importance  de  la  matière,  quelle 
est  donc  la  raison,  qui  fil  sauter  ainsi  de  1000  1000  dans  le  chiffre  des 

centaines  précédentes  ? C'eut  une  question,  que  Ton  propose  ici,  ne  pouvaut 
la  résoudre. 


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VANA-PARVA. 


401 

dévote,  a touché  le  Djâti-sraara  (1),  acquiert,  après  son 
bain,  le  souvenir  de  sa  condition  dausune  vie  antérieure  : 
c’est  indubitable.  S’il  vient  à la  ville  de  Mahéçvara  et  s’il 
y rend  ses  hommages  au  Dieu,  qui  arbore  un  taureau  pour 
enseigne;  8105 — 8106—8107. 

» 11  obtient  du  jeûne  assurément  les  vœux,  objets  de  ses 
désirs.  De-là,  se  rend-il  au  Nain,  qui  purifie  de  tous  les 
péchés,  8108. 

» Il  n’a  point  les  enfers  pour  sa  récompense,  dès  qu’il 
a pu  s'approcher  du  Dieu  Hari.  Qu’il  aille  ensuite  à l’her- 
mitage  de  Kouçika,  qui  délivre  de  toutes  les  fautes. 

» Là,  qu’il  se  dirige  vers  la  Kaâuçikl,  par  qui  sont  ef- 
facés les  grands  péchés  : il  recueille  le  fruit  d’un  sacrifice 
ràdjasoûva.  8109 — 8110. 

» Que  de-là  il  se  rende,  Indra  des  rois,  à La  forêt  su- 
blime de  Tchainpaka  : il  y gagnera,  après  une  seule  nuit 
deséjour,  le  fruit  d’un  millier  de  vaches.  8111. 

i)  S’approche-t-il  du  tîrtha  Djéshthila,  infiniment  diffi- 
cile à obtenir  : il  y gagne,  après  une  seule  nuit  de  séjour, 
le  fruit  d'un  millier  de  vaches.  8112. 

» Là,  quand  il  a vu,  sire,  Viçvéçvara,  le  maftre  de  l'u- 
nivers, à la  grande  splendeur,  que  Dévl  accompagne,  il 
obtient  les  mondes  de  Mitra  et  de  Varouna.  8113 — 8114. 

» Quand  il  a passé  là  trois  nuits  dans  le  jeûne,  il  ac- 
quiert le  fruit  d’un  agnishtoma.  Qu’il' s’avance,  dompté  et 
sevré  de  nourriture,  vers  les  Nouvelles-de-la-Vierge , et 
son  âme,  sire,  gagnera  les  mondes  du  Créateur.  Quiconque 
donne  à la  jeune  fille  une  aumône,  si  petite  soit-elle,  les 


(I)  Celui,  qui  garde  le  souvenir  de  son  étal  dans  une  existence  pré- 
cédente. 


JI1 


26 


LE  MAHA-BHARATA. 


402 

rishis  aux  vœux  parfaits  ont  dit  cette  auuiône  éternelle. 
Qu’il  aille  de-là  au  tlrtha  Sans-courage,  illustre  dans  les 
trois  mondes.  8115 — 811 6. 

» 11  obtient  un  açva-médha  et  va  dans  le  monde  do 
Vishnou.  Les  hommes,  qui  consacrent  une  offrande  au 
confluent  du  Sans-courage,  vont,  tigre  des  hommes,  dans 
le  monde  de  Çakra,  exempt  de  maladies.  Là,  est  l'her- 
mitage  de  Vaçishtha,  renommé  dans  les  trois  mondes. 

» S’il  y fait  son  ablution,  il  obtiendra  un  vâdjapéya! 
Qu’il  aille  ensuite  à la  Cime-des-Dieux , fréquentée  par 
des  troupes  de  Dévarsbis.  8117 — 8118 — 8119. 

» Il  gagne  un  açva-médha  et  porte  sa  famille  à un  plus 
haut  degré  d’élévation.  Qu’il  fasse  de-là  un  pèlerinage, 
Indra  des  rois,  au  lac  de  l’anachorète,  fils  deKouçika, 

» Où  Viçvâmitra,  ce  fils,  atteignit  à la  plus  haute  per- 
fection. Qu’il  habite  là  un  mois,  héroïque  Bharalide,  sur 
la  rive  de  la  Kaâuçikt;  8120 — S12J. 

» 11  acquerra  pour  la  durée  de  ce  séjour  la  sainteté,  qui 
est  attachée  à l’açva-médha.  L’homme,  qui  demeure  au 
Grand-Lac,  le  plus  efficace  de  tous  les  tlrthas,  n’aura  pas 
les  enfers  pour  sa  récompense,  il  amassera  beaucoup  d’or. 
Le  mortel,  qui  se  dirige  vers  l’hermitage  de  Kârttikéya, 
qui  fut  l’habitation  de  ce  modèle  rfrs  héros,  obtient  un  açva- 
médha  : il  n’y  a là  aucun  doute.  S’a\  ance-t-il  ensuite  vers 
le  Cours-d’Agni,  célèbre  dans  les  trois  mondes  ; 

8122—8123—8124. 

» Qu’il  y fasse  son  ablution  et  il  obtiendra  le  fruit  d’un 
agnishtoma.  S’il  visite  leGrand-Dieu,  donateur  des  grâces, 
l’impérissable  Vishnou  et  le  lac  de  l’aïeul  suprême  des 
créatures,  non  loin  du  roi  des  montagnes,  s’il  fait  là  ses 
ahlutions,  il  recueille  un  agnishtoma.  8125 — 8120. 


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VANA-PARVA. 


403 


» De  ce  lac  du  Pitâmaha  découle,  purificateur  du  monde, 
le  ruisseau  de  Kârttikéya,  renommé  dans  les  trous 
mondes  ; 8127. 

» Où,  s'étant  baigné,  l'homme  se  reconnaît  soi-même 
ets’ écrie  : « Jesuis  au  comble  de  mes  vœux!  » Là,  quand 
il  a subi  le  jeune,  ne  prenant  delà  nourriture  que  de  trois 
en  trois  jours,  il  est  purifié  d’un  brahmanicide.  8128. 

» Que  de-là,  ô toi,  qui  sais  le  devoir,  le  pèlerin,  voué 
au  culte  des  tlrthas,  se  rende  à la  C.ime-deTauguste-Dévt, 
célèbre  dans  les  trois  mondes.  8129. 

» Monté  sur  la  montagne , 0 le  plus  vertueux  des 
hommes,  qu’il  habite  au  milieu  des  puits  de  ses  mamelles, 
et,  quand  il  se  sera  lavé  à une  source  de  ses  seins,  il  re- 
cueillera le  fruit  d’un  sacrifice  vâdjapéya.  8130. 

» S'il  y fait  ses  ablutions  et  se  complaît  à honorer  les 
Mânes  et  les  Dieux,  il  gagne  un  haya-médha  et  va  dans  le 
monde  de  Çakra.  8131. 

» Recueilli  et  voué  à la  continence,  qu’il  s’approche  de 
l’Urne-Rouge;  il  acquiert  un  açva-médha,  et  passe  dans 
le  monde  de  Brahma.  8132. 

» S'il  visite  le  puits  Nandini,  hanté  par  les  Dieux,  il  re- 
cueille alors,  monarque  des  hommes,  ce  qu'il  y a de  pur 
dans  uu  sacrifice  humain.  8133. 

» Arrivé  au  noir  confluent  de  l’Arouna  et  de  la  Kaâu- 
çikà,  qu'il  s’y  baigne,  sire,  et,  après  un  jeûne  de  trois 
jours,  il  sera  délivré  de  tous  ses  péchés!  8134. 

» L’homme,  qui  estallé  au  ttrtha  d'Ourvaçi,  ensuite  au 
lieu,  où  fut,  tu  le  sais,  l'hermitage  de  Lunus,  et  qui  a visité 
l'hermitage  de  Koumbakarna,  est  honoré  sur  la  terre. 

» Le  bramatchâri,  qui,  ferme  dans  ses  vœux,  s’est  lavé 
dans  la  source  de  la  Kokâ,  obtient,  suivant  ce  que  nous 


LE  MAHA-BBARATA. 


404 

apprennent  les  anciens,  de  conserver  le  souvenir  de  sa 
condition  dans  une  vie  précédente.  81 35 — 8136. 

» L’âme  pure  de  tous  péchés,  lebrahine  devient  sage  et 
va  dans  le  monde  de  Çakra,  si  une  seule  fois  il  s'est  ap- 
proché de  la  Nandâ.  8137. 

» Quiconque  avisité  l’Ile-du-Taureau.s’il  atouchédans 
la  Sarasvatl  l’eau  de  l'adorable  meurtrier  du  démon 
Kraàuntcha,  resplendit,  monté  sur  un  char  céleste.  8138. 

» Vient  ensuite,  grand  roi,  le  tlrtha  nommé  Aâuddâ- 
iaka,  fréquentédes  anachorètes  : s’il  y fait  son  ablution,  il 
est  purifié  de  tous  ses  péchés.  8130. 

» Se  rend-il  au  tlrtha  saint  du  Devoir,  hanté  par  les 
brahmarshis,  il  obtient  un  sacrifice  vàdjapéya  et,  monté 
sur  un  char  céleste,  il  recueille  des  hommages.  8140. 

» S’il  vient  à Tchampâ,  s'il  prend  son  eau  dans  la 
Bhâglrathl  et  s’il  visite  le  Dandârtta,  il  acquiert  le  fruit 
d’un  millier  de  vaches.  8141. 

» Qu’il  se  dirige  ensuite  vers  la  pure  Lalttikâ,  embellie 
par  la  sainteté,  il  obtient  un  râdjasoûya  et,  monté  sur  un 
char  céleste,  il  recueille  des  hommages.  8142. 

» Que  l’homme  s’approche  du  Samvédhya,  le  tlrtha 
sublime,  à l'une  des  trois  parties  du  jour;  s'il  en  touche 
l’eau,  il  acquiert  la  science  : il  n’y  a là  aucun  doute. 

n Que  de-là  il  se  rende  au  tlrtha  Couleur-de-sang,  qu’a 
créé  jadis  la  puissance  de  Brahma.  Le  pèlerin,  sire,  amas- 
sera beaucoup  d’or.  8143 — 8144. 

» Que  l’homme  porte  ensuite  ses  pas  vers  l’Eau-de-la- 
trompe.  Là,  après  un  jeûne  de  trois  nuits,  il  gagne  un  . 
açva-médha;  c’est  la  règle  établie  par  le  Créateur 
même.  8145. 

» A l’embouchure  de  la  Gangâ  dans  la  mer,  Indra  des 


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VANA-PARVA. 


405 


rois,  l’açva-médha  obtenu  en  vaut  dix,  nous  ont  appris 
4s  sages.  8146. 

» Mais  le  mortel,  qui  se  baigne  sur  la  rive  opposée  de 
la  Gangà,  est  purifié,  sire,  de  tous  ses  péchés,  après 
qu’il  a jeûné  trois  jours.  8147. 

» Que  de-Ià  il  s’en  aille  à la  Vatarani,  délivrance  de 
toutes  les  fautes  : arrivé  à ce  tlrtha  limpide,  il  brille 
comme  l’astre  des  nuits.  8148. 

» L’homme  étend  sa  famille  pure,  il  efface  tous  ses  pé- 
chés, il  acquiert  le  fruit  de  mille  vaches  et  purifie  sa  li- 
gnée. 8149. 

» Dompté,  pur,  quand  il  a rassasié  d’offrandes  les 
Mânes  et  les  Dieux,  au  confluent  du  Çona  et  de  la  Djyoti- 
rathyâ,  il  obtiendra  le  fruit  d’un  agnishtoma.  8150. 

» Se  baigne-t-il  à la  source  du  Çona  et  de  la  Narmadâ, 
rejeton  de  Kourou,  noble  scion  de  ta  race,  il  recueille  le 
fruit  d’un  açva-médha.  8151. 

» Le  pèlerin  s’avance-t-il  vers  le  tlrtha  nommé  le  Tau- 
reau, dans  la  Koçalà,  il  gagne,  monarque  des  hommes,  un 
vàdjapéya  à la  suite  d’un  jeûne,  qui  a duré  trois  jours,  le 
fruit  de  mille  vaches  et  l’élévation  de  sa  famille.  Qu’il 
s'approche  dans  la  Koçalà  du  tlrtha  de  la  Mort,  il  recevra 
pour  sa  récompense  onze  taureaux  : il  n’y  a là  aucun 
doute.  L’homme,  qui,  ayant  jeûné  trois  nuits,  se  lavera 
dans  la  Poushpavatl,  obtiendra  avec  le  fruit  de  mille  va- 
ches la  purification  de  sa  famille.  Qu'il  se  baigne  ensuite, 
ô le  plus  vertueux  des  Bharatides,  dans  le  tlrtha  de  la 
Vadarikâ.  8152—8153—8154—8155. 

» 11  reçoit  une  longue  vie  et  s'élève  dans  le  monde  du 
Swarga.  Qu’il  aille  puiser  l’eau  dans  la  Bhàgirathl  sous  les 
murs  de  Tchampâ,  et  qu’il  fasse  une  visite  au  lieu  nommé 


LE  MABA-BHARATA. 


406 

le  Châtiment,  il  recueille  le  fruit' de  mille  vaches.  Si  de-là 
il  se  rend  à la  Lapétikâ,  place  sainte,  embellie  d'hommes 
saints,  il  reçoit  un  vâdjapéya  et  les  honneurs  de  tous  les 
Dieux.  Qu'il  se  dirige  ensuite  vers  le  Grand- Indra,  qui  fut 
habité  par  le  fils  de  Djamadagni.  8156 — 8157—  81 58. 

u Quiconque  se  baigne  dans  ce  tîrtha  de  Ràma  obiient 
le  fruit  d‘un  açva-médha.  Là  est  encore,  fils  de  kourou, 
le  Kédàra,  qui  s’enorgueillit  de  Matanga.  8159. 

» L’homme  qui  s’y  plonge,  ô le  plus  vertueux  dcsKou- 
rouides,  recevra  le  fruit  de  mille  vaches.  Qu’il  porte  de-là 
ses  pas  vers  la  montagne  de  Ç.rl,  et  qu’il  se  baigne  au  bord 
de  sa  rivière.  8160. 

» Quand  il  a honoré  le  Dieu,  qui  arbore  le  taureau,  un 
açva-médha  est  sa  récompense.  C'est  là,  sur  la  montagne 
de  Çrl,  qu'habite  avec  DévI  le  Grand-Dieu  à la  grande 
splendeur,  et  Brahma,  plein  d’une  joie  suprême,  avec  les 
Tridaças.  Là,  quand  l'homme  pur  s’est  baigné  d’une  âme 
dévote  dans  le  Lac-des-Dieux,  il  obtient  un  açva-médha  et 
s'élève  à la  plus  haute  perfection.  Va-t-il  à la  montagnp 
Rishabba  (1),  ce  Risbabha  honoré  par  les  Dieux, 

8161—8162—8163. 

a II  recueille  le  mérite  d’un  sacrifice  vâdjapéya  et  se 
réjouit  sur  la  voûte  du  ciel.  Que  de-là  il  se  dirige  vers  la 
rivière  Ràvért,  environnée  par  des  troupes  d'Apsaras. 

» Quiconque  s’y  baigne,  sire,  obtient  le  fruit  de  initie 
vaches.  Qu’il  se  baigne  ensuite  sur  le  rivage  delà  mer  dans 
le  tîrtha  des  Jeunes-filles.  8165. 

» Là,  quand  il  s'est  plongé,  Indra  des  rois,  il  est  pu- 
rifié de  tous  ses  péchés.  De-là,  il  doit  aller  au  Gokarna , 

(4)  Le  taureau. 


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VANA-PARVA. 


407 


renommé  dans  les  trois  mondes,  situé  au  milieu  de  la  mer 
et  qui  reçoit  les  hommages  de  tout  l’univers.  C’est  là  que 
Brahma  et  les  autres  Dieux,  les  Rishis,  opulents  de  péni- 
tence, les  Bhoûtas,  les  Yakshas,  les  Piçâtchas  et  les  Kin- 
naras,  les  grands  Serpents,  les  Siddhas,  les  Tchâranas, 
les  Gandharvas,  les  enfants  de  Manou  et  les  Pannagas, 
les  fleuves , les  mers  et  les  montagnes  ont  servi  l’époux 
d'Oumâ.  Là,  après  qu'il  a jeûné  trois  jours  et  adoré  Içana, 
l'homme  obtient  un  açva-médha  et  reçoit  l'empire  sur  les 
Ganas.  S’il  habite  là  douze  jours,  son  âme  sera  purifiée. 

8166—8167—8168—8169—8170. 

» Vient  ensuite  la  Place-de-la-Gàyatri,  honorée  dans 
les  trois  mondes,  où  trois  jours  de  jeûne  lui  mériteront  le 
fruit  d’un  millier  de  vaches.  8171. 

» Un  exemple,  monarque  des  hommes,  qui  est  sous 
les  yeux  des  brahmes  : l’homme,  qui,  dégradé  par  sa 
naissance,  récite  la  GâyalrL  son  chant  et  son  hymne 
aboutissent  à l’effet  désiré;  mais  ils  sont  vains,  si,  n’étant 
pas  brahme,  il  récite  la  Sâvitrî.  8172 — 8173. 

» Arrivé  près  du  lac  inaccessible  du  brahmarshi  Sam- 
bartta,  il  participe  à la  beauté  et  renaît  avec  des  formes 
charmantes.  8174. 

» Si  de-là  il  passe  à la  Vénà  et  s’il  y jeûne  trois  jours, 
l’homme  obtient  un  char  céleste,  attelé  de  paons  et  de 
cygnes.  8175. 

» Parvenu  à la  Godàvart  aux  grasses  prairies  de 
vaches,  aux  rives  toujours  habitées  par  les  Siddhas,  il  entre 
dans  le  monde  sublime  de  Vâsoulti.  8170. 

» S’il  se  baigne  au  confluent  de  la  Vénà,  il  reçoit  le 
fruit  d’un  açva-médha;  s’il  se  baigne  au  confluent  de  la 
Varadà,  il  reçoit  le  fruit  de  mille  vaches.  8177. 


408 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Arrivé  à la  Plate-de-Brahma,  quand  il  a jeûné  là  trois 
nuits,  un  millier  de  vaches  devient  sa  récompense  et  il  va 
dans  le  monde  du  Swarga.  8178. 

» Qu'il  aille,  continent  et  recueilli,  à l’inondation-des- 
Kouças,  qu’il  y jeûne  trois  jours  et  s’y  plonge,  il  obtien- 
dra le  fruit  d’un  açva-médha.  8179. 

» Ensuite  dans  la  forêt,  où  stagne  le  Lac-des-Dieux  et 
jaillit  l’eau  delà  noire Vénà,  qu’il  se  baigne  dans  le  lac  de 
laConnaissance-d’un-état-antérieur-à-cette-vie,  et  l’homme 
se  rappèlera  sa  condition  dans  une  précédente  existence. 

» Son  arrivée  seule  dans  ce  lieu,  où  le  roi  des  Dieux  a 
mérité,  par  cent  sacrifices  célébrés,  de  monter  au  ciel, 
attire  sur  lui,  Bharatide,  le  fruit  d’un  agnishtoma. 

8180—8181. 

» Que  de-là,  il  aille  se  plonger  dans  le  Lac-de-Sarv.i  et 
il  obtiendra  un  millier  de  vaches.  Qu’il  porte  ensuite  ses 
pas  vers  le  lac  très-pur,  dérivé  de  la  Payoshnt,  la  plus 
sainte  des  rivières.  8182. 

» S'il  trouve  son  plaisir  dans  le  culte  des  Dieux  et  des 
Pitris,  il  gagnera  le  fruit  d’un  millier  de  vaches.  Qu’il  se 
rende  à la  sainte  forêt  Dandaka,  sire,  et  qu’il  y touche 
l’eau.  8183. 

u A peine  lavé,  Bharatide,  il  recueille  un  fruit  de  mille 
vaches.  S’il  fait  un  pèlerinage  à l’hermilage  de  Çara- 
bhanga  et  du  magnanime  Çouka,  les  enfers  ne  sont  pas 
sa  récompense,  mais  il  purifie  sa  famille.  Que  de-là  il  se 
rende  à Çoûrpàraka,  qui  fut  habité  par  le  fils  de  Djama- 
dagni.  8184 — 8185. 

» Beaucoup  d’or  sera  le  partage  de  l’homme,  qui  s’est 
plongé  dans  ce  tlrlha  de  Ràma.  Celui,  qui,  soumis  au 
jeûne  et  d’une  àme  dévote,  s’est  baigné  dans  le  Sapla- 


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VANA-PARVA. 


AO0 


godàvara,  acquiert  une  grande  pureté  et  va  dans  le  monde 
des  Dieux.  Le  pèlerin,  qui,  se  refusant  la  nourriture,  va 
d'une  âme  dévote  à la  Route-des-Dieux,  obtient  ce  qu’il  y 
a de  pur  dans  un  sacrifice  des  Dieux.  Continent  et  les 
sens  domptés , s'il  vient  au  Bois-des-Rotleries,  où  jadis, 
au  temps  que  les  Védas  étaient  perdus,  le  savant  rishi, 
fils  de  l’anachorète  Angiras,  bien  assis  à son  aise  sur  les 
habits  supérieurs  des  rishis,  fit  lire  les  Védas  ; et  toutes 
les  matières,  dont  il  était  auparavant  traité  dans  ces  livres, 
de  reparaître  aux  yeux,  quand  il  eut  articulé  selon  la  foi  et 
suivant  la  convenance  la  syllabe  mystique  Aum  (1)  ! C’est 
là  que  les  rishis  et  les  Dieux,  Varouna,  Agni,  le  Créateur, 
Hari-Nàràyana  et  le  Grand-Dieu  lui-même , l’adorable 
Pitâmaha  à l’éclatante  splendeur  avec  les  Dieux  choisirent 
Bhrigou  aux  clartés  flamboyantes  pour  la  conduite  d’un 
sacrilice.  Le  révérend  lit  alors  conformément  aux  règles, 
pour  tous  les  rishis,  le  renouvellement  du  feu  consacré 
suivant  la  manière  enseignée  par  le  rituel  ; et , quand  il  eut 
rassasié  Agni  selon  les  imbriques  avec  une  part  de  beurre 
clarifié,  les  Dieux  et  les  saints  par  ordre  de  reprendre  le 
chemin,  qui  menait  à leur  habitation. 

» Homme  ou  femme,  ô le  plus  vertueux  des  rois,  qui- 
conque est  entré  dans  cette  forêt,  tous  ses  péchés  sont 
entièrement  effacés.  Qu’il  habite  là  un  mois,  sage,  les  sens 
enchaînés,  soumis  au  jeûne.  (De  In  stance  8186  à la 
stance  8197. 

» 11  ira  dans  le  monde  de  Brahma,  sire,  et  portera  sa 


(1)  Ici,  dans  l'édition  de  Calcutta  est  une  partie  initiale  de  mot,  enlevée 
par  le  rouleau  et  qu*  les  imprime’!-*  ont  voulu  réparer  d'uue  main 
inexpérimentée.  Je  suppose  qu'il  devait  y avoir  l«  : nAumkâréna. 


A 10 


LE  MAHA-BHARATA. 


famille  à un  degré  supérieur  d’élévation.  S’approche-t-il 
du  Médhàvika,  qu’il  rassasie  d'offrandes  les  Mânes  et  les 
Dieux.  8197. 

» 11  obtient  un  agnishtoma  et  reçoit  le  don  de  la  mé- 
moire et  de  l’intelligence.  Là  est  la  montagne,  nommée 
Kàlandjara,  célèbre  dans  le  monde.  8198. 

» Se  baigne-t-il  dans  le  Lac-des-Dieux,  il  obtient  le  fruit 
de  mille  vaches.  Que  l'homme,  qui  s'est  plongé  là,  sire, 
mortifie  sa  chair  sur  le  mont  Kàlandjara,  il  est  exalté 
dans  le  monde  du  Swarga  : il  n'y  a là  aucun  doute.  Qu’il 
s’approche  ensuite,  monarque,  de  la  Mandakinl,  qui  purifie 
de  tous  les  péchés,  sur  le  Tchitrakouta,  la  plus  belle  des 
plus  grandes  montagnes;  s’il  y fait  son  ablution,  trouvant 
son  plaisir  à honorer  les  Mânes  et  les  Dieux,  il  gagne  un 
açva-médha  et  passe  dans  la  voie  suprême.  Que  de-là  il 
se  rende  à la  très-haute  Place-du-Seigneur,  ô toi,  qui  sais 
le  devoir,  ce  lieu,  dont  n’est  jamais  éloigné,  sire,  Gouha, 
le  général  de  l'armée  céleste.  Arrivé  là,  A le  meilleur  des 
rois,  sa  venue  seule  est  un  heureux  succès. 

» L'homme,  qui  se  baigne  dans  le  tîrtha  Koti,  obtien- 
dra le  fruit  de  mille  vaches.  Que  de-là,  tournant  au 
midi,  le  pèlerin  se  dirige  vers  la  Place -de-1' aîné- des- 
D eux.  8199— 8200— 8201— 8202— 8203.  —820 A. 

» Parvenu  auprès  de  Mahàdéva,  il  brille  comme  l’astre 
des  nuits.  Là,  réunies  dans  un  puits,  Indra  des  rois,  ha- 
bitent les  quatre  illustres  mers.  L’homme,  qui  s’v  baigne, 
qui  aime  à honorer  les  Mânes  et  les  Dieux,  qui  a soumis 
son  âme,  entrera  pur  dans  la  voie  suprême.  Que  le  pèlerin 
aille  ensuite,  roi  des  rois,  à la  grande  ville  de  f.ringavéra, 

8205—8200—8207. 

>,  Où  Kàma,  le  fils  de  Daçaratha,  jadis  a traversé  la 


VANA-PARVA. 


Ail 


mer.  Qui  se  baigne  dans  ce  ttrtha,  grand  monarque  aux 
longs  bras,  est  libéré  de  ses  péchés.  8203. 

» Mais  l'homme  continent  et  recueilli,  qui  s’est  plongé 
dans  la  Gangâ,  est  purifié  de  ses  souillures  et  gagne  le 
prix  d’un  vàdjapéya.  8200. 

» Que  de-là  il  se  rende  au  Cordon-de-moundja,  place 
chère  au  Dieu  sage.  Une  fois  qu’il  s’est  approché  de 
Mahàdéva,  qu'il  s’est  incliné  devant  lui  et  l’a  honoré  d'un 
pradakshina,  il  acquiert  l'empire  sur  les  Ganas.  Dès  qu’il 
s’est  baigné  dans  ce  tirtha  de  la  fille  de  Jahnou,  il  est  af- 
franchi de  ses  péchés.  8210 — 8211. 

» Qu'il  aille  ensuite,  Indra  des  rois,  au  Prayâga,  célé- 
bré par  les  rishis,  où  sont  réunis  Brahma  et  les  autres 
Dieux,  les  plages  célestes  et  les  Immortels,  qui  président 
à ces  plages,  8212. 

» Les  gardiens  du  monde,  les  Sàdhvas,  les  Pitris,  bien 
estimés  du  monde,  les  rishis  du  plus  haut  degré,  ayant  à 
leur  tète  Sanalkoumàra,  8213. 

» Et  les  purs  Brahmarshis,  venant  sur  les  pas  d’An- 
giras,  et  les  Nàgas,  et  les  Souparnas,  et  les  Siddhas,  et 
les  Tchakratcharas,  8214. 

» Les  fleuves,  les  mers,  les  Gandharvas,  les  Apsaras 
mêmes,  et  l’adorable  Hari,  qui  se  tient  dans  le  premier 
rang,  que  lui  cède  le  père  des  créatures.  8215. 

» Là,  sont  les  trois  fosses  consacrées  du  feu,  au  milieu 
desquelles  est  la  fille  de  Jahnou,  vaincue  en  vitesse  et 
mise  à la  première  place  de  tous  les  tirthas.  8216. 

» C'est  là  que  la  Déesse,  fille  du  soleil,  renommée  dans 
les  trois  mondes,  l'Yamounà,  la  purificatrice  du  munde, 
s e réunit  avec  la  Gangâ.  821 7. 

» Le  Prayâga,  situé  an  milieu  de  l'Yaniounâ  et  du 


412 


LE  MAHA-BHARATA. 


Gange,  est  cité  comme  la  matrice  de  la  terre;  le  Prayàga, 
disent  les  rishis,  tient  la  place  de  la  matrice.  8218. 

» Le  Prayàga  avec  sou  territoire,  c'est  Kambala  et  Aç- 
vatara;  ce  ;lrtha  et  Bhogavati,  c’est  l’autel  du  créateur  de 
tous  les  êtres.  8219. 

u Là,  Youddhislithira,  les  Védas,  les  sacrifices  revêtus 
d’un  corps,  et  les  rishis  opulents  de  pénitence  servent  le 
Pradjapàti.  8220. 

» Les  Dieux  et  les  rois,  qui  tiennent  le  tchakra,  hono- 
rent ce  Dieu  par  des  sacrifices.  On  dit,  seigneur,  que  le 
Prayàga  est  supérieur  à tous  les  lirtbas  : c’est,  assuré- 
ment, Bharat'de,  ce  qu’il  y a de  plus  saint  dans  les  trois 
mondes.  L'homme  est  affranchi  de  ses  péchés,  parce  qu’il 
est  venu  seulement  à ce  tîrlha,  parce  qu'il  en  a fait  l’éloge, 
parce  qu’il  en  a touché  simplement  la  terre.  Quiconque 
fera  ses  ablutions  dans  ce  confluent,  renommé  dans  le 
monde,  8221 — 8222 — 8223, 

» Il  recueille  entièrement  le  prix  d’un  açva-médha  et 
d’un  râdjasoûya  : tant  est  sainte  la  terre  de  sacrifices, 
honorée  des  Dieux.  8224. 

» Là,  Bharatide,  la  moindre  chose  donnée  est  grande. 
Ni  d’après  la  parole  du  Véda,  mon  fils,  ni  même  d’après 
la  parole  du  monde,  tu  ne  dois  pas  .abandonner  l'opinion 
sur  la  mort  dans  le  Prayàga.  Il  existe  soixante  millions  et 
dix  mille  autres  tîrthas,  8225 — 8226. 

» Desquels,  on  pourrait  ici,  rejeton  de  Kourou,  vanter 
la  proximité.  Quiconque  se  baigne  au  confluent  du  Gange 
et  de  l’Yamounà  acquiert  ce  qu'il  y a de  pur  dans  les  quatre 
Védas,  ce  qu’il  y a de  pur  dans  les  hommes  véridiques. 
Vient  ensuite  le  llrtha  sublime  de  Vàsouki.  nommé  Bho- 
gavatl  : 8227—8228. 





VANA-PARVA. 


Alâ 

• Qui  s’y  baigne  obtiendra  le  fruit  d’un  açva-médha. 
Après  lui,  se  présente  dans  la  Gangâ  la  Descente-des- 
Gygnes,  tlrtha,  renommé  dans  les  trois  mondes  et  qui 
vaut,  fils  de  Kourou,  dix  açva-médhas.  Le  Gange,  dans 
les  parties  où  fou  se  plonge,  est  l’équipollent  du  Kourou- 
kshétra. 8229—8230. 

» L’excellence  est  dans  le  kanakhala  ; le  Prayâga  tient 
un  rang  très-distingué.  Là,  où  l’on  a cent  aflàires,  un 
bain  dans  la  Gangà  les  termine.  8231. 

» L’homme,  qui  boit  les  eaux  du  Gange,  consume  toutes 
ses  affaires,  comme  le  feu  consume  le  bois.  Tout  était  pur 
dans  l’âge  Krita  ; c’est  dans  la  période  Trétâ,  qu’on  a parlé 
du  Poushkara.  8232. 

» Le  Kouroukshétra  fut  en  estimedans  le  cycle  Dwâpara, 
et  la  Gangà  fut  en  vogue  dans  l'âge  kali.  il  faut  cultiver 
la  pénitence  dans  le  Poushkara,  donner  l'aumône  dans 
le  Mahâlaya,  8233. 

» Monter  sur  un  bûcher  dans  le  Malaya;  mais  on  ne 
peut  se  détruire  sur  la  montagne  de  Bhrigou.  Quiconque 
s’est  baigné  dans  le  Poushkara,  le  kouroukshétra,  la 
Gangà  et  chez  les  Magadhains,  sauve  sept  générations 
avant  et  sept  générations  après  lui.  Racontée,  cette  his- 
toire efface  les  péchés;  vue  des  yeux,  elle  donne  le  bon- 
heur. 8234-8235. 

» Le  pèlerin,  qui  s’est  plongé  et  qui  a bu  dans  un  tlr- 
tha, purilie  sa  famille  jusqu'à  la  septième  génération.  Au- 
tant que  l’eau  du  Gange  pénètre  l'homme  jusqu’aux  os, 
autant,  sire,  il  est  exalté  dans  le  monde  du  Swarga. 
Gomme  les  tlrthas  sont  purs  et  comme  purs  sont  les  autels, 
l’homme,  qui  a jeûné  et  qui  a gagné  la  sainteté,  participe 
au  monde  des  Immorte':..  11  n’est  pas  un  tlrtha  égal  au 


414  LE  M VHA-BHAK4T\. 

Gange;  il  n'est  pas  un  Dieu,  plus  grand  que  Kéçava. 

» 11  n’est  rien  de  plu9  grand  que  les  brahmes  ; ces  pa- 
roles sont  du  père  des  créatures.  La  contrée,  où  le  Gange 
roule  ses  eaux,  sache,  grand  roi,  que  c’est  la  forêt  de  pé- 
nitence, que  ce  sont  les  champs  de  la  perfection.  Aller  sur 
les  rives  de  la  Gangâ,  c’est  la  vérité  des  brahmes  et  du 
fils  des  sages.  8230 — 8237— 8238— 8239— 8240. 

» Qu’il  murmure  à l’oreille  de  ses  amis  et  d’un  disciple, 
qui  le  suit  : « C.’est  riche!  c’est  pur!  c’est  divin  et  in- 
comparable! 8241. 

» C est  saint!  C’est  délicieux,  légitime,  purificateur  et 
sublime!  C’est  le  secret  des  maharshis,  qui  cfTace  tous  les 
péchés.  » 8242. 

•.  L’homme  pur,  qui  lit  au  milieu  des  brahmes  ce  récit 
de  la  foule  des  tirthas,  qui  produit  l’intelligence,  qui  dé- 
truit les  ennemis,  élevé,  prospère,  saint,  paradisiaque  et 
fortuné,  obtiendra  le  monde  du  Swarga.  S’il  n’a  pas  d’en- 
fants, il  recevra  des  enfants;  s’il  est  pauvre,  il  amassera 
des  richesses  ! 8243 — S244. 

» Le  kshatrya  conquerra  la  terre,  le  vatçya  gagnera 
de  la  fortune,  le  çoùdra  verra  se  réaliser  les  objets  de  ses 
désirs,  et  le  brahme,  qui  en  fait  sa  lecture,  aura  une 
heureuse  traversée  du  monde.  8245. 

» L’homme,  qui  prête  sans  cesse  une  oreille  pure  à la 
sainteté  des  tirthas,  se  rappelle  beaucoup  de  ses  nais- 
sances antfrieure»,  et  goule  le  bonheur  sur  la  voûte  du 
ciel.  8240. 

» Je  t’ai  raconté  les  tirthas,  où  l’on  peut  aller.  Que 
l’homme  aille  mentalement  à ceux,  où  il  est  impossible 
d’atteindre,  par  le  désir  de  visiter  entièrement  les  tirthas, 

» lies  bains  fréquentés  par  des  Vasous  avec  leurs  moi- 


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VANA-PARVA. 


AJ  5 


liés,  (les  Adityas,  des  Marmites,  les  Açwins  et  des  riehis, 
pareils  aux  Dieux  et  qui  ont  l’amour  des  bonnes  œuvres. 

82A7 — 8248. 

» Va  de  cette  manière  à ces  tlrthas,  rejeton  de  Kourou, 
ferme  dans  tes  vœux;  vas  ainsi  d'une  àuie  dévote,  ajou- 
tant à la  sainteté  par  ta  sainteté  même.  824f>. 

» Ces  tlrthas  sont  obtenus  par  des  hommes  vertueux, 
qyi  ont  la  vue  des  Çâstras,  d'après  la  contemplation  des 
Védas  et  la  croyance  à une  vie  future  suivant  des  raisons 
inspiréos.  8250. 

» Un  homme,  qui  n’a  point  fait  de  vœux,  ou  de  qui 
l'àme  n'est  pas  domptée,  rejeton  de  Kourou,  ou  qui  est 
impur,  oa  qui  est  un  voleur,  ou  de  qui  la  pensée  est 
tortueuse,  ne  se  baigne  jamais  dans  ces  tlrthas.  8251. 

» Mais  toujours  ton  père,  ton  aïeul  et  tes  ancêtres,  les 
Dieux  à la  suite  du  Pitàmaha  et  les  chœurs  des  rishis  ont 
tous  été  satisfaits,  ô toi,  qui  sais  le  devoir,  sire,  par  ton 
devoir,  ta  conduite  vertueuse  et  ta  vue  sans  cesse  at- 
tachée aux  choses  du  devoir.  8252 — 8253. 

» Tu  obtiendras  les  mondes  des  Vasous,  ô toi,  qui  res- 
sembles à Indra  ; tu  obtiendras  une  gloire  vaste,  lllilshma, 
immortelle  sur  la  terre.  « 825â. 

u A ces  mots,  ayant  pris  congé  de  lui,  Poulastya,  le 
vénérable  rishi,  satisfait  et  d'une  âme  joyeuse,  disparut  au 
même  instant.  8255. 

» Bhishma,  à la  vue  duquel  ne  pouvait  échapper  le 
sens  de  la  vérité  des  Çâstras,  se  mit  alors,  tigre  de  Kou- 
rou, à parcourir  la  terre  sur  la  parole  de  Poulastya.  8256. 

» Telle  est  ainsi  ta  vertu  de  ce  pèlerinage  excellent, 
très-saint,  qui  efl'ace  tous  les  péchés  et  se  tient  dans  la 
gloire.  8257. 


416 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Quiconque  de  cette  manière  parcourra  la  terre,  goû- 
tera, après  cette  vie,  le  fruit  sublime  de  cent  açva-mè- 
dhas.  8258. 

» Tu  obtiendras  huit  fois  ce  prix  sublime  du  devoir, 
fds  de  Prithà,  comme  jadis  il  fut  accordé  à Bhlshma,  le 
plus  grand  des  Kourouides.  8259. 

» Tu  seras  le  guide  des  rishis,  et  c’est  pourquoi  ce 
fruit  te  sera  donné  huit  fois.  Des  troupes  de  Rakshasas  sont 
répandues,  Bharatide,  autour  de  ces  tlrihas,  et  aucun  roi 
des  hommes,  si  ce  n’est  toi,  rejeton  de  Kourou,  n’ose  les 
visiter. 

» Quiconque  lira  cette  histoire  des  Dévarshis,  qui  rem- 
plissent tous  les  tirthas,  sera  purifié  de  tous  ses  péchés.  Va 
donc  là  où  sans  cesse  les  principaux  des  rishis,  Vâlmlki  et 
Kaçyapa,  8260-  8201—8262. 

» Koundajathara,  le  fils  d’Atri,  Viçvâmitra  et  Gaâu- 
tama,  Asita-Dévala,  Màrkandéya  et  Gâlava,  8263. 

» Bharadwâdja  et  le  solitaire  Vaçishtha,  Ouddâlaka, 
Çaàunaka  avec  son  fils,  et  Vyâsa,  le  pluS  grand  des 
ascètes,  8264. 

» Dourvâsas,  le  plus  vertueux  des  anachorètes,  DjA- 
vftli  aux  terribles  macérations  ; va  où  ces  plus  grands  des 
saints,  tous  riches  de  pénitences,  sont  dans  l’attente  de  toi. 

» Va  donc  avec  eux,  grand  roi  ; suis-les  à cestîrthasl 
Voici  le  maharshi,  nommé  I.ouiaça,  à la  splendeur  infinie, 
qui  t’accompagnera  : suis-les,  Indra  des  rois!  Viens,  û 
toi,  qui  sais  le  devoir,  à ces  tirthas,  suivant  l’ordre,  avec 
uioi-inôme.  8265 — 8266. 

» Tu  obtiendras  une  grande  gloire  comme  le  roi  Mahà- 
bhisha,  comme  le  vertueux  Yayâti,  comme  le  roi  Pourofl- 
ravas.  8267. 


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VANA-PARVA. 


617 


» Tel  que  le  roi  Bhagîratha,  tel  que  le  fameux  Ràma," 
ainsi,  tigre  des  rois,  tu  brilles  par  ta  vertu  ! 82(58. 

» Tu  resplendis  sur  tous  les  rois,  comme  l’astre  radieux, 
tel  que  Manou,  tel  qu'Ikshwâkou,  tel  que  Pourou  à la 
vaste  renommée.  8269. 

» Tu  es  cité  dans  le  monde,  auguste  roi,  autant  que 
Vatnya  lui-même  ! Tel  que  le  meurtrier  de  Vritra,  le  mo- 
narque des  Dieux,  libre  d’inquiétudes,  conserva  jadis  las 
trois  mondes,  après  qu’il  eut  consumé  tous  ses  ennemis; 
de  même  conserve  tes  sujets,  après  que  tu  auras  accompli, 
toi  ! la  destruction  de  tes  rivaux  ! 8270 — 8271. 

• Maître  de  la  terre,  conquise  par  ta  justice,  Dieu  aux 
yeux  de  lotus  bleu,  tu  iras,  par  ta  vertu  à la  renommée, 
comme  Arjouna-Kârttavirya  ! » 8272. 

« Quand  il  eut  ainsi  relevé  le  courage  du  roi,  Nàrada, 
le  vénérable  saint,  prit  congé  de  lui,  grand  roi,  et  dispa- 
rut au  même  instant.  » 8273. 

Le  vertueux  Youddhishthira  pensa  lui-même  à cette 
allaire  et  annonça  aux  rishis  son  pèlerinage  pieux  aux 
llrthas.  8276. 

Connaissant  l'opinion  de  ses  frères  et  du  sage  Nàrada, 
l’auguste  Youddhishthira  de  parler  en  ces  termes  à Dhaàu- 
mya,  égal  au  père  des  créatures  : 8275. 

(■  C’est  moi,  qui  ai  envoyé  loin  d’ici  pour  avoir  des 
armes  Djishnou,  le  tigre  des  hommes,  aux  longs  bras,  au 
courage  infaillible,  à l'Ame  sans  mesure  1 8276. 

h Ce  héros  m’est  dévoué,  il  est  capable,  il  est  très- 
habile  dans  les  armes,  à l’égal  même,  homme  riche  en 
pénitences,  du  sublime  Vasoudévide.  8277. 

» Je  sais,  bralime,  autant  que  l’auguste  Vyàsa,  autant 
que  Nàrada  lui-même,  qui  toujours  m’a  donné  des  éloges, 
ni  27 


418 


LE  MAHA-BHARATA. 


je  sais,  dis-je,  que  ces  deux  hommes  aux  yeux  de  lotus 
bleu,  aux  six  bras,  le  Vasoudévide  et  Dhanandjaya,  sont 
des  héros,  vaillants  destructeurs  des  ennemis  ! 8278-8279. 

» Je  sais  aussi  que  ce  sont  les  deux  rishis  Nara  et  Nâ- 
râyana.  Arjouna  fut  éloigné  de  nous,  parce  que  j'ai  pensé  : 
« C’est  un  homme  capable.  » 8280. 

» Cet  enfant  des  Dieux,  non  inférieur  à Indra,  fut  en- 
voyé au  loin  par  moi.  11  verra  Çakra,  le  monarque  des 
Souras,  et  recevra  d’Indra  ses  armes.  8281. 

» Bhlshma  et  Drona  sont  deux  héros,  Karna  est  diffi- 
cile à vaincre,  avec  le  fils  de  Drona  : voilà  quatre  vaillants 
guerriers,  couverts  dans  les  combats  par  le  fils  de  Dhrita- 
râshtra.  8282. 

» Tous  sont  des  héros,  tous  savent  le  Véda,  tous  sont 
habiles  en  toutes  les  armes,  tons  ont  une  grande  force 
dans  la  guerre  et  brûlent  continuellement  de  combattre 
avec  le  fils  de  Prithâ.  8283. 

» Karna,  le  héros,  fils  du  Soleil,  connaît  les  astras  di- 
vins; la  fougue  de  ses  armes  a la  force  du  vent,  ses 
(lèches  ont  l’éclat  du  soleil  et  son  char  imite  le  bruit  de  la 
foudre.  8284. 

» La  chûte  de  ses  armes,  qu’enveloppe  la  fumée  de  la 
passion,  soulevée  par  le  Dhritarâslitride,  est  comme  le 
grand  feu,  créé  par  la  mort  à la  fin  d'un  youga.  8285. 

» Il  consumera  mon  armée  comme  une  forêt  de  bois 
sec,  il  n'y  a là  aucun  doute.  Mais  ce  grand  feu  des  astras 
divins,  excité  par  le  vent  de  Krishna,  mais  Gàndlva  ir- 
rité, l’arme  manifeste  d’Indra,  mais  ce  nuage  élevé  d’ Ar- 
jouna, autour  duquel  voltigent  les  grues  de  Swétavâdji  (1), 


(!)  Un  nom  tle  la  lune  et  d'Arjouna. 


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V VNA-PARVA. 


419 

éteindrait  dans  la  guerre  avec  le  tranchant  de  ses  flèches 
le  feu  le  plus  embrasé  de  Karna!  Le  conquérant  des  cités 
ennemies,  Bibhatsou,  recevra,  en  vérité!  de  Çakra  même  en 
personne  tous  les  aslras  divins.  C'est  assez  d'eux  tous, 
suivant  mon  sentiment.  8286 — 8287 — 8288 — 8289. 

» Nous  n’avons  pas  de  vengeance  à tirer  de  nos  enne- 
mis victorieux  dans  les  combats!  Nous  verrons  tous  le 
Pândouide,  dompteur  des  ennemis,  ayant  reçu  les  armes; 
mais  Bibhatsou  ne  s'affaissera  pas  sous  le  poids  de  ces 
armes  levées.  Sans  lui,  ce  héros,  le  plus  excellent  des 
hommes,  nous,  avec  Krishnà,  nous  marchons,  sans  faire 
aucune  attention  à ce  bois  du  kàmyaka.  Que  ta  sainteté 
veui!Ie]bien  nous  indiquer  une  autre  forêt  bonne,  pure,  fer- 
tile, délicieuse,  abondante  en  nourriture  et  habitée  par  des 
hommes  aux  œuvres  pures,  où  nous  puissions  habiter 
quelque  temps  pour  attendre  Arjouua,  ce  héros  ;ï  la  bra- 
voure infaillible,  comme  ceux,  qui  désirent  la  pluie,  at- 
tendent l 'arrivée  du  nuage.  Fais-moi  connaître,  aussi, 
brahme,  certains  hermitages  différents,  accordés  aux  deux 
fois  nés,  des  lacs,  des  rivières,  des  montagnes  charmantes  ; 
car,  sans  Arjouna,  il  ne  nous  est  plus  agréable  d’habiter 
ce  bois  du  Râmyaka  : allons  dans  un  autre  pays. 

8290— 8291 —8292— 8293— 8294— 8295— 8296. 

Dhaâumya,  l’égal  de  Vrihaspati,  voyant  tous  les  Pdn- 
douides  consumés  de  regrets  et  l'âme  consternée,  répon- 
dit, affermissant  leur  courage  abattu  : 8297. 

« Écoute  de  ma  bouche,  vertueux  Rharatide,  les  mon- 
tagnes, les  tlrthas,  les  places,  les  saints  hermitages,  ac- 
cordés aux  brahmes.  8298. 

» <)uand  tu  m’auras  entendu  le  les  dire,  tu  seras  sans 


A20 


LE  MAHA-BHÀRATA. 


chagrin,  sire,  avec  Draâupad!,  que  voici,  et  tes  frères, 
monarque  des  hommes.  8299. 

» La  seule  audition  de  ces  lieux  te  communiquera  la 
pureté  ; tu  l’obtiendras  môme  cent  ibis,  ô le  plus  grand 
des  hommes,  si  tu  les  visites  en  pèlerin.  8300. 

» Je  te  raconterai  d’abord,  autant  que  me  fournira  ma 
mémoire,  auguste  Youddhishthira,  la  délicieuse  contrée 
du  levant,  habitée  par  des  troupes  de  saints  rois.  8301. 

» Dans  cette  région  chère  aux  Dévarshis  est  le  bois 
appelé  Natmisha,  où  les  Dieux  possèdent,  chacun  en  par- 
ticulier, son  tirtha  pur.  8302. 

» Là,  coule  la  pure,  la  charmante  Gomati,  dont  les 
rives  sont  fréquentées  par  les  Dévarshis  : c’est  la  terre 
des  sacrifices  pour  les  Dieux  : là,  est  le  sacrifice  du  soleil. 

» Dans  cette  contrée  s’élève  le  saint,  le  sublime  mont 
Gaya,  honoré  par  les  ràdjarshis  : là,  stagne  le  fortuné  lac 
de  Brahma,  fréquenté  par  des  rishis  Tridaças. 

8303 — 8304. 

» Aussi , tigre  des  hommes , les  anciens  ont-ils  dit  : 
« Des  fils  nombreux,  objets  de  ses  désire,  seront  donnés  à 
l’homme,  qui  va  seul  au  Gaya,  ou  qui  sacrifie  un  açva- 
médha,  ou  qui  met  en  liberté  un  jeune  taureau  noir.  11 
sauve  dix  âmes,  qui  l’ont  précédé,  et  dix  qui  le  suivront 
par  la  naissance.  » 8303 — 8300. 

» Là,  où  les  brahmes  racontent  qu'est  né  ce  figuier 
indien,  de  qui  la  cause  cstéternelle,  là  est  la  grande  rivière 
et  la  tête  de  Gaya  ; 8307. 

» Là,  où  la  nourriture  donnée  aux  Mânes  devient  im- 
périssable. Gettc  grande  rivière  aux  ondes  pures,  seigneur, 
est  nommée  la  Phalgou.  8308. 


VANA-PARVA. 


m 


» La  Kaàuçik!  est  riche  en  racines  et  en  fruits  : c'est  là, 
éminent  Bharatide,  que  Viçvàmitra  du  trésor  de  ses  pé- 
nitences acheta  la  qualité  de  brahme.  8309. 

» Là,  où  le  Gange  est  un  fleuve  pur,  Bhagiratha  offrit 
sur  ses  rives  de  nombreux  sacrifices  aux  riches  hono- 
raires. 8310. 

» On  cite  chez  les  Pàntchàlains,  rejeton  de  Kourou,  la 
forêt  des  lotus  bleus,  où  Viçvàmitra  le  Kouçikide  fit  uu  sa- 
crifice avec  son  fils;  8311. 

» Là,  où,  à la  vue  de  la  prospérité  plus  qu’humaine 
de  Viçvàmitra,  le  vénérable  anachorète,  fils  de  Djamada- 
gni,  chanta  sa  généalogie.  8312. 

« Le  fils  de  Kouçika  but  avec  Indra  l’asclépiade  acide 
dans  le  Kanyakoubjn  ; et,  de  kshatrya,  qu’il  était,  passé 
dans  l’ordre  brahmique,  il  dit  : « Me  voici  enfin  arrivé  ! » 

» Le  confluent  du  Gange  et  de  l’Yamounà,  célèbre  dans 
le  monde,  sire,  est  sublime,  purificateur,  saint,  pur,  aimé 
des  rishis.  8313 — 8314. 

u II  y a également,  ô le  plus  excellent  des  Bharatides, 
l’endroit  nommé  Prayâga,  où  jadis  sacrifia  lui-même  le 
Pitàmaba,  l’Ame  des  êtres.  8315. 

« 11  y a,  prince,  Indra  des  rois,  l'éminent  hermitage 
d'Agastya  et  la  forêt  de  pénitence,  embellie  par  des  as- 
cètes. 8310. 

» Le  grand  Hiranyavindou  est  célèbre  sur  le  mont  kà- 
landjara,  montagne  d’Agastya,  charmante,  pure,  fortunée, 
la  plus  excellente  des  montagnes.  8317. 

» Jadis,  fils  de  Kountl,  l’auteur  des  êtres  sacrifia  lui- 
même  sur  le  Mahéndra,  la  montagne  du  magnanime  fils 
deBhrigou.  8318. 

» Il  y a le  lieu,  où  la  sainte  Bhâgirathi,  Youddhishthira, 


422 


LE  MAHA-BHARATA. 


promène  des  eaux  sanglantes;  celui,  où  l'on  trouve,  mo- 
narque des  hommes,  la  vertueuse  place,  nommée  Brahma- 
çàla,  remplie  de  péchés  rejetés  ; sa  vue  est  sainte.  11  y a 
un  lieu  purifiant  dans  le  monde,  appelé  Mangalya  ; puis, 
le  grand  et  sublime  hennitagc  du  magnanime  Matanga, 
nommé  Kédàra;  ensuite,  la  délicieuse  montagne  Koun- 
danda,  qui  abonde  en  fruits,  en  racines  et  en  eaux  ; 

8319—8320—8321. 

» Où,  le  Nishadhain  s’élant  désaltéré,  l’oude  acquit  une 
saveur  exquise,  il  y a la  charmante  forêt  des  Dieux,  em- 
bellie par  un  monde  d’ascètes.  8322. 

» 11  y a la  rivière  Bâhoudà  et  Nandà  sur  la  cime  d'une 
montagne.  Je  t'ai  raconté,  grand  roi,  les  tirthas,  les  fleu- 
ves, les  montagnes,  les  saints  autels,  que  l’on  trouve 
dans  la  région  orientale.  Écoute  de  ma  bouche  les  pieux 
tirthas,  les  fleuves,  les  montagnes,  et  les  dévêts  autels, 
qui  sont  dans  les  trois  autres  contrées. 

8323—8324—8825. 

« Ecoute,  Bharatide,  les  saints  tirthas,  qui  sont  dans  la 
région  méridionale  ; je  vais  te  les  dire  avec  étendue  et 
suivant  mon  intelligence.  8320. 

>i  Dans  cette  contrée  est,  dit-on,  la  sainte  rivière  Godâ- 
varl  : c'est  un  pays  fortuné,  avec  de  nombreux  jardins  ; 
les  eaux  y sont  en  abondance  ; des  ascètes  le  parcourent. 

» Les  deux  rivières  Venâ  et  Bhimarath!  y roulent  des 
eaux,  qui  enlèvent  la  crainte  des  péchés  : il  est  rempli  de 
volatiles  et  de  quadrupèdes,  il  est  orné  d’habitations  de 
pénitents.  8327—8328. 

» Il  y a la  rivière  du  saint  roi  Nriga  : c’est  un  tirtha 
charmant,  éminent  Bharatide,  aux  profondes  eaux,  puri- 
ficatrices, habitées  par  des  hrahmes.  8329. 


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VANA-PARVA. 


423 

» Il  y a plus  ; c’est  là  que  Màrkhandéya,  le  grand  Yogi 
à la  vaste  renommée,  entonna  le  chant  généalogique  de 
Nriga,  le  monarque  de  la  terre.  8330. 

« Indra  enivra  les  brahmes  d’asclépiade  acide,  ou  les 
rassasia  de  présents  honorifiques  en  présence  même,  dit 
la  tradition,  de  Nriga,  qui  sacrifiait  dans  la  Payoshnl  sur 
le  charmant  rivage  du  tirlha,  nommé  le  Sanglier.  Les 
ondes,  ou  portées  sur  les  plus  basses,  ou  attachées  à leur 
sol,  furent  soulevées  par  le  vent,  et  il  enleva  l’eau  de  la 
Payoshnl,  comme  on  enlève  du  Swarga  une  tache,  qui 
doit  rester  jusqu'à  la  mort.  Là  est  la  grande  et  blanche 
défense  du  Dieu  au  trident.  Le  mortel,  qui  a vu  la  sienne 
disposée  -contre  lui-même,  doit  se  rendre  à la  ville  de 
Çiva.  D'un  côté,  sont  toutes  les  rivières,  la  Gangà  et  les 
autres  avec  les  lacs  ; de  l'autre,  est  la  sainte  Payoshnl,  que 
j’estime  plus  que  les  tirthas.  11  y a le  bois  pur  et  fortuné 
de  Màthara,  qui  abonde  eu  fruits  et  en  racines,  et  les  co- 
lonnes victimaires,  ô le  plus  vertueux  des  Bharatides,  sur 
la  montagne,  où  coule  le  Varouna.  Il  y a dans  l’hermilage 
de  Kanva  les  saintes  Outtaramàrgà  et  Pravéni.  (De  la 
stance  8331  à la  stance  8337.) 

« Je  vais  te  raconter,  comme  je  l’ai  ouï  dire,  quelles 
soniles  forêts  des  pénitents.  C'est  dans  le  Çoûrpâraka,  mon 
lils,  que  le  magnanime  Djamadagni  éleva  son  autel.  8337. 

» II  y a le  charmant  tlrtha  des  Rois,  il  y a encore 
celui  de  la  Lune.  Là,  lils  de  kounti,  est  le  tlrtha  de  l’A- 
çoka,  hermitage  considérable.  8338. 

» Le  tirtha  d’Agastya  et  celui  de  Varouna  sont  chez  les 
Pàndhyas.  Les  tirthas  limpides  des  Jeunes-princesses, 
auguste  Youddhishthira,  sont  vantés  encore  chez  te  même 
peuple.  8339. 


m 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Je  vais  te  parler  de"  la  Tàmraparnl,  écoute-moi,  fils 
de  kounti.  C’est  dans  cet  hermitage,  que  le  désir  de  la 
perfection  fit  entreprendre  aux  Dieux  une  grande  péni- 
tence. 8340. 

» Le  tlrtha,  nommé  Gokarna,  célèbre  dans  les  trois 
mondes,  a des  ondes  fraîches,  des  eaux  abondantes;  il  est 
pur,  beau,  fortuné,  mon  fils.  8341. 

» Ce  lac,  riche  en  racines  et  en  fruits,  doué  d’arbres,  de 
gazon  et  d'autres  graminées,  est  au  plus  haut  point  inac- 
cessible aux  hommes  méchants.  8342. 

» Là,  est  la  montagne  dite  le  Lapis-Iazuli,  l>elle,  pros- 
père, faite  de  pierreries  ; ce  mont  saint,  semblable  aux 
nuages,  est  un  hermitage  du  disciple  d’Agastyaî  8343. 

» Cet  hermitage  d’Agastya  abonde  en  eaux,  en  racines 
et  en  fruits.  Je  te  dirai  maintenant  les  habitations  saintes, 
qui  sont  dans  le  Souràshtra.  8344. 

» Les  brahmes  vantent  ici  même,  sire,  les  hermitages, 
les  rivières,,  les  lacs  et  le  gouffre  de  la  Tchamasà.  8345. 

» Dans  la  mer,  Youddhishthira,  est  le  Prabhàsa,  tirtha 
des  Tridaças.  Là,  est  encore  le  bois  fortuué  et  fréquenté 
des  pénitents,  nommé  le  Pindàraka,  8346. 

» Et  le  grand  mont  Ouddjayanta,  qui  donne  bientôt  la 
perfection,  ('.'est  sur  lui,  avous-nous  ouï  dire,  que  le  hé- 
ros des  Dévarshis,  Nàrada  chanta  cet  antique  çloka  : 
« L’homme,  qui  a mortifié  son  corps  dans  Ouddjayanta, 
la  sainte  montagne  du  Souràshtra,  habitée  par  les  volatiles 
et  les  gazelles,  est  exalté  sur  la  voûte  des  cieux.  » Là,  est 
la  pure  Dvvàravati,  où  réside  le  meurtrier  de  Madhou. 

8347 — 8348 — 8340. 

»>  11  est  le  Dieu  antique,  descendu  sur  la  terre,  il  est  le 
Devoir  éternel.  Les  brahmes,  qui  savent  les  Védas,  les 


. Qigilk? 


VANA-PARVA. 


425 


hommes,  qui  ont  la  science  de  l’àme  universelle,  assurent 
que  le  magnanime  Krishna  est  l’éternel  Devoir.  Govinda 
est  appelé  le  plus  grand  des  purificateurs.  8350 — 8351. 

» 11  est  le  saint  des  saints,  le  fortuné  des  fortunés,  le 
Dieu  aux  yeux  de  lotus  bleu  des  trois  mondes,  le  sempi- 
ternel Dieu  des  Dieux.  8352. 

» Il  est  impérissable  et  mortel,  l'âme  dans  son  essence; 
le  suprême  seigneur,  Hari,  de  qui  l'âme  est  inconcevable 
à la  pensée,  est  ici-bas  le  meurtrier  de  Madhou  ! 8353. 

» Je  vais  te  dire  maintenant,  ajouta  l'archi-brahme,  les 
demeures  saintes  et  pures,  qui  sont  dans  la  région  occi- 
dentale, chez  les  Aventins.  8354. 

» là,  Bharatide,  est  la  Nannadâ,  limpide  rivière  de 
l’occident,  couronnée  de  fleurs,  ornée  de  fruits  et  de  ro- 
tangs, riche  en  forêts  de  priyangous  et-  de  manguiers. 

» là,  sont  des  herinitages  et  des  tlrthas,  qui  sont  ré- 
putés saints  dans  les  trois  mondes,  des  fleuves,  des  forêts, 
de  hautes  montagnes,  et  les  Dieux  avec  l’auteur  des  créa- 
tures. 8355 — 8356; 

■i  lis  viennent  toujours  en  troupes  saintes,  Bharatide,  le 
plus  vertueux  du  sang  de  Kourou,  se  baigner  avec  les 
Siddhas,  les  rishis  et  les  Tchàranas  dans  les  eaux  de  la 
Narmadà.  8357. 

» C'est  là,  suivant  la  tradition,  qu’était  la  sainte  habi- 
tation de  l’anachorète  Viçravas;  c’est  là  qu’est  né  le  sou- 
verain des  richesses , kouvéra , le  conducteur  des 
hommes.  8358. 

» Dans  cette  contrée  est  une  montagne  pure,  excellente, 
fortunée,  nommée  le  Somme t-aux-lazulis,  où  végètent  des 
arbres,  continuellement  chargés  de  fleurs  et  de  fruits  aux 
verdoyants  ombrages.  8350. 


LE  MAHA-BHARATA. 


426 

» Sur  la  cline  de  cette  montagne  est  un  lac  transparent 
aux  lotus  épanouis,  dont  les  rives,  maître  de  la  terre,  sont 
fréquentées  par  les  Dieux  et  les  Gandharvas.  8360. 

n Sur  cette  montagne  sainte,  grand  roi,  semblable  au 
Swarga,  habitée  par  des  troupes  de  Dévarshis,  on  voit  un 
grand  nombre  de  merveilles.  8361. 

» Là,  est  un  limpide  tirtha,  sire,  conquérant  des  cités 
ennemies,  la  Hradini,  rivière  du  saint  roi,  le  fleuve  pur 
de  Viçvàmitra,  8362. 

» Sur  le  rivage  duquel  s’abattit  au  milieu  des  gens  de 
bien  Yayàti,  fils  de  Nahousha,  et  d'où  il  resaisit  par  sa 
vertu  les  mondes  éternels.  8363. 

» Là,  est  un  lac  saint  avec  une  montagne  appelée  Mal- 
nàka,  abondante  en  racines  et  en  fruits.  Là,  est  encore  une 
montagne  sous  le  nom  d’Asita.  8364. 

» On  y voit  aussi,  Youddhishthira,  le  saint  hermitage 
de  Kakshaséna  ; on  y voit  aussi,  rejeton  de  Pàndou,  l’her- 
mitage,  auquel  Tchyavana  prêta  son  nom.  8365. 

» Là,  est  le  Djamboûmàrga , f hermitage  des  sages 
rishis,  peuplé  de  volatiles  et  de  gazelles,  où  les  hommes, 
seigneur,  arrivent  à la  perfection  avec  très-peu  de  péni- 
tence. Ensuite,  ô la  meilleure  des  âmes  calmées,  est  la 
pure  et  très-sainte  Guirlande-d'étendards,  que  n'aban- 
donnent jamais  les  pénitents,  et  la  porte  de  la  Gangà,  et 
un  lieu  saint,  nommé  la  Forêt-du-Siudbou,  habité  par  des 
brahmes.  8366  —8367 — 8368. 

» Après  eux  vient,  sous  le  nom  de  Poushkara,  le  saint 
lac  de  l'auteur  suprême  des  créatures,  solitude  agréable 
des  hermites  et  des  rishis  parfaits.  8369. 

» C’est  là,  ô le  plus  vertueux  des  hommes  vertueux, 
que  le  Pradjàpati  chanta  lui-même  ce  çloka  sur  les  avan- 


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VANA-PARVA. 


427 


tages,  que  l’on  trouve  dans  l’azyle  des  lacs  : 8370. 

« Lacs  saints,  en  vous  sont  lavés  les  péchés  du  sage, 
eût-il  même  l'amour  au  fond  du  cœur,  et  il  va  goûter  le 
bonheur  sur  la  voûte  du  ciel  ! » 8371. 

» A présent,  tigre  des  rois,  ajouta  l'anachorète,  je  vais 
te  dire  quels  saints  lieux  et  quels  hermitages  pieux,  on 
trouve  dans  la  contrée  septentrionale.  8372. 

» Recueille  ton  attention, seigneur,  et  écoute-les  de  ma 
bouche  : une  narration  donnée,  sire,  fait  naitre  une  foi 
brillante.  8373. 

» Là,  est  la  Sarasvati,  rivière  d’une  grande  sainteté  et 
riche  de  tlrthas;  là,  Pàndouide,  est  encore  l'Yamounâ, 
rivière  d’une  grande  rapidité.  8374. 

» Là,  est  le  beau  et  le  très-saint  tlrtha,  nommé  la  Des- 
cente-du-liguier-religieux,  où  les  brahmes,  après  qu’ils 
ont  sacrifié,  vont  se  laver  en  des  bains  dérivés  de  la 
Sarasvati.  8375. 

» La  Tête-d'Agni,  mortel  sans  péché,  est  dite  heu- 
reuse, céleste  et  sainte  au  lieu  où  cette  Divinité  sacrifia, 
Bharatide,  avec  Çamyakshépa.  8370. 

» Indra  dans  cette  occasion,  Youddhishthira,  chanta 
ce  vers,  qu’on  entend  partout  dans  ce  inonde  chanté  par 
les  brahmes  : 8377. 

« Les  feux  jadis  furent  honorés  avec  le  Dieu  sur  la  rive 
de  l’Yamounâ  ! » Dans  cette  région,  tigre  des  Kourouides, 
le  roi  illustre,  l’empereur  même  Bharata  offrit  vingt  et 
sept,  plus  huit  açva-médhas,  où  ses  présents  honorifiques 
furent  distribués  par  centaines  de  mille.  8378 — 8370. 

» Là,  est  l’hermitage  célèbre,  infiniment  pur  de  Lara- 
bhanga,  qui,  mon  fi,c,  comme  nous  l’enseigne  la  tradition, 
satisfit  les  souhaits  des  biaiimes;  6380. 


428  LE  MAHA-BHARATA. 

» La  Sarasvatl,  qui  est  toujours  honorée,  fils  de  Prithâ, 
par  les  hommes  de  bien,  où  jadis  sacrifièrent  les  rishis 
Bàlikhilivas.  8381. 

» Là  sont,  A’ouddhishthira,  la  Drishadvatl,  qu’on  appelle 
très-sainte,  le  tirtha  nommé  Nyagrodha,  celui,  qui  porte 
le  nom  de  Pur,  le  Pàntchàlain,  le  plus  vertueux  des 
hommes,  8382. 

» Et  le  Dàlbhyaghosa,  et  le  Dàlbhya,  et  l’hermitage, 
qui  est  appelé  saint,  célèbre  dans  les  trois  mondes  et 
placé  sur  la  terre,  séjour  du  magnanime  fils  de  Kounti, 
ferme  dans  ses  vœux,  à la  renommée  sans  fin,  à la  force 
sans  mesure.  11  y a l'Ondoyant  et  le  Sans-couleur,  ces 
deux  tlrthas  célèbres,  monarque  des  hommes,  qui  savent 
le  Véda,  à qui  le  Véda  est  connu,  qui  sont  versés  dans  la 
science  du  Véda,  et  qui  ont  offert,  ô le  plus  vertueux  des 
Bharatides,  les  sacrifices  principaux  et  purs. 

8383—8384—8385. 

» Jadis  les  Dieux,  accourus  avec  Indra,  avec  Varouna, 
ont  cultivé  la  pénitence  à la  colonne  vict'unaire  Sans- 
branches.  C’est  pour  cela  que  le  grand  rishi  très-saint, 
l'auguste  Djamadagni  à l’éminente  vertu,  à l’immense  re- 
nommée, y sacrifia  sous  les  purs  et  hauts  butéas  feuillus. 

8386—8387. 

» là,  se  tenaient  autour  du  plus  vertueux  des  rishis, 
tous  les  plus  grands  des  fleuves,  en  personne,  apportant 
chacun  son  eau.  S388. 

» Là,  à la  vue  de  ce  sacrifice  du  magnanime,  Viçvàva- 
sou  chanta  lui-même  alors,  grand  roi,  ces  çlokas  : 8389. 

« Les  fleuves,  venus  au  sacrifice,  que  le  magnanime 
Djamadagni  offrait  aux  Dieux , ont  rassasié  d’eau  les 
brahmes.  8390. 


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VANA-PARVA. 


à 29 


» Les  Kinnaras  montagnards  ont  parfumé  la  montagne, 
l’excellent  mont,  habité  par  les  Gandharvas,  les  Yakshas, 
les  Rakshasas  et  les  Apsaras.  » 8391, 

» Là  où,  par  sa  iougue,  Youddhishthira,  le  Gange  a 
rompu  ses  portes,  ce  lieu,  sire,  habité  par  des  troupes  de 
brahmarshis,  est  tenu  pour  saint.  8392. 

» 11  y a,  rejeton  de  Kourou,  le  Sanatkoumàra,  et  le 
tlrtha  limpide  Kanakhala,  et  la  montagne  appelée  du 
nom  de  Pourou,  où  est  venu  Pouroûravas.  8393. 

» Ensuite  est  l'hermitage  ou  la  grande  montagne,  appe- 
lée Bhrigoutounga,  où  Bhrigou  cultiva  la  pénitence  dans 
un  endroit  habité  par  des  troupes  de  brahmarshis.  8395. 

» 11  est  un  lieu,  où  se  macéra  Nàràyana,  ce  qui  est,  ce 
qui  fut  et  ce  qui  sera,  l’auguste  Vishnou,  l’étemel  et  le 
plus  grand  des  hommes.  8395. 

» L’hermitage,  appelé  saint  et  renommé  dans  les  trois 
mondes,  de  cet  être  à la  gloire  infinie,  est  situé  sur  la  rive 
de  la  pure  et  grande  Vadarî.  8396. 

» La  Gangà,  qui  jadis  roulait  une  onde  chaude,  roule 
maintenant  des  eaux  fraîches.  Le  sable  en  est  d’or,  sire, 
le  long  de  la  grande  Vadari.  8397. 

» C’est  là  que  les  rishis  accourus  et  les  Dieux  à l’émi- 
nente vertu,  aux  vastes  forces,  rendent  de  continuels 
hommages  à l'auguste  Nàràyana,  8398. 

» L’essence  pure  et  première  de  la  vie,  le  tlrtha  par 
excellence,  la  forêt  des  mortifications,  le  Dieu,  qui  mé- 
rite le  mieux  nos  honneurs,  le  Dieu  supérieur  et  le  maître 
suprême  des  êtres,  8399. 

a L’Éternel,  le  premier  créateur  et  la  source  première. 
Les  sages,  qui,  les  yeux  fixés  sur  les  Çâstras,  lui  rendent 
leurs  adorations,  n'ont  jamais  rien  à déplorer.  8500. 


4 30 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Tous  les  Dévarshis  parfaits  et  riches  de  pénitence  se 
tiennent  à l’entour  du  meurtrier  de  Madhou,  ce  Dieu  pre- 
mier et  ce  grand  Yogi.  8â01. 

» C’est  la  pureté  des  purs  : il  n’y  a là  aucun  doute  ! Je 
t’ai  raconté,  maître  de  la  terre,  les  tirthas  et  les  lieux 
saints,  qui  se  trouvent  sur  la  terre.  Ils  sont  habités  par 
des  Vasotts,  des  Siddhas,  des  Adityas,  des  Maroutes,  des 
Açwins  et  de  magnanimes  rishis,  pareils  aux  Dieux.  Va 
les  visiter,  fds  de  K’ounti,  avec  ces  brahmes  saints  : toi  et 
tes  frères,  vous  y laisserez  vos  regrets.  # 

8402 — 8403 — 8404 — 8405 — 8406. 

« Connue  Dhaàumva  achevait  de  parler,  rejeton  de  Kou- 
rou,  Lomaça,  le  rishi  à la  grande  splendeur,  arriva  dans 
ce  lieu.  8407. 

A la  vue  de  ce  personnage  éminent,  l’alné  des  Pàn- 
douides  avec  sa  cour  et  les  brahmes  se  levèrent , connue 
les  Immortels  devant  le  roi  du  ciel.  8408. 

Après  que  Dharmaràdja-Youddhishthira  l’eut  honoré 
suivant  l’étiquette,  il  l’interrogea  sur  la  cause,  de -son  ar- 
rivée et  le  motif  de  son  voyage.  8409. 

Joyeux  à cette  question  du  fils  de  Pàndou,  le  magna- 
nime d’une  voie  douce  répondit  en  souriant  aux  Pàn- 
douides  : 8410. 

« Je  parcours,  fils  de  kountî,  à mon  gré,  tous  les 
inondes  : je  suis  allé  dans  le  palais  de  Çakra  et  là  j’ai  vu 
le  monarque  des  Dieux.  8411. 

» J'ai  vu  le  héros  ambidextre,  ton  frère,  qui  partageait 
le  trûne  d'Indra  : ce  spectacle  du  fils  de  Prithâ,  comblé 
d'un  tel  honneur,  m’a  causé  un  grand  étonnement,  tigre 
de  Pàndou.  « Va,  me  dit  alors  le  maître  des  Dieux,  vers 
les  fils  de  Pàndou.  » 8412—8413. 


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VANA-PARVA. 


4SI 


» Je  suis  donc  venu  à la  bâte  dans  Je  désir  de  te  voir, 
loi  et  tes  frères  mineurs,  à ces  mots  de  Pourouhoûta  et 
du  magnanime  Prithide.  8414. 

» Je  vais  te  dire  une  chose  bien  grande,  mon  fils,  et 
qui  te  sera  agréable,  fils  de  Pândou  : écoute-la,  sire,  en 
société  de  tes  frères  et  de  Krishnà.  8415. 

» Le  fils  de  Prithà,  sire,  a obtenu  de  Roudra  ces  armes 
nompareilles,  que  tu  avais  chargé  ce  guerrier  aux  longs 
bras  d’obtenir.  8416. 

» Cette  arme  terrible,  sortie  de  l’ambroisie  et  nommée 
la  Tête-de-Brahma,  que  Roudra  avait  mérité  par  sa  péni- 
tence, est  dans  les  mains  de  l’ambidextre.  8417. 

» Ce  tonnerre  fortuné,  avec  ses  mantras,  ses  moyens  de 
l’arrêter,  sa  pénitence,  et  les  autres  divins  astras,  le  bâton 
et  le  reste,  Youddhishthira,  le  Prithide  à la  bravoure  sans 
mesure,  enfant  de  Rourou,  les  a obtenus  d’Yama,  de 
Kouvéra,  de  Varpuna  et  d’Indra.  8418 — 8419. 

» Le  fils  de  Viçvàvasou  lui  a donné,  suivant  la  conve- 
nance et  conformément  aux  règles,  le  chant,  la  science 
des  instruments  de  musique,  la  danse  et  la  politesse. 

» Après  qu’il  eut  de  cette  manière  acquis  la  science 
des  armes,  le  fils  de  Rountî  obtint  la  science  Gandhar- 
vique.  Bibhatsou,  ton  frère  mineur,  0 toi,  qui  es  l'alné, 
habite  chez  Indra  au  sein  du  plaisir.  8420 — 8421. 

» Aussi  le  roi  des  Souras  m’a-t-il  dit  cette  parole  : 
écoute-moi,  Youddhishthira  ; je  vais  te  la  répéter.  6422. 

« Ta  sainteté  ira,  sans  doute,  dans  le  monde  des 
hommes,  qu’elle  dise  là,  suivant  ma  parole,  à Youddhish- 
thira, ô le  plus  grand  des  brahmes  : 8423. 

« Ton  frère  Arjouna,  ayant  achevé  l’étude  dès  armes, 
reviendra  bientôt  vers  toi,  quand  il  aura  accompli  la 


A 32 


LE  MAHA-BHAR  ATA . 


grande  affaire  des  Dieux,  que  ne  peuvent  exécuter  les  lia- 
bitants  du  ciel.  842 A. 

» Attelez-vous,  toi  et  tes  frères,  à la  pénitence  ; en 
effet,  il  n’est  rien  de  supérieur  à la  pénitence  ; on  obtient 
par  elle  de  grandes  choses.  8425. 

» Je  connais  exactement  Karna,  fidèle  à la  vérité,  émi- 
nent Bharalide,  Karna  aux  grands  efforts,  à la  grande 
vaillance,  à la  grande  vigueur,  8426. 

» Incomparable  dans  les  grands  combats,  adroit  avec 
les  grandes  armes,  héros,  qui  porte  un  grand  arc,  une 
grande  (lèche,  et  de  qui  la  caste  est  distinguée,  8427. 

» Cet  auguste  fils  du  soleil,  semblable  au  fils  de  Ma- 
héçvara!  Je  connais  ainsi  Arjouna,  qui  est  plus  qu'un  roi 
et  dont  le  courage  inné  se  montre  d une  manière  écla- 
tante. 8428. 

» Karna  e vaut  pas  dans  une  bataille  la  seizième 
partie  du  fils  de  Prithâ  ! Et  la  crainte  de  Karna  est  dans 
ton  âme,  dompteur  des  ennemis?  8429. 

» Je  t’enlèverai  cette  crainte,  que  t’inspire  l'absence 
de  l’ambidextre  : c’est  pour  cela,  héros,  qu'il  faut  tour- 
ner ta  pensée  vers  ce  pèlerinage.  8430. 

» Ce  maharshi,  que  voici  devant  toi,  le  dira  sans 
doute  : ce  grand  saint  te  dira  que  les  tirthas  renferment 
tout  fruit  quelconque  joint  à la  pénitence.  11  ne  faut  pas 
croire  ce  qui  est  contraire  à cette  pensée.  » 8431. 

u Youddhishthira,  écoute,  ajouta  l'envoyé,  ces  paroles 
deDhanandjaya  : « Associe  mon  frère  Youddhishthira  avec 
une  intelligence,  conforme  à la  justice  ; 8432. 

» Car  tu  sais,  homme  riche  en  mortifications,  les  de- 
voirs supérieurs  et  les  pénitences  ; tu  connais  môme  le 
devoir  éternel  des  rois,  environnés  de  la  fortune.  8433. 


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VANA-PARVA. 


*33 


» Le  fils  de  Prithâ  doit  employer  tous  ses  efforts,  m’a-t-il 
dit,  pour  visiter  les  tirthas  et  faire  des  présents  de  vaches. 

» Qu'il  s'en  aille  de  tous  les  côtés  aux  tirthas,  défendu 
par  ta  sainteté  et  gardé  par  elle  contre  les  Rakshasas  dans 
les  défilés  et  les  précipices.  8*3* — 8*35. 

» De  même  que  Dadhltcha  défendit  le  roi  des  Dieux, 
de  même  qu’Angiras  défendit  le  soleil,  ainsi,  ô le  plus 
grand  des  brahmes,  protège  les  fils  de  Kountl  contre  les 
Rakshasas!  8*36. 

» Les  Yâtoudhànas  et  les  Rakshasas  sont  en  grand 
nombre  ; ils  ressemblent  à des  montagnes  ; ils  ne  vien- 
dront pas  se  veautrer  en  présence  du  fils  de  Kountl  dé- 
fendu par  toi!  » 8*37. 

» Moi,  qui  te  porte,  j’irai  donc  avec  toi,  vous  proté- 
geant contre  les  dangers,  à la  voix  d'Indra  et  sur  l'ordre 
d'Arjouna.  8*38. 

» Deux  fois  déjà,  rejeton  de  Kourou,  j’ai  vu  ces  tir- 
thas ; je  les  verrai  maintenant  une  troisième  fois  avec  ta 
majesté  ! 8*39. 

» Des  rois  saints,  aux  œuvres  pures,  Manou  et  les 
autres,  Indra  des  rois,  ont  entrepris  ce  pèlerinage,  qui 
ôte  la  crainte.  8**0. 

» Ni  I’homuie  injuste,  ni  l’insensé,  ni  l’ignorant,  ni  le 
malfaiteur,  ni  l’homme  aux  pensées  tortueuses  ne  peut 
jamais,  (ils  de  Kourou,  se  baigner  dans  les  tirthas.  8**1. 

» Mais  toi,  de  qui  la  pensée  est  toujours  occupée  du 
devoir,  qui  sais  le  devoir,  qui  es  fidèle  à la  vérité,  tu 
seras  encore  plus  affranchi  de  tous  les  désirs,  8**2. 

» tomme  le  roi  Bhaglratha,  comme  les  rois  Gada  et 
les  autres,  comme  Yay&ti,  comme  toi-même,  fils  de  Pàn- 
dou  et  de  Kountl.  » 8**3. 


in 


28 


LE  MAHA-BHARATA. 


434 

Youddhishtbira  lui  répondit  : 

« La  joie  d’apprendre  que  le  monarque  des  Dieux  se 
souvient  de  nous,  m’empêche  de  voir  aucune  réponse  à 
ces  paroles.  Qui,  certes!  est  supérieur  à l’homme,  qui  a 
Dhanamljaya  pour  frère  et  vers  lequel  est  envoyée  ta 
sainteté?  Qui,  certes!  est  supérieur  à l'homme,  de  qui  le 
fils  de  Vasou  garde  le  souvenir?  8444 — 8445. 

» Déjà  même  les  paroles  de  Dhaàuraya  avaient  tourné 
ma  pensée  vers  cette  visite  des  tirthas,  que  me  recom- 
mande l’adorable.  8446. 

» Dès-lors  que  tu  juges  à propos  d'aller  voir  ces 
bains,  j'irai,  brahme,  les  visiter  : c'est  ma  résolution  der- 
nière. » 8447. 

Lomaça  dit  au  fils  du  Pàndou,  quand  il  eut  arrêté  sa 
détermination  sur  ce  voyage  : «Va  d’un  pied  léger,  grand 
roi;  je  marcherai  ausxi  légèrement,  à ma  volonté.  » 8448. 

« Que  les  brahmes  tempérants,  qui  vivent  de  l'aumône, 
dit  Youddhishthira,  mais  qui  ne  peuvent  supporter  les 
souffrances  du  froid,  ni  la  longue  latigue  des  routes,  ni 
la  soif,  ni  la  faim,  s'abstiennent  de  nous  suivre  1 8449. 

» Qu’ils  s’abtiennent,  tous  ces  brahmes,  accoutumés  à 
une  délicate  nourriture,  qui  ont  des  mets  à leur  choix, 
des  breuvages,  des  sirops  et  des  aliments  cuits  1 8450. 

» Qu’ils  s'abstiennent,  tous  ceux,  qui  recherchent  les 
cuisiniers  et  qui  mangent  des  portions  de  nourriture,  ap- 
partenant à des  mauières  de  vivre,  auxquelles  je  ne  suis 
point  accoutumé  ! 8451. 

b Habitants  de  la  ville,  qui  m’avez  suivi,  conduits  par 
votre  dévouement  au  roi,  allez  trouver  maintenant  le  grand 
roi  Dhritaràshtra.  8452. 

b (le  monarque  des  hommes  vous  donnera  les  aliments, 


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VANA-PARVA. 


435 


auxquels  chacun  de  vous  est  accoutumé  ; il  ne  vou9  don- 
nera point  la  nourriture  habituelle  de  ces  lieux.  8453. 

» Quant  aux  choses  bonnes  et  agréables  de  notre  part, 
c’est  le  roi  des  Pàntchâlains,  qui  vous  les  donnera.  » 
Alors,  la  plus  grande  partie  des  citadins,  oppressée  d’un 
poids  accablant,  et  les  principaux  des  brahmes-yalis  s’en 
allèrent  à la  ville  de  Nâgapoura,  où  l’affection  pour  Dhar- 
uiarâdja  les  lit  accueillir  par  le  roi  fils  d'Ambikâ,  qui  les 
rassasia  de  mainte  et  mainte  richesse.  Ces  choses  faites, 
le  monarque  fils  de  kounti  demeura  content  trois  nuits 
dans  le  kâmyaka  avec  Lomaça  et  les  deux  fois  nés,  capa- 
bles de  marcher.  8454 — 8455 — 8456. 

Ensuite,  les  brahmes,  habitants  du  bois,  sire,  étant 
venus  trouver  le  fils  de  Kounti,  au  moment  de  son  départ, 
lui  tinrent  alors  ce  langage  : 8457. 

« Tu  vas  au  saints  tlrthas  avec  tes  frères,  sire,  et  ac- 
compagné du  magnanime  rishi,  Lomaça.  8458. 

» Veuille  bien  nous  emmener  aussi,  grand  roi,  fils  de 
Pândou  ; car,  sans  toi,  il  nous  est  impossible  d'habiter  ces 
défilés  et  ces  précipices,  que  parcourent  continuellement 
les  bêtes  de  proie.  Il  ne  faut  pas  être  un  petit  nombre 
d'hommes,  souverain  des  enfants  de  Manou,  pour  visiter 
les  tlrthas  I 8459 — 8460.  , 

» Les  frères  de  ta  majesté  sont  des  héros,  les  plus 
adroits  de  tous  ceux,  qui  tiennent  l’arc  ; et  nous  marchons, 
toujours  défendus  par  vos  héroïques  altesses.  8461. 

» Grâce  à vos  excellences,  nous  obtiendrons  le  doux 
fruit  des  tlrthas  et  des  bois,  monarque  des  hommes  et 
protecteur  de  la  terre.  8462. 

» Défendus  par  ta  vaillance,  plongés  dans  ces  tlrthas. 


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436 


LE  MAHA-BHARATA. 


et  purs  ; nous  devrons  à la  vue  de  ces  bains  la  fuite  de  nos 
péchés.  8463. 

» Baignée  dans  ces  tlrthas,  Bharatide,  ta  majesté  pour 
sûr  obtiendra  les  mondes  difficiles  à obtenir  de  Kàrtla- 
virya,  l’Indra  des  hommes,  d’Ashtaka,  le  saint  roi,  de 
Lomapâda  et  de  l'héroïque  Bharata,  le  monarque  univer- 
sel. 8464—8465. 

» Nous  désirons  visiter  avec  toi,  maître  de  la  terre,  le 
Prabhâsa  et  les  autres  tlrthas,  le  Mahéndra  et  les  autres 
montagnes,  laGangà  et  les  autres  rivières,  les  figuiers  sacrés 
et  les  autres  arbres.  Si  tu  as  mis  quelque  affection  dans  les 
brahntes,  hâte-toi  d’accomplir  notre  parole,  et  tu  auras 
atteint  ce  qu’il  y a de  mieux.  Nos  tîrthas,  guerrier  aux 
longs  bras,  sont  toujours  pleins  de  Rakshasas,  qui  met- 
tent obstacle  à la  pénitence  : veuille  bien  nous  sauver  ! 
Parcours,  suivant  la  règle,  monarque  des  hommes,  tous 
ces  tlrthas  divers,  que  t’ont  signalés  Dhaàumya,  et  le  sage 
Nàrada,  et  le  Dévarsbi  magnanime  Lomaça. 

(De  8466  à 8471.) 

» Environné  par  scs  héroïques  frères , Bhtmaséna  et 
les  autres,  défendu  par  Lomaça,  honoré  par  tous,  le  roi, 
inondé  par  des  larmes  de  joie,  sera  avec  nous  lavé  de  ses 
péchés.  » — « Qu’il  en  soit  ainsi  ! » répondit  à tous  ces 
rishis  le  fils  de  Pàndou.  8471 — 8472. 

Il  prit  congé  de  Lomaça  et  de  Dhaàumya,  son  archi- 
brahrne  ; ensuite,  l'aîné  des  Pândouides,  maître  de  lui- 
même,  accompagné  de  ses  frères  et  de  la  charmante 
Draàupadl,  tourna  sa  pensée  vers  son  départ.  L’éminent 
Vyàsa,  Parvata  et  Nàrada,  ces  doctes  êtres,  vinrent  de 
compagnie  voir  dans  le  Kâmyaka  le  fils  de  Pàndou. 


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VANA-PARVA. 


487 

Le  roi  Youddhishthira  de  leur  rendre  hommage,  suivant 
l'étiquette.  8473—8474—8475. 

Ces  vertueux  anachorètes  honorés  lui  dirent  : « Youd- 
dhishthira, vous,  les  deux  jumeaux,  et  toi,  Bhima,  tour- 
nez votre  âme  à la  droiture.  8476. 

a La  pureté  étant  faite  dans  votre  âme,  vous  irez  purs 
aux  tlrthas.  Les  brahmes  ont  dit  que  la  continence  du 
corps  était  le  vœu  humain.  8477. 

» Mais  ils  disent  que  le  vœu  divin  est  de  maintenir  son 
âme  dans  la  pureté  des  pensées.  Une  âme  innocente,  mo- 
narque des  hommes,  est  convenable  pour  la  pureté.  8478. 

» Vous  étant  revêtus  d’un  esprit  bienveillant,  vous 
obtiendrez  le  fruit,  comme  il  est  dit.  » — « Qu’il  en  soit 
ainsi  ! » répondirent  les  fils  de  Pândou  avec  krishnà.  8479. 

Tous,  quand  des  anachorètes,  hommes  célestes,  eurent 
prononcé  sur  eux  les  bénédictions  du  voyage,  ils  embras- 
sèrent les  pieds  de  Lornaça  et  de  Dvvalpâyana,  8480. 

Et  de  Nàrada,  le  Dévarshi,  Indra  des  rois,  et  de  Par- 
vata.  Ensuite,  accompagnés  de  Dhaàumya  et  des  ana- 
chorètes du  bois,  ces  héros  partirent,  le  Màrgacirsha 
écoulé,  au  mois  de  Poushya,  munis  d'aiguières  en  argile, 
portant  les  cheveux  en  gerbe,  la  peau  d'antilope  et  l'habit 
d’écorce.  8481—8482—8483. 

Ils  se  rendaient  aux  tlrthas,  revêtus  de  leurs  cuirasses 
imbrisables,  suivis  d’environ  quatorze  serviteurs,  lndra- 
séna  et  ses  compagnons.  84S4. 

Us  emmenaient  d'autres  familiers,  occupés  au  service 
de  la  cuisine  ; ils  avaient  le  cimeterre  lié  au  cou,  le  car- 
quois sur  les  épaules  ; ils  tenaient  leurs  flèches  et  leurs 
armes  -,  et  ces  héros,  Djanamédjaya,  marchaient,  la  face 
tournée  au  levant.  8485 — 8486. 


LE  M ARA-BHARATA. 


438 

A ouddhishthira  dit  : 

« Je  ne  crois  pas  être  sans  vertu,  ô le  plus  grand  des 
Révarshis  ; et  cependant  je  suis  consumé  par  la  peine, 
comme  ne  l'est  pas  un  autre  monarque.  8487. 

» 11  est  d'autres  hommes  sans  vertus  et  qui,  je  pense, 
ne  remplissent  pas  le  devoir.  Pour  quelle  raison,  I.omaça, 
voit-on  ces  hommes  prospérer  dans  le  monde  ? » 8488. 

I.omaça  répondit  : 

« S'il  y a des  gens,  qui  s’accroissent  par  l’injustice  et 
qui  ont  des  succès,  que  réprouve  la  justice,  cela  ne  doit 
nullement,  sire,  te  causer  de  la  peine.  8489. 

» L’homme  s'accroît  injustement,  il  voit  des  jours  pros- 
pères ; ensuite,  il  fait  naître  des  ennemis  et  périt  avec  sa 
racine.  8490. 

» J’ai  vu  des  Daityas  et  des  Dànavas  s’augmenter  in- 
justement ; puis,  maître  de  la  terre,  s'en  aller  à la  ruine. 

» Voici  tout  ce  que  j'ai  vu  jadis,  seigneur,  dans  l’âge 
des  Dieux.  Les  Souras  brillaient  par  la  vertu,  que  les 
Asouras  avaient  abandonnée.  8491 — 8492. 

» Les  Dieux  fréquentaient  les  tlrthas,  mais  les  Asouras 
Bharatide,  ne  les  visitaient  pas  : l’orgueil  avait  déjà  enva- 
hi ces  fauteurs  de  l'injustice.  8493. 

» L’orgueil  avait  produit  l'arrogance,  de  celle-ci  était 
née  la  colère,  de  la  colère  étaient  venues  l'effronterie, 
puis  l’impudeur  ; et  le  frein  de  leur  vie  était  rompu. 

» La  patience,  la  prospérité,  la  vertu  eurent  bientôt 
abandonné  ces  êtres  sans  pudeur,  sans  modestie,  aux 
vœux  stériles,  aux  mœurs  débordées.  8494 — 8495. 

» Le  succès  vint  habiter  avec  les  Dieux,  sire  ; l'insuccès 
habita  avec  les  Asouras  ; eux,  de  qui  l'âme  était  frappée 
d’orgueil,  ils  furent  envahis  par  l'insuccès.  8496. 


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VANA-PAttVA. 


4S9 

« Kali  mémo  entra  dans  les  Dattyas  elles  Dànavas.  La 
ruine,  fila  de  Kountl,  ne  tarda  pas  à tomber  sur  ces  Dà- 
navas sans  àme,  sans  cérémonie,  possédés  par  l’orgueil, 
euvahis  par  l'arrogance,  frappés  par  Kali,  en  proie  à 
l’insuccès.  8497 — 8498. 

» On  vit  les  Daltyas  sans  gloire  plongés  entièrement 
dans  la  destruction,  et  les  Dieux,  au  caractère  vertueux, 
honorer  les  mers,  les  fleuves,  les  lacs  et  les  saints  lieux, 
rejeton  de  Pândou,  avec  des  pénitences,  des  sacrifices, 
des  aumônes  et  des  paroles  de  bénédictions.  8499—8500. 

» Tous  leurs  péchés  furent  effacés  et  ils  recueillirent 
le  salut.  C'est  ainsi  qu’en  recevant  et  sans  rien  donner 
d’aucune  manière,  les  Dieux  allèrent  aux  tîrthas  et  par- 
là  ils  s’élevèrent  à une  prospérité  suprême.  11  en  sera  ainsi 
pour  loi,  Indra  des  rois,  quand  tu  te  seras  baigné  dans 
les  tîrthas,  fils  de  Manou.  8501 — 8502. 

» Tu  connaîtras  de  nouveau  la  prospérité;  c’est  la 
route  éternelle.  Ce  fut  celle  du  roi  Nriga  et  de  Çivi,  le 
fils  d'Ouçinara,  8503. 

o De  Bhaglratha,  de  Vasouuianas,  de  Gaya,  de  Pourou, 
et  du  fils  de  Pouroûravas.  Ces  princes,  qui  marchaient 
toujours  dans  les  voies  de  la  pénitence , durent  aux 
eaux,  qu’ils  avaient  touchées,  aux  tîrthas,  qu’ils 
avaient  visités,  aux  magnanimes,  qu'ils  avaient  vus,  mo- 
narque des  hommes,  l’avantage  de  resaisir  leur  opulence 
et  leur  renommée  pure.  8504 — 8505. 

» De  même  toi,  Indra  des  rois,  une  fois  rentré  dans 
ton  éminente  fortune,  lu  seras  ce  que  fut  Ikshwàkou,  avec 
sa  famille,  ses  gens  etson  fils  ! 8500. 

» Moutchoukounda,  et  Màndhàtri,  et  le  puissant  Ma- 
routta  ont  acquis  une  gloire  pure,  grâce  à la  force  de 


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LE  MAHA-BH  ARATA. 


550 

leur  pénitence.  Tels  que  les  Dieux  et  les  Dévarshis  ont 
changé  leur  condition  par  la  force  de  leur  pénitence, 
tel  tu  connaîtras  d autres  jours  ; et  les  Dbritaràshtrides, 
tombés  sous  le  pouvoir  du  délire  et  de  l’injustice,  11e 
tarderont  pas  à périr,  comme  les  Daityas  : c’est  indubi- 
table! » 8507—8508—8509. 

Ces  héros  de  compagnie,  mettant  leur  habitation  çà  et 
là,  arrivèrent,  suivant  l’ordre  du  voyage,  maître  de  la 
terre,  à la  forêt  Naîmisha.  8510. 

Là,  sire,  les  fils  de  Pàndou,  ayant  fait  leurs  ablutions 
dans  les  tlrthas  saints  de  la  Gomati,  distribuèrent  en  pré- 
sents des  vaches  et  des  richesses.  8511. 

Après  qu’ils  eurent  mainte  et  mainte  fois  rassasié  les 
Dieux,  les  Mânes  et  les  brahmcs  dans  le  tirtha  des  Jeunes- 
filles,  dans  celui  des  Vaches  et  dans  le  tirtha  kàlakoti,  ils 
habitèrent  sur  le  mont  Vishaprasthaet  tous  ils  firent  leurs 
ablutions,  protecteur  de  la  terre,  dans  la  Bàhoudà. 

8512—8513. 

Ils  habitèrent,  puissant  roi,  au  Pravàga,  fameux  par  le 
céleste  sacrifice  des  Dieux  ; et,  quand  ils  eurent  baigné 
leurs  membres,  ils  pratiquèrent  une  sublime  pénitence  au 
confluent  de  la  Gangà  et  de  l'Vamounâ;  et,  fidèles  à la 
vérité,  ces  magnanimes,  purifiés  de  leurs  péchés,  distri- 
buèrent des  richesses  aux  deux  fois  nés.  8515 — 8515. 

De  là,  accompagnés  des  brahmes,  les  fils  de  Pàndou, 
sire,  allèrent  à l'autel  du  Pradjâpati,  cher  aux  hommes 
pénitents.  8516. 

Là,  rassasiant  continuellement  les  brahmes  d'offrandes 
nées  dans  les  forêts,  ces  héros  déposent  leur  austère  pé- 
nitence. 8517. 

Ils  vinrent  ensuite  à la  montagne  Consacrée,  où  ils 


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VANA-PARVA.  441 

furent  purifiés  par  le  vertueux  ràdjarshi  Gava,  prince  à la 
splendeur  incomparable.  8518. 

Là,  ils  virent  le  mont  Gayaçira,  la  Tête-de-Gaya,  et 
la  charmante  et  limpide  rivière  Mahânadl,  avec  ses  guir- 
landes de  rotangs  et  sa  parure  d'iles.  8519. 

Après  eux,  s’offrit  la  céleste  et  purifiante  montagne, 
nommée  Pavitrakoûta  : là,  est  un  tlrtha  bien  saint,  cher 
aux  rishis  et  regardé  comme  le  premier  lac  de  Brahma. 

C’est  là  que  le  vénérable  Agastya  vint  jadis  trouver  le 
Vivasvaside,  et  l’éternel  Dharmaràdja  lui  dit  alors  ces 
mots  lui-même  : 8620 — S521. 

« Tous  les  fleuves,  maître  de  la  terre,  ont  fait  éruption 
en  cet  endroit,  dont  ne  s’éloigne  jamais  Mahàdéva,  qui 
tient  l’arc  Pinàka,  8522. 

» Où  les  héroïques  fils  de  Pâcdou  célébraient  le  sacri- 
fice des  quatre  mois  avec  une  profonde  science  de  l’écri- 
ture, au  lieu,  où  s'élève  l’impérissable  et  grand  figuier 
indien.  8523. 

» 11  y a un  impérissable  fruit  dans  l’impérissable  sacri- 
fice des  Dieux;  et  ces  guerriers  d’une  âme  résolue  se  li- 
vrèrent au  jeûne.  8524. 

» Les  brahmes,  riches  de  pénitence,  se  réunirent  alors 
par  centaines  et  célébrèrent  le  sacrifice  des  quatre  mois, 
suivant  la  règle  des  rishis.  8525. 

» Les  brahmes,  présents  à cette  assemblée,  tous  opu- 
lents de  science  et  de  pénitence,  tous  parvenus  à la  rive 
ultérieure  des  Védas,  se  mirent  à raconter  les  narrations 
pieuses,  qui  siéent  à des  magnanimes.  8520. 

» Ln  d’eux,  sire,  qui  s’était  baigné  dans  le  vœu  de 
la  science  et  qui  s’était  voué  à Kârttikéya,  de  raconter 
cette  histoire  de  Gava  1’  Vn'.uùrtarayaside  : 8527. 


LE  MAHA-BHARATA. 


442 

• Gaya,  le  plus  vertueux  des  saints  rois,  était  le  fils 
d’Amoûrtarayasa  : écoute  de  ma  bouche,  fils  de  Bharata, 
ses  bonnes  œuvres.  8528. 

» Le  sacrifice,  qu'il  célébra  ici,  fut  riche  d'aliments, 
riche  de  présents  honorifiques  : il  y avait,  sire,  des  mon- 
tagnes de  vivres  par  centaines  et  par  milliers.  8529. 

» Il  y avait,  en  plusieurs  centaines,  des  rivières  de 
beurre  clarifié,  des  fleuves  de  lait  coagulé  et  des  lacs  de 
sauces  précieuses  à milliers.  8530. 

» Chaque  jour,  on  en  donnait  à ceux,  qui  en  deman- 
daient. Les  autres,  qui  n’étaient  pas  des  brahmee,  man- 
geaient, sire,  une  nourriture  bien  apprêtée.  8531. 

» A l'heure  des  distributions,  le  bruit  des  brahmes 
montait  jusqu’au  ciel  : les  voix  confuses  des  brahmes, 
Bharatide,  empêchaient  de  rien  distinguer.  8532. 

» La  terre,  les  points  de  l’espace,  l’atmosphère,  le  ciel, 
tout  était  rempli  d'un  bourdonnement,  qui  se  disséminait 
avec  sainteté  : c’était  une  grande  merveille.  8533. 

» En  chaque  lieu,  c’étaient,  des  hymnes,  éminent  Bha- 
ratide, chantés  par  des  hommes  bien  resplendissants, 
gorgés  de  mets  exquis  et  de  boissons  fines.  8534. 

» Alors,  quel  être  animé  désirait  obtenir  de  la  nourri- 
ture dans  ce  sacrifice  de  Gaya  et  ne  recevait  rien  à man- 
ger ? Il  y avait  14  vingt-cinq  montagnes  de  mets  exquis  1 

» Nos  devanciers  n’ont  jamais  fait  avant  nous,  et  nos 
descendants  ne  feront  jamais  après  nous  ce  que  fit  dans 
son  sacrifice  le  saint  roi  Gaya  à la  splendeur  sans  mesure. 

8535—8538. 

» Comment  Gaya  put-il  rassasier  de  beurre  clarifié  les 
Dieux  immortels  ? Ils  ne  pourront  jamais  recevoir  de  qui 
que  ce  soit  autant  de  choses  données!  3537. 


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VANA-PARVA. 


443 

» Tels  que  les  grains  de  sable  sur  la  terre,  telles  que 
les  étoiles  dans  le  ciel,  telles  que  les  gouttes  incalculables 
de  la  pluie,  il  est  impossible  à aucun  homme  de  compter 
les  présents  honorifiques , que  (lava  lit  tomber  de  ses 
mains  pendant  son  sacrifice  ! De  telle  sorte,  maître  de  la 
terre,  sont  les  sacrifices  bien  nombreux,  qu'il  célébra 
dans  le  voisinage  de  ce  lac,  rejeton  de  Kourou.  » 

8538—8539. 

Vatçampàyana  reprit  ainsi  le  fils  de  sa  narration. 

Le  roi,  fils  de  Kountl  aux  nombreux  présents,  continua 
sa  marche  et,  s'étant  avancé  vers  Thermitage  d'Agastya, 
il  habita  dans  la  Dourjayâ.  8540. 

Alors  le  plus  vertueux  des  êtres  doués  de  la  parole,  le 
monarque  adressa  cette  demande  à Lomaça  : « Pour 
quelle  raison  Agastya  a-t-il  donné  la  mort  à Vâtâpi  1 

» Est-ce  que  ce  Daitya  avait  tourné  sa  puissance  à la 
destruction  des  enfants  de  Manou  ? Quel  motif  avait  sou- 
levé la  colère  du  magnanime  Agastya?  » 8541—8542. 

« Jadis,  il  y eut,  rejeton  de  Kourou,  dans  la  ville  de 
.Manivat!,  répondit  Lomaça,  un  Daitya,  nommé  Ilvala, 
dont  Vâtâpi  était  le  frère  puîné.  8543. 

» Ce  fils  de  Diti  dit  un  jour  à un  brahme,  livré  à la  pé- 
nitence : u Que  ta  révérence  me  donne  un  fils  unique  et 
semblable  4 Indra.  » 8544. 

» Le  brahme  ne  lui  donna  pas  ce  fils  égal  au  roi  des 
Dieux,  et  cet  Asoura  en  ressentit  contre  le  brahme  une 
violente  colère.  8545. 

» De  ce  moment,  Indra  des  rois,  Ilvala  devint  un  as* 
sassin  de  brahmes  et,  plein  de  fureur,  il  fit,  avec  l'aide 
de  la  magie,  un  bon'’  de  son  frère.  8546. 

» Vâtâpi,  sous  les  forn.es  du  bouc,  conservait  la  faculté 


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A4  4 LE  MAHA-BHARATA. 

de  reprendre  sa  forme  à l’instant  même  qu’il  le  voulait, 
llvala,  qui  désirait  tuer  le  brahme,  lui  fit  manger  son 
frère  bien  accommodé.  8547. 

» Ensuite,  il  appela  à haute  voix  Vàtàpi,  descendu  dans 
le  séjour  des  morts.  L’évoqué  de  resaisir  aussitôt  sa  forme 
et  de  reparaître  aux  yeux,  pleiD  de  vie!  8548. 

» llvala  une  seconde  fois  changea  son  frère  l’Asoura 
en  bouc,  l’apprêta  bien,  le  fit  manger  à un  brahme,  et 
l'appela  de  nouveau.  8549. 

» A peine  cet  ennemi  des  brahmes  eut-il  entendu  la 
parole,  qu' llvala  prononçait  avec  une  grande  liberté,  puis- 
sant magicien  et  Démon  vigoureux,  le  grand  Asoura 
Vàtâpi  rompit  le  flanc  du  brahme,  sire,  et  sortit  en  riant! 

8550—8551. 

» ("était  ainsi  qu’en  servant  son  frère  mainte  et  mainte 
fois  à des  brahmes,  le  Daitya  llvala,  à l'àme  méchante,  leur 
faisait  du  mal.  8552. 

» Dans  ce  même  temps,  le  vénérable  Agastya  vit  les 
mânes  de  ses  pères,  suspendus,  la  tête  en  bas,  dans  une 
caverne.  8553. 

» Celui-ci  d’iuterroger  ces  malheureux  suspendus  : 
« Vos  saintetés  sont  comme  tremblantes?  » — «C’est  à 
cause  d’une  postérité!  » lui  répondirent  les  mânes  de  ces 
récitateurs  des  Védas.  8554. 

» Et  de  lui  raconter  : « Nous  sommes  tes  pères,  nous, 
que  le  besoin  d’un  fils  a fait  tomber  en  cette  caverne,  où 
lu  nous  vois  suspendus.  8555. 

» Si  tu  donnais  le  jour  à un  fils  sublime,  il  serait  pour 
notre  néant  tige;  tu  serais  notre  libérateur  de  ce  Niraya,  et 
j’obtiendrais  la  voie  suprême.  » 8556. 

» Le  resplendissant  ascète,  adonné  an  devoir  de  la  vé- 


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VANA-PARVA.  AA5 

rité,  répondit  : « J’accomplirai  votre  désir,  mes  pères  : 
que  ce  souci  s’en  aille  de  votre  âme  ! « 8557. 

« Ensuite,  la  pensée  occupée  de  la  naissance  d'un  fils, 
le  vénérable  rishi  ne  vit  pas  une  femme  égale  à lui-même, 
pour  lui  donner  ce  fils.  8558. 

n Alors  il  emprunta  à chaque  animal  son  membre  le 
plus  parfait,  et  composa,  de  ces  membres  réunis,  une  femme 
d'une  beauté  sans  pareille.  8559. 

» Le  solitaire  aux  grandes  pénit  nces  donna  cette  femme, 
créée  pour  lui-même,  au  roi  du  Vidarbha,  qui  se  morti- 
fiait pour  obtenir  un  fils.  8560. 

» C'est  ainsi  que  naquit,  resplendissante,  comme  l’éclair 
de  la  foudre,  cette  belle  au  charmant  visage,  dont  le  corps 
se  développait  mec  l'Age.  8561. 

» Le  Vidarbhain,  maître  de  la  terre,  l’ayant  vue  à peine 
née,  annonça  de  joie,  Bharatide,  cette  merveille  aux 
brabmes.  8562. 

» Tous  les  régénérés  de  la  complimenter,  souverain  de 
la  terre,  et  tous  de  lui  donner  pour  nom  celui  de  Lopâ- 
moudrà.  8563. 

n Revêtue  d’une  sublime  beauté,  elle  crût  bientôt, 
grand  roi,  comme  un  bouquet  de  lotus  au  milieu  des 
eaux,  ou  telle  que  le  feu,  ou  comme  la  flamme  bril- 
lante. 856A. 

u Arrivée  à l’adolescence,  elle  fut  environnée  par  cent 
jeunes  filles  bien  parées,  Indra  des  rois  ; et  cent  femmes 
esclaves,  soumises  à sa  volonté,  servaient  cette  vierge 
brillante.  8665. 

» Entourée  par  les  cent  esclaves  et  au  milieu  des  cent 
jeunes  filles,  elle  se  tenait  resplendissante  comme  on  voit 
dans  le  ciel  Rohint  ou  Prabhâ,  l'épouse  du  soleil.  8566. 


LE  MAHA-BHARATA. 


44  6 

» Quoiqu'elle  fût  dans  l’âge  de  l’adolescence  et  bien 
qu’elle  fût  douée  de  vertus  et  d'un  bon  caractère,  aucun 
homme  n’osa  fixer  son  choix  sur  elle,  dans  la  crainte  du 
magnanime  Agastya.  8507. 

» Celte  jeune  lille,  attachée  à la  vérité,  plus  charmante 
que  les  Apsaras  mêmes,  réjouissait  son  père  et  sa  famille 
par  son  aimable  caractère.  8668. 

» Quand  celui-ci  vit  la  jeune  Vidarbhaine  ainsi  douée 
de  qualités,  il  pensa  dans  son  esprit  : « A qui  donnerai- 
je  ma  fille  ? » 8569. 

» Agastya,  songeant  quelle  était  capable  de  tenir  une 
maison,  vint  trouver  le  monarque  du  Vidarbha,  et  lui 
dit  : 8570. 

a Sire,  ma  pensée  habile  continuellement  ton  palais 
par  le  désir  d'un  fds.  Je  te  choisis  pour  mon  beau-père; 
donne-moi  Lopàmoudrà,  puissant  monarque,  d 8571. 

» A ces  paroles  du  solitaire,  le  souverain  de  la  terre 
sentit  son  âme  l’abandonner;  il  était  incapable  d’un  refus 
et  ne  voulait  pas  lui  donner  sa  ftl/e.  8572. 

» 11  s’en  alla  trouver  son  épouse  et  lui  dit  : « (le  rna- 
harshi  est  d'une  éminente  vigueur;  il  me  consumera  dans 
sa  colère  par  le  l'eu  de  sa  malédiction  1 » 8573. 

» Dans  ce  moment  survint  Lopàmoudrà,  qui,  voyant 
le  monarque  dans  une  telle  affliction  avec  son  épouse,  dit 
à propos  ces  paroles  : 8574. 

« Ne  veuille  pas  subir  une  telle  oppression  à cause  de 
moi,  souverain  de  la  terre!  Donne-moi  à Agastya,  mon 
père  ; et  sauve-toi  par  moi  ! » 8575. 

» Sur  de  telles  paroles  de  sa  fille,  le  roi  donna,  suivant 
les  règles,  monarque  de  la  terre,  Lopàmoudrà  au  magna- 
nime Agastya.  8576. 


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VANA-PARVA. 


hh~ 


» Or,  Agastya,  quand  il  eut  obtenu  pour  épouse  Lopâ- 
nioudrâ,  lui  dit  : « Abandonne  ces  vêtements  et  ces  pa- 
rures de  grand  prix  1 » 8577. 

» Aussitôt,  la  jeune  fille  aux  grands  yeux,  aux  cuisses 
rondes  comme  le  tronc  du  bananier,  déposa  ces  habits 
déliés,  riches,  admirables.  8578. 

» Elle  revêtit  en  échange  l’habit  d'écorce,  la  peau 
d'antilope,  le  valkala,  et  la  belle  jeune  fille  devint,  en  un 
instant,  semblable  à une  pénitente.  8570. 

» Ensuite,  étant  allé  à la  porte  du  Gange,  le  révérend 
et  le  plus  vertueux  des  saints,  y cultiva  une  austère  péni- 
tence avec  cette  épouse,  assortie  à lui-même.  8580. 

» Joyeuse,  elle  environnait  son  époux  de  ses  respects, 
et  l’auguste  Agastya  trouvait  en  son  épouse  la  plus  grande 
satisfaction.  8581. 

» Enfin,  monarque  des  hommes,  après  beaucoup  de 
temps  écoulé,  le  vénérable  saint  vit  Lopàuioudrà,  baignée, 
resplendir  de  pénitence  ; 8582. 

a Et,  quand  il  fut  satisfait  de  son  service,  de  sa  pureté, 
de  sa  répression  des  sens,  de  sa  grâce  et  de  sa  beauté, 
l’anachorète  la  prit  devant  les  autels  pour  son  épouse. 

» Alors,  joignant  ses  mains  au  front,  et  comme  hon- 
teuse, la  noble  dame  adresse  avec  amour  ce  langage  au 
révérend  : 8583 — 858A. 

« Sans  doute,  c'est  pour  avoir  des  enfants  que  mon  sei- 
gneur a pris  une  épouse  ; veuille  donc,  saint  anachorète, 
satisfaire  l'amour,  que  j'ai  pour  toi.  8585. 

» Veuille  donc  venir  ici  me  trouver  sur  une  couche, 
telle  qu’était  la  couche  de  mon  appartement,  brahme, 
daus  le  palais  de  mon  père.  858(5. 

» Je  désire,  ornée  de  célestes  parures,  comme  il  sied  à 


4A8 


LE  MAHA-BHARATA. 


l’amour,  que  tu  me  serres  dans  tes  bras,  orné  toi-même 
de  guirlandes  de  fleurs  et  de  joyaux  divers.  8587. 

» Autrement,  je  ne  veux  pas  m’approcher  de  toi,  vêtue 
de  cet  habit  d’écorce  et  de  ce  vêtement  teint  à l'ocre 
rouge  ; car  ce  n'est  pas  du  tout  là,  brahmarshi,  une  parure 
assortie  à C amour.  » 8588. 

» Agastya  lui  répondit  : 

» Ni  toi,  Lopâmoudrà,  ni  moi,  n’avons  de  richesses  : 
les  choses  de  cette  sorte  appartiennent  à ton  père,  noble 
dame  à la  jolie  taille.  » 8589. 

« Mais  n’es-tu  pas  le  maître,  homme  riche  en  péniten- 
ces, reprit  Lopâmoudrà,  d’enlever  en  un  instant  par  ta 
pénitence,  tout  ce  qui  existe  de  richesses  quelconques 
dans  le  monde  des  vivants?  » 8590. 

« 11  en  est  ainsi  que  tu  dis,  mais  cela  détruirait  ma  pé- 
nitence, repartit  l'anachorète  : propose-moi  donc  une 
chose,  qui  n'entralne  pas  la  ruine  de  ma  pénitence.  » 

« Ce  qui  reste  de  mon  mois  est  très-court,  homme 
riche  en  pénitences,  lui  répondit  Lopâmoudrà;  et  je  ne 
voudrais  nullement  être  pressée  dans  tes  bras  d'une  autre 
manière.  8591 — 8592. 

s Je  ne  prétends  pas  mettre  un  obstacle  à ton  devoir  : 
mais  veuille  bien  faire  ainsi  ce  qu’exige  mon  amour.  » 

o Si  c’est  un  désir  bien  arrêté  dans  ton  esprit,  illustre 
femme,  répliqua  l'heruiite,  je  vaischercher  des  richesses  : 
toi,  viens  avec  moi,  noble  dame,  ou  reste  ici,  à ta  vo- 
lonté. » 8593. — 8594. 

# Agastya  s’en  fut  alors,  rejeton  de  Kourou,  mendier 
des  richesses  à Çroutarvan,  le  puissant  monarque,  bien 
supérieur  par  la  science  des  Védas  aux  princes  de  son 
temps.  8595. 


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VANA-PARVA. 


449 

■ » Aussitôt  qu’il  eût  appris  l'arrivée  de  l’anachorète,  né 
dans  une  aiguière,  le  souverain,  accompagné  de  ses  mi- 
nistres, s’en  alla  le  recevoir  avec  beaucoup  d’honneurs  à 
la  frontière  de  ses  états  ; 8596. 

» Et,  lui  ayant  offert  un  arghya,  le  maître  de  la  terre, 
joignant  ses  mains  au  front  et  d’un  air  modeste,  interro- 
rogea  l’hermite  sur  la  question  de  sa  venue.  8597. 

« Sache  que  c'est  le  besoin  de  richesses,  qui  m’amène 
ici,  monarque  de  la  terre,  lui  répondit  Agastya  : donne- 
moi  une  part  des  tieunes,  suivant  tes  facultés,  sans  nuire 
à d’autres.  » 8598. 

» Le  roi  de  lui  exposer  complètement  sa  dépense  et 
son  revenu  : « Maintenant  que  ces  choses  te  sont  connues, 
dit-il,  prends  de  ces  richesses  autant  que  tu  le  juges  à 
propos.  » 8599. 

» Le  brahme  à l’esprit  équitable,  ayant  vu  que  la  dé- 
pense était  égale  au  revenu , comprit  alors  quelle  charge 
les  présents  imposaient  aux  êtres  animés.  8600. 

» 11  prit  avec  lui  Çroutarvan  et  s’en  alla  trouver 
Bradhnaçva.  Celui-ci  les  reçut  tous  les  deux,  suivant  l'é- 
tiquette, à la  frontière  de  son  royaume.  8601. 

» Bradhnaçva  leur  offrit  un  arghya  et  de  l'eau  pour  se 
laver  les  pieds.  11  en  demanda  la  permission  et  les  inter- 
rogea sur  la  cause  de  leur  voyage.  8602. 

» Agastya  lui  répondit  : 

« Sache,  monarque  de  la  terre,  que  c’est  le  désir  des 
richesses,  qui  nous  amène  ici,  l'un  et  l’autre.  Donne-nous, 
suivant  tes  facultés,  une  part  des  tiennes,  sans  nuire  à 
d’autres.  « 8603. 

a Ce  roi  leur  fit  connaître  sa  dépense  et  son  revenu  : 
« Maintenant  que  ces  choses  vous  sont  connues,  dit-il, 

20 


ui 


650 


LE  MAHA-BHARATA. 


prenez  de  mes  richesses  ce  qui  est  en  excédant,  a 8606. 

» Le  brahme  à l'esprit  équitable,  ayant  vu  que  la  dé- 
pense était  égale  au  revenu,  comprit  alors  quelle  charge 
les  présents  imposaient  aux  êtres  animés.  8605. 

» Ensuite  Agastya,  Çroutarvan  et  Bradhnaçva,  le  maître 
de  la  terre,  se  rendirent  chez  Trasadasyou  aux  grandes 
richesses,  le  rejeton  de  Pouroukoutsa.  8606. 

» Le  magnanime  Trasadasyou  alla,  grand  roi,  & la 
frontière  de  son  royaume,  vit  ces  personnages  et  les  traita 
suivant  l’étiquette.  8607.  •* 

» Après  qu'il  les  eut  honorés  tous,  suivant  la  convenance, 
le  plus  vertueux  des  rois,  nés  d'ikshwàkou,  les  interrogea 
tous  sur  la  cause  de  leur  voyage.  8608. 
n Agastya  lui  dit  : 

« Sache,  monarque  de  la  terre,  que  c’est  le  besoin  de 
richesses,  qui  nous  amène  ici.  Donnes-nous  une  part  dans 
les  tiennes,  suivant  tes  facultés,  sans  nuire  à d'autres.  » 

« Ce  roi  leur  exposa  complètement  sa  dépense  et  son 
revenu  : « Maintenant  que  ces  choses  vous  sont  connues, 
leur  dit-il,  prenez  ici  tout  ce  qu’il  y a d'excédant.  » 

8609—8610. 

u Le  brahme  à l’àme  équitable,  ayant  vn  que  la  dé- 
pense était  égale  au  revenu,  put  juger  de  toute  manière 
quelle  charge  les  présents  imposaient  aux  êtres  animés. 

» Les  rois,  s'étant  alors  abouchés  et  jetant  leurs  regards 
l’un  sur  l’autre,  dirent  ces  paroles  au  grand  anachorète  : 

8611—8612. 

« Ilvala,  ce  Dânava  célèbre,  est  te  seul,  qui  soit  vrai- 
ment riche  sur  la  terre;  allons  tous  le  trouver,  brahme, 
et  demandons-lui  des  richesses  1 » 8613. 

» 11  fut  donc  convenu  qu’on  irait  demander  l’aumône  à 


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VANA-PARVA.  461 

llvala,  et  tous,  sire,  coururent  de  compagnie  cher  ce 
Daitya.  861  A. 

» llvala,  ayant  appris  qu'ils  étaient  arrivés  à la  fron- 
tière de  ses  états  avec  le  maharshi,  s’y  rendit,  accompa- 
gné de  ses  ministres,  et  leur  fit  un  accueil  honorable. 

» Le  plus  grand  des  Asouras  d'exercer  alors  l’hospita- 
lité envers  eux,  rejeton  de  Kourou,  avec  ce  plat  composé 
de  son  frère  Vâtàpi  excellemment  apprêté.  8615—  8616. 

» Tous  ces  rois  saints  furent  troublés,  hors  d'eux- 
mêmes,  à la  vue  du  grand  Asoura  Vâtàpi,  changé  eu 
bouc  et  accommodé  par  t art  du  cuisinier.  8617. 

» Agastva,  le  plus  saint  des  rishis,  dit  alors  à ces  rois 
saints  : « Ne  vous  troublez  pas!  Je  mangerai  seul  le  grand 
Asoura  ! » 8618. 

» Arrivé  au  siège  d’honneur,  le  grand  anachorète  s’y 
assit,  et  le  roi  des  Daltyas,  llvala,  de  lui  servir  à manger 
en  souriant.  8619. 

» Agastya,  dans  ce  festin,  rnaugea  Vàtâpi  entièrement, 
et,  quand  il  eut  fait  son  repas,  l’ Asoura  llvala  d'appeler 
son  frère  à haute  voix.  8620. 

b Alors,  sous  le  magnanime,  éclata  avec  un  grand  bruit, 
mon  fils,  un  vent  aussi  fort  que  le  nuage  tonnant.  8621. 

«Vàtâpi,  sois  ! b lui  cria  son  frère  à plusieurs  fois. 
Mais  Agastya,  le  plus  vertueux  des  rishis,  lui  dit,  en  riant  : 

» Comment  l’ Asoura  sortirait-il,  puisque  je  l'ai  di- 
géré ! b llvala  fut  troublé,  quand  il  vit  digéré  ce  grand 
Asoura.  8622 — 8623. 

» Réunissant  les  paumes  des  mains  à son  front  avec  ses 
ministres,  il  tint  ce  langage  : « Pourquoi  vintes-vous  ici  ? 
Parlez  ! Que  ferai-je  pour  vous  ? b 8624. 

« Agastya  répondit  à llvala  eu  souriant  : « Nous  sa- 


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462  LE  MAHA-BHARATA. 

vons  tous,  Asoura,  que  tu  es  un  propriétaire  de  richesses, 
un  second  Kouvéra.  8825. 

» Ces  rois  ne  sont  pas  très-riches  et  mon  besoin  de 
richesses  est  grand.  Donne-moi,  suivant  tes  facultés,  une 
part  des  tiennes,  sans  nuire  à d’autres.  » 8628. 

» Alors,  s’étant  incliné  devant  le  rishi,  llvala  dit  ces 
mots  : « Si  tu  sais  quelle  richesse  tu  désires  que  l’on  te 
donne,  je  te  la  donnerai  ! » 8627. 

« Dix  mille  vaches  individuellement  pour  chacun  de 
ces  rois,  lui  répondit  Agastva,  et  autant  de  pièces  d’or  : 
voilà,  grand  Asoura , ce  que  je  désire  que  tu  donnes  ! 

» Le  double  pour  moi-même,  avec  un  char  fait  d’or  et 
deux  chevaux,  rapides  comme  la  pensée  : voilà  encore  ce 
que  je  désire  que  tu  donnes,  grand  Asoura  ! » 8628 — 86211. 

» A l’instant  se  manifesta  aux  yeux,  qui  désiraient  le 
voir,  un  char  fait  d’or  ; et  ce  char,  examen  fait,  rejeton  de 
Kountl,  était  véritablement  d'or.  8630. 

» Le  Daîtya,  ému  de  douleur  et  de  crainte,  lui  donna 
une  richesse  immense.  Virâva  et  Souràva,  les  deux  che- 
vaux attelés  à ce  char,  emportèrent  rapidement,  Bharatide, 
en  un  clin-d’œil,  ces  richesses  et  tous  ces  rois,  avec  l'ana- 
chorète, àl’hermitage  d'Agastya.  8831 — 8632. 

■>  Congédiés  par  Agastya,  les  saints  rois  s’en  allèrent  ; 
l’hermite  avait  accompli  tous  les  désirs  de  Lopâmoudrà. 

« Révérend,  lui  dit  Lopàmoudrà,  tu  as  réalisé  tous  mes 
vœux  ! Fais  naître  une  seule  fois  en  mon  sein  un  fils,  de  qui 
la  vigueur  surpasse  tous  les  héros  ! « 8633—8634. 

u Agastya  lui  répondit  : 

«Je  suis  satisfait  de  ta  conduite,  noble  et  charmante 
dame.  Je  vais  t’exposer  ce  qui  fut  décidé  sur  ta  posté- 
rité : écoute-moi  ! 8636. 


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VANA-PARVA. 


455 

» Qu’un  millier  de  fils  te  soient  donnés,  ou  cent  égaux 
à dix,  ou  dix  égaux  à cent,  ou  un  seul  fils,  qui  en  vraincra 
mille!  » 8636. 

« Puissé-je  avoir,  anachorète  opulent  de  pénitences, 
dit  Lopâmoudrà,  un  fils  estimé  comme  mille  ; car  un 
homme  instruit,  qui  est  vertueux,  vaut  mieux  à lui  seul 
que  beaucoup  de  gens  vicieux  ! » 8637. 

« Qu'il  en  soit  ainsi!  » reprit  le  solitaire,  qui,  plein  de 
foi,  s’unit  au  temps  convenable  avec  cette  femme  remplie 
de  foi,  au  caractère  égal.  8638. 

» 11  déposa  un  germe  en  elle  ; puis,  il  s’en  alla  dans  les 
bois,  et,  dans  ce  voyage  à travers  les  forêts,  le  fruit, 
qu’elle  portait,  s'accrut  pendant  sept  automnes  ; 8639. 

» Et,  la  septième  année  étant  révolue,  naquit  le  grand 
poète,  nommé  Dhritasyou,  flamboyant,  Bharatide,  en 
quelque  sorte,  d'une  splendeur  naturelle.  8640. 

» A peine  né,  ce  grand  brahme  éclatant  aux  grandes 
pénitences,  fils  de  ce  rishi,  murmurait  déjà  les  Védas  avec 
les  Védàngas  et  les  Oupanishads.  8641. 

» Resplendissant  enfant,  il  apportait  déjà  dans  la  de- 
meure de  son  père  une  charge  de  bois,  et  c’est  pour  cela 
qu’il  fut  surnommé  Idhmavàha,  qui  porte  du  bois.  8642. 

» Le  solitaire,  voyant  son  fils  ainsi  doué,  se  réjouissait; 
et  voilà,  Bharatide,  comment  il  donna  la  vie  à un  fils,  qui 
fut  le  plus  grand  des  hommes.  8643. 

» Ses  pères  obtinrent  les  mondes  supérieure,  comme  ils 
le  désiraient,  et  désormais,  sire,  l'bermitage  d’Agastya 
fut  célèbre  sur  la  terre.  8644. 

i Le  monde  se  réjouit  de  la  mort,  qu’Agastya  avait  in- 
fligée à Vâtàpi,  et  dorénavant  il  n’y  eut  plus  que  des  qua- 
lités aimables  dans  son  hermitage.  8645. 


LE  MAHA-BHARATA. 


454 


» Voici  la  sainte  Bhâgirathl , fréquentée  par  les  Gan- 
dharvas  et  les  Dieux  : elle  brille  sur  la  voûte  du  ciel, 
comme  un  drapeau  agité  par  le  vent  ; 8640. 

n Continuellement  étendue  sur  les  cimes  comme  sur 
les  précipices  de  la  montagne,  et  frémissante  au  milieu 
des  rochers,  telle  que  l’épouse  du  roi  des  serpents  ; 

» Arrosant  comme  une  mère  toute  la  région  méridio- 
nale, après  quelle  s’est  échappée  des  cheveux  en  gerbe 
de  Çambou.  C’est  l’épouse  bien-aimée  de  l'Océan. 

8647—8648. 

» 11  faut  te  plonger  dans  cette  rivière  très-sainte. 
Écoute,  grand  roi  : c’est  le  tirtha  de  Bhrigou,  Youddhish- 
thira,  fameux  dans  les  trois  mondes  et  fréquenté  par  les 
chœurs  des  Dévarshis.  C’est  là  que  Ràma,  s'étant  baigné, 
recouvra  la  splendeur,  sire,  qui  lui  avait  été  ravie.  8649. 

» Ici,  veuille  bien  reprendre,  fils  de  Pàndou,  avec  tes 
frères  et  Krishnà,  cette  splendeur,  que  Douryodhana  t'a 
dérobée,  comme  Ràma,  après  sa  guerre  faite,  reprit  celle, 
qu'il  avait  perdue.  » Alors  le  Pàndouide,  s’étant  baigné 
en  compagnie  de  ses  frères  et  de  Krishnà,  rassasia  d’of- 
frandes les  Dieux  avec  les  Mânes  ; et  la  beauté  de  ce  tir- 
tha resplendit,  plus  enflammée  que  la  flamme. 

8650— 8661— 8652. 

» Le  fils  de  Pàndou,  sire,  parut  encore  plus  inafiron- 
table  aux  ennemis,  et  il  fit,  Indra  des  rois,  cette  question 
à Lomaça  : 8653. 

« Révérend,  pourquoi  Ràma  avait-il  perdu  sa  beauté  ? 
Et  comment,  Indra  des  brahmes,  la  recouvra-t-il  ? Ré- 
ponds à ma  demande  ? » 8654. 

Lomaça  lui  répondit  : 

« Écoute,  sire,  cette  aventure  de  Ràma  et  du  sage 


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VANA-PARVA. 


455 


petit-fils  de  Bhrigou.  Ràma  était  né  pour  fils  au  magna- 
nime Dnçaratha.  8655. 

» C’était  Vishnou  incarné  dans  sa  personne  pour  la 
mort  de  Ràvana.  Nous  avons  vu  nous-même  ce  Daçara- 
thide,  dans  Ayodhya,  au  temps  de  sa  naissance.  8656. 

» Le  descendant  de  Bhrigou,  Ràma,  le  fils  de  Rénoukà 
et  le  rejeton  de  Ritchlka,  entendit  raconter  les  exploits 
de  ce  Râma  aux  travaux  infatigables.  8657. 

» Poussé  par  la  curiosité,  il  revint  à Ayodhyà  : il  por- 
tait l’arc  divin,  qui  avait  opéré  la  destruction  des  ksha- 
tryas.  8658. 

» Il  désirait  connaître  la  force  de  ce  Ràma,  le  fils  de 
Raçaratha.  Celui-ci,  à la  nouvelle  qu’il  était  arrivé  sur  la 
frontière  de  ses  états,  8659. 

» Envoya  son  fils  Râma,  qu’il  mettait  au-dessus  du 
Djamadagnide.  Le  brahnte,  voyant  ce  jeune  homme  ar- 
rivé et  qui  se  tenait  devant  lui,  ses  armes  levées,  8660. 

« Dit  en  riant  ces  mots,  fils  de  Kountt  : « Voici  le  mo- 
ment, que  je  désirais,  Indra  des  rois.  Bande,  seigneur, 
cet  arc,  prince,  si  tu  le  peux  ! » A ces  mots  : « Ne  veuille 
pas  te  railler  de  moi,  lui  répondit  le  kshatrya. 

8661—8662. 

» Je  ne  suis  pas  le  dernier  aux  yeux  des  brahmes  dans 
le  devoir  des  kshatryas.  C'est  parmi  les  lkshwâkides  sur- 
tout qu’on  s’enorgueillit  de  la  force  des  bras.  » 8663. 

» Au  jeune  héros,  qui  parlait  ainsi,  Râma  de  répondre 
ces  mots  : « C’est  assez  de  jactance  ! Prends  cet  arc,  re- 
jeton de  Raghou.  » 8664. 

» Ràma  le  Daçararide  prit  alors  avec  colère  aux  mains 
de  Râma  te  Djamadagnide  cet  arc  divin,  qui  avait  ter- 
rassé les  héros  des  kshatryas.  8665. 


LE  MAHA-BHARATA. 


460 


» Il  courba  cet  arc,  Bharatide,  comme  en  se  jouant,  et, 
plein  de  vigueur,  il  fit  en  riant  sonner  la  corde.  8656. 

» Toutes  les  créatures  de  trembler  à ce  bruit  semblable 
au  fracas  du  tonnerre.  Le  Daçarathide  alors  dit  ces  pa- 
roles au  Djamadagnide  : 8667. 

« Voilà  ton  arc  bandé  ! Quelle  autre  chose,  brahme, 
veux-tu  que  je  fasse?  » Ràma,  le  fils  de  Djamadagni, 
redonna  à ce  magnanime  son  arc  divin.  8668. 

n Repose-toi,  et  tire  cet  arc  jusqu’à  l’extrémité  de  ton 
oreille  !»  A ces  mots,  le  Daçarathide  lui  dit,  comme  en- 
flammé de  colère  ; 8669. 

« On  entend  et  l’on  pardonne  ! Tu  es  rempli  d’or- 
gueil, fils  de  Bhrigou  : tu  as  enlevé  aux  kshatryas  et  gardé 
pour  toi  la  plus  grande  partie  de  leur  orgueil  ! 8670. 

» Si  j’endure  tes  sarcasmes,  c’est  grâce  à ton  aïeul, 
assurément  ! Regarde  - moi  dans  la  forme , qui  m’est 
propre  : je  donne  à ton  œil  cette  faculté  I » 8671. 

» Ràma,  le  petit-fils  de  Bhrigou,  vit  aussitôt  dans  le 
corps  de  Ràma,  le  Daçarathide,  les  Adityas  avec  les  Va- 
sous,  les  Roudras,  les  Sàdhyas  et  les  troupes  des  vents, 
» Les  Mânes  et  le  feu  des  sacrifices,  les  constellations 
et  les  planètes,  les  Gandharvas,  les  Rakshasas,  les  Yak- 
shas,  les  rivières  et  les  tlrthas,  8672 — 8673. 

» Les  rishis  Bàlikhilyas,  éternels  enfants  de  Brahma, 
les  Dévarshis  au  complet,  les  mers  et  les  montagnes, 
» Les  Védas  et  les  Oupanishads,  avec  les  sacrifices 
d’oblations  par  le  feu,  les  Sàmas  sous  une  forme  intelli- 
gente et  le  Dhanour-Véda,  8674 — 8675. 

» Les  masses  de  nuages,  les  pluies  et  les  éclairs.  En- 
suite l’adorable  Vishnou,  identifié  avec  Ràma,  de  lancer 
une  flèche.  8670. 


VANA-PARVA. 


447 


» Aussitôt  la  surface  de  la  terre  fut  enveloppée  de 
foudres  sèches,  de  grands  météores  ignés,  d'une  ploie 
épaisse  de  poussière  et  de  pluies  des  nuages,  8677. 

» Avec  des  tremblements  de  terre  et  des  ouragans  de 
vents  impétueux  en  fracas  immense.  Cette  flèche  i>orta  le 
trouble  dans  l'ame  de  Râma  et  lui  enleva  complètement 
son  énergie.  8678. 

a Lancé  par  le  bras  du  Daçaratliide,  le  trait  poursuivit 
sa  marche  enflammée.  Le  Djamadagnide  tomba  dans  la 
crainte;  puis,  il  reprit  la  connaissance.  8679. 

a Revenu  à lui,  Râma  adora  la  puissance  de  Vishnou 
et,  quand  il  en  eut  obtenu  la  permission  de  ce  Dieu  fait 
homme , il  s'en  retourna  au  mont  Mahéndra.  8680. 

» Le  grand  pénitent  demeura  là  craintif,  plein  de  con- 
fusion, et,  lorsqu’une  année  se  fut  écoulée,  les  mânes  de 
ses  aïeux  dirent  à ce  llàma  sans  ivresse,  plongé  dans  la 
douleur  et  qui  se  tenait,  la  force  perdue  : « S’être  appro- 
ché de  Vishnou,  mon  fds,  n’est  pas  une  œuvre  complète. 

» Car  il  est  digne  d’hommages,  il  mérite  des  honneurs 
dans  les  trois  mondes.  Va,  mon  fils,  à la  sainte  rivière, 
appelée  Vadhoûsara.  8682 — 8683 — 8684. 

» Là,  quand  tu  te  seras  baigné  dans  les  tirthas  saints, 
tu  recouvreras  ta  beauté.  C’est  là , qu'est  ce  tîrtha , 
nommé  l’ Eau-radieuse,  où  ton  aïeul  Bhrigou,  dansl’youga 
des  Dieux,  pratiqua  une  austère  pénitence.  » Râma,  lils 
de  Rénoukà  (1) , agit  de  cette  manière,  suivant  la  parole  de 
ses  pères,  8685 — 8686. 

» Et  il  resaisit  dans  ce  tlrtha,  rejeton  de  Pândou,  sa 
splendeur  passée.  Voilà  ce  que  gagna,  mon  fils,  ce  Râma 


(!)  Le  texte  dit  Kounti.  ce  «l  it  cire  une  faute,  échappée  à la  distraction. 


468 


LE  MAHA-BBARATA. 


aux  actions  infatigables , après  qu'il  fut  d’abord  allé  trou- 
ver ce  Vishnou  sous  les  formes  du  jeune  Daçarathide.  » 

Youddhishthira  lui  dit  : 

n Ton  récit  m'a  donné  un  désir  encore  plus  vif  d’en- 
tendre, à le  plus  excellent  des  brahmes,  l’histoire  des 
actions  d’Agastya,  ce  sage  maharshi.  » S687 -8088-8689. 

« Écoute  donc,  sire,  lui  répondit  Lomaça,  la  narration 
céleste,  merveilleuse,  plus  qu'humaine,  grand  roi,  de  la 
puissance  d’Agastya  à la  force  sans  mesure.  8690. 

» 11  y avait  dans  l’âge  Krita  d'épouvantables  Dànavas, 
enivrés  de  la  fureur  des  combats  : on  appelait  ces  troupes, 
qui  semaient  partout  la  plus  grande  terreur,  les  Kâla- 
kéyains.  8691. 

» Abrités  sous  Vritra,  tenant  levées  toutes  sortes 
d’armes,  ils  couraient  de  toutes  parts  contre  les  Dieux, 
le  grand  Indra  à leur  tête.  8692. 

» Les  Tridaças  firent  jadis  un  effort  pour  tuer  Vritra, 
et,  mettant  Pourandara  devant  eux,  ils  se  présentèrent 
aux  pieds  de  Brahma.  8693. 

» Le  Paraméshthi  leur  dit  à tous,  les  mains  réunies  au 
front  : « Je  sais  tout  ce  que  vous  ave*  envie  de  faire, 
So uras  ! 8694. 

» Je  vais  indiquer  le  moyen,  par  lequel  vous  arriverez 
à tuer  Vritra.  11  est  un  grand  rishi  à la  vaste  intelligence  ; 
il  est  nommé  Dadhtlcha.  8695. 

» Allez  tous  le  trouver  de  compagnie  et  demandez-lui 
une  grâce  : cette  âme  vertueuse  vous  l’accordera  d’un 
cœur  très -satisfait.  8696. 

» Toutes  vos  Divinités  réunies  doivent  lui  parler  de 
cette  manière  : « Donne-nous  tes  os  pour  le  salut  des  trois 
mondes!  » 8697. 


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VANA-PARVA.  459 

« Et  lui,  abandonnant  son  corps,  vous  donnera  ses  os. 
Faites-en  un  vigoureux  tonnerre  bien  épouvantable, 

» Terrible,  hexagone,  au  bruit  effroyable  et  capable  de 
tuer  un  grand  ennemi,  (latakralou  avec  ce  foudre  pourra 
tuer  Vritra  ! 8698 — 8699. 

» Que  tout  soit  donc  préparé  de  la  manière,  que  je  vous 
ai  dit.  » A ces  mots , ayant  pris  congé  de  l'aleul  suprême 
des  créatures,  les  Dieux,  Nàràyana  à leur  tête,  de  s’en 
aller  à l'hermitage  de  Dadhltcha,  sur  la  rive  ultérieure  de 
la  Sarasvatt,  orné  de  lianes  et  d’arbres  divers, 

» Résonnant  au  bruit  du  chant  des  abeilles,  semblables 
à des  brahmes,  auquel  se  mêlait  le  ramage  du  kokila  mâle 
et  les  chansons  du  faisan,  8700 — 8701 — 8702. 

» Parcouru  çà  et  là  par  les  buffles,  les  sangliers,  les 
jeunes  daims  et  les  vaches  grognantes,  tous  affranchis  de 
la  peur  des  tigres,  8703. 

» Retentissant  de  tous  les  côtés  d’éléphants  et  d’élé- 
phantes,  se  plongeant  aux  ondes  du  lac,  s’ébattant,  les 
plus  grands  dans  la  fièvre  du  rut.  8704. 

» 11  répétait  les  grands  cris  des  tigres  et  des  lions  rugis- 
sants, et  d’autres  animaux,  cachés  dans  les  antres,  ou  fai- 
sant leur  repaire  dans  les  cavernes.  8705. 

» Ils  arrivèrent  à l’hermitage  de  Dadhltcha,  embelli  à 
chaque  intervalle,  bien  ravissant,  égal  et  pareil  au  Tri- 
pishtapa.  8706. 

» Ils  virent  Dadhltcha,  brillant  comme  l’auteur  du  jour, 
resplendissant  de  son  corps,  comme  le  Pitàmaha,  de  sa 
splendeur.  8707. 

» Tous  les  Dieux  prosternés,  ayant  adoré  ses  pieds,  lui 
demandèrent  une  grâce,  ainsi  que  leur  avait  dit  le  Para- 
méshthi.  8708. 


AtSO 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Alors  Dadhitcha,  dans  la  plus  grande  joie,  tint  ce 
langage  à ces  Dieux  suprêmes  : « Je  fais  maintenant  ce 
qui  vous  est  utile,  Dieux  ; et  de  moi-même  je  » ous  aban- 
donne mon  corps  ! » 8709. 

» A ces  mots,  le  plus  excellent  des  hommes,  le  sage  de 
quitter  à l'instant  sa  vie  : les  Dieux  prirent  les  os  de  l’ana- 
chorète expiré,  suivant  les  instructions,  qu’on  leur  avait 
donnés  sur  lui.  8710. 

» Les  formes  joyeuses,  les  Dieux  allèrent  trouver 
Twashtri  pour  la  victoire  et  lui  racontèrent  cette  chose.  A 
peine  eut-il  entendu  leurs  paroles,  Twashtri,  l’air  content 
et  dévoué,  fabriqua  de  ces  os  avec  effort  un  tonnerre  à la 
forme  épouvantable  au  plus  haut  degré  et,  quand  il  eut 
fait  cette  arme,  il  dit  joyeux  ces  mots  à Calera  : « Armé  de 
cette  foudre  excellente,  Dieu,  réduis  en  cendres  aujour- 
d’hui même  le  terrible  ennemi  des  Souras  ! 8711 — 8712. 

» L’ennemi  tué  avec  ses  compagnons,  règne  en  paix, 
assis  au  sein  du  ciel,  sur  l’empire  du  Tridéva.  » A ces  mots 
de  Twashtri,  Indra  joyeux  saisit  dévotement  ce  tonnerre. 

» Alors,  sa  foudre  à la  main , il  s’approcha , défendu 
par  les  Divinités  puissantes,  de  Vritra,  qui  se  tenait,  en- 
veloppant de  ténèbres  le  ciel  et  la  terre.  8713 — 8714. 

» Les  Kàlakéyainsaux  grands  corps  l’appuyaient  de  tous 
les  côtés  et,  leurs  armes  levées,  ils  ressemblaient  à des 
cimes  de  montagnes.  8715. 

» Aussitôt  s’éleva  la  grande  bataille  entre  les  Dieux  et 
les  Dànavas  : une  heure  entière,  elle  fit  trembler  le 
monde.  8718. 

» C’était  un  bruit  confus  d’épées,  levées  par  des  bras 
vigoureux,  broyées  par  des  épées  ou  tombant  sur  des 
corps.  8717. 


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VANA-PARVA. 


461 


» On  voyait  la  surface  de  la  terre,  grand  roi,  couverte 
de  têtes  tombées  de  l’atmosphère,  comme  la  cime  rompue 
des  palmiers.  8718. 

» Ces  Kàléyains,  revêtus  de  cuirasses  d’or,  tenant  pour 
armes  des  massues,  les  firent  pleuvoir  sur  les  Tridaças, 
telles  que  des  montagnes  aux  forêts  incendiées.  8719. 

» Les  Dieux  ne  purent  supporter  l’impétuosité  de  ces 
rapides  guerriers  courant  avec  orgueil,  et  ils  s’enfuirent, 
rompus  par  la  terreur.  8720. 

» L’Immortel  aux  mille  yeux,  Pourandara,  voyant  fuir 
les  Dieux  effrayés  et  triompher  Vritra,  tomba  dans  un  grand 
abattement.  8721. 

» Tremblant  de  crainte  en  ce  moment,  le  Dieu  Indra 
même  en  personne  alla  vite  implorer  le  secours  de  l’au- 
guste Nârâyana.  8722. 

» L’éternel  Vishnou,  ayant  tu  Çakra  tombé  dans  l'abat- 
tement, mit  sa  propre  vigueur  en  cet  Immortel,  dont  il 
augmenta  la  force.  8723. 

» Les  armées  des  Dieux  et  les  brahinarshis  immaculés, 
témoins  de  la  protection,  dont  Vishnou  environnait  Çakra, 
remarquèrent  tous  alors  sa  vigueur  nompareille.  8724. 

» Çakra,  que  Vishnou  avait  ranimé  avec  les  Dieux  et 
les  risbis  éminents,  fut  rempli  d'une  force  nouvelle. 

» A peine  eut-il  senti  que  le  monarque  des  Tridaças 
était  rendu  à la  vigueur,  Vritra  de  pousser  d’effroyables 
hurlements  : à ce  bruit,  la  terre,  les  points  cardinaux, 
l'atmosphère,  le  ciel,  l’éther,  tout  trembla  ! 8725 — 8726. 

» Cruellement  tourmenté  et  plongé  dans  la  terreur  à 
l’audition  de  ces  grands  cris  aux  accents  épouvantables, 
Mahéndra,  sire,  lança  à la  hâte  ce  tonnerre  pour  la  mort 
du  Démon.  8727. 


AÛ2 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Atteint  par  la  foudre  de  Çakra,  le  grand  A90ura, 
orné  de  guirlandes  d’or,  tomba,  tel  que  jadis,  envoyé  par 
la  main  de  Vishnou,  tomba  devant  lui  ce  Mandara,  la 
sourcilleuse  montagne  ! 8728. 

« Après  qu'il  eut  tué  ce  chef  des  Daltyas,  Indra,  pour- 
suivi par  la  crainte,  courut  se  plonger  dans  un  lac  : il  ne 
s'était  jrns  aperçu  dans  sa  terreur  que  sa  main  avait  lancé 
la  foudre  ; il  ne  s'était  pas  aperçu  quelle  avait  terrassé  le 
Démon.  8729. 

» Tous  les  Dieux  dans  la  joie  et  les  rishis  dans  l’allé- 
gresse de  célébrer  la  victoire  d Indra  : et,  s'étant  rassem- 
blés à la  hâte,  les  Souras  d’immoler  tous  les  Daltyas, 
consternés  de  la  mort  de  Vritra.  8730. 

» Abattus  par  la  crainte,  épouvantés  par  les  Tridaças 
réunis,  ils  se  précipitèrent  dans  la  mer  elle-même.  Entrés 
dans  le  grand  réceptacle  des  eaux,  rempli  de  poissons  et 
plein  de  crocodiles,  ils  firent  alors  en  riant  une  délibéra- 
tion en  commun  pour  la  destruction  des  trois  mondes. 
Les  uns,  à qui  les  décisions  de  la  pensée  étaient  connues, 
proposaient  tel  ou  tel  moyen.  8731 — 8732. 

» Cruelles  étaient  les  idées  de  ces  Démons,  qui  pen- 
saient alors  suivant  l' union  de  l'ordre  et  du  temps  : « Il 
faut  d’abord  tuer,  disaient-ils,  tous  ceux,  qui  sont  doués 
de  mortifications  et  de  science.  8733. 

» En  effet,  tous  les  mondes  subsistent  par  la  pénitence. 
Hâtez-vous  donc  â la  perte  de  la  péniteuce.  Les  hommes, 
qui  sont  des  pénitents  sur  la  terre  et  qui  savent  le  devoir, 
n’ignorent  pas  cette  vérité.  8734. 

» Qu’on  se  hâte  de  les  mettre  à mort  I Eux  n’étant 
plus,  le  monde  périt  ! « C'est  ainsi  que,  dans  l’inacces- 
sible séjour  de  Varouna,  mine  de  perle,  à ia  guirlande  de 


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VANA-PARVA. 


40  S 

grands  flots,  ces  Dénions,  sans  intelligence  et  sans  pitié, 
souriaient  avec  bonheur  à la  destruction  du  inonde. 

8735 — 878®. 

» Réfugiés  dans  la  mer  de  Varouna,  le  réceptacle  des 
eaux,  les  K&léyains  se  mirent  donc  à la  ruine  des  trois 
mondes.  8787. 

» Toujours  furieux,  ils  dévoraient  les  anachorètes  dans 
la  nuit,  et  ceux,  qui  habitent  les  saints  heroiitages,  et 
ceux,  qui  entourent  les  autels.  8738. 

» Quatre-vingt  brahmes  furent  dévorés  par  ces  cruels 
dans  l'hermitagede  Vaçishtha  : cent  huit  ajoutés  à neuf 
autres  pénitents  les  suivirent.  8739. 

» Infestant  l’hermitage  pur  de  Tchyavana,  qui  n’était 
habité  que  par  des  brahmes,  ils  firent  leur  festin  de  cent 
anachorètes,  qui  ne  vivaient  que  de  fruits  et  de  ra- 
cines. 8740. 

» Cest  ainsi  qu’ils  agissaient  dans  la  nuit;  mais,  le 
jour,  ils  rentraient  dans  la  mer.  (les  méchants  tuèrent 
dans  l'hermilage  de  Bharadwâdja  vingt  novices  aux  sens 
comprimés,  qui  faisaient  du  vent  leur  nourriture.  Ces  Dà- 
navas,  enivrés  de  la  confiance,  qu'ils  trouvaient  dans  la 
force  de  leurs  bras,  parcoururent  ainsi  pendant  la  nuit 
successivement  tous  les  hermitages.  Ces  kàléyains,  en- 
fants de  la  mort,  tuèrent  alors  de  nombreuses  foules  de 
brahmes.  8741 — 8742 — 8743. 

» Les  hommes  ne  s’apercevaient  pas  des  manœuvres 
de  ces  Daityas,  Ô le  meilleur  des  hommes,  qui  traitaient 
ainsi  les  ascètes,  livrés  à la  pénitence.  8744. 

» Au  point  du  jour,  on  voyait  les  anachorètes,  arrachés 
à leur  vie  et  à leurs  abstinences,  étendus  sur  la  face  de  la 
terre,  avec  leurs  corps  privés  d'existence,  8745. 


LE  MAHA-BHARATA. 


46A 

» Leurs  chaire  amaigries,  dénués  de  sang,  vides  de 
moelle,  sans  entrailles,  désarticulés  et  jetés  çà  et  là.  I.a 
terre  semblait  couverte  par  des  monceaux  de  conques. 

» Le  sol  était  jonché  d'aiguières  rompues,  de  cuillers 
pour  les  sacrifices  brisées,  de  feux  perpétuels  dispersés. 

8746—8747. 

» Le  monde,  oppressé  par  la  crainte  des  K&lévains, 
sans  récitation  des  prières,  sans  oblations  funèbres,  sps 
sacrifices,  ses  fêtes,  ses  cérémonies  perdues,  était  devenu 
indifférent  à P exercice  du  culte.  8748. 

» Ainsi  détruits,  les  hommes,  livrés  au  soin  de  se  con- 
server, couraient,  talonnés  par  la  crainte,  souverain  des 
enfants  de  Manou,  à tous  les  points  de  l’horizon.  8749. 

» Les  uns  entraient  dans  les  cavernes,  les  autres  dans 
les  cataractes;  ceux-là,  troublés  par  la  crainte  de  la  mort, 
abandonnaient  la  vie  dans  les  transes  de  la  peur.  8750. 

u Ceux-ci,  héros  aux  grands  arcs  et  remplis  d'ardeur, 
se  mirent  à les  chercher  et  firent  un  suprême  effort  contre 
les  Dânavas;  mais  ils  ne  purent  les  découvrir,  réfugiés 
qu’ils  étaient  dans  la  mer;  ils  ne  trouvèrent  que  la  fati- 
gue, ils  y trouvèrent  la  mort  elle-même.  8751 — 8752. 

» Voyant  le  monde  tombé  dans  le  relâchement,  les  sa- 
crifices, les  cérémonies,  les  fêles  cessées,  les  Tridaças, 
monarque  des  hommes,  s'abandonnèrent  à la  plus  vive 
douleur.  8753. 

» S’étant  réunis  avec  Mahéndra,  ils  tinrent  un  conseil 
sous  l'empire  de  la  crainte  ; ils  allèrent  implorer  le  secours 
du  secourable  Dieu,  l'auguste  Nârâyana,  qui  n’a  pas  eu  de 
naissance;  et,  quand  ils  eurent  présenté  leurs  hommages 
à Vîdkounta,  à l’invaincu,  tous  les  Dieux  adressèrent  ces 
paroles  au  meurtrier  de  Madhou  : 8754 — 8755. 


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VANA-PARVA. 


46  5 


«Tu  es  notre  créateur,  l'auteur  et  le  destructeur  du 
monde  : par  toi  fut  créé  tout  ce  qui  se  meut  et  ne  se 
meut  pas.  8756. 

» Jadis,  la  terre  submergée  fut  retirée  par  toi  de  l’océan, 
Dieu  aux  yeux  de  lotus,  quand  tu  revêtis  le  corps  d’un 
sanglier  dans  l'intérêt  du  monde.  8767. 

« Jadis,  fut  tué  par  toi,  qui  pris  le  corps  d'un  homme- 
lion,  ô le  meilleur  des  hommes,  Hiranyakaçipou  à la 
grande  vigueur,  le  premier  Daltya  ! 8758. 

» C’est  toi,  qui,  sous  la  forme  d’un  nain,  a banni  des 
trois  mondes  le  grand  Asoura  Bali,  immortel  pour  tous  les 
êtres!  8759. 

» C'est  toi,  qui  terrassa  également  l’ Asoura  au  grand 
arc,  le  cruel  perturbateur  des  sacrifices,  célèbre  sous  le 
nom  de  Djambha.  8760. 

» Tels  furent  les  premiers  de  tes  exploits,  dont  le  calcul 
n’existe  pas.  Sois  notre  voie,  meurtrier  de  Madhou,  au 
milieu  de  la  crainte,  qui  nous  agite.  8761. 

» Nous  t’avertissons  donc  ici  pour  l’intérêt  du  monde, 
roi  du  roi  des  Dieux;  sauve  d’un  grand  danger,  et  les 
mondes,  et  les  Dieux,  et  Çakra  lui-même.  8762. 

» Par  ta  faveur  s’accroissent  toutes  les  créatures  des 
quatre  classes,  et,  occupées  d'oblations  et  de  sacrifices, 
elles  sont  soutenues  par  les  habitants  du  ciel.  8763. 

» En  effet,  les  mondes  s’augmentent  de  cette  manière, 
en  s'appuyant  les  uns  sur  les  autres.  Que  ta  grâce  les 
sauve,  à l’abri  de  l’inquiétude!  8764. 

» Voici  qu’un  immense  désastre  est  tombé  sur  les 
mondes,  et  nous  ne  savons  par  qui  ces  brahmes  sont  tués 
dans  la  nuit.  8765. 

» Les  brahmes  n’étant  plus,  la  terre  s’en  ira  à sa 
lit  30 


466  LE  MAHA-BHARATA. 

perte,  et  le  ciel  suivra  dans  sa  ruine  la  terre,  qui  ne  sera 
plus.  8766. 

» Que  par  ta  grâce,  maître  de  la  terre  aux  longs  bras, 
tous  ces  mondes,  sauvés  par  toi,  n’aillent  donc  pas  à la 
destruction  ! » 8767. 

» Vishnou  répondit  : 

« La  cause  de  la  perte  des  créatures  et  de  vous-mêmes 
est  connue  de  moi  ; je  vais  la  dire  : écoutez-moi,  6 vous 
tous,  Dieux,  affranchis  d'inquiétudes.  8768. 

» 11  est  une  troupe,  infiniment  épouvantable,  nommée 
les  Kàléyains  : abritée  sous  Yritra,  elle  opprima  toute  la 
terre.  8769. 

» A peine  eut-elle  vu  le  Dieu  sage  aux  mille  yeux  im- 
moler Vritra,  elle  de  sauver  sa  vie,  en  se  plongeant  dans 
l’ humide  séjour  de  Varouna.  8770. 

a Entrés  dans  le  réceptacle  horrible  des  eaux,  rempli 
de  crocodiles  et  de  requins,  ils  tuent  dans  ce  .bas  monde 
les  rishis  durant  la  nuit  pour  atteindre  à la  destruction 
des  mondes.  8771. 

» 11  est  impossible  de  leur  donner  la  mort,  tant  qu’ils 
restent  plongés  dans  l’asile  des  mers  : que  la  pensée  de 
vos  divinités  s’applique  donc  à supprimer  l’Océan.  8772. 

» Mais  qui  est  capable,  si  ce  n’est  Agastya,  de  tarir  la 
mer?  Et  l’on  ne  peut  les  vaincre,  si  l’on  ne  commence 
par  dessécher  la  mer  ! a 8773. 

» A ces  mots,  que  Vishnou  avait  prononcés,  les  Dieux 
alors,  prenant  congé  du  Paraméshthi,  se  rendent  à l’her- 
mitage  d'Agastya.  8774. 

» Ils  virent  là  ce  magnanime  rejeton  de  Varouna,  la 
splendeur  enflammée,  servi  par  les  rishis,  comme  le  Pitâ- 
maha  l’est  par  les  Dieux.  8775. 


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VANA-PARVA. 


407 


» Ils  s’avancent  vers  ce  fils  immortel,  au  grand  cœur, 
de  Mitravarouna , qui  se  tenait  dans  son  hermitage , 
comme  une  montagne  de  pénitence,  et  le  louent  par  ses 
œuvres.  8770. 

» Les  Dieux  lui  dirent  : 

« Tu  fus  jadis  le  refuge  du  monde  tourmenté  par  Na- 
housha  ; tu  précipitas  de  l’empire,  et  par  suite  des  inondes 
du  Swarga,  ce  fléau  terrible.  8777. 

» Tout  à coup  le  mont  Vindhya,  la  plus  grande  des 
montagnes,  qui  s’élevait  de  colère  pour  voiler  l’astre,  qui 
donne  le  jour,  cessa  de  croître  à ta  voix  et  ne  dépassa 
point  le  soleil.  8778. 

» Le  monde  était  enveloppé  d’obscurité  et  la  mort 
affligeait  les  créatures  : elles  viennent  alors  implorer  ta 
protection,  et  une  extrême  satisfaction  succède  à leurs 
maux  ! 8779. 

u Continuellement  tourmentés  par  la  crainte,  il  n’est 
pour  nous,  révérend,  aucune  voie  de  salut  : nous  venons, 
malheureux,  solliciter  de  toi  une  grâce,  car  tu  es  le  dona- 
teur des  grâces.  » 8780. 

Youddhishthira,  l'interrompant , dit  : 

o Pourquoi  le  mont  Vindhya,  plein  de  colère,  s’était-il 
élevé  soudain  ? Voilà,  grand  anachorète,  ce  que  je  désire 
entendre  avec  étendue.  » 8781. 

» De  son  lever  à son  coucher,  le  soleil,  répondit  Lo- 
rnaça,  décrit  un  pradakshina  autour  du  Mérou,  le  roi  des 
monts,  la  montagne  d’or,  la  grande  montagne.  8782. 

n Le  mont  Vindhya,  l’ayant  vu,  dit  au  soleil  : « De 
même  que  ton  excellence  tourne  sans  cesse  autour  du 
Mérou,  8783. 

* Et  décrit  autour  de  lui  son  pradakshina,  fais  de  même 


468 


LE  MAHA-BHARATA. 


autour  de  moi,  soleil  !»  A ces  mots,  l’astre  lumineux  de 
répondre  à la  haute  montagne  : 8784. 

« Je  ne  décris  pas  ce  pradakshina,  montagne,  de  mon 
libre  mouvement  ; c’est  la  route , que  m’ont  tracée  les 
puissances,  qui  ont  créé  ce  monde  ! » 8785. 

» A peine  avait-il  fini  de  parler,  fléau  des  ennemis,  la 
montagne  s’éleva  de  colère  tout  à coup,  désirant  fermer 
la  route  du  soleil  et  de  la  lune.  8786. 

» Alors  tous  les  Dieux  vinrent  de  compagnie  trouver 
le  Vindhya,  ce  roi  des  hautes  montagnes,  et  cherchèrent 
de  tous  leurs  moyens  à le  détourner  de  son  dessein  ; mais 
il  ne  se  rendit  pas  à leurs  paroles.  8787. 

» Les  Souras  viennent  donc  trouver  dans  son  hermi- 
tage  l'anachorète  Agastya,  le  plus  vertueux  des  hommes 
vertueux,  le  pénitent  doué  d’une  vigueur  plus  que  mer- 
veilleuse ; et  tous,  de  concert,  ils  portent  le  fait  à sa  con- 
naissance. 7888.’ 

» Voici  le  Vindhya,  la  sourcilleuse  montagne,  lui 
disent-ils,  qui,  obéissant  au  pouvoir  de  la  colère,  in- 
tercepte la  route  du  soleil,  de  la  lune  et  des  constel- 
lations. 8780. 

» Et  personne,  si  ce  n’est  toi,  ô le  plus  grand  des 
brahmes,  ne  peut  l’empêcher!  Arrête-le  donc,  éminent 
anachorète  ! » 8790. 

» A peine  eut-il  entendu  ces  paroles  des  Souras,  le 
brahme  alla  trouver  le  mont  Vindhya  ; arrivé  près  de  lui, 
il  dit  avec  respect  à la  montagne,  ferme  sur  ses  pieds  : 

« Une  certaine  affaire  couduit  mes  pas  dans  la  région 
méridionale;  je  désire,  6 le  plus  grand  des  monts,  que  ta 
grandeur  me  donne  une  route.  8791 — 8792. 

» Attends-moi  tant  que  durera  mon  absence;  et,  à 


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VÀNA-PARVA.  m 

mon  retour,  Indra  des  monts,  ajoute,  comme  tu  le  vou- 
dras, à ta  grandeur  ! » 8793. 

» Quand  il  eut  fait  cette  convention,  fléau  de  tes  enne- 
mis, avec  le  Vindhya,  il  partit  ; et,  de  nos  jours  mômes, 
on  ne  voit  pas  revenir  le  Varounide  de  la  région  méridio- 
nale (1).  879â. 

» Je  t'ai  exposé  tout,  comment  il  se  fait  que  le  mont 
Vindhya  ne  s’accroît  plus  ; maintenant  j’ai  à continuer 
mes  réponses  à tes  questions  sur  la  puissance  d'Agastya. 

» Ecoute  de  ma  bouche,  sire,  comment  ces  Kàléyains 
furent  immolés  par  tous  les  Dieux,  qui  étaient  allés  frap- 
per à la  porte  d'Agastya.  8795 — 8796. 

Dès  qu'il  eut  entendu  la  voix  des  Tridaças,  le  fils  de 
Mitravarouna  leur  dit  : « Quelle  raison  vous  amène? 
Quelle  grâce  désirez-vous  de  moi  !»  A ces  mots  de  l'ana- 
chorète, les  Dieux  lui  répondirent  : 8797. 

« Voici  quelle  affaire  nous  voudrions  que  tu  fisses,  ma- 
gnanime. Il  s’agit  de  boire  la  mer  ! Ensuite,  nous  tuerions 
les  ennemis  des  Dieux,  qui  sont  appelés  les  Kàléyains, 
avec  leurs  alliés.  » 8798. 

a Soit  ! reprit  le  solitaire,  quand  il  eut  oui  ce  langage 
des  Tridaças  ; je  ferai  ce  que  désirent  vos  excellences,  et 
ce  grand  plaisir  à tous  les  mondes.  » 8799. 

» A ces  mots,  prince  ferme  en  tes  vœux,  il  se  rendit  au 
bord  de  l’Océan,  souverain  des  fleuves,  accompagné  des 
Dieux  et  des  rishis,  parfaits  dans  leurs  pénitences.  8800. 

» Leshommes,lesOuragas,lesGaudharvas,  lesYakshas 


(i)  Agastya  est  le  régeut  de  l'étoile  Canopus  ; et  cette  légende  u est 
évidemment  qu'une  allusion  à la  positiou  de  cet  astre  relativement  à l'hémi- 
sphère septentrional. 


470 


LE  MAHA-BHARATA. 


et  les  Kimpourashas  de  suivre  ce  magDauime,  désireux 
tous  de  voir  un  fait  si  merveilleux.  8801. 

» Ils  s’en  allèrent  tous  de  compagnie  vers  la  mer  au 
bruit  épouvantable,  dansant,  pour  ainsi  dire,  avec  ses 
vagues,  et  bondissant  au  souille  du  vent.  8802. 

» Infestée  de  requins  en  grand  nombre  et  peuplée  de 
toutes  les  sortes  d’oiseaux,  elle  semblait  rire  avec  ses 
masses  d’écume  et  bronchait  à l’entrée  des  cavernes. 

» Les  Dieux,  accompagnant  Agastya,  avec  les  Gan- 
dharvas,  les  grands  Ouragas  et  les  plus  éminents  des 
rishis,  s’approchèrent  de  l’immense  bassin  des  eaux. 

8808 — 8804. 

» Quand  le  vénérable  saint,  fils  de  Varouna,  se  fut 
avancé  vers  la  mer,  il  dit  aux  Dieux  et  aux  rishis,  qui 
étaient  venus  de  compagnie  avec  lui  : 8805. 

« Je  vais  boire  la  mer  pour  le  salut  du  monde.  Que 
vos  excellences  fassent  promptement  ce  qu'elles  ont  à 
faire  I » 8806. 

» Quand  il  eut  dit  ces  mots,  l'immortel  fils  de 
Mitravarouna  but  la  mer  avec  colère,  sous  les  yeux  du 
monde  entier.  8807. 

» Dès  qu'il  voient  l’Océan  tari,  les  Immortels,  avec  Indra, 
tombent  dans  un  profond  étonnement  et  comblent  de 
louanges  l’auteur  du  prodige  : 8808. 

a Tu  es  notre  sauveur,  disent-ils,  le  créateur  des 
mondes  et  le  salut  du  monde  ! Ce  monde  par  ta  grâce  ne 
tombera  pas  dans  la  ruine  avec  les  Immortels.  » 8800. 

» Ce  magnanime  honoré  par  les  Tridaças,  salué  par 
les  instruments  de  musique  et  par  les  danses,  en  tout  lieu, 
des  Gandharvas,  inondé  de  Heurs  célestes,  avait  tari  en- 
tièrement les  eaux  de  la  grande  mer  ! SS10. 


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VANA-PARVA. 


à71 

» A peine  ont-ils  vu  l'Océan  privé  de  ses  ondes,  les 
Souras,  au  comble  de  la  joie,  saisissent  les  meilleures 
des  armes  divines,  et,  d'une  âme  transportée,  ils  terrassent 
les  Dânavas.  8811. 

» Abattus  par  ces  impétueux  et  magnanimes  Tridaças, 
aux  grandes  forces  et  poussant  des  cris,  les  Dânavas,  aux 
clameurs  épouvantables,  ne  purent  soutenir  la  fougue  des 
habitants  du  ciel.  En  vain,  ils  firent  tête  une  heure  envi- 
ron, fds  de  Bharata,  à une  bataille  des  plus  tumultueuses. 

8812—8815. 

» Ces  Démons,  que  jadis  consumait  la  pénitence  des 
risbis méditatifs,  furent  alors  tué3  par  les  Dieux,  malgré 
les  efforts  désespérés  de  toute  leur  puissance.  8814. 

» Ornés  de  nishkas  d'or,  portant  des  pendeloques  et 
des  bracelets,  étendus  morts,  ils  n'en  jetaient  pas  moins 
de  vifs  rayons  de  lumière  comme  des  kinçoukas  en 
fleurs.  8815. 

» Quelques  Kàléyains,  survivant  au  reste  immolé,  fen- 
dirent la  divine  terre,  6 le  plus  grand  des  enfants  de 
Manou,  et  descendirent  au  fond  du  Pàtâla.  8816. 

» Les  Tridaças,  voyant  détruits  les  Dânavas,  donnèrent 
à l'éminent  anachorète  différents  éloges  et  lui  tinrent  ce 
langage  : 8817. 

« Par  ta  faveur,  solitaire  aux  longs  bras,  ces  mondes 
ont  obtenu  un  grand  bien  ! Grâce  à ton  énergie,  ont  suc- 
combé les  Kàléyains  à la  bravoure  inhumaine.  8818. 

n Remplis  (le  nouveau  la  mer,  sauveurpuissant  du  monde  : 
rejette  dans  ce  bassin  l’eau,  que  tu  as  bue  ! » 8819. 

■ Aces  mots,  le  révérend  et  l'éminent  hermite  répon- 
dit : « Cette  eau,  je  l’ai  digérée  1 Que  vos  excellences 
s’ingénient  à trouver  un  autre  moyen  de  remplir  la  mer  1 » 


472 


LE  MAHA-BHARATA. 


Quand  ils  eurent  entendu  ces  paroles  du  maharshi  con- 
templateur, 8820 — 8821. 

» Tous  les  Dieux  furent  étonnés  et  troublés  ; ils  s’in- 
clinent les  uns  et  les  autres  devant  l’éminent  anachorète, 
demandent  congé  et  tous  ces  êtres,  auguste  majesté,  s’en 
vont  comme  ils  étaient  venus.  Les  Tridaças,  ayant  déli- 
béré mainte  et  mainte  fois  sur  les  moyens  de  remplir  ce 
bassin  de  la  mer,  se  rendirent  avec  Vishnou  auprès  de 
l'aïeul  suprême  des  créatures  ; et  tous,  les  mains  réunies 
aux  tempes,  lui  firent  connaître  que  l’Océan  vide  était  à 
remplir.  8822 — 8823 — 8824. 

» Brahma,  le  suprême  aïeul  des  mondes,  répondit  aux 
Immortels  réunis  : « Dieux,  allez- vous-en,  tous,  où  vous 
appelle  le  désir,  où  vous  iuvile  la  fantaisie.  8825. 

« L'Océan  reviendra  à son  état  naturel  après  un  long 
cours  du  temps.  On  en  verra  la  cause  dans  les  parents 
du  grand  roi  Bhagiratha.  » 8828. 

» Dès  qu’ils  eurent  ouï  ces  paroles  de  l’aïeul  suprême 
des  créatures,  les  plus  excellents  des  Immortels,  disposés 
à attendre  l’arrivée  du  temps,  s’en  allèrent  comme  ils 
étaient  venus.  » 8827. 

« Comment  les  parents  furent-ils  cause?  interrompit 
Youddhishthira.  De  quoi  s’agit-il  ici,  anachorète  ? Et  com- 
ment la  mer  fut-elle  remplie  avec  le  secours  de  Bhagi- 
ratha? 8S28. 

» Je  désire  entendre  avec  étendue,  racontée  par  toi, 
brahme  opulent  de  pénitences,  l'histoire  sublime  de  ces 
rois?  » 8829. 

A ces  mots  du  magnanime  Dharmaràdja,  lTndra  des 
brabmes  se  mit  à conter  la  grandeur  d’âme  de  Sagara  au 
cœur  élevé  : 8830. 


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VANA-PARVA. 


A73 


<i  Parmi  les  descendants  d'ikshwàkou,  il  naquit  un 
prince,  nommé  Sagara.  11  était  doué  de  force,  de  courage 
et  de  beauté  : auguste  et  majestueux,  il  n'avait  pas  de 
fils.  8831. 

» 11  fit  une  expédition  contre  les  Halhayains  et  les  Tâ- 
landjanghas,  rejeton  de  Bharata;  et,  quand  il  eut  mis 
d’autres  rois  sous  sa  puissance,  il  s’occupa  de  gouverner 
son  royaume.  8832. 

» Il  avait  deux  épouses,  fières  de  leur  jeunesse  et  de 
leur  beauté  ; c’étaient,  0 le  plus  vertueux  des  Bharatides, 
Vatdarbhl  et  Çaîvyà.  8833. 

» Ce  roi,  désireux  d’un  fils,  se  rendit  au  mont  Kal- 
làsa,  où  il  embrassa,  avec  ses  deux  épouses,  une  austère 
pénitence.  883â. 

» Tandis  qu’il  endurait  ces  bien  grandes  macérations 
et  qu’il  s’absorbait  en  l’Être  suprême,  il  vint  trouver  le 
magnanime  Dieu  aux  trois  yeux,  le  meurtrier  de  Tri- 
poura,  8835. 

» Çangara,  l’Être,  le  Seigneur,  le  Dieu  à l’arc  Pinâka, 
l’Immortel  au  trident,  Tryambaka,  Çiva,  le  Maître-ter- 
rible, la  Déité  aux  formes  multiples,  l’époux  d’Ournâ. 

» Quand  le  monarque  aux  longs  bras,  accompagné  de 
ses  deux  épouses,  vit  le  donateur  des  grâces,  il  se  pros- 
terna à ses  pieds  et  lui  demanda  un  fils.  8838 — 8837. 

» Hara  joyeux  dit  à cet  excellent  roi  et  à ses  épouses  : 
« Dans  cette  heure  même,  où  je  suis  sollicité  ici  par  toi, 
sire,  de  t’accorder  une  grâce,  8838. 

» Soixante  mille  fils,  tous  héros,  tous  d’un  orgueil 
extrême,  naîtront  dans  l’une  de  tes  épouses,  ô le  plus 
grand  des  plus  grands  hommes.  8339. 

» Mais  tous,  prince,  ils  iront  de  compagnie  à la  mort  ! 


474 


LE  MAHA-BHARATA. 


Un  héros,  fils  unique,  continuateur  de  ta  race,  nattra  de 
ton  autre  épouse.  » 8840. 

» A peine  eut-il  parlé  ainsi,  Roudra  disparut  à l'ins- 
tant même,  et  le  roi  Sagara  s'en  revint  à ton  palais,  ac- 
compagné de  ses  épouses  et  l'ânie  bien  satisfaite.  Ses 
deux  femmes,  aux  yeux  de  lotus  bleu,  Vaidarbhi  et  Çaî- 
vyâ,  devinrent  enceintes  dans  le  même  temps,  0 le  plus 
vertueux  des  enfants  de  Manou,  et  la  première,  quand  le 
temps  fut  arrivé,  accoucha  d'une  citrouille. 

8841—8842—8843. 

» Çatvya  mit  au  monde  un  fils,  jeune  prince,  qui  avait 
la  beauté  des  Dieux.  Le  monarque  pensa  d’abord  à jeter 
la  citrouille  hors  de  son  palais.  8844. 

» Mais  il  entendit  tomber  de  l’atmosphère  ces  mots, 
prononcés  d’une  voix  profonde  : « Ne  te  presse  pas,  sire  ! 
Ne  veuille  pas  abandonner  tes  fils  ! 8845. 

» Retire  les  graines  du  milieu  de  la  citrouille  et  garde- 
les  avec  soin,  humides  de  leur  propre  moiteur,  et  chacune 
dans  un  vase,  rempli  de  beurre  clarifié.  8840. 

» De  cette  manière,  tu  obtiendras,  fils  de  Bharata, 
soixante  mille  enfants.  Tel  est  le  procédé  méthodique, 
monarque  des  hommes,  que  le  Grand-Dieu  indique  pour 
la  naissance  de  tes  fils.  Que  ta  pensée  ne  soit  pas  diffé- 
rente ! » 8847 — 8848. 

» Dès  qu’il  eut  entendu  ces  paroles  tombées  de  l'at- 
mosphère, le  roi,  plein  de  foi,  ù le  meilleur  des  rois,  fit 
ce  qui  lui  était  dit.  8840. 

» Le  monarque  sépara  les  graines  une  à une,  et  mit 
chaque  semence,  à part,  dans  un  vase,  plein  de  beurre 
clarifié.  8850. 

» 11  préposa  à chacune  individuellement  une  nourrice. 


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VANA-PARVA.  475 

attentive  à la  conservation  de  ses  fils.  Ensuite,  après  un 
long  espace  de  temps  écoulé,  sortirent  soixante  mille  fils 
à la  grande  force,  à la  vigueur  incomparable,  que  la  fa- 
veur de  Roudra,  sire,  fit  naître  à ce  roi  saint. 

8861—8852. 

» Épouvantables  artisans  de  cruautés,  ils  rôdaient  par 
toute  l’atmosphère;  et  leuf  grand  nombre  inspirait  à 
ces  hommes  le  mépris  de  tous  les  mondes  et  des  Immor- 
tels. 8853. 

n Héros,  doués  de  la  passion  des  batailles,  ils  fondaient 
sur  les  Tridaças,  les  Gandharvas,  les  Rakshasas  et  sur 
tous  les  êtres.  8854. 

» Maltraités  par  les  Sagarides  à l’âme  insensée,  les 
mondes,  accompagnés  par  tous  les  Dieux,  s’en  allèrent 
implorer  le  secours  de  Brahma.  8855. 

» Le  vénérable  aïeul  de  tous  les  mondes  leur  dit  : 
« Retirez-vous,  comme  vous  êtes  venus,  vous  tous,  Tri- 
daças avec  les  mondes.  8856. 

» Avant  qu’il  nés’ écoule  un  temps  bien  long,  Souras,  les 
œuvres,  qu’ils  auront  faites,  vont  attirer  sur  les  Sagarides 
une  ruine  immense  et  très-épouvantable  ! » 8857. 

» A ces  mots,  les  Dieux  et  les  mondes,  seigneur  des 
enfants  de  Manou,  ayant  pris  congé  du  Pitâmaha,  s’en 
retournent  comme  ils  sont  venus.  8868. 

u Après  beaucoup  de  temps  écoulé,  Sagara,  le  puissant 
monarque,  éminent  Bharatide,  se  fit  initier  pour  le  sacri- 
fice d’un  açva-médha.  8859. 

» Le  cheval,  gardé  par  ses  fils,  parcourut  en  liberté  la 
terre  ; mais,  arrivé  sur  les  bords  de  l'Océan  vide  et  d’un 
aspect  effroyable,  8° 90. 

» Il  disparut  là,  quoique  surveillé  attentivement.  Les 


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478 


LE  MAHA-BHARATA. 


Sagarides  alors  de  penser,  mon  fils,  qu’on  avait  enlevé 
l'excellent  cheval.  8861. 

» Ils  revinrent  chez  leur  père  et  lui  dirent  qu’on  avait 
ravi  le  coursier,  devenu  invisible  : o Cherchez  tous  mon 
cheval  dans  toutes  les  contrées  ! » leur  fut-il  répondu  par 
lui.  8862. 

» Connaissant  donc  le  désir  de  leur  père,  ils  se  mirent 
à chercher  son  cheval,  grand  roi,  dans  toutes  les  régions 
et  parcoururent  toute  la  surface  de  la  terre.  8863. 

» Ensuite  les  Sagarides  se  réunissent  les  uns  avec  les 
autres  ; mais  ils  n’avaient  découvert,  ni  le  cheval,  ni  son 
ravisseur.  8864. 

» Ils  revinrent  chez  leur  père,  et,  joignant  les  mains 
aux  tempes  en  face  de  lui,  ils  dirent  : « Sire,  nous  avons 
fouillé,  sur  les  ordres  de  ta  majesté,  la  terre  entièrement 
avec  les  mers,  les  forêts  et  les  îles,  avec  les  fleuves,  les 
rivières  et  les  cavernes,  avec  les  montagnes  et  les  lieux 
boisés  ; 8865 — 8866. 

» Mais  nous  n’avons  pu  voir,  ni  le  cheval,  ni  même 
son  ravisseur.  » A peine  eut-il  entendu  leurs  paroles,  le 
monarque , obéissant  à la  puissance  du  Destin , leur 
adressa,  plein  de  colère,  ce  langage  à tous  : « Allez,  sans 
retour  ! Et  cherchez  de  nouveau  mon  cheval  ! 

8867—8868. 

» En  effet,  sans  le  coursier  destiné  au  sacrifice,  vous 
ne  devez  pas,  mes  fils,  vous  représenter  ici  1 » Ayant  reçu 
de  leur  père  ces  instructions,  les  fils  de  Sagara,  8869. 

» Ces  héros,  se  mirent  de  nouveau  à fouiller  le  globe 
entier  et  virent  enfin  la  terre  t’ entrouvrir  rompue.  8870. 

» Arrivés  à cette  caverne,  les  fils  de  Sagara  la  creu- 
sèrent, déployant  les  plus  grands  efforts  avec  des  hoyaux 


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VANA-PARVA. 


477 


et  des  pioches.  C'était  la  mer  ! Troué  et  fendu  de  tous  les 
côtés  par  leurs  bras  réunis,  le  séjour  de  Varouna  offrit 
l’aspect  le  plus  déplorable.  8871 — 8872. 

.)  Immolés  par  ces  fils  de  Sagara,  les  Asouras,  les  Ou- 
ragas,  les  Rakshasas,  toutes  les  créatures  diverses  pous- 
sèrent des  cris  de  détresse.  8875. 

« On  vit,  par  centaines  et  par  milliers,  tous  ces  êtres 
animés,  ceux-ci  la  tête  coupée,  ceux-là  sans  corps,  les 
autres  avec  l'assemblage  des  os  et  de  la  peau  brisée  ! 8874. 

» lin  temps  bien  long  s’écoula,  tandis  qu'ils  fouillaient 
la  mer,  cet  empire  de  Varouna,  et  l’on  ne  voyait  pas  en- 
core le  cheval.  8875. 

» Ensuite,  monarque  de  la  terre,  les  fils  irrités  de  Sa- 
gara,  ayant  percé  la  voûte  des  enfers  au  nord-est  de  la 
mer,  aperçurent  le  cheval,  qui  se  promenait  là  sur  la  sur- 
face de  la  terre  : auprès  de  lui  était  le  magnanime  Kapila, 
montagne  sublime  de  splendeur,  8876 — 8877. 

» Qui  brûlait  par  la  splendeur,  comme  le  feu  par  ses 
flammes.  A la  vue  du  coursier,  sire,  les  cheveux  hérissés 
de  joie,  irrités  et  poussés  par  le  Destin,  ils  coururent,  sans 
tenir  compte  du  magnanime  Kapila,  brûlantsdes’emparer 
du  cheval.  8878—8879. 

» I.e  plus  vertueux  des  anachorètes,  grand  roi,  Kapila 
en  fut  irrité.  Les  plus  grands  des  solitaires  disent  que  ce 
Kapila  est  le  Vasoudévide  (4).  8880. 

» Puis,  ayant  chargé  son  œil  de  courroux,  il  envoya 
sur  eux  sa  splendeur,  et  l'hermite  à la  bien  grande  splen- 
deur consuma  ces  Sagarides  insensés.  8881. 

» Quand  il  les  vit  réduits  en  cendres,  Nârada,  fana- 


(1)  Ce  vers  est  une  glose,  évidemment! 


478 


LE  MAHA-BHARATA. 


chorète  aux  vastes  pénitences,  alla  trouver  Sagara  et  lui 
annonça  la  catastrophe  de  ses  fils.  8882. 

» A peine  eut-il  entendu  ces  mots  sortis  de  la  bouche 
du  solitaire,  le  roi  demeura  sans  âme  une  heure,  avant 
de  se  remémorer  les  paroles  de  Sthânou.  8883. 

» Alors  il  fit  appeler  Ançoumat,  le  fils  d'Asamandjas, 
et  adressa,  tigre  des  Bharatides,  ce  langage  à son  petit- 
fils  : 8884. 

« Mes  soixante  mille  fils  à la  force  sans  mesure,  s’étant 
approchés  des  splendeurs  de  Rapila , ont  trouvé  la  mort 
à cause  de  moi.  8885. 

» Et  ton  père  fut  abandonné  par  moi,  irréprochable 
fils,  pour  observer  mon  devoir  de  roi  et  par  mon  désir  du 
bonheur  des  citadins!  # 8886. 

Youddhishthira  l'interrompant  : 

« Pourquoi  Sagara,  ce  tigre  de3  rois,  dit-il,  avait-il 
abandonné  ce  héros,  son  propre  fils,  dont  il  est  si  difficile 
de  se  séparer?  Dis-le-moi,  homme  riche  en  pénitence  ! » 

o Sagara  eut  un  fils,  appelé  Asamandjas,  lui  répondit 
Lomaça;  il  avait  reçu  le  jour  de  Çalvya.  Ce  méchant,  sai- 
sissant par  le  cou  les  enfants  des  citadins,  les  jetait  dans 
la  rivière,  malgré  leurs  cris.  Les  citadins  se  rassem- 
blèrent, plongés  dans  la  douleur  et  la  crainte. 

8887—8888—8889. 

» Ils  vinrent  supplier  Sagara;  et  tous,  se  tenant  les 
mains  jointes,  lui  dirent  : « C’est  toi,  qui  nous  sauves, 
auguste  majesté,  de  la  crainte,  du  tchakra  de  l’ennemi  et 
des  autres  dangers.  8890. 

u Veuille  donc  nous  sauver  du  péril  effroyable,  où  nous 
jette  Asamandjas  ! » Quand  il  eut  entendu  ces  horribles 
paroles  des  citadins,  le  meilleur  des  rois  demeura  un  ins- 


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VANA-PARVA. 


A79 


tant  abandonné  de  son  âme  et  dit  à ses  ministres:  a Qu’ A- 
samandjas,  mon  üls,  soitaujourd’huimêmeexiléde  la  ville! 

8891—8892. 

» Que  cela  soit  fait  promptement,  si  vous  avez  à coeur 
mon  plaisir!  » A ces  mots  de  l’ Indra  des  hommes,  les  mi- 
nistres, sire,  8893. 

« Firent  avec  diligence  tout  ce  que  le  roi  avait  dit, 
tout  ce  qu’il  avait  ordonné  de  faire.  Je  t’ai  raconté  entière- 
ment la  manière,  dont  Sagara,  conduit  par  le  désir  du  bien 
des  citadins,  avait  exilé  son  üls  à l’âme  intraitable  ; main- 
tenant je  vais  t’exposer  le  narré  des  paroles,  que  Sagara 
dit  au  héros  Ançoumat  : écoute-moi  ! « Par  ce  renonce- 
ment à ton  père,  par  la  mort  de  mes  fils, 

889â— 8895— 8896. 

» Et  parce  que  je  n’ai  pas  retrouvé  inon  cheval,  je  suis 
consumé  de  chagrins,  mon  fils!  Brûlé  par  le  feu  de  cette 
douleur,  l'âme  égarée  par  cet  obstacle  mis  à mon  sacri- 
fice, amène-moi  le  coursier,  mon  petit-fils,  et  retire-moi 
des  enfers  ! » A ces  mots  du  magnanime  Sagara,  Ançou- 
mat 8897—8898. 

» S’en  alla  péniblement  au  lieu  où  la  terre  était  dé- 
chirée et  pénétra  dans  l’océan  par  cette  voie  même.  8899. 

» Il  vit  le  magnanime  Kapila  et  le  coursier.  A la  vue  de 
cet  antique  rishi,  le  plus  saint,  une  montagne  de  splen- 
deur (1)  ; 8900. 

» H se  prosterna  la  tête  contre  terre  et  lui  fit  part  de  sa 
mission.  Kapila,  grand  roi,  fut  satisfait  d' Ançoumat. 


(!)  Ici,  l'éditeur  saute  de  nouveau  par-dessus  mille  versets  et  compte 
cette  stance  9900  ! Nous  allons  suivre  son  exemple  pour  éviter  de  noos 


LE  MAHA-BHARATA. 


480 

» Ce  juste  lui  dit,  fils  de  Bharata  : « Je  suis  celui,  qui 
donne  les  grâces  ! » Le  jeune  prince  alors  choisit  pour  fa- 
veur première  le  coursier,  à cause  du  sacrifice. 

9901—9002. 

» Il  demanda  pour  seconde  grâce  la  purification  de  ses 
oncles,  et  Kapila  à la  grande  splendeur,  le  plus  éminent 
des  solitaires,  lui  tint  ce  langage  : 9903. 

« 11  me  faut  te  donner,  mortel  sans  péché,  — sur  toi 
descende  la  félicité  ! — tout  ce  que  tu  désires  ! La  patience, 
le  devoir,  la  vérité  ont  leur  base  en  toi  ! 9904. 

» Sagara  est  par  toi  au  comble  de  ses  vœux  ; ton  père, 
grâce  à toi,  son  fils  ; tes  oncles,  les  Sagarides,  grâce  à ta 
puissance,  iront  dans  le  Swarga  ! 9905. 

u Ton  petit-fils,  quand  il  aura  satisfait  le  Grand-Sei- 
gneur, amènera  du  ciel  ici  la  Tripathagâ  pour  la  purifica- 
tion des  fils  de  Sagara.  9900. 

» Emmène,  s'il  te  plaît,  éminente  personne,  le  cheval 
destiné  au  sacrifice  : que  le  sacrifice  du  magnanime  Sa- 
gara s'accomplisse,  mon  fils  ! » 9907. 

» A ces  mots  du  vertueux  Kapila,  Ançoumat,  ayant 
pris  le  coursier,  s’en  alla  au  lieu  du  sacrifice  de  son  au- 
guste père. 

» 11  se  prosterna  aux  pieds  du  magnanime  Sagara,  qui 
le  baisa  sur  la  tête,  et  le  jeune  homme  lui  rendit  compte 
de  sa  mission,  de  tout  ce  qu’il  avait  entendu  ou  vu,  et  de 
la  mort  des  Sagarides.  « Le  cheval  est  arrivé,  lui  dit-il, 
à l’enceinte  du  sacrifice,  b 9908 — 9909 — 9910. 

b Dès  que  le  roi  Sagara  eut  ouï  le  fils  de  son  fils  parler 
ainsi,  il  abandonna  sa  douleur;  il  honora  Ançoumat  et 
accomplit  son  sacrifice.  9911. 

b Quand  il  en  eut  achevé  les  cérémonies,  Sagara, 


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VANA-PARVA. 


481 

comblé  d’hommages  par  tous  les  Dieux,  adopta  pour  son 
fils  l’Océan,  séjour  de  Varouna.  9912. 

» Après  qu'il  eut  exercé  l'empire  un  temps  bien  long, 
le  monarque  aux  yeux  de  lotus  bleu  remit  sa  charge  sur 
les  épaules  de  son  petit-fils  ets’en  alla  au  tripleciel.  9918. 

» Le  vertueux  Ançoumat  ensuite,  puissant  roi,  gou- 
verna la  terre,  qui  a pour  ceinture  les  mers,  comme  son 
aïeul  l'avait  gouvernée  lui-même.  991â. 

» Il  lui  naquit  un  fils,  versé  dans  les  choses  du  devoir: 
il  se  nommait  Dilîpa.  Ançoumat  laissa  le  royaume  entre 
ses  mains  et  mourut.  9915. 

» Dilipa,  quand  il  eut  appris  la  mort  de  ses  grands- 
oncles,  était  consumé  de  douleur,  toutes  les  fois  qu'il  pen- 
sait à leur  funeste  voie.  9916. 

» Il  employa  de  bien  grands  efforts  pour  obtenir  la 
descente  du  Gange  sur  la  terre  ; mais  il  ne*  put  aboutir  à 
ses  fins,  quoiqu’il  y tendît  de  toutes  ses  forces.  9917. 

» Un  fils  lui  était  né,  beau,  dévouéau  devoir,  véridique, 
de  qui  la  bouche  était  éloignée  de  la  médisance  ; il  s'ap- 
pelait Bhagiratha.  9918. 

a Dilipa  fit  sacrer  son  fils  au  gouvernement  du  royaume 
et  se  retira  dans  les  forêts  ; puis,  ce  roi  avec  la  révolution 
du  temps  passa  du  bois  dans  le  ciel,  éminent  Bharalide, 
grâce  à son  union  avec  une  parfaite  pénitence.  9919. 

» Le  nouveau  monarque,  empereur  universel,  au  grand 
arc,  au  grand  char,  réjouissait  le  cœur  et  les  yeux  du 
monde  entier.  9920. 

» Ce  roi  entendit  parler  de  la  mort  épouvantable,  que 
Kapila  le  magnanime  avait  donnée  à ses  grands-oncles, 
qui  n’avaient  pas  obtenu  l 'entrée  du  ciel.  9921. 

» 11  remit  son  royaume  aux  soius  de  son  ministre  et  se 
ni  31 


482 


LE  MAHA-BHARATA. 


retira  d’un  cœur  agité  par  la  douleur,  monarque  des 
hommes,  sur  un  flanc  de  l’Himâlaya  pour  y cultiver  la 
pénitence.  9922. 

» Aspirant  à gagner  la  bienveillance  de  la  Gangà,  ses 
péchés  étant  effacés  par  la  pénitence,  il  vit,  O le  meilleur 
des  hommes,  l’ Himalaya,  la  plus  grande  des  montagnes, 

» Orné  de  cimes  remplies  de  métaux  et  des  formes  le3 
plus  diverses,  arrosé  continuellement  par  des  nuages, 
que  le  vent  tenait  en  suspens;  9923 — 9924. 

» Embelli  de  palais,  avec  des  croupes  vêtues  de 
plantes  grimpantes  et  de  rivières  ; habité  par  des  tigres 
et  des  lions,  qui  repairaient  dans  ses  antres  et  ses  ca- 
vernes; 9925. 

» Peuplé  d’oiseaux  aux  formes  diverses,  gazouillant 
différents  ramages,  de  grandes  abeilles  noires,  de  cygnes, 
de  gallinacées  et  de  coqs-d’eau,  9926. 

» De  paons  au  milieu  des  lotus,  de  faisans,  de  kokilas, 
de  tchakoras,  de  perroquets  aux  noirs  angles  extérieurs 
des  yeux  ; 9927. 

» Rempli  d’oiseaux  en  des  lacs  charmants;  réjoui  par 
les  douces  plaintes  des  grues  indiennes;  9928. 

» Aux  rocs,  dont  la  surface  était  fréquentée  des  Kinna- 
ras  et  des  Apsaras  ; aux  arbres,  dont  les  troncs  étaient 
broyés  par  les  terribles  défenses  des  éléphants  de  l’éthérée; 

» Parcouru  des  Vidyâdharas,  plein  de  pierreries  di- 
verses, habité  par  des  serpents  aux  poisons  subtils,  aux 
langues  enflammées.  9929 — 9930. 

» 11  vint  à cet  Himàlaya,  qui  14  ressemblait  à l'or,  ici 
était  pareil  à l’argent,  ailleurs  figurait  comme  des  masses 
de  collyre.  9931. 

» Le  meilleur  des  hommes  y embrassa  une  rigoureuse 


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VANA-PARVA.  483 

pénitence  : un  millier  d’années,  il  se  nourrit  d’eau,  de  ra- 
cines et  de  fruits.  9932. 

» Quand  un  céleste  millier  d’années  se  fut  écoulé,  la 
grande  rivière  Gangà  se  présenta  elle-même  devant  lui 
sous  une  forme  humaine.  9933. 

« Que  désires-tu  de  moi,  grand  roi?  lui  dit-elle.  Que 
dois-je  te  donner?  Dis-le-moi,  ô le  plus  vertueux  des 
hommes  ! J'accomplirai  ta  parole.  » 9934. 

» A ces  mots,  le  monarque  de  répondre  à la  fille  de 
l’Himâlaya  : a Le  Pitâmaha  m’avait  accordé  une  grâce, 
immense  rivière  : j’avais  soixante  mille  oncles,  qui  furent 
tous  précipités  dans  l’empire  de  la  mort  par  Kapila,  le  fils 
de  Vivasvat.  Ces  magnanimes  Sagarides,  qui  s’étaient 
approchés  du  Dieu  Kapila,  descendirent  au  même  instant 
chez  les  morts  ; et  pour  ces  hommes,  qui  ont  perdu  la  vie, 
le  Swarga  n’a  point  d'habitation.  9935 — 9930 — 9937. 

» 11  n’est  aucune  voie  pour  les  fils  de  Sagara,  immense 
rivière,  tant  que  tu  n’en  auras  point  arrosé  les  cendres  de 
tes  ondes.  9938. 

» Conduis  au  Swarga,  excellente  et  grande  rivière,  le 
fils  de  Sagara,  mes  ancêtres:  c’est  pour  eux  que  je  t'im- 
plore. » 9939. 

n Quand  elle  eut  entendu  ce  langage  du  roi,  la  Bhagl- 
rathl,  qui  reçoit  les  hommages  du  monde,  adressa  très- 
satisfaite  ce  langage  à Bhaglratha:  9940. 

n Je  ferai  ce  que  tu  me  dis,  grand  roi  : il  n’y  a là  au- 
cun doute,  mais  il  n’existe  dans  les  trois  mondes  aucun 
être  capable  de  supporter  la  chiite  insoutenable  de  mes 
flots,  dont  la  source  est  dans  le  ciel.  Nonl  personne,  si  ce 
n’est  le  plus  grand  des  Dieux,  Mahéçvara  au  cou  bleu. 

9941—9942. 


LÜ  MAHA-BHARATA. 


484 

» Satisfais  par  ta  pénitence,  monarque  aux  longs  bras, 
Hara,  le  donateur  des  grâces  ; et  ce  Dieu  soutiendra  sur  sa 
tète  mes  Ilots  tombants.  9948. 

» 11  fera  ce  que  tu  désires  par  le  désir  du  bien  de  tes 
pères.  » A ces  mots,  sire,  le  grand  roi  Bhaglratha  se 
rendit  sur  le  mont  Kailâsa,  y supporta  les  rigueurs  de  la 
pénitence  une  certaine  succession  de  temps  et  satisfit 
Çankara.  9944 — 9945. 

u Le  plus  grand  des  hommes,  qui  visait  à faire  habiter 
le  Swarga  à ses  aïeux,  reçut  du  Dieu,  sire,  la  promesse, 
qu’il  porterait  la  chûte  de  la  Gangà.  9946. 

» Dès  qu'il  eut  ouï  la  parole  de  Bhaglratha,  V Adorable, 
voulant  du  même  coup  être  agréable  aux  habitants  du  ciel, 
répondit  au  roi  : « Qu’il  en  soit  ainsi  ! 9947. 

» Je  supporterai  à cause  de  toi,  monarque  aux  longs 
bras  et  le  plus  vertueux  des  rois,  la  fortunée,  pure  et 
sainte  rivière  des  Dieux,  tombant  du  ciel.  » 9948. 

» Quand  il  eut  parlé  ainsi,  puissant  roi,  il  se  trans- 
porta surl'Himàlaya,  environné  de  sa  suite  épouvantable, 
qui  tenait  levés  des  traits  divers.  9949. 

» 11  s’arrêta  là  et  dit  à Bhaglratha,  le  plus  grand  des 
hommes  : « Supplie,  monarque  aux  longs  bras,  la  rivière, 
fille  du  roi  des  montagnes.  9950. 

» Je  vais  soutenir  la  plus  sainte  des  rivières  dans  sa 
chûte  du  Trivishtapa.  » Quand  il  a entendu  ces  mots 
articulés  par  Çarva,  le  roi  s’incline  avec  dévotion  et 
tourne  sa  pensée  vers  la  Gangâ.  Aussitôt  la  pure,  la  déli- 
cieuse onde,  appelée  par  la  pensée  du  roi  , ayant  vu 
Içâna  debout,  tombe  rapidement  du  ciel.  A la  vue  de  ce 
(leuve , qui  se  précipitait  des  deux , les  Dieux  avec  les 
Maharshis,  les  Gandharvas,  les  Ouragas  et  les  Yakshas 


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VANA-PARVA.  485 

se  rassemblent  pour  contempler  ce  spectacle.  La  Gangà, 
la  fille  de  l'Himavat,  tombait  de  la  voûte  céleste, 

9951—9952—0953—9964. 

» Pleine  de  requins  et  de  poissons,  avec  de  grands  tour- 
billons soulevés  ; et  Hara  soutenait  sur  le  front,  comme 
une  guirlande  faite  de  perles,  la  chute  de  la  Gangà,  la 
ceinture  du  ciel;  et  le  fleuve,  en  s'écoulant,  se  partageait, 
sire,  en  trois  branches.  9065 — 9956. 

» Son  onde  était  remplie  d'une  masse  d’écumes,  sem- 
blables à das  rangées  de  cygnes;  tantûtelle  était  flexueuse 
par  sa  plénitude,  tantôt  elle  était  vacillante  ; tantôt,  envi- 
ronnée de  franges  d’écumes,  elle  marchait,  comme  folle 
d’ivresse;  tantôt  ses  eaux  bruyantes  dispersaient  au  loin 
un  fracas  immense.  9957 — 9958. 

v Prenant  ainsi  mille  formes,  la  Gangà,  tombée  du 
ciel,  une  fois  arrivée  sur  la  surface  de  la  terre,  dit  à Bha- 
giratha  : 9959. 

« Montre-moi,  grand  roi,  la  route,  par  où  je  dois  aller  ; 
car,  maître  de  la  terre,  c’est  à cause  de  toi,  que  je  suis 
venue  sur  la  terre  ! # 0960. 

» Quand  il  eut  entendu  ces  paroles,  le  roi  Bhagtratha 
se  rendit  au  lieu,  où  étaient  les  corps  des  magnanimes 
Sagarides,  pour  qu’ils  fussent  arrosés  de  son  eau  sainte, 
ô le  plus  vertueux  des  hommes  ; et  Hara,  qui  reçoit  les 
adorations  du  monde,  quand  il  eut  achevé  de  porter  la 
Gangà,  revint  avec  les  Tridaças  à la  sourcilleuse  mon- 
tagne du  Kailâsa.  Le  monarque  s'approcha  de  la  mer, 
accompagné  de  la  Gangà.  9961 — 9962 — 9963. 

» Elle  remplit  l’Océan  de  ses  vagues  impétueuses  et 
le  roi  des  hommes  adopta  la  Gangà  pour  sa  fille.  9964. 

» 11  accomplit  alors  son  désir  et  donna  l’eau  funéraire 


LE  MABA-BHARATA. 


486 

à ses  aïeux.  Je  t'ai  narré  tout  : comment  la  Gangà  coule 
dans  un  triple  canal  ; 0965. 

» Comment  elle  descendit  sur  la  terre  pour  emplir  le 
bassin  des  mers  ; comment  le  magnanime  anachorète  but 
l'Océan,  dans  l’intérêt  des  Immortels  ; 9966. 

» Comment  Vàtàpi,  l’assassin  des  brahmes,  fut  conduit 
à la  mort  ; et  j’ai  répondu  à toutes  les  questions,  que  tu 
m’as  adressées  concernant  Agastya.  » 9967. 

Le  fils  de  Kouuti  visita  successivement  avec  dévotion 
la  Nandà  et  la  Paranandâ,  deux  rivières,  qui  enlèvent  la 
crainte  des  péchés,  et  la  montagne  llémakoûta,  fermée 
aux  maladies.  Le  prince  y vit  un  très-grand  nombre 
d’êtres  merveilleux,  inconcevables,  des  nuages  amoncelés 
par  le  vent,  seigneur,  et  des  pierreries  par  milliers  ; et 
les  hommes,  l’âme  consternée,  ne  pouvaient  pas  monter 
sur  elle.  9968—9909—9970. 

Là,  toujours  souffle  le  vent,  toujours  Indra  verse  la  pluie  : 
on  y entend  un  bruit  continuel  de  récitation  des  Védas  et 
l’on  n’y  voit  personne.  9971. 

Là,  matin  et  soir,  l’adorable  Agni  se  fait  voir  ; mais 
des  mouches  piquent  et  détruisent  la  pénitence.  9972. 

De-là  naît  le  découragement,  le  souvenir  de  sa  maison 
revient  à l’homme,  et  il  retourne  sur  ses  pas.  Le  Pàn- 
douide  vit  ainsi  des  êtres  merveilleux  de  plusieurs  sortes 
différentes;  et  cette  chose  étonnante  fut  l’objet  des  inter- 
rogations, qu’il  adressa  de  nouveau  à Lomaça. 

Celui-ci  répondit  : 

« Comme  cette  narration  nous  fut  jadis  racontée  à 
nous-mèuie,  6 toi,  qui  traînes  les  ennemis,  9975 — 9974. 

» Écoute-la,  sire,  de  mabouche  avec  attention.  Sur  cette 
cime,  nommée  le  Rishabha,  vécut  un  ascète  du  même  nom. 


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VANA-PARVA. 


487 


» C’était  un  pénitent,  âgé  de  plusieurs  centaines  d’an- 
nées, mais  très-irascible.  Un  jour  qu’il  s’entretenait 
avec  d'autres,  il  avait  lâché  de  colère  cette  parole  : 

9975—9076. 

« Jette  des  pierres  à quiconque  parlera  ici  ! » Puis, 
ayant  appelé  le  vent  : «Qu’on  n'entende  pas  un  mot  icil  » 
lui  avait  ordonné  l’ascète.  9977. 

» L’homme,  qui  veut  parler  ici,  en  est  empêché  par  le 
tonnerre  des  nuages.  Telles  sont  les  œuvres  faites  par  ce 
maharshi,  les  unes,  sire,  sont  dues  à la  colère,  les  autres 
sont  défendues.  Jadis  les  Dieux,  suivant  la  tradition,  vin- 
rent à la  Nandà.  9978—  9979. 

» Les  hommes,  qui  désiraient  voir  les  Dieux,  y vinrent 
sur  leurs  pas  en  diligence  ; mais  les  Dieux  à la  suite  de 
Çakra,  ne  voulant  pas  s’y  donner  en  spectacle,  9980. 

» Rendirent  ce  lieu  inaccessible  et  firent  des  formes 
de  la  montagne  autant  d’obstacles.  Désormais,  fils  de 
Kountl,  les  hommes  ne  purent  voir  cette  montagne,  com- 
bien moins  encore  l’escalader  ! Cette  grande  montagne 
ne  peut  être  ni  vue,  ni  franchie  par  un  homme,  qui  n'a 
pas  cultivé  la  pénitence.  Mets  donc,  fils  de  Kounti,  un 
frein  à ta  voix  ! En  ce  temps-là,  tous  les  Dieux  ont  oflert 
ici  les  plus  grands  sacrifices.  9981 — 9982—9983. 

» Ces  caractères  nous  révèlent  ici  les  Dieux  à l'instant 
même,  fils  de  Bharata  : ce  doûrva  a l'apparence  du 
kouça  ; cette  terre  en  est  jonchée.  9984. 

» Ces  arbres  nombreux  se  présentent  à nos  yeux,  mo- 
narque des  hommes,  comme  des  colonnes  victimaires. 
Les  Dieux  et  les  rishis  habitent  dans  ce  moment  ici,  reje- 
ton de  Bharata.  9985. 

» Le  matin  et  le  soir,  on  aperçoit  leurs  feux,  elle  péché 


LE  MAHA-BHARATA. 


A 88 

de  ceux,  qui  se  sont  baignés  là,  fils  de  kountl,  est  effacé 
à l'instant  même.  9986. 

» Fais-y  donc  tes  ablutions  avec  tes  frères  putnés,  ô le 
plus  vertueux  des  Kourouides,  et,  tes  membres  lavés  dans 
la  Nandà,  tu  iras  visiter  la  kaàuçikl.  » 9987, 

Là,  quand  il  eut  baigné  son  corps  avec  sa  suite,  le 
monarque  s’en  alla  à la  délicieuse,  à la  sainte,  à la  bien- 
heureuse Kaàuçikl,  aux  ondes  fraîches,  où  Viçvâmitra  put 
endurer  une  incomparable  pénitence.  « Voici,  taureau 
des  Bbaratides,  dit  Lomaça,  la  pure  kaàuçikl,  la  rivière 
des  Dieux.  9988—9989. 

» Voici  le  charmant  hermitage  de  Viçvâmitra,  qui  se 
montre  à nos  yeux  ; voici  même  cet  hermitage,  nommé 
le  Saint,  du  magnanime  fils  de  kaçyapa;  9990. 

u Où  vécut  Rishyaçringa,  son  fils,  l'ascète  aux  sens 
comprimés,  qui,  par  la  puissance  de  sa  pénitence,  força 
le  roi  du  ciel  à verser  la  pluie.  9991. 

» Le  puissant  meurtrier  de  Vritra,  arrosa  par  la  crainte, 
que  le  saint  lui  inspirait,  une  terre,  à laquelle  manquaient 
les  eaux  du  ciel.  L'auguste  fils  du  Raçyapide,  l’éminent 
ascète  était  né  d'une  gazelle  ; 9992. 

» Et  c’est  dans  le  royaume  de  Lomapâda  qu’il  opéra 
ce  grand  prodige.  Le  monarque,  de  qui  les  semences 
étaient  ranimées,  lui  donna  Çântà,  9993. 

» Et  Lopamâda  le  maria  avec  sa  fille,  comme  le  soleil 
est  l’époux  de  Sàvitrl.  » 

Youddhishthira  l'interrompit  : 
o Comment  Rishyaçringa,  le  fils  du  Raçyapide,  était-il 
né  dans  le  sein  d’une  gazelle?  999A. 

» Comment  Vibhàndaka  conserva-t-il  sa  vertu  dans  cet 
empêchement  de  s’unir  avec  une  femme?  Et  pourquoi 


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VANA-PARVA. 


S89 


Çakra,  le  meurtrier  du  puissant  Vritra,  effrayé  par  cet 
enfant  vertueux,  fit-il  pleuvoir  sur  une  terre,  qui  man- 
quait de  pluie  ? De  quelle  beauté  fut  cette  ÇàntA,  ferme  en 
ses  vœux,  la  fille  du  roi,  9995 — 9996. 

» Qui  excita  ainsi  les  désirs  de  cet  enfant  d'une  gazelle? 
Comment  PàkaçAsana  refiisait-il  sa  pluie  au  royaume  de 
Lomap&da,  car  ce  roi  saint,  dit  la  tradition,  ne  manquait 
jamais  au  devoir  ? Veuille  donc,  révérend,  me  raconter, 
à moi,  qui  ai  l’envie  de  t’entendre,  toute  cette  histoire  de 
Rishyaçringa  en  détail  et  suivant  la  vérité.  » 

Lomaça  lui  répondit  : 

« Écoute  de  quelle  manière  l’auguste  et  resplendissant 
Rishyaçringa,  cet  enfant  estimé  comme  un  vieillard  de 
grande  valeur,  fut  donné  pour  fils  au  saint  brahme  Vibhân- 
daka,  de  qui  la  pénitence  avait  façonné  l'àme,  plein  de 
vertu,  à l’énergie,  qui  n’était  jamais  stérile,  à la  splendeur 
égale  à celle  du  Pradjàpati.  Le  Kaçyapide,  au  temps  qu’il 
était  dans  la  pénitence,  arriva  sur  les  bords  d’un  grand  lac. 

9997—9998—9999—10,000—10,001. 

» Le  rishi,  estimé  comme  un  Dieu,  était  fatigué  d'une 
longue  course  : il  ne  put  retenir  sa  semence  à la  vue  de 
l’Apsara  Ourvaçt.  10,002. 

» 11  se  lavait  dans  les  eaux,  où  buvait  alors  une  gazelle, 
qui,  s'étant  désaltérée  avec  l’onde  mêlée  de  cette  liqueur, 
devint  enceinte.  10,003. 

» C’était  une  jeune  fille  des  Dieux,  à qui  le  vénérable 
Brahma,  l’auteur  des  mondes,  avait  dit  autrefois  : a De- 
viens une  gazelle  ; mais  tu  seras  délivrée,  quand  tu  auras 
donné  le  jour  à un  anachorète  ! » 10,004. 

» Le  grand  rishi , son  fils,  naquit  au  sein  de  cette  ga- 


490 


LE  MAHA-BHARATA. 


zelle  suivant  des  conditions  d'existence,  créées  fatalement 
par  l’infaillible  Destin.  10,005. 

» Rishyaçringa  vécut  dans  le  bois,  continuellement 
livré  à la  pénitence,  line  corne,  sire,  était  née  sur  le  front 
de  ce  magnanime  rishi.  10,006. 

» C’est  de-là  que  lui  vint  ce  nom  de  Rishyaçringa, 
qu’il  rendit  célèbre,  le  saint  à la  corne-d’ antilope.  Jamais, 
nulle  autre  part,  son  père  n’avait  vu  un  autre  homme, 
semblable  à lui.  10,007. 

» Son  âme  était  donc,  sire,  continuellement  vouée  à la 
pénitence.  Dans  ce  même  temps,  les  Angas  avaient  pour 
souverain  un  prince,  connu  sous  le  nom  de  Lomapâda, 
l'ami  du  roi  Daçaratha.  Ce  monarque,  dit  la  tradition, 
n’avait  pu  satisfaire  le  désir  d’un  brabme. 

10,008—10,009. 

» Alors,  le  maître  de  la  terre  fut  abandonné  par  ses 
prêtres.  L’imperfection  d’un  archi-brahnie,  à la  fantaisie 
de  ce  roi,  empêcha  l'Immortel  aux  mille  yeux  de  répandre 
sa  pluie,  et  de-là  vinrent  les  calamités  des  sujets.  Le  prince 
interrogea  donc,  sire,  de  sages  brahmes,  remplis  de  péni- 
tence, capables  de  faire  tomber  sur  la  terre  la  pluie  du 
roi  des  Dieux  : « Comment  Indra  nous  rendra-t-il  ses 
pluies?  Qu’on  en  cherche  le  moyen  ! » 

10,010 — 10,011 — 10,012. 

» Par  lui  interpellés,  les  prêtres  de  lui  exposer  leurs 
sentiments.  Uu  seul,  le  plus  excellent  des  brabmes,  dit  au 
monarque:  10,013. 

» Les  brahmes,  Indra  des  rois,  sont  irrités  contre  ta 
majesté  : obtiens  leur  pardon.  Fais  venir,  seigneur, 
Rishyaçringa,  le  fils  d’un  solitaire.  10,014. 


VANA-PARVA. 


491 


» C'est  un  habitant  des  bois,  il  est  dans  une  complète 
ignorance  des  femmes,  il  met  son  plaisir  dans  la  droiture. 
S’il  descend  dans  ton  royaume,  cethommeaux  grandes  pé- 
nitences, Ind  ra  au  même  instant,  sire,  y versera  la  pluie: 
c’est  indubitable  pour  moi  ! » A peine  eut-il  entendu  cette 
parole,  sire,  le  roi  demanda  son  pardon.  10,016 — 10,016. 

» Lui  de  s’en  aller  chercher  les  deux  fois  nés  et  de 
revenir,  accompagné  des  brahmes  appaisés,  et  tous  ses 
sujets  de  se  réjouir  à la  nouvelle  que  le  monarque  était 
revenu.  10,017. 

» Le  souverain  des  Angas  convoqua  ses  ministres,  ha- 
biles dans  les  délibérations,  et  tourna  les  efforts,  dans  la 
décision  du  conseil,  sur  les  moyens  de  faire  venir  Rishya- 
çringa.  10,018. 

» Il  trouva  un  expédient  avec  ses  ministres,  Atchyouta, 
versés  dans  les  Çàstras,  suffisamment  versés  dans  les 
affaires  et  toujours  extrêmement  habiles.  10,019. 

» Le  monarque  de  la  terre  fit  appeler  les  maltresses  des 
maisons  de  courtisanes,  et  tint  ce  langage  à ces  femmes 
expertes  en  tous  les  points  de  leur  métier  : 10,020. 

« Amenez,  dames  charmantes,  Rishyaçringa , le  fils 
du  rishi,  dans  mon  royaume,  après  que  vous  l’aurez  séduit 
et  que  vous  lui  aurez  inspiré  de  la  confiance,  grâce  à vos 
coquetteries.  » 10,021. 

» Mais  effrayées,  d’un  côté,  par  la  crainte  du  roi  et, 
de  l’autre,  craignant  une  malédiction,  ces  femmes  lui  ré- 
pondirent, hors  d’elles-mèmes  et  le  visage  sans  couleur  : 
« La  chose  est  impossible  1 » 10,022. 

» Alors,  une  d’elles,  nommée  Djaradveshà,  adressa  au 
roi  ces  paroles  : « Je  m’efforcerai  d’y  conduire  cet  homme 
riche  en  pénitences,  grand  roi.  10,023. 


m 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Mais  veuille  m’accorder,  toi  I les  vœux  formés  dans 
mon  cœur,  et  je  ferai  mes  efforts  pour  t'amener  Rishya- 
çringa,  le  fils  du  rishi.  * 10,02â. 

» Le  monarque  lui  accorda  tous  les  objets  de  ses  dé- 
sirs, lui  donna  une  richesse  considérable  et  diverses  pier- 
reries. 10,025. 

» Charmante  de  jeunesse  et  de  beauté,  ayant  pris  avec 
elle  certaines  femmes,  maître  do  la  terre,  la  courtisane 
de  s’en  aller  promptement  à la  forêt.  10,026, 

» Sur  les  ordres  du  monarque  et  inspirée  par  son  ima- 
gination, elle  créa  un  hermitage  sur  un  bateau  pour  me- 
ner au  succès  la  chose,  que  le  roi  voulait  accomplir. 

» Elle  fit  cet  hermitage  navigable,  infiniment  délicieux, 
infiniment  ravissant,  suave  et  d’un  aspect  semblable  à une 
merveille,  paré  d'arbres,  offrant  des  fruits  et  de3  fleurs 
variées,  charmantes,  artificielles.  Il  était  doué  de  lianes 
et  d’arbrisseaux  divers,  qui  donnaient  tous  les  fruits  dési- 
rables et  d’un  goût  exquis.  10,027 — 10,028 — 10,029. 

» Quand  elle  eut  assemblé  les  pièces  de  cette  barque, 
non  loin  de  l’hermitage  du  Kaçyapide,  elle  commanda  à 
des  hommes  de  la  conduire  vers  la  promenade  de  l’ana- 
chorète. 10,030. 

» Elle  dit  à une  courtisane,  sa  fille  : « Fais  attention  ! 
agis  de  cette  manière  ! » et,  trouvant  une  occasion  favo- 
rable, elle  envoya  cette  enfant,  qu’elle  estimait  comme  sa 
pensée,  vers  le  Kaçyapide.  10,031. 

» L’adroite  fille  de  joie  d'aller  en  présence  du  jeune 
homme,  toujours  livré  à la  pénitence  ; elle  s’approche  de 
l’hermitage  et  voit  le  fils  du  saint.  10,032. 

« Solitaire,  dit  la  courtisane,  est-ce  que  les  pénitents 
d’ici  vont  bien  ? Est-ce  que  vous  avez  en  abondance  des 


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VANA-PARVA. 


m 


racines  et  des  fruits  ? Est-ce  que  ta  sainteté  se  plaît  dans 
cet  hermitage  ? Je  viens  maintenant  ici  pour  te  voir. 

» Est-ce  que  les  ascètes  et  ton  père  croissent  en  péni- 
tences? Son  énergie  est-elle  pleine  de  vigueur?  Est-il  satis- 
fait de  toi?  Faites-vous  au  temps  convenable,  Rishya- 
çringa,  la  récitation  du  Véda  ! » 10,033 — 10,034. 

« Ta  sainteté  brille  avec  abondance,  comme  la  splen- 
deur elle-même,  lui  répondit  Rishyaçringa  ; je  pense  que 
je  dois  m’incliner  devant  toi-  Je  te  donnerai  l’eau  pour  te 
laver  les  pieds,  des  racines  et  des  fruits,  à ta  volonté,  con- 
formément au  devoir.  10,036. 

» Assieds-toi,  à tou  aise,  sur  ce  vrishi  doux,  fait  de  gra- 
minée kouça  et  couvert  d'une  peau  d'antilope  noire!  Où 
est  ton  hermitage  ? Quel  est  ce  vœu,  brahine,  que  tu 
observes?  Certes!  tu  semblés  un  Immortel  à mes  yeux!  » 

u Mon  charmant  hermitage,  reprit  la  courtisane,  est  à 
trois  yodjanas  plus  loin  que  cette  montagne,  petit-fils  de 
Kaçyapa.  Mon  devoir  n'est  pas  de  recevoir  ici  des  hom- 
mages, et  je  ne  toucherai  pas  l'eau  pour  se  laver  les  pieds. 

10,036—10,037. 

» Ce  n’est  pas  moi,  qui  dois  être  honorée  par  ta  sain- 
teté, c’est  ta  sainteté,  qui  doit  l’être  par  moi  ! Tel  est  mon 
vœu,  brahme  ! C’est  moi , qui  dois  embrasser  ta  sain- 
teté. » 10,038. 

Rishyaçringa  lui  répondit  : 

« Je  te  donnerai  des  fruits  mûrs,  des  bhallâtakas  (1) 
et  même  des  âmalakas  (2).  10,039. 

» Mais  elle,  abandonnant  tous  ces  mets  sans  valeur, 

(1)  Semicarpus  anacardium. 

(2)  Phyliantu s emblica. 


LE  MAHA-BHARATA. 


494 

donna  en  échange  à Rishyaçringa  beaucoup  de  mets  très- 
savoureux  , très-odorants  et  qui  excitaient  son  appétit. 
Elle  lui  donna  des  guirlandes  bien  parfumées,  des  habits 
variés,  resplendissants  et  des  breuvages  exquis.  Lui,  de  se 
réjouir,  de  badiner,  de  rire  ; elle  de  jouer  à la  balle  de 
paume  avec  ses  racines,  qu’elle  brisait  comme  une  liane. 
Enlaçant  de  ses  membres  les  membres  du  jeune  anacho- 
rète, elle  embrassa  plus  d’une  fois  Rishyaçringa  : elle 
faisait  courber,  elle  brisait  des  arbres  chargés  de  fleurs, 
lilakas,  açokas  ou  pentaptères  arjounas! 

10,040—10,041—10,042—10,043. 

» Comme  remplie  de  pudeur,  mais  vaincue  par  l’ivresse, 
elle  séduisit  le  fils  du  rishi.  Aussitôt  qu’elle  vit  Rishya- 
çringa ému,  et  qu’elle  eut  mainte  et  mainte  fois  exercé 
son  empire  sur  les  sens  du  jeune  hermite,  10,044. 

» Elle  s’en  alla,  sous  le  prétexte  qu’elle  avait  à nourrir 
le  feu  perpétuel,  en  lui  jetant  des  œillades  langoureuses. 
Quand  elle  fut  partie,  Rishyaçringa,  enivré  d’amour,  fut 
comme  s’il  avait  perdu  son  «âme.  10,045. 

» Ses  formes  étaient  contristées,  il  soupirait  dans  le 
vide,  où  il  était  laissé  par  son  cœur,  qui  avait  suivi  le 
faux-brahme.  10,040. 

» lin  moment  après,  avec  ses  yeux  de  lion,  qui  du  noir 
passaient  au  jaune,  apparut  le  Kaçyapide  Vibhàndaka, 
environné  de  poils  jusqu'à  la  naissance  des  ongles,  occupé 
de  sa  récitation  des  Védas  et  encore  attentif  à sa  contem- 
plation terminée.  10,047. 

» Il  s’approche  et  voit  son  fils  assis  dans  la  solitude, 
plongé  dans  la  rêverie,  l’âme  obsédée,  poussant  maint  et 
maint  soupir,  les  regards  levés  au  ciel.  Vibhàndaka  dit 
alors  à son  fds  : 10,048. 


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VANA-PARVA.  405 

« Le  bois  n’est  point  apprêté  : pourquoi  cela,  mon  fils? 
Est-ce  que  tu  as  négligé  aujourd’hui  le  feu  perpétuel  ? L’é- 
cumoir  et  la  cuiller  du  sacrifice  ne  sont  pas  bien  lavés. 
As-tu  soigné  aujourd'hui  la  vache,  qui  donne  le  beurre 
du  sacrifice,  et  son  veau  ? 10,040. 

» Tu  n'es  plus  connue  tu  étais  avant,  mon  fils  : tes 
pensées  sont  ailleurs;  ton  âme  t’a  quitté  : tu  parais  exces- 
sivement triste.  Que  t’est-il  arrivé  aujourd’hui  ? Je  te 
demande  : qui  est  venu  ici  aujourd'hui  ? » 10,050. 

» Rishyaçringa  lui  répondit  : 

a 11  est  venu  ici  un  novice  aux  cheveux  en  gerbe,  ni 
petit,  ni  très-grand,  plein  d’esprit  : sa  couleur  est  celle 
de  l’or,  ses  yeux  sont  grands  et  pareils  4 des  lotus  ; il 
éclaire  de  lui-inème  comme  de  la  clarté  des  Dieux.  10,051. 

u Son  opulente  beauté  est  enflammée  à l’égal  du  soleil, 
ses  yeux  noirs  ont  une  tendresse  extrême  ; sa  couleur  est 
d’un  jaune  parfait;  ses  cheveux  noirs,  lisses,  parfumés, 
très-longs,  sont  entrelacés  de  rubans  d’or.  10,052. 

» A son  cou,  une  sorte  d’attache  resplendit,  tel  que 
l’éclair  au  sein  de  l’atmosphère  : sous  le  cou  sont  deux 
globes,  où  n'existe  pas  un  seul  poil,  et  tout  à fait  ravis- 
sants. 10,053. 

n Sa  taille  s’unit  bien  à la  place  de  son  ombilic;  ses 
lombes  ne  s’étendent  pas  dans  une  mesure  excessive  : une 
ceinture,  comme  est  la  mienne,  mais  faite  d’or,  brille  au 
milieu  de  son  vêtement  d’écorce.  10,054. 

» Autre  chose  est  en  elle  admirable  à voir  : sa  voix, 
ses  pieds,  qui  reluisent,  dignes  d'éloge  ! ils  sont  liés  en- 
core à des  sons  rat  Usants  comme  fredonne  cette  ceinture, 
qui  omesa  poitrine.  10,055. 

» A chacun  de  ses  mouvements,  ses  clochettes  ga- 


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LE  MAHA-BHARATA. 


AM 

zouillent,  comme  de»  cygnes,  ivres  d'amour,  dans  un  lac. 
Ses  vêtements  sont  admirables  à la  vue  et  ceux-ci,  les 
miens,  n'ont  pas  des  formes  aussi  gracieuses.  10,050. 

■>  Sa  voix  est  une  merveille  à entendre  ! Ses  accents 
portent  la  joie  dans  l’àme.  Quand  j'entendais  sa  voix, 
pareille  au  chant  du  kokila  mâle,  mon  cœur  en  était  plein 
d’émotion  ! 10,057. 

» Sa  douce  odeur  pure,  exquise,  embaume,  dispersée  par 
le  veut,  mon  père,  telle  que  la  forêt  au  mois  de  Tchaltra, 
quand  le  printemps  exhale  son  souille  au  milieu  d’elle. 

» Les  cheveux  de  son  djatâ  sont  élégamment  attachés, 
suspendus,  partagés  en  deux,  assez  inégaux  sur  le  front  : 
ses  oreilles  sont  couvertes  de  tchakravakas  comme  peints 
avec  des  formes  charmantes.  10,058 — 10,050. 

» Arrivé  en  ces  lieux,  il  prit  dans  sa  main  droite  des 
fruits  divers,  ronds,  et  les  lit  bondir  en  l’air  mainte  et 
mainte  fois  d’une  façon  merveilleuse.  10,000. 

u 11  frappait  le  fruit  de  sa  main,  et  celui-ci  de  rouler 
comme  un  arbre,  qui  se  meut,  agité  par  le  vent.  A la  vue 
de  ton  fils,  mon  père,  il  fut  saisi  d’une  joie  et  d’un  plaisir 
égal  à celui  des  Immortels.  10,061. 

» 11  serra  mon  corps  à deux  lois  dans  ses  bras,  il  prit 
et  courba  ma  tète  sur  son  djatâ,  il  appliqua  son  visage 
sur  mon  visage  et  m’adressa  des  paroles,  qui  firent  naître 
ma  joie.  10,062. 

» Il  ne  fait  pas  un  grand  cas  de  notre  eau  pour  se  laver 
les  pieds,  ni  de  ces  fruits,  que  je  lui  présentai  : « Voici, 
me  dit-il,  ceux,  dont  je  me  nourris  lu  Et  il  me  donna 
d’autres  fruits.  10,063. 

» Ceux,  que  je  mange,  n’ont  pas  la  saveur  des 
siens  : leur  pellicule  ne  ressemble  pas  à celle  de  ses 


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VANA-PARVA. 


197 


fruits;  ils  n'ont  pas  un  jus,  égal  au  jus  des  siens!  10,061, 

» Il  m'adonné  des  eaux  d'une  saveur  exquise  et  dont 
l'essence  est  généreuse  à boire.  A peine  Ira  eus-je  bues 
que  ma  joie  fut  extrême,  et  la  terre  me  sembla  danser 
sous  mes  pieds.  10,065. 

» Après  qu’il  eut  disséminé  ici  ces  diverses  guirlandes, 
odorantes  et  tressées  avec  des  rubans,  il  s’en  est  allé  à 
son  hermitage,  tout  rayonnant  de  pénitence.  10,066. 

» 11  est  parti,  et  mon  âme  l'a  suivi.  <fe  voudrais  aller 
en  présence  de  cet  homme,  qui  a brûlé  mon  corps  de 
de  flammes  puissantes,  et  de  qui  l’image  voltige  conti- 
tinuellement  ici  autour  de  moi.  10,067. 

» Je  veux  retourner  vers  lui,  mon  père  : quel  est  donc 
ce  noviciat,  dont  il  observe  le  vceu?  Je  désire  cultiver  la 
pénitence  avec  lui  de  la  manière  quelle  est  cultivée  par 
ce  jeune  hennite  aux  nobles  devoirs.  10,068. 

» J'ai  dans  mon  cœur  un  égal  désir  de  me  lier  avec 
lui  ; et  mon  âme,  si  je  ne  le  vois  pas,  est  accablée  de  tris- 
tesse. » 10,069. 

» Vibhândaka  lui  répondit  : 

« Les  fameux  Raksbasas,  mon  fils,  circulent  avec  cette 
forme  admirable  à voir  : charmants  et  pleins  d’une  vi- 
gueur incomparable,  ils  ne  pensent  jamais  qu’à  mettre 
obstacle  à la  pénitence.  10,070, 

» Revêtus  de  formes  agréables,  mon  fils,  ils  vous  sé- 
duisent par  divers  moyens  ; et,  reprenant  leurs  formes 
terribles,  ils  précipitent  hors  du  plaisir  et  du  monde  les 
anachorètes  dans  les  bois.  10,071. 

n L'anachorète,  à l'âme  comprimée  et  qui  désire  les 
mondes  supérieurs,  ne  doit  jamais  s’approcher  d’eux  en 
aucune  manière.  Ces  êtres,  qui  marchent  dans  les  voies 

32 


ni 


LE  MAHA-BHARATA. 


498 

de  l’iniquité , n’ont  de  plaisir  qu'à  jeter  des  obstacles 
devant  les  ascètes.  Le  pénitent  ne  doit  pas  même  arrêter 
sur  eux  sa  vue.  10,072. 

» L'homme  méprisable  seul  thésaurise,  mon  fils,  ces 
douceurs  criminelles;  mais  les  anachorètes  ne  doivent  pas 
même  penser  à ces  guirlandes  diverses,  embaumées,  res- 
plendissantes. » 10,073. 

« Quand  Vibhàndaka  eut  ainsi  mis  son  fils  en  garde 
contre  les  Rakshasas,  il  s’en  alla  à la  recherche  de  ta 
courtisane  : il  ne  la  rencontra  pas  ; et,  quand  il  revint  au 
bout  de  trois  jours,  il  était  accablé  de  fatigue.  10,074. 

» Après  que  le  Kaçyapide  fut  parti  de  nouveau  au  mois 
de  Çrâvana  (1)  pour  recueillir  des  fleurs,  la  fille  de  joie 
revint  pour  exercer  ses  tentations  sur  l’anachorète  Rishya- 
çringa.  10,075. 

» A peine  l'eut-il  vue,  celui-ci  joyeux,  toutes  les  formes 
émues,  courut  aussitôt  vers  elle  et  lui  dit  : « Allons  vite  à 
l'hermitage  de  ta  sainteté,  pendant  que  mon  père  est 
absent  ! » 10,070. 

» Celle-là,  profitant  de  l’occasion,  fit  monter,  sire,  le 
fils  unique  du  Kaçyapide  sur  le  radeau,  elle  délia  la  corde; 
et,  se  réjouissant  de  différentes  manières,  ils  arrivèrent 
près  du  monarque  des  Angas.  10,077. 

» Elle  lui  avait  montré  comme  un  hcrmitage  cette 
barque  resplendissante,  à laquelle  des  hommes  cachés 
faisaient  traverser  tes  ondes  ; et,  touchant  l'eau,  elle  avait 
su  faire  de  cette  solitude  navigable  une  forêt  admi- 
rable. 10,078. 

» A peine  le  roi  eut-il  établi  dans  le  gynœcée  cet  enfant 

(I)  Juillet-août. 


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VANA-PARVA. 


499 

unique,  fils  du  Kaçyapide,  il  vit  tomber  la  pluie  et  l’eau 
du  ciel  couvrit  son  royaume.  10,079. 

» Lomapâda,  de  qui  les  vœux  étaient  comblés,  donna 
sa  fille  Çântâ  en  mariage  à Rishvaçringa  : il  donna  des 
revenus  aux  brahmes  afin  de  racheter  sa  colère,  des 
vaches  et  même  des  terres  arables,  desservies  par  des 
routes.  10,080. 

» Le  roi  envoya  des  bestiaux  en  grand  nombre  dans 
les  parages  de  Vibhûndaka  et  dit  aux  héros,  gardiens  de 
ces  troupeaux  : « Quand  Vibhândaka,  désireux  de  son 
fils,  vous  inteiTOgera  sur  ce  maharshi,  10,081. 

» Vous  devrez  lui  dire,  joignant  vos  mains  aux  tempes: 
« Nous  sommes  les  troupeaux  et  l'attirail  d’agriculture  de 
ton  fils.  Que  pouvons-nous  faire,  maharshi,  qui  te  soit 
agréable  ? Nous  sommes  tes  serviteurs,  tous  obéissants  à 
ta  voix  ! » 10,082. 

» Ensuite  l’anachorète,  ayant  recueilli  des  racines  et 
des  fruits,  revint  à son  hermitage  dans  une  ardente  co- 
lère ; il  y chercha  son  fils,  et,  ne  l’ayant  pas  vu,  son  cour- 
roux en  fut  redoublé.  10,088. 

» Déchiré  par  la  colère  et  soupçonnant  une  machination 
du  monarque,  il  se  dirigea  vers  Tchampâ,  déterminé  à 
brûler  le  roi  des  Angas  avec  sa  capitale  et  sa  ville. 

» Accablé  de  fatigue,  tourmenté  par  la  faim,  il  rencon- 
tra de  riches  huttes  pastorales,  et,  honoré  comme  un  roi, 
suivant  l’étiquette,  par  ces  pâtres,  il  y passa  la  nuit. 

10,084—10,085. 

» Ayant  reçu  d’eux  le  traitement  le  plus  distingué,  il 
leur  demanda  : « De  qui  êtes-vous  les  pâtres?  » Et 
ceux-ci  s’étanl  réunis  lui  répondirent  tous  : « C’est  ton 
fils,  qui  est  le  maître  de  cette  richesse  ! » 10,080. 


500 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Honoré  dans  chaque  lieu  et  n’entendant  partout  que 
ces  douces  paroles,  la  plus  grande  partie  de  sa  colère 
était  déjà  calmée,  quand  il  entra  dans  la  capitale  et  qu’il 
parut  devant  le  roi  d’Anga.  10,087. 

» Comblé  d’honneurs  par  le  souverain,  il  vit  là  son  fils, 
tel  que  le  Dieu  Indra  au  milieu  du  ciel  : il  vit  là  sa  bru 
Çântâ  comme  l’éclair  au  moment  qu’il  sort  du  nuage. 

» Yibhândaka  avait  vu  les  villages,  les  maisons  de 
pâtres,  l’épouse  de  son  fds,  sa  colère  antérieure  était  déjà 
calmée  ; il  accorda  une  grâce  éminente,  Indra  des  hommes, 
au  maître  de  la  terre.  10,088 — 10,089. 

» Legrand  saint,  qui  avait  une  puissance  égale  à celle 
du  feu  ou  du  soleil,  céda  son  fils  au  monarque  et  lui  dit  : 
« Reviens  au  bois,  lorsqu’il  te  sera  né  un  fils  et  que  tu 
auras  fait  tout  ce  qui  est  agréable  à ce  roi  ! « 10,090. 

« Rishyaçringa  exécuta  cette  parole,  et,  quand  il  eut 
un  fils,  il  se  rendit  là  où  était  son  père  ; Çântâ  le  servait 
avec  amour,  Indra  des  hommes,  telle  que  Rohini  sert 
Lunus  au  sein  des  airs.  10,091. 

» Comme  la  vertueuse  Aroundhati  fut  soumise  à Va- 
çishtha  et  Lopamoudrà  à Agastya,  Indra  des  rois;  comme 
Damayantt  le  fut  à Nala,  et  Çatclil  au  Dieu,  qui  tient  la 
foudre  ; autant  que  la  lille  de  Nâràyana,  Indrasénà  fut 
toujours  soumise  à Mougdala,  son  époux,  telle  Çântâ, 
pleine  de  tendresse,  Adjamitha,  servait  Rishyaçringa  dans 
les  bois.  10,092 — 10,098. 

u Voilà  son  hermitage  saint,  qui  embellit  ce  grand  lac 
et  brille  d’une  gloire  pure.  Baigne-toi,  sire,  et  quand  tu 
auras  accompli  cette  affaire,  lavé  de  tes  souillures,  visite 
les  autres  tlrthas.  » 10,094. 

Ensuite,  s’étant  porté  en  avant  de  la  Kaâuçikî,  le 


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VANA-PARVA. 


501 


Pàndouide  alla  successivement,  Djanamédjaya,  à tous  les 
endroits  saints.  10,095. 

S'étant  approché  de  la  mer,  au  lieu  où  elle  reçoit  la 
Gangà,  il  s’y  plongea,  sire,  au  milieu  de  cinq  cents  ri- 
vières. 10,006. 

Puis,  accompagné  de  ses  frères,  l’héroïque  monarque 
s’avança,  Bharatide,  sur  le  rivage  de  l’océan  vers  les  Ka- 
lingains.  10,097. 

« Voici  les  Kalingains,  fils  de  Kounti,  chez  qui  la  ri- 
vière Valtarint  roule  ses  eaux,  dit  Lomaça.  C’est  là  que 
sacrifia  Dharma,  implorant  le  secours  des  Dieux.  10,098. 

» C’est  un  tirtha  d’une  suprême  vertu,  propre  au  sacri- 
fice, continuellement  habité  par  des  brahmes,  "embelli 
par  une  montagne,  et  environné  de  rishis.  10,099. 

» D’autres  saints,  arrivés  également  au  Swarga  par  la 
route,  que  suit  le  char  des  Dieux,  ont  jadis  ici  même  cé- 
lébré des  sacrifices.  10,100  (1). 

» Roudra  ensuite  reçut  une  pièce  de  bétail  dans  un  sa- 
crifice, et,  l’ayant  reçue,  Indra  des  rois,  il  dit  : « Voici  ma 
part  !»  1 1 ,00 1 . 

» La  victime  enlevée,  les  Dieux  lui  dirent,  éminent 
Bharatide  : « Ne  veuille  pas  regarder  avec  envie  le  bien 
d’autrui  ! Ne  porte  pas  tes  désirs  sur  tous  les  devoirs  ! » 

» Ih  louèrent  alors  Çiva  avec  des  paroles  aux  formes 
heureuses  et,  l’ayant  rassasié  d'un  sacrifice,  les  Souras 
de  le  glorifier.  1 1,002 — 1 1 ,003. 

» L’ Immortel  abandonna  le  bétail  et  s’en  alla  sur  le 


(i)  Ici,  l'édition  continue  ses  inexplicables  enjambées  de  cent  à mille  et 
ce  verset  n'est  pas  compté,  suivant  son  ordre,  10,100;  mais  il  est  numéroté 
i 1,000.  Nous  allons  régler  notre  pas  sur  le  sien  pour  le  motif  sus-énoncé. 


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602 


LE  MAHA-BHARATA. 


char  des  Dieux.  Ici,  viennent  ces  vers  généalogiques  sur 
Roudra;  écoute-les,  Youddhishthira  : 11,006. 

h Les  Dieux  pensèrent  dès-lors  à jamais  par  la  crainte, 
que  leur  inspirait  Çiva  : « Une  portion  saine,  détachée 
de  toutes  les  parts,  forme  sa  portion  suprême.  » 11,005. 

» Ici  l’on  chante  ces  vers  : « L’hooime,  qui  a touché  les 
eaux,  voit  sa  route  se  montrer  devant  ses  yeux  sur  le 
char  des  Immortels.  » 11,006. 

Vaiçampâyana  de  continuer  son  récit  : 

Tous  les  vertueux  Pândouides  et  Draàupadl,  étant  des- 
cendus sur  les  bords  de  la  VaîtarinS,  rassasièrent  les 
Mânes.  11,007. 

Youddhishthira  dit  alors  : 

« Vois,  Lomaça,  maintenant  que  j’ai  touché  les  eaux 
dans  cette  rivière,  j’ai  quitté  ce  monde  des  hommes  par 
la  force  de  ma  pénitence.  11,008. 

» Grâce  à toi,  brahme  ferme  en  tes  vœux,  je  vois  de- 
vant moi  tous  les  mondes...,  j’entends  un  bruit...;  ce 
sont  les  magnanimes  anachorètes,  qui  murmurent  les 
Védas!»  11,009. 

Lomaça  lui  répondit  : 

« Trois  cents  milliers  d’yodjanas  s’étendent,  Youd- 
dhishthira, entre  toi  et  ces  lieux,  d’où  viennent  ces 
bruits.  Garde  le  silence,  monarque  des  hommes  11,010. 

» Ce  bois,  qui  brille  à tes  yeux,  Indra  des  rois,  est 
celui  de  Swayambhou  : c’est  là  qu'il  fut  sacrifié  par  l’au- 
guste Viçvakarma.  11,011. 

ji  Dans  ce  sacrifice,  la  terre  fut  donnée  en  présent  ho- 
norifique, avec  ses  forêts  et  ses  montagnes,  par  Swayam- 
bhou lui-même  au  magnanime  Kaçyapa.  11,012. 

» A peine  eut-elle  été  donnée,  la  terre  s’évanouit,  fils 


VANA-PARVA. 


&03 


de  Kountt,  et,  dans  sa  colère,  elle  tint  ce  langage  à l'au- 
guste maître  du  monde  : 11,013. 

« Ne  veuille  pas,  Adorable,  me  donner  à qui  que  ce  soit 
des  mortels,  car  ta  bienveillance  serait  vaine  ; je  vais  des- 
cendre au  plus  profond  des  enfers!  » 11,014. 

» Kaçyapa,  le  vénérable  saint,  ayant  vu  la  terre  s'éva- 
nouir, étendit  sa  bienveillance  sur  elle,  monarque  des 
hommes.  11,015. 

» La  terre,  fils  de  Pândou,  ressortit  de  l'eau,  grâce  à 
la  pénitence  de  l’anachorète,  et,  sereine,  elle  brilla  sous 
la  forme  d’un  autel.  11,010. 

» Cet  autel  semble  porter,  sire,  le  caractère  de  la  gran- 
deur; quand  tu  auras  monté  dessus,  puissant  roi,  tu  seras 
plein  de  vigueur.  11,017. 

» S’étant  approché  de  la  mer,  cet  autel  est  prêt  à vo- 
guer sur  ses  ondes  : embarque-toi  sur  lui,  s’il  te  plaît,  et 
traverse  la  mer  sans  compagnon.  11, OIS. 

» Je  prononcerai  sur  toi  les  bénédictions  du  voyage, 
car  tu  monteras  dessus  aujourd’hui  même.  A peine  est-il 
touché  par  un  homme,  cet  autel  entre  aussitôt  dans  la 
mer,  Adjamitha.  11,010. 

« Acm  ! adoration  soit  au  conservateur  de  l’univers  I 
Adoration  à toi , distinct  de  l'univers  ! Souverain  des 
Dieux,  approche-toi  de  la  mer,  ce  réceptacle  des  eaux 
salées!  11,020. 

» Tu  es  Agni  et  Varouna;  tu  es,  Vishnou,  la  matrice  de 
l’eau  ; tu  es  l’ombilic  et  la  divine  semence  de  la  droi- 
ture ! » C'est  en  prononçant  ces  paroles  de  vérité,  fils  de 
Pândou,  qu’il  faut  te  hâter  de  monter  sur  cet  autel. 

« Ta  matrice  est  le  feu,  la  terre  est  ton  corps,  plein 
de  semence  ; tu  es,  Vishnou,  l'ombilic  de  la  droiture  ! » 


504 


LE  MAHA-BHARATA. 


En  murmurant  ces  paroles  de  vérité,  fils  de  Pàndou, 
plonge-toi  dans  la  reine  des  neuves.  11,021 — 11,022. 

» Autrement,  fils  de  Kounti  et  le  plus  grand  des  Kou- 
rouides,  un  homme  intelligent  ne  doit  rien  demander  à la 
matrice  des  Dieux,  à la  reine  des  ondes,  au  vaste  bassin 
des  eaux  ! » 11,028. 

Aussitôt  que  le  magnanime  Youddhishthira  eut  fait 
prononcer  les  bénédictions  du  voyage,  il  s'avança  vers  la 
mer;  et,  quand  il  eut  accompli  tout  ce  qu'on  lui  avait 
commandé,  il  s’approcha  du  Mahéndra,  où  il  passa  la 
nuit.  11,024. 

Après  qu’il  eut  habité  là  une  seule  nuit,  le  monarque, 
secondé  par  ses  frères,  de  traiter  les  pénitents  d'une  ma- 
nière distinguée.  11,025. 

Lomaça  de  convoquer  là  pour  lui  tous  les  ascètes,  les 
Bhrigouides  et  les  Angirasides  eux-mêmes,  les  Vaç.ish- 
thides  et  les  Kaçyapides.  11,026. 

Le  saint  roi,  étant  venu  les  trouver,  s'inclina  devant 
eux,  ses  mains  réunies  au  front,  et  lit  cette  demande  à 
Akritavrana,  l’héroïque  suivant  de  Râma  : 11,027. 

n Quand  le  vénérable  Râma  daignera-t-il  se  montrer 
aux  pénitents  ? car  je  désire  avec  impatience  voir  ce  des- 
cendant de  Bhrigou  1 » 11,028. 

« Râma,  qui  se  connaît  lui-même,  répondit  Akrita- 
vrana, n'ignore  pas  ton  arrivée.  La  satisfaction  de  R&ma 
est  en  toi,  il  ne  (aidera  point  à se  montrer  devant  tes 
yeux.  11,029. 

» Les  pénitents  voient  Râma  le  huit  et  le  quatorze. 
C'est  demain,  après  cette  nuit  écoulée,  que  vient  le  qua- 
torze. » 11,080. 

« Ton  excellence,  reprit  Youddhishthira,  a suivi  Râma 


VANA-PARVA. 


505 


aux  forces  puissantes  ; elle  voit  comme  présentes  devant 
elle  toutes  les  actions  passées.  Quelle  me  raconte  mainte- 
nant de  quelle  manière  le  Djamadagnide  vainquit  tous  les 
kshatryas  en  bataille,  comment  et  pour  quelle  raison.  » 

11,031—11,032. 

Akritavrana  lui  répondit  : 

« Eh  bien  ! tigre  des  rois,  je  vais  te  raconter  la  grande 
et  sublime  histoire  de  ce  brahme , né  dans  la  famille  des 
Bhrigouides;  11,033. 

» Cette  conduite  de  Ràma,  le  Djamadagnide,  estimée 
par  les  Dieux,  fds  de  Bharata,  et  celle  de  Kârttavîrya,  le 
monarque  des  Hathayains.  11,034. 

» lin  souverain  de  ces  Halhayains,  nommé  Arjouna,  fut 
immolé  par  Ràma  : il  avait,  fils  de  Pàndou,  sept  et  trois 
centaines  de  bras,  1 1 ,035. 

» Un  char  d’or,  qu’il  devait  à la  bienveillance  du  fils 
d’Atri,  et,  maître  de  la  terre,  une  suprématie  exercée  sur 
tous  les  êtres  animés  ou  inanimés  de  la  terre.  11,030. 

» Le  char  de  ce  magnanime  fut  arrêté  dans  sa  route. 
Or,  suivant  le  don  de  cette  grâce,  il  broyait  de  tous  les 
côtés  sous  les  roues  de  ce  char  les  Rishis,  les  Yakshas 
et  les  Dieux  ; partout,  il  oppressait  toutes  les  créatures. 

11,037—11,038. 

» Alors  tous  les  Dieux  et  les  rishis  aux  grands  vieux, 
s’étant  réunis,  adressèrent  ce  langage  au  Dieu  des  Dieux, 
au  meurtrier  de  l’ennemi  des  Souras,  à Vishnou,  de  qui 
le  courage  ne  se  dément  jamais  : 11,039. 

« Adorable,  retire  ta  faveur  à Arjouna  pour  la  conser- 
vation de  tous  les  êtres  ! Ce  puissant  monarque  des  Haî- 
havains  offense  ave  ■ son  char  céleste  Indra  même  jusque 
dans  ses  jeux,  en  compagnie  de  Çatchl  ! » A l'instant 


500 


LE  MAHA-BHARATA. 


même,  Bhagavat,  de  concert  avec  Çakra,  délibéra  sur  les 
moyens  de  tuer  Kàrttavirya  ; et  le  roi  des  Souras  indiqua 
une  marche  â suivre  pour  le  bien  des  êtres. 

11,040—11,041—11,042. 

» L’Adorable,  honoré  par  tous  les  mondes,  ayant  tout 
approuvé,  se  rendit  sur  la  rive  charmante  de  la  Vadarl, 
à l'enceinte  même  de  ses  hermitages.  11,043. 

» Dans  ce  temps  même,  existait  sur  la  terre  dans  le 
Kànyakoubdja  un  monarque,  grand  prince,  à la  force 
immense.  11,044. 

» 11  était  célèbre  dans  le  monde  sous  le  nom  de  Gàdbi. 
il  vint  à cette  habitation  de  la  forêt  et,  tandis  qu’il  y de- 
meurait, il  lui  naquit  une  fille  aussi  belle  que  les  Ap- 
saras.  11,045. 

» Rilchika,  le  rejeton  de  Bhrigou,  la  demanda  en  ma- 
riage ; et  Gâdhi  répondit  ainsi,  lils  de  Bharata,  à ce 
brahme  aux  vœux  parfaits  : 11,046. 

« Quiconque  par  ses  ancêtres  est  assorti  à notre  famille 
devra  me  donner  mille  chevaux  rapides,  ayant  tous  une 
oreille  blanche  et  l’autre  noire.  Sache,  ô le  plus  grand 
des  brahmes,  que  je  mets  cette  condition  à la  main  de  ma 
fille.  Je  ne  blâme  pas  ta  révérence,  parce  qu’elle  m’a  dit  : 
1 1 Accorde-moi  ta  (ille  ! » Mais  elle  ne  sera  donnée  à un 
magnanime  de  ta  sorte  que  sous  cette  clause.  » — « Soit  ! 
lui  répondit  Ritchika  ; je  te  donnerai  mille  coursiers 
rapides,  ayant  tous  une  oreille  blanche  et  l'autre  noire. 
Que  ta  fille  soit  donc  mon  épouse  !»  — « Oui  ! promit  le 
roi  ; et  l’ascète  dit  à Varouna  : 

11,047—11,048—11,040—11,050. 

« Donne-moi  pour  dot  u : millier  de  chevaux  rapides, 
ayant  tous  une  oreille  blanche  et  l’autre  noire.  » 11,051. 


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VANA-PARVA. 


607 


» Varouna  lui  donna  alors  ces  mille  coursiers,  et  le  tlr- 
tba,  nommé  les  Chevaux,  est  le  lieu  de  la  Gangâ,  où  ces 
quadrupèdes  sortirent  des  eaux,  dans  le  Kânyàkoubja. 
Gâdhi,  ayant  obtenu  ce  millier  de  chevaux,  lui  donna  donc 
sa  fille  Satyavatl.  Sa  vue  ravit  les  habitants  du  ciel,  et  les 
Souras  eux-mèmes  furent  dans  ce  mariage  les  nympha- 
gogues.  11,052 — 11,053. 

» Quand  il  eut  acquis  légitimement  son  épouse  Rit— 
chika,  le  plus  vertueux  des  brahmes,  savoura  le  plaisir 
avec  cette  princesse  à la  jolie  taille,  comme  avec  une 
femme  et  suivant  son  amour.  11,056. 

» Cet  hymen  terminé,  sire,  Bhrigou,  inclinant  ses  yeux 
sur  la  terre,  vit  son  fils  aîné  uni  à une  épouse  ; il  vint  et 
se  réjouit.  11,055. 

» Lorsque  l’époux  et  l'épouse  eurent  fait  asseoir  et 
qu’ils  eurent  honoré  le  gourou,  honoré  par  les  Dieux, 
ils  se  tinrent  debout,  et,  les  mains  réunies  au  front,  ils 
le  servirent.  11,050. 

» Alors,  joyeux,  le  vénérable  Bhrigou  dit  à sa  bru  : 
« Choisis  une  grâce,  noble  dame  ; je  te  donnerai  la  chose, 
que  tu  désires.  » 11,057. 

» Elle  d’implorer  l'anachorète  pour  un  fils,  et  l’hermite 
d’étendre  sa  faveur  sur  l’enfant  et  sa  mère.  11,058. 

« Au  jour  des  règles,  dit  Bhrigou,  baignez-vous,  la  mère 
et  toi,  pour  le  pounsavana  (1)  ! Et  tenez  embrassés  deux 
arbres,  chacun  un,  le  figuier  religieux  et  le  figuier  gloméré. 

» Voici,  noble  dame,  deux  espèces  de  nourritures,  pour 
le  père  et  pour  toi.  Approchez-vous  de  ces  aliments  et 
mangez  avec  soin  tout  ce  que  j’ai  soigneusement  pré- 


(i)  Fête,  célébrée  au  moment  où  la  mère  aperçoit  les  premiers  signes  d« 
sa  conception 


508 


LE  MAHA-BHARATA. 


paré  ! » A ces  mots,  il  rentra  dans  l’invisibilité.  Les  deux 
époux  d’échanger  entre  eux  la  nourriture  et  les  arbres  em- 
brassés. 41,059 — 11,060 — 11,061. 

» Informé  par  sa  science  divine,  le  vénérable  arrive  de 
nouveau,  après  un  temps  long  écoulé.  41,0(52. 

» Bhrigou  5 la  grande  lumière  dit  à Satyavatî,  sa  bru  : 
« Avez-vous  mangé  la  nourriture,  noble  daine,  et  embrassé 
les  deux  arbres?  11,063. 

» Mère,  tu  fus  trompée,  femme  aux  charmants  sour- 
cils, par  l’échange,  que  l’on  fit  avec  loi  ; tu  auras  un  fils  ; 
mais  brahine,  il  aura  les  mœurs  d’un  kshatrya.  11,06A. 

» Le  fils  de  ta  mère  est  un  grand  kshatrya,  de  qui  la 
conduite  est  d’un  brahtne  : ton  fils  aura  une  immense  vi- 
gueur et  suivra  la  route  des  gens  de  bien.  » 11,065. 

» Elle,  supplia  mainte  et  mainte  fois  son  beau-père  : 
« Que  mon  fils  ne  soit  point  ainsi  ! Que  mon  petit-fils  ait 
ce  caractère,  j’y  consens  !»  11 ,066. 

« Qu'il  en  soit  comme  tu  veux  ! » lui  répondit  l’anacho- 
rète, qui  porta,  fils  de  Pàndou,  la  joie  dans  son  cœur  avec 
cette  réponse  ; et,  quand  le  temps  fut  arrivé,  elle  mit  au 
monde  un  fils,  qui  fut  Djamadagni.  11,067. 

» Ce  rejeton  de  Bhrigou  était  doué  de  splendeur  et  de 
lumière  : resplendissant,  il  croissait  en  âge  et  en  lecture 
des  Védas.  11 ,068. 

» Homme  à la  grande  splendeur,  il  surpassait,  fils  de 
Pàndou,  beaucoup  de  rishis;  le  Dhanour-véda  entier  et 
les  astras  des  quatre  sortes  brillaient,  éminent  Bhara- 
tide,  en  cet  anachorète  d’une  lumière  égale  au  soleil. 

11,069—11,070. 

» Djamadagni  aux  grandes  macérations,  appliqué  à la 
lecture  du  Véda,  cultiva  la  pénitence  ; ensuite,  il  régla 
son  pouvoir  sur  la  compression  des  sens  et  le  Véda. 


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VANA-PARVA. 


509 


» Il  vint  trouver,  sire,  le  roi  Prasénadjit,  lui  demanda 
sa  fille  en  mariage,  et  ce  monarque  lui  donna  Rénoukâ. 

11,071—11,072. 

» Quand  il  eut  obtenu  cette  jeune  princesse  pour  sou 
épouse,  le  descendant  de  Bhrigou  se  tint  dans  son  hermi- 
tage,  et  cultiva  la  pénitence  avec  elle,  qui  suivait  docile- 
ment son  exemple.  41,073. 

» Elle  mit  au  monde  quatre  fils  et  Ràma,  qui  était  le 
cinquième  ; mais  ce  Ràma,  le  moins  âgé  de  tous,  n’était 
pas  le  dernier  des  cinq  frères.  11,07A. 

» Un  jour,  que  tous  ses  fils  étaient  sortis  à la  recherche 
des  fruits,  Rénoukâ  aux  voeux  domptés  s'en  alla  se  bai- 
gner. 11,075. 

» Au  réservoir  en  argile,  où  elle  n’était  pas  venue, 
sire,  conduite  par  sa  libre  volonté,  Rénoukâ  vit  un  roi, 
nommé  Tchitraratha,  opuleut,  orné  avec  des  guirlandes 
de  lotus,  qui  s’y  ébattait,  en  compagnie  de  son  épouse,  et 
elle  conçut  pour  lui  un  désir.  11,070 — 11,077. 

» Alors,  toute  moite  d'eau  à cause  de  cette  faute,  elle 
s’en  revint  tremblante,  hors  d’ elle-même,  à l’hermitage  ; 
et  son  époux  connut  par-là  son  péché.  11,078. 

» Quand  il  vit  Rénoukâ  déchue  de  sa  constance  et  pri- 
vée de  sa  brahmique  beauté,  l'énergique  anachorète  à la 
grande  splendeur  maudit  sa  femme  avec  ce  mot  : « Honte 
à toi!  » 11,079. 

» Dans  ce  moment,  arrivèrent  le  fils  aîné  de  Djamada- 
gni,  nommé  Roumanvat,  accompagné  de  Soushéna,  de 
Vasou  et  de  Viçvâvasou.  11,080. 

» Le  révérend  de  les  exciter  l’un  après  l'autre  à tuer 
leur  mère  ; mais  eux,  au  cœur  de  qui  se  réveillait  la  ten- 
dresse, restèrent  sans  pensée  et  sans  parole.  11,081. 


510 


LE  MAHA-BHARATA. 


» L’ hennite,  dans  sa  colère,  fulmina  sa  malédiction  sur 
ses  fils  ; les  maudits  perdirent  aussitôt  la  raison,  et,  sem- 
blables à des  quadrupèdes  ou  des  volatiles,  ils  devinrent 
à l’instant  même  pareils  à des  brutes.  11,082. 

» Rârna,  le  destructeur  des  héros  ennemis,  vint  en- 
suite à l’hermitage,  et  Djamadagni,  l’hermite  à la  grande 
splendeur,  à la  grande  puissance,  lui  dit  : 11,083. 

« Immole  cette  mère  coupable  ! Que  cette  action,  mon 
fils,  ne  trouble  pas  ton  cœur!  » A ces  mots,  Ràma  prit 
une  hache  et  fit  tomber  la  tète  de  sa  mère.  1 1 ,08/j. 

» La  colère  du  magnanime  Djamadagni  s’éteignit  à 
l'instant,  auguste  roi,  et,  d’un  air  serein,  il  prononça  les 
paroles  suivantes  : 11,085. 

« Cette  œuvre,  que  tu  viens  d’accomplir  à ma  voix,  elle 
était  difficile  à faire,  mon  fils.  Choisis  autant  de  grâces, 
que  tu  en  désires  dans  ton  cœur  !»  1 1 ,086. 

» Râma  choisit  la  résurrection  de  sa  mère,  l’oubli  de 
cette  mort,  l’absolution  de  ce  crime  et  le  rétablissement 
de  ses  frères  dans  leur  état  naturel,  11,087. 

» La  grâce  d'être  sans  rival  à la  guerre,  et  une  longue 
vie  ! Le  grand  ascète  Djamadagni  lui  accorda  toutes  ces 
choses  désirées.  11,088. 

» Un  jour  que  tous  ses  fils  étaient  sortis,  se  présenta 
le  héros  Kârttavlrya,  qui  régnait  sur  les  lieux  voisins  de 
la  mer.  11,089. 

» L’épouse  du  saint  honora  le  prince  arrivé  à l’en- 
ceinte des  hermitages  ; mais  lui,  enivré  de  l’orgueil  des 
combats,  il  ne  tint  pas  compte  de  cet  hommage.  11,090. 

» 11  enleva  de  cet  hermitage  par  force,  avec  violence, 
le  veau  de  la  vache  Homadhénou,  en  dépit  de  ses  meu- 
glements, et  brisa  de  grands  arbres.  11,091. 


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VANA-PARVA. 


511 


» A l’arrivée  de  Râma,  son  père  l’en  informa  lui-même; 
et,  voyant  les  tristes  gémissements  de  la  vache,  Râma  fut 
saisi  de  colère.  11,092. 

» Il  courut  sur  Kàrttavtrya,  tombé  sous  le  pouvoir  de 
la  mort,  et  le  rejeton  de  Bhrigou,  immolateur  des  héros 
ennemis,  lui  montra  sa  valeur  dans  les  combats. 

» Il  prit  son  arc  éclatant,  sire,  et  lui  trancha  en  riant 
ses  mille  bras,  semblables  à des  massues,  avec  des  bhal- 
las  acérés.  11,093 — 11,094. 

» Le  roi  fut  vaincu  dans  cette  lutte  avec  Râma,  qui 
jouait  le  rôle  de  la  mort.  En  ce  moment,  les  fils  d’Ar- 
jouna,  dont  Râma  avait  excité  la  colère,  fondirent  sur 
Djamadagni,  qui,  privé  de  Râma,  se  tenait  dans  son  her- 
mitage,  et  tuèrent  l’ascète  à la  grande  énergie,  qui  ne 
combattait  pas.  11,095 — 11,090. 

» En  vain  cria-t-il  plus  d’une  fois,  comme  un  aban- 
donné : « Râma!...  Râma  ! » Après  qu’ils  eurent  accablé 
de  leurs  flèches  Djamadagni,  ces  héros,  dompteurs  des 
ennemis,  s’en  allèrent,  Youddhishthira,  comme  ils  étaient 
venus.  Djamadagni  mort  et  ceux-ci  partis,  Samilpâni,  le 
rejeton  de  Bhrigou,  rentra  dans  l’hermitage.  Dès  qu’il  vit 
son  père  ainsi  tombé  sous  le  pouvoir  de  la  mort  et  victime 
d’un  traitement,  qu’il  n'avait  pas  mérité,  il  gémit,  en 
proie  à la  plus  vive  douleur. 

11,097—11,098—11,099—11,100  (1). 

» 11  dit  : 

« C’est  par  ma  faute,  que  tu  es  tombé,  mon  père,  sous 
les  coups  de  ces  insensés  et  stupides  fils  de  Kàrttavtrya, 
comme  une  gazelle  dans  laforêt  sous  lesflèches  du  chasseur! 


(1)  Ce  verset  est  compté  dans  l’édition  12,000;  nous  allons  sauter  comme 
elle  par-dessus  mille  stances  et  numéroter  la  suivante  : 12,101. 


512 


LE  M AH  1-BH.YHAT A . 


» Une  telle  mort  était-elle  convenable  pour  toi,  qui  sa- 
vais le  devoir,  qui  étais  sans  péché  à l’égard  de  tous  les 
êtres,  et  qui  marchais  dans  la  route  des  gens  de  bien? 

» N'ont-ils  pas  commis  une  action  criminelle  ces  hom- 
mes, qui,  sans  considérer  ta  vieillesse,  ont  donné  la  mort 
à ta  sainteté  avec  des  centaines  de  flèches  aiguës,  à toi, 
qui,  sans  broncher  de  ta  pénitence,  ne  pris  aucune  pari  au 
combat  ? 12,101— 12,102— 12,103. 

» Te  diront-ils,  avec  leurs  conseillers  et  leurs  amis  : 
« On  peut  tuer  sans  rougir  l’homme  vertueux  et  qui  ne 
combat  pas?  » 12,104. 

» Après  qu’il  eut  ainsi  exhalé  sa  douleur  en  différentes 
plaintes,  le  grand  pénitent  vaqua  à toutes  les  cérémonies 
funèbres  de  son  père.  10,200  (1). 

» L’invincible  Râma  brûla  sur  un  bûcher  son  corps  et 
jura  la  mort,  auguste  Bharalide,  à tous  les  kshatryas. 

» Irrité,  vigoureux,  d’une  grande  force,  seul  et  sem- 
blable à la  mort,  il  prit  son  arme  et  tua  dans  un  combat 
les  fils  de  Kàrttavîrya.  10,201 — 10,202. 

h Tous  les  kshatryas,  qui  les  suivirent,  ô le  plus  grand 
des  guerriers,  Râma,  le  meilleur  des  combattants,  les 
broya  tous!  10,203. 

» Viugt-ct-une  fois,  le  terrible  dépeupla  la  terre  de  ksha- 
tryas;  il  créa  cinq  lacs  de  sang  dans  le  Samantapan- 
tchaka.  10,20ü. 

» Le  continuateur  de  la  race  de  Bhrigou  en  rassasia 
les  Bhrigouides;  il  vit  en  personne  Ritchika,  son  aïeul , 
qui  s'annonça  à Râma.  10,205. 

» Ensuite,  le  majestueux  Djamadagnide  rassasia  d’un 


(1}  L'édition  fautive  revient  à compter  ce  verset  10,200  ; «uivona-la  donc 
jutqu’en  ses  erreurs. 


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VANA-PARVA. 


51 S 


grand  sacrifice  le  roi  des  Dieux  et  donna  la  terre  aux  prêtres 
officiants.  10,200. 

» 11  gratifia,  monarque  des  hommes,  le  magnanime  Ka- 
çyapa  d’un  autel  d’or,  qui  avait  dix  brasses  de  long  sur 
neuf  en  hauteur.  10,207. 

» Avec  l’approbation  de  Kaçyapa,  les  brahmes  le  mirent 
en  pièces;  et  c'est  de  là,  sire,  qu’ils  furent  appelés  Khân- 
davàyanas.  10,208. 

» Après  qu'il  eut  donné  la  terre  au  magnanime  Ka- 
çyapa, cet  homme,  au  courage  invincible,  habita  sur  le 
Mahéndra,  la  sourcilleuse  montagne.  1 0,209. 

» C'est  ainsi  que  naquit  sa  guerre  avec  les  kshatryas, 
répandus  sur  le  globe  entier,  et  que  la  terre  fut  conquise 
par  l’indomptable  Ràma.  » 10,210. 

Le  quatorzième  jour,  le  magnanime  pénitent,  suivant 
l’ordre  établi,  se  montra  aux  brahmes,  à Dharmaràdja  et 
à ses  frères  mineurs.  10,211. 

L’auguste  Indra  des  rois  l’honora,  accompagné  de  ses 
frères,  et  le  plus  vertueux  des  souverains  décerna  aux 
brahmes  un  hommage  suprême.  10,212. 

Dès  qu’il  eut  rendu  ses  honneurs  au  Djamadagnide  et 
qu’il  eut  reçu  les  siens,  il  continua  sa  marche,  excité  par 
lui,  après  une  seule  nuit  de  séjour,  la  face  tournée  au 
midi.  12,213. 

Le  monarque  à la  grande  autorité  ne  vit  dans  sa  mar- 
che, ici  et  là  de  la  mer,  que  des  tlrthas  saints,  charmants, 
Bharatide,  embelli  par  des  brahmes.  10,214. 

Quand  le  fils  de  Pàndou,  eut  fait  en  leur  sein,  rejeton 
de  Parikshit,  ses  ablutions  avec  ses  frères  puinés,  il  s'en 
alla,  accompagné  des  fils  et  des  petits-fils  de  Kountî,  au 
fleuve  célèbre  et  très-pur.  10,215. 
ut 


33 


51â  LE  MAHA-BHARATA. 

Là,  après  qu’il  se  fut  plongé  et  qu'il  eut  rassasié  d'of- 
frandes les  Mânes  et  les  Dieux,  après  qu’il  eut  distribué 
des  richesses  aux  principaux  des  braluues,  le  digne  mo- 
narque se  rendit  au  lieu  de  la  terre,  où  la  Godâvar!  se 
jette  dans  l’océan.  10,218. 

Ensuite,  lavé  de  ses  péchés  et  quand  il  se  fut  approché 
de  la  mer,  sainte  pour  le  monde,  le  héros  visita  le  tirtha 
bien  purificateur  d’Agastya  et  les  tlrthas  de  la  Femme. 

Là,  entendant  parler  de  l’exploit,  impossible  aux  hom- 
mes, de  cet  Arjouna,  dont  le  bras  soutenait  un  arc  im- 
mense, le  fils  de  Pândou,  honoré  par  les  rishis  du  plus 
haut  rang,  en  ressentit  une  joie  inexprimable. 

10,217—10,218. 

Ici , quand  il  eut  lavé  ses  membres  en  société  de 
Krishnâ,  accompagué  de  ses  frères  puinés,  le  maître  de  la 
terre,  trouva  du  plaisir,  souverain  du  globe,  à honorer  la 
valeur  d’ Arjouna  ; 10,219.  • 

Et,  quand  il  eut  distribué  des  milliers  de  vaches  en 
l'honneur  des  tîrthas  du  plus  grand  des  réservoirs,  joyeux 
avec  scs  frères,  il  donna  le  nom  d’ Arjouna  à ces  présents 
de  vaches.  10,220. 

En  poursuivant  sa  marche  successivement  à tous  les 
saints  tlrthas  de  la  mer  et  à beaucoup  d’autres,  sire,  il  ar- 
riva, ses  vœux  comblés,  au  très-pur  Soûrpàraka. 

Après  qu’il  eut  dépassé  un  certain  lieu  de  la  mer,  ap- 
pelé Dans-la-terre,  il  parvint  à une  forêt,  où  jadis  s’étaient 
mortifiés  les  Dieux  et  avaient  sacrifié  les  ludras  des 
hommes,  adonnés  aux  œuvres  saintes. 

10,221—10,222. 

Le  héros  aux  bras  longs  et  potelés  y vit  l’autel  du  fils 
de  Ritchika,  porteur  d'un  arc  immense  : des  troupes  de 


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VANA-PARVA. 


515 


pénitents  l'environnaient  ; il  était  l'objet  d'un  culte  pour 
les  hommes  aux  bonnes  actions.  10,223. 

Le  magnanime  roi,  maître  de  la  terre,  vit  les  autels 
purs  et  bien  ravissants  des  Vasous,  du  chœur  des  vents, 
des  Arwins,  d’Yama,  des  Adityas,  du  souverain  des  ri- 
chesses, d’Indra,  de  Vishnou,  et  de  l'auguste  Savitri,  de 
Bhava,  de  Lunus,  de  l’auteur  du  jour,  du  monarque  de 
l'onde,  des  troupes  de  Sâdhyas,  de  Brahma  et  des  Pitris, 
de  Roudra  et  de  sa  cour,  de  la  Sarasvatl,  environnée  des 
Siddhas,  et  des  autres  saints  Immortels. 

10,224—10,225—10,226. 

Après  que  le  roi  eût  jeûné  différents  jeûnes,  qu'il  eût 
donné  de  grands  joyaux  et  qu’il  eût  baigné  son  corps  en 
tous  ces  tlrtbas,  il  revint  au  Soûrpàraka.  10,227. 

Il  s’avança  de  nouveau  sur  le  rivage  de  la  mer  avec 
ses  frères  utérins,  et  se  dirigea  vers  le  Prabhâsa,  ttrtha, 
que  les  brahmes  illustres  ont  rendu  célèbre  sur  la  terre. 

Quand  il  se  fut  plongé,  le  prince  aux  yeux  grands  et 
dorés,  accompagné  de  ses  frères  puînés,  de  Krishnâ,  des 
brahmes  et  de  Lomaça,  rassasia  d'offrandes  les  Mânes  et 
les  chœurs  des  Dieux.  10,228 — 10,229. 

Douze  jours  n'ayant  pour  aliments  que  le  vent  et  l'eau, 
vaquant  à ses  ablutions  le  jour  et  la  nuit,  allumant  les 
feux  de  tous  les  côtés,  le  plus  vertueux  des  hommes  ver- 
tueux endura  la  pénitence.  10,230. 

Après  qu’il  eut  pratiqué  ces  éminentes  macérations, 
Balarâma  et  Djanârdana  apprirent  la  nouvelle  de  sa 
marche,  et  ces  deux  plus  grands  de  tous  les  Vrishnides, 
entourés  de  leurs  armées , viurent  trouver  Youddhish- 
thira,  l’ami  de  l'être,  qui  n’a  pas  eu  de  naissance.  10,231. 

A peine  ces  rejetons  de  Vrishni  eurent-ils  vu  ces  fils  de 


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616 


LE  MAHA-BHARATA. 


Pâadou,  le  corps  souillé  d’impuretés,  et  Draâupadt,  in- 
digne de  cette  condition,  couchée  avec  eux  sur  la  terre, 
ils  poussèrent  des  cris  de  détresse  dans  la  plus  vive  afflic- 
tion. 10,232. 

Aussitôt  qu’il  eut  vu  Balarâma,  et  Djanârdana,  et  le 
fils  de  Krishna,  et  Çâmba,  et  le  petit-fils  de  Çini,  et 
d’autres  fameux  Vrishnides,  Y ouddhisltthira  s’approche 
et,  d’une  âme  énergique,  leur  adresse  des  honneurs  assortis 
au  devoir.  10,233. 

Ceux-ci,  bien  traités,  ayant  rendu  hommage  pour  hom- 
mage à tous  les  fils  de  Prithâ , entourent  l’aîné  des 
princes  et  s’asseoient  au-dessous  de  lui,  comme  les  chœurs 
des  Dieux  prennent  place  au-dessous  d’Indra.  10,23A. 

Joyeux,  le  monarque  à la  vaste  renommée,  leur  exposa 
toute  son  histoire  et  celle  des  autres  dans  la  forêt.  « Le 
fils  de  Prithâ,  leur  dit-il,  est  allé  habiter  chez  Indra  pour 
en  obtenir  des  armes!  » 10,235. 

A son  récit,  ces  personnes  distinguées  et  d’une  grande 
autorité,  ayant  vu  ces  héros  célèbres  dans  une  maigreur 
extrême,  répandent  l’eau,  que  fait  naître  l'affliction  de  la 
douleur  et  dont  la  source  est  dans  les  yeux.  10,236. 

Djanamédjaya  dit  : 

« Quand  les  fils  de  Pàtidou  et  les  enfants  de  Vrishni 
furent  venus  au  lac  Prabhâsa,  qu’y  firent-ils?  Et  quelles  fu- 
rent, anachorète  opulent  de  pénitences,  les  narrations, 
qui  s’y  déroulèrent?  10,237. 

» En  effet,  ces  magnanimes  rejetons  de  Vrishni  et  de 
Pàndou  sont  tout  à fait  habiles  dans  le  maniement  des 
armes  et  unis  entre  eux  d’une  mutuelle  amitié  1 » 10,238. 

Vaîçampâyana  lui  répondit  : 

Quand  ils  furent  arrivés  au  bain  Prabhâsa,  tîrtha  saint 


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VANA-PARVA. 


617 


du  grand  bassin  des  eaux,  les  héroïques  Vrishnides  s’ap- 
prochèrent, environnant  les  fils  de  Pàndou.  10,230. 

Rama  à la  guirlande  forestière,  armé  d'un  soc,  le  rival 
en  couleur  de  l'argent,  de  la  fibre  du  nymphée,  de  la  lune, 
du  jasmin  pubescent  et  du  lait,  dit  au  Dieu,  qui  porte  des 
yeux  de  lotus  bleu  : 10,240. 

* La  vertu  n’est  pas  observée,  Krishna,  pour  la  conser- 
vation du  monde,  et  le  vice  ne  sert  point  à la  perte 
des  hommes,  puisque  le  magnanime  Youddhishthira,  les 
cheveux  en  gerbe,  l'habit  d’écorce,  ayant  les  bois  pour 
asile,  est  accablé  de  douleur  ! 10,241. 

» Douryodhana  gouverne  la  terre  et  ce  globe  ne  s’en- 
trouvre pas!  11  vaut  donc  infiniment  mieux  suivre  le  vice 
que  la  vertu  ; ainsi  pense  l’homme,  qui  a peu  de  sens. 

n Tandis  qu’on  verra  Douryodhana  s’augmenter  et  la 
royauté  échapper  aux  mains  d’Youddhishthira  : « Qu’y  a- 
t-il  à faire  ici  ? » demanderont  les  sujets  ; et  l'incertitude 
naîtra  naturellement  au  milieu  des  hommes! 

10,242—10,243. 

» Le  généreux  fils  de  Prithà,  ce  monarque,  de  qui  le 
devoir  tire  son  origine,  qui  soutient  le  devoir,  qui  a de  la 
constance  pour  la  vérité,  s’il  tombe  du  royaume  et  du 
plaisir,  comment  pourra-t-il  s’accroître,  séparé  de  la 
justice?  10,244. 

» Comment  Bhishma  et  Kripa,  et  le  brahme  Drona,  et 
ce  vieux  roi  de  la  famille  jouiront-ils  du  bonheur,  après 
qu’ils  ont  relégué  en  exil  les  fils  de  Prithà?  Honte  à ces 
hommes  aux  pensées  criminelles,  chefs  de  la  famille  des 
Bharatides  ! 10,243. 

» Le  coupable  monarque  de  la  terre,  quand  il  ira  chez 
les  morts  retrouver  ses  pères,  pourra-t-il  leur  dire,  après 


LE  MAHA-BHARATA. 


518 

qu’il  a séparé  du  royaume  ses  neveux  innocents  : « Ma 
conduite  à l'égard  de  mes  neveux  fut  convenable  ! » 
a Quand  il  a chassé  du  trône  au  milieu  des  princes  le 
fils  de  Kounti,  son  intelligence  ne  voit  pas  encore  pour 
quelle  action  il  pourrait  dire  : « Voilà  pourquoi  je  suis  né 
aveugle  sur  la  terre  ! » 10,256 — 10,257. 

» Le  lils  de  Vitchitravirya,  coupable  d’une  cruauté  avec 
ses  fils,  hélas  ! verra  sur  la  terre  du  monde  des  Mânes  ces 
plantes , enfants  de  la  terre,  opulentes,  fleuries,  semblables 
à l’or.  10,248. 

» S'il  interroge  ces  hommes  aux  yeux  grands  et  dorés, 
aux  épaules  vastes  et  élevées,  il  entendra  sans  doute  ces 
paroles  : « 11  a banni  dans  les  bois,  sans  hésiter,  Youd- 
dhishthira,  armé  de  son  arc , avec  ses  frères  puînés.  » 
«Voici  le  héros,  qui,  sans  arme,  avec  l’aide  de  ses 
longs  bras,  immolera  la  grande  armée  des  ennemis  ! » A 
ces  paroles  de  Vrikaudara,  les  armées  sont  tombées  en 
défaillance  (1).  10,259 — 10,250. 

» Mourant  de  soif,  alfamé,  amaigri  par  le  voyage,  se 
rappelant  son  bien  épouvantable  séjour  dans  les  forêts,  ce 
guerrier  vigoureux,  les  mains,  dans  un  combat,  pleines  de 
flèches  et  d’armes  variées,  ne  laissera  pas  un  seul  ennemi 
de  reste!  tel  est  mon  sentiment.  10,251. 

» 11  n’existe  pas  un  autre  homme  sur  la  terre,  de  qui  la 
vigueur  soit  égale  à la  force  de  ce  héros.  Le  corps  déchiré 
par  le  vent,  le  froid,  la  pénitence,  il  ne  laissera  pas  sub- 
sister un  seul  de  ses  ennemis  sur  le  champ  de  bataille. 

» Vrikaudara,  ce  héros  puissant,  qui,  victorieux  dans 
les  combats  des  monarques  orientaux  et  de  leurs  adhé- 

(1)  Mût  à mot  : excrcmentum  et  urinam  dimiserunt. 


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VANA-PARVA. 


510 


rents,  est  revenu  avec  des  bénédictions  de  victoire,  il  est 
aujourd'hui  accablé  de  chagrin,  revêtu  d’un  habit  d’é- 
corce au  milieu  des  forêts?  10,252 — 10,253. 

» Voyez  ce  fort  Sahadéva,  qui  porte  le  vêtement  d’un 
anachorète,  lui,  qui,  sur  les  rivages  de  la  mer,  a vaincu 
les  souverains  du  midi  coalisés  ! 10,255. 

» Le  guerrier,  qui,  enivré  de  batailles,  a dompté  sur  un 
seul  char  les  rois  dans  la  contrée  occidentale,  le  voici, 
qui,  les  cheveux  en  gerbe,  vivant  de  racines  et  de  fruits, 
marche  dans  la  forêt,  le  corps  tout  couvert  de  souillures. 

» Cette  fdle  d’un  héroïque  roi,  qui,  dans  un  grand  sa- 
crifice, s’est  élevée  de  l’aire  d’un  autel,  comment  sup- 
porte-t-elle cette  habitation  si  pénible  dans  un  bois,  cette 
vertueuse  femme,  digne  d’un  autre  sort?  10,255-10,256. 

» Comment  les  fils  de  ces  Dieux,  celui  des  morts,  le 
Vent,  le  roi  des  Dieux,  les  deux  Açwins,  supportent-ils 
de  marcher  dans  la  forêt,  séparés  du  plaisir,  eux,  si  dignes 
du  bonheur  ? 10,257. 

» En  effet,  si  le  fils  de  Dharrna  périt  avec  son  épouse,  ses 
frères  et  sa  suite,  s’il  est  banni,  et  si  Douryodhana  s'aug- 
mente, comment  pourrait  subsister  la  terre  avec  ses  mon- 
tagnes? » 10,258. 

Sâtyaki  lui  répondit  : 

« Ce  n’est  pas  le  temps  de  la  plainte,  Râma  : ce  que 
l’on  peut  te  répondre,  le  voici  ! 11  nous  faut  tous  atten- 
dre : si  Youddhishthira  ne  dit  rien  encore,  c’est  que  le 
temps  n’est  pas  écoulé.  10,259. 

» Ce  ne  sont  pas  les  défenseurs  actuels,  qui  commen- 
cent eux-mêmes  les  entreprises  dans  le  monde  : ils  ont, 
Râma,  des  personnes,  Çaivya  et  les  autres,  auxquelles 
leur  affaire  est  à cœur.  De  même  que  les  protecteurs 


620 


LE  MAHA-BHARATA. 


d’Yayâti  ont  commencé  ses  affaires,  de  même  iis  commen- 
ceront celle-ci  dans  le  monde  avec  l’approbation  des  fils 
de  Pà  dou.  Ceux,  qui  ont  un  protecteur,  deviennent  à la 
sueur  du  Iront  et  parle  bras,  qui  les  protège,  des  hommes 
héroïques.  10,260 — 10,261. 

» Pourquoi  Râma  et  Djanàrdana,  ces  deux  héros,  Pra- 
dyoumna  et  Çàmba,  sont-ils  réunis  avec  moi  ? Les  fils  de 
Prithà,  étant  allés  vers  les  protecteurs  des  trois  mondes, 
habitent  dans  la  forêt  avec  leurs  frères  utérins.  10,262. 

» Allons  ! qu’à  l'instant  même  sorte  l'armée  des  Daçà- 
rhaius  avec  leurs  cuirasses  admirables,  avec  leurs  traits 
nombreux  et  variés!  Que,  dompté  sous  la  vigueur  de 
Vrishni,  le  Dhritaràshtride  descende  avec  ses  parents  dans 
les  demeures  d’Yama,  10,263. 

» Environne  cette  terre  elle-même  de  ta  colère  ; dresse 
l'arc  Çârnga!  Triomphe  du  Dhritaràshtride  et  de  sa  far 
mille,  comme  jadis  le  grand  Indra,  le  souverain  des  Dieux, 
fit  mordre  la  poussière  à Vritra.  10,264. 

» Mon  frère  n'est-il  pas  l'ami  et  l'instituteur  de  Djan&r- 
dana;  le  Prithide  n'est-il  pas  égal  à lui-même...  C'est 
pour  cela  que  les  enfants  de  Manou  désirent  un  bon  fils  et 
les  gourous  un  disciple,  de  qui  la  bouche  ne  prononce 
que  des  paroles  équitables.  10,265. 

» C’est  pour  cela  que  cet  arc  suprême,  éminent,  ac- 
complit un  exploit  très-élevé,  inexécutable  ! Vainqueur 
detennetni  dans  la  bataille,  je  repousserai  toutes  ses 
averses  de  flèches  avec  des  armes  supérieures.  10,266. 

» Je  broyerai  sa  tête,  Ràma,  avec  de  longues  flèches, 
semblables  au  feu  lui-même  du  poison  du  serpent  : avec 
ce  cimeterre  aigu,  vigoureusement  asséné,  j'abattrai  dans 
une  bataille  sa  tête  de  ses  épaules  ! 10,267. 


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VANA-PARVA. 


521 


» Je  tuerai  ensuite  tous  ceux,  qui  marchent  à sa  suite, 
et  Douryodhana  lui -même,  et  tous  les  Kourouides.  Que 
les  Bhimides,  dans  les  transports  de  la  joie,  me  contem- 
plent, fils  de  Rohinl,  mes  armes  en  main,  dans  la  bataille. 

» Telle  qu'au  temps  fixé  pour  sa  ruine,  une  grande  forêt 
de  bois  sec  ne  peut  supporter  l’incendie,  tels  Kripa, 
Drona,  Karna  et  Vikarna  sont  incapables  de  soutenir  les 
traits  aigus,  que  décoche  la  main  seule  de  Pradyoumna, 
moissonnant  les  principaux  guerriers  de  Kourou  1 

» Je  connais  la  valeur  du  fils  de  Djaya;  je  sais  de 
quelle  manière  le  fils  de  Krishna  se  comporte  dans  une 
bataille  et  comment,  l’avant  broyé  de  force  entre  les  bras, 
avec  son  char  et  son  cocher,  Çàmba  dictera  ses  lois  à Douç- 
çâsana  ! 10,268 — 10,269 — 10,270. 

» 11  n’existe  rien,  que  ne  puisse  supporter  dans  une  ba- 
taille la  force  du  fils  de  Djàmbavatl,  ivre  de  batailles  : 
c’est  par  elle  que  fut  promptement  dispersée  l’armée  de 
Çambara,  le  Daitya.  10,271. 

» C’est  par  elle  qu'Açvatchakra  aux  cuisses  rondes,  aux 
bra3  longs  et  potelés,  fut  terrassé  dans  un  combat  ! Qui 
donc  pourrait  supporter  devant  ses  yeux  dans  une  bataille 
le  char  de  l’héroïque  Çàmba?  10,272. 

» Quel  homme  entré  dans  ses  bras,  comme  dans  ceux 
de  la  mort,  pourrait  en  sortir  ? Quel  homme  échapperait 
vivant  d’un  combat  avec  lui  ? 10,273. 

» Le  Vasoudévide  consumera  des  multitudes  de  feux, 
que  répandent  ses  flèches,  et  Drona,  et  Bhlshma,  ces  deux 
héros,  et  Somadatta,  environné  même  de  ses  fils,  et  toutes 
les  armées.  10,27â. 

» Quelle  chose  y a-t-il  dans  les  mondes,  compris  tous 
les  Dieux,  qui  soit  insoutenable  dans  la  guerre,  si  ce  n'est 


522 


LE  MAHA-BHARATA. 


Krishna,  ses  armes  prises  et  tenant  à la  main  ses  flèches 
nompareilles  et  son  incomparable  tchakra  ? 10,275. 

» Que,  son  bouclier  d’une  main,  son  épée  de  l’autre, 
renversant  tous  les  obstacles,  il  rende  cette  terre,  sem- 
blable à un  autel,  environné  de  victimes  immolées,  avec 
ces  Dhritarâshtrides  insensés,  étendus  sur  le  champ  de 
bataille,  leurs  crocs  épars,  leur  membres  supérieurs  en- 
levés ! 10,276. 

» Que  Oulmouka  et  Gada,  que  Nttha,  Bhânou  et  Bà- 
houka,  que  le  jeune  .Niçatha,  héroïque  dans  la  guerre, 
que  Sârana  et  Tchâroudéshna,  ivres  de  batailles,  consom- 
ment des  exploits  dignes  de  leur  famille  ! 10,277. 

» Que  l’armée  des  soleils  Yadouides,  réunie  aux  princi- 
paux guerriers  de  Vrishni,  de  Bhodja  et  d'Andhaka,  porte 
la  mort  sur  le  champ  de  bataille  aux  fds  du  roi  Dhritaràs- 
tra  et  obtienne  sur  la  terre  une  gloire  éclatante  ! 10,278. 

» Ensuite  qu’ Abhimanyou,  le  plus  vertueux  des  hommes 
vertueux,  donne  ses  lois  à la  terre,  aussi  loin  que  s’étend 
sa  puissance  ; que  le  magnanime  Youddhishthira  accom- 
plisse tout  ce  qui  fut  dit,  le  jeu  durant,  par  le  plus  sage 
des  enfants  de  Kourou.  10,270. 

» Ainsi,  victorieux  par  ses  traits  décochés,  Dharma- 
ràdja  possédera  cette  terre  dépeuplée  de  ses  Dhritarâs- 
trides,  leurs  cochers  et  leurs  (ils  immolés  : c’est  là  ce  que 
nous  avons  de  mieux  à faire  ; c’est  pour  nous  ce  qu’il  y a 
de  plus  glorieux  I » 1 0,280. 

Le  Vasoudévide  parla  ainsi  : 

« Sans  doute,  Sàtyaki  (1) , nous  recevons  comme  une 


(1)  Le  texte  dit  au  vocatif  : MAdhava\  mai»  c’tBt  lui,  qui  parle  en  per- 
sonne. On  a doue  voulu  mettre  SAtyaki  ; c’eût  probable. 


VANA-PARVA. 


623 


vérité  cette  parole  de  toi,  qui  gardes  ton  âme  inébranlée. 
Le  plus  grand  des  Kourouides  ne  peut  en  aucune  manière 
désirer  une  terre,  qui  n’a  pas  été  conquise  par  ses  bras  ! 

» Car  ni  par  amour,  ni  par  crainte,  ni  par  envie,  Youd- 
dhishthira  n’abandonnera  jamais  son  devoir  : il  en  est 
ainsi  de  Bhlmaséna,  d'Arjouna,  des  deux  héroïques  ju- 
meaux et  même  de  Krishnâ,  cette  fille  du  roi  Droupada. 

10,281—10,282. 

» Vrikaudara  et  Dhanandjaya  sont  deux  guerriers,  qui 
n’ont  pas  d’égaux  sur  la  terre  dans  le  combat.  Pourquoi 
Youddhishthira,  mis  à leur  tête  par  les  deux  fils  de  Màdri, 
ne  règnerait-il  pas  sur  le  monde  entier  ? 10,283. 

» Mais,  quand  le  magnanimesouveraindesPàntchàlains, 
celui  des  Kékayains  et  le  roi  de  Tchédi,  nous  combattrons, 
unissant  nos  courages  sur  un  champ  de  bataille,  alors  tous 
les  ennemis  disparaîtront  de  la  terre  1 » 10,284. 

« Ce  que  tu  dis,  meurtrier  de  Madhou,  lui  répondit 
Youddhishthira,  ne  surprend  pas  en  toi.  Mais  c’est  la  vé- 
rité, non  le  royaume,  qui  doit  être  le  principal  objet  de 
ma  garde.  Krishna  m'a  parlé  avec  vérité  ; de  mon  côté,  je 
dois  parler  à Krishna  de  cette  manière.  10,286. 

» Tu  vaincras,  héros  de  Çini,  Douryodhana  sur  un 
champ  de  bataille,  quand  il  saura,  Dieu  chevelu,  que  le 
temps  du  courage  est  arrivé  ! 10,286. 

» Que  les  héros  des  Daçàrhains,  se  mettent  alors  en 
campagne  ! Je  me  ferai  voir  aux  maîtres  des  hommes  et 
aux  maîtres  de  la  terre  ! Jusque-là  supportez,  héros  sans 
mesure  la  négligence  dans  le  devoir  : je  vous  verrai  de 
nouveau  réunis  et  contents  ! » 10,287. 

Après  qu’ils  se  furent  dit  adieu  mutuellement,  qu’ils  se 
furent  prosternés  devant  les  vieillards  et  qu’ils  eurent  em- 


LE  MAHA-BH.ARATA. 


624 

brassé  tous  les  plus  jeunes,  les  héros  Yadouides  s'en  re- 
tournent dans  leurs  palais,  et  les  Pândouides  conti- 
nuent leur  voyage  aux  tirthas.  10,288. 

Quand  il  eut  congédié  Krishna,  Dharmàradja  s’en  alla, 
accompagné  de  ses  frères,  de  ses  domestiques  et  de  Lo- 
maça,  au  sacré  bassin  de  Pàyoshni,  le  grand  et  riche  tir- 
tha  du  roi  de  Vidarbha.  10,289. 

Ce  magnanime,  que  les  principaux  des  brahmes  exal- 
taient avec  les  plus  belles  des  louanges,  habita  près  du 
lac  Pàyoshni,  dont  les  eaux  se  mêlaient  au  jus  exprimé  de 
l'asclépiade  acide.  10,290. 

Lomaça  dit  : 

« Ici,  rapporte  la  tradition,  le  Dieu  Pourandara,  sire, 
fut  abreuvé  de  soma  dans  un  sacrifice  par  le  roi  Nriga  ; et, 
rassasié,  il  se  livra  à la  joie.  10,291. 

» Ici,  les  Dieux  avec  Indra  et  les  Pradjâpatis  ont  offert 
des  sacrifices  de  différentes  sortes,  comblés  de  nombreux 
et  de  riches  présents.  10,292. 

» Ici,  l'auguste  roi,  fils  d'Amoûrttarayasa,  rassasia  le 
Dieu,  qui  tient  la  foudre,  avec  l’asclépiade  acide  et  sept 
açva-médhas.  10,293. 

» Dans  les  sept  sacrifices  de  ce  prince,  toutes  les  choses 
employées  dans  la  cérémonie,  qu'elles  fussent  de  terre  ou 
de  bois,  étaient  faites  d'or.  10,294. 

» Dans  les  sacrifices  du  roi,  il  y avait  nommément  les 
sept  ustensiles  : des  anneaux  pour  attacher  ( animal , des 
colonnes  victimaires,  des  vases  à boire,  des  marmites, 
des  vaisseaux,  des  cuillers,  et  des  écumoirs.  10,295. 

» Des  anneaux  étaient  suspendus  au-dessus  de  cha- 
cune des  colonnes.  Ce  furent  les  Dieux  eux-mêmes  avec 
Indra,  qui  dressèrent  dans  les  sept  grandes  cérémonies  du 


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VANA-PARVA. 


526 


prince  les  colonnes  victimaires,  éclatantes  et  faites  d'or. 
Dans  les  sacrifices  solennels  de  Gaya,  le  souverain  de  la 
terre,  10,296—10,297. 

» Ce  roi  enivra  les  hrahmes  de  soma  et  de  présents  : les 
brahmes  reçurent  des  richesses  en  nombre  incalculable. 

» Tel  que  personne  ne  peut  compter,  ni  les  grains  de 
sable  sur  la  terre,  ni  les  étoiles  dans  le  ciel,  ni  les  gouttes 
d’eau,  qui  tombent  dans  la  pluie  ; 10,298 — 10,299. 

» Telle  incalculable  était  la  richesse,  que  le  grand  roi 
Gaya  répartit  entre  les  assistants  dans  les  sacrifices,  qu’il 
célébra  au  nombre  de  sept.  10,300. 

» Ce  que  je  raconte  peut  bien  être  énuméré,  mais  il  est 
impossible  de  supputer  les  présents,  que  ce  monarque  gé- 
néreux distribua  en  vaches  d'or,  ouvrage  de  Viçvakarma. 
Il  rassasia  les  brahmes  accourus  des  différents  points  du 
monde.  10,301 — 10,302. 

» Les  tchaltyas,  qu'avait  plantés  çà  et  là,  monarque  de 
la  terre,  le  magnanime  Gaya,  dans  son  sacrifice,  dérobaient 
presque  entièrement  la  surface  de  la  terre.  10,303. 

» Par  cette  œuvre  méritoire,  fils  de  Bharata,  il  obtint  les 
mondes  d'Indra.  Que  ta  majesté  aille  donc  partager  ces 
mondes  avec  lui  et  qu'elle  touche  à l’eau  de  la  Payoshnl  ! 

» Quand  tu  auras  donc  ici,  Atchyouta,  Indra  des  rois, 
touché  l’eau,  accompagné  de  tes  frères,  tu  seras,  maître 
de  la  terre,  délivré  de  tes  péchés.  » 10,304 — 10,305. 

Après  qu’il  se  fut  baigné  avec  ses  frères  dans  la 
Payoshnl,  mortel  sans  péché  et  le  meilleur  des  hommes, 
le  resplendissant  héros  s’avança,  accompagné  des  mêmes, 
vers  la  montagne  du  Lazuli  et  la  grande  rivière  Narmadâ. 
Lomaça,  le  vénérable,  lui  indiquait  tous  les  endroits. 

10,306—10,307. 


528 


LE  MAHA-BHARATA. 


Il  s’avançait  en  compagnie  de  scs  frères , suivant 
l’ordre,  à son  plaisir,  vers  les  saints  autels  et  les  tlrthas 
charmants,  10,308. 

Il  donna  çà  et  là  aux  brahmes  une  richesse  par  millier. 

Lomaça  lui  dit  : 

« 11  va  partager  le  monde  des  rois  et  des  Dieux,  fils  de 
Kountl,  10,309. 

» L'homme,  qui  voit  la  montagne  du  Lazuli  et  qui 
descend  au  bord  de  la  Narmadâ.  C’est  ici  la  paix  de  l’àge 
Trétâ  et  du  cycle  Dwâpara!  10,310. 

» Celui,  qui  s'en  approche,  fils  de  Kounti,  est  délivré 
de  tous  ses  péchés.  Ce  qui  parait  à tes  yeux,  mon  fils,  est 
le  lieu  du  sacrifice  de  Çaryâti.  10,311. 

» C’est  ici  que  le  kouçikide  en  personne  but  le  soma 
avec  les  deux  Açwins  : c'est  ici  que  fut  excitée  la  colère 
du  Bhrigouide,  le  grand  pénitent,  contre  Mahéndra. 

» Mais  l'auguste  Tchyavana  rassura  le  roi  des  Dieux 
et  reçut  en  mariage  une  charmante  jeune  vierge,  qui  était 
la  fille  du  roi.  » 10,312 — 10,313. 

Youddhishthira  l’interrompit  : 

o Comment  ce  pénitent  rassura-t-il  l'adorable  Pàkaçà- 
sana?  Et  pourquoi  le  Bhrigouide  aux  grandes  pénitences 
avait-il  conçu  de  la  colère.  10,314. 

» Comment  les  deux  Açwins,  brahme,  reçurent-ils  de  sa 
main  l'asclépiade  à boire  ? Que  ta  sainteté  me  raconte  en- 
tièrement cette  histoire,  comme  elle  est  arrivée.  » 10,316. 

« Bhrigou,  le  grand  saint,  avait  un  fils,  appelé  Tchya- 
vana, répondit  Lomaça.  Rempli  de  splendeur,  il  cultivait 
la  pénitence,  Bharatide,  sur  la  rive  du  lac.  10,316. 

» Cet  ascète  éclatant,  seigneur  des  hommes,  se  tint 
long-temps  dans  un  même  lieu,  immobile  comme  un  pieu, 


VANA-PARVA. 


527 


fils  de  Pândou,  avec  une  constance  héroïque.  12,317. 

» Le  rishi  devint  une  fourmillière,  dérobée  comme  par 
des  lianes,  et,  après  beaucoup  de  temps  écoulé,  sire,  il 
était  rempli  de  fourmis.  10,318. 

» Le  sage  ainsi  caché  était  de  tous  les  côtés  semblable 
à une  boule  de  terre,  et,  enterré  dans  cette  fourmillière, 
il  souffrait  une  épouvantable  pénitence.  10,319. 

» Après  qu'il  se  fut  écoulé  un  long  espace  de  temps,  le 
roi  nommé  Çaryâti  vint  se  promener  & ce  lac  ravissant  et 
nompareil.  10,320. 

» Quatre  milliers  de  femmes  composaient  la  cour  de 
ce  prince  ; il  n’avait  qu’une  fille  unique,  jeune  vierge  aux 
sourcils  charmants  et  qui  avait  nom  Soukanyâ.  10,321. 

» Environné  de  ses  amies,  orné  de  célestes  parures, 
il  arriva,  en  se  promenant,  auprès  du  Bhrigouide  changé 
en  fourmillière.  10,322. 

» Voyant  sous  ses  yeux  une  terre  des  plus  charmantes 
et  cherchant  des  arbres,  Soukauyâ  folâtrait,  environnée 
de  ses  amies.  10,323. 

» Suave  de  beauté,  de  fraîche  jeunesse , d’amour  et 
d’ivresse,  elle  s’amusait  à rompre  les  branches  le  plus 
chargées  de  fleurs  parmi  les  arbres  de  la  forêt.  10,325. 

» Le  sage  Bhrigouide  la  vit  seule,  séparée  de  ses  amies, 
parée  d’un  seul  vêtement  et  telle  que  serait  l’éclair,  s’il 
pouvait  marcher.  10,325. 

» Le  brahmarshi  au  cou  maigre,  à l’extrême  splendeur, 
doué  de  la  force  de  pénitence,  eut  du  plaisir  à la  voir  dans 
ce  lieu  solitaire.  10,320. 

» Il  adressa  la  parole  à cette  noble  jeune  fille,  mais  elle 
ne  l’entendit  pas.  Alors  Soukanyâ,  comme  elle  voyait  les 
yeux  du  Bhrigouide  au  travers  de  la  fourmillière  : 10,327. 


528 


LE  MAHA-BHARATA. 


« Qu’est-ce  que  c’est  que  cela  ?»  se  dit-elle  ; et,  in- 
citée par  la  curiosité  et  la  force  de  ses  pensées  délirantes, 
elle  perça  les  yeux  de  l’anachorète  avec  une  épine. 

» 11  s’irrita  et,  plein  de  colère  pour  le  traitement  fait  à 
ses  yeux,  il  empêcha  l'armée  de  Çarvâti  d’évacuer  ses 
excréments  et  son  urine.  10,328 — 10,329. 

» L’armée  en  ressentit  une  extrême  souffrance;  et, 
témoin  de  ce  qui  était  arrivé,  le  monarque  interrogea  sur 
l’événement.  10,330. 

« Qui  a,  demanda  -t-il,  offensé  ici  aujourd'hui  le  ma- 
gnanime fils  de  Bhrigou,  ce  vieillard,  qui  est  toujours 
dans  la  pénitence  et  surtout  enclin  à la  colère  ? 10,331, 

» Que  vous  le  sachiez  ou  ne  le  sachiez  pas,  h&tez-vous 
de  parler,  sans  tarder  !»  — » Nous  ne  connaissons  pas  une 
faute  commise  envers  lui,  répondirent  tous  les  guerriers. 

» Que  ta  majesté  parvienne  à la  connaissance  du  fait,  à 
son  gré,  par  tous  les  moyens  1 » Le  monarque  alors,  avec 
douceur  ou  sévèrement,  interrogea  lui-même  la  foule  de 
ses  amis  ; mais  ceux-ci  ne  savaient  rien.  Ayant  vu  cette 
armée  souffrant  de  l'épistase  et  cruellement  tourmentée, 

10,332—10,333. 

» Ayant  vu  son  père  dans  une  vive  affliction,  Soukanyâ 
lui  tint  ce  langage  : u Tandis  que  je  me  promenais  ici,  je 
vis,  dans  une  fourinillière,  une  substance  flamboyante. 

» C'était  comme  un  soleil.  Je  connus  ce  que  c’était, 
quand  je  l’eus  percé  de  près  !»  A ces  mots,  Çaryàti  s'en 
alla  précipitamment  à la  fourmillière.  10,334  —10,335. 

» Il  vit  le  Bhârgavain,  grand  par  l'âge,  grand  par  la 
pénitence,  et,  portant  ses  mains  réunies  au  front,  le  mo- 
narque de  la  terre  le  supplia  pour  son  armée  : 10,336. 

« Ce  qui  a été  fait  contre  toi  fut  l’œuvre  de  l’ignorance; 


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VANA-PARVA. 


520 


un  enfant  est  le  coupable.  Veuille  bien  lui  pardonner!  » 
Ensuite  Tchyavana,  le  Bhrigouide,  répondit  au  souve- 
rain : 10,342. 

« J’ai  été  blessé  par  le  mépris  de  cette  femme,  orgueil- 
leuse de  sa  beauté.  Quand  tu  m’auras  donné  ta  fille,  sire, 
toute  enivrée  de  l’orgueil  de  sa  beauté  et  subjuguée  par  la 
force  de  l’égarement  et  de  la  curiosité,  je  pardonnerai  ! Ce 
que  je  te  dis  là,  monarque  de  la  terre,  c’est  la  vérité  ! » 

10,343—10,344. 

» Quand  il  eut  connu  les  paroles  du  rishi,  Çaryâti,  sans 
balancer,  donna  sa  fille  au  magnanime  Tchyavana. 

» Aussitôt  qu’il  eut  obtenu  la  jeune  fille,  le  révérend  se 
calma,  et  le  monarque,  en  possession  de  sa  faveur,  reprit 
le  chemin  de  la  ville  avec  son  armée;  10,345 — 10,346. 

a Et  la  charmante  Soukanyâ,  ayant  obtenu  un  ascète 
pour  son  époux,  le  servit  toujours  dans  la  pénitence  et 
dans  la  répression  des  sens.  10,347. 

» Étrangère  à la  médisance,  attentive  à nourrir  les  feux 
sacrés  et  à recevoir  les  hôtes,  cette  dame,  au  charmant  vi- 
sage, se  concilia  bientôt  le  cœur  de  Tchyavana.  10,348. 

» Après  qu’un  certain  espace  de  temps  se  fut  écoulé, 
les  célestes  Açwins,  sire,  un  jour  que  Soukanyâ  venait  de 
faire  ses  ablutions,  la  virent  toute  nue.  10,349. 

» A la  vue  de  cette  femme  au  corps  admirable,  comme 
une  fille  des  Dieux,  les  véridiques  Açwins  accourent 
auprès  d’elle  et  lui  tiennent  ce  langage  : 10,350. 

« De  qui  es-tu  la  fille,  dame  ravissante  ? Que  fais-tu 
dans  ce  bois?  Nous  désirons  te  connaître,  noble  femme  : 
dis-nous,  ma  belle,  la  vérité.  » 10,351. 

» Alors,  pleine  de  pudeur,  Soukanyâ  répondit  à ces 
deux  plus  grands  des  Dieux  : « Sachez  que  je  suis  la  fille 
lu  34 


530 


LE  MAHA-BHARATA. 


de  Çaryâti  et  que  Tchyavana  est  mon  époux.  » 10,352. 

» A ces  mots,  les  Açwins,  se  moquant  d’elle,  reprirent 
la  parole  et  dirent  : « Comment  ton  père,  noble  dame,  a- 
t-il  pu  te  donner  à un  homme,  qui  est  au  bout  de  sa  car- 
rière? 10,353. 

» Tu  brilles  dans  ce  bois,  femme  timide,  comme  l’éclair 
de  la  foudre  ! Nous  ne  voyons  pas  entre  les  Dieux  mêmes, 
éminente  dame,  une  créature  égale  à toi  ! 10,354. 

» Sans  parure  même,  dénuée  de  tout  ornement,  privée 
d’une  robe  élégante,  tu  répands  sur  ce  bois,  noble  femme, 
une  beauté  suprême.  10,355. 

» Brille,  dame  irréprochable  en  tes  charmes,  revêtue 
de  tous  les  ornements,  drapée  avec  une  robe  gracieuse,  et 
non  couverte  ainsi  de  boue  et  de  souillures.  10,356. 

» Pourquoi,  charmante  comme  tu  l’es,  éminente  femme, 
sers-tu  un  époux,  usé  par  la  vieillesse,  et  séparé  des 
jouissances  de  l’amour?  10,357. 

» 11  est  incapable  de  te  défendre  et  de  te  nourrir,  dame 
au  limpide  sourire  ! Abandonne  Tchyavana  et  choisis  l’un 
de  nous  d’eux  pour  ton  époux  ! 10,358. 

» Ne  fais  pas,  é toi,  qui  ressembles  à une  fille  des  Dieux, 
ne  fais  pas  à cause  de  cet  époux  ta  jeunesse  inutile  !»  A ces 
paroles,  Soukanyâ  répondit  aux  deux  Immortels  : 

« J’aime  Tchyavana,  uioq  époux  ; ne  veuillez  pas  me 
soupçonner  ainsi  capable  dune  infidélité  ! » — « Nous 
sommes  les  meilleurs  médecins  des  Dieux,  reprirent  les 
deux  Açwins.  10,359 — 10,300. 

» Nousdonnerons  à ton  époux  la  jeunesse  et  la  beauté  : 
mais  veuille  faire  de  nouveau  choix  d’un  mari,  ou  de  lui, 
ou  de  nous-mêmes!  10,361. 

» Va  parler  de  cette  condition,  charmante  femme,  à ton 


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VANA-PARVA.  531 

époux  ! » A ces  paroles  des  Açwins,  sire,  elle  s’en  alla 
trouver  le  petit-fils  de  Bhrigou.  10,362. 

» Elle  répéta  au  Bhrigouide  ce  langage,  que  les  Nâ- 
satyas  lui  avaient  adressé.  Dès  que  Tchyavana  l'eut  en- 
tendu, il  dit  à son  épouse  : « Qu’on  fasse!  » 10,363. 

ii  De  cette  manière  autorisée  par  son  époux  : # Qu’on 
fasse  ! » répéta-t-elle  à son  tour  ; et,  quand  les  Açwins 
eurent  ouï  cette  parole  d’elle  : « Qu’on  fasse  ! » 10,36â. 

» Ils  dirent  à la  fille  du  roi  : « Que  ton  époux  se  plonge 
dans  l’eau!  » Aussitôt  Tchyavana,  qui  désirait  la  beauté, 
entra  vite  au  sein  des  eaux.  10,365. 

» Les  Açwins  alors,  sire,  descendirent  dans  le  lac  : un 
instant  après,  tons,  ils  sortirent  du  bassin.  10,366. 

# Tous,  ils  étaient  revêtus  de  formes  célestes,  ils  étaient  . 
jeunes,  ils  avaient  des  pendeloques  étincelantes,  ils  por- 
taient des  vêtements  pareils  et  accroissaient  la  joie  de 
l’âme.  10,367. 

» Tous,  ils  dirent  de  concert  : « Choisis-en  un  autre, 
que  chacun  de  nous  désire  être,  femme  charmante  et 
noble,  en  qualité  de  ton  époux  ! 10,368. 

» Choisis-le,  dame  ravissante,  car  tu  es  l’Amour  lui- 
même  ! » A ces  mots,  les  ayant  vus  tous  se  tenir  devant 
elle,  revêtus  de  formes  semblables,  10,369. 

» La  reine,  prenant  sa  résolution  dans  son  esprit  et  dans 
son  cœur,  opta  pour  son  époux.  Quand  Tchyavana  se  vit 
rendues  son  épouse,  et  la  jeunesse,  et  la  beauté,  objets  de 
ses  désirs,  10,370. 

» Le  resplendissant  ascète  dit  joyeux  ces  paroles  aux 
deux  Nâsatyas  : « Puisque  vos  grandeurs  m’ont  accordé 
la  beauté  et  que,  de  vieux  que  j’étais,  je  suis  rené  à la 
jeunesse  et  que  je  vous  dois  encore  cette  épouse,  en  re- 


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532 


LE  MAHA-BHARATA. 


connaissance  de  ces  dons,  je  vous  ferai  boire  le  soma  1 

» Et  même  en  dépit  du  roi  des  Dieux  : ce  que  je  vous 
dis  est  une  vérité!  » Les  deux  frères  à ces  mots,  l’âme 
joyeuse,  reprennent  le  chemin  du  ciel. 

10,371—10,372—10,373. 

» Et,  maintenant  époux  assortis,  Tchyavana  et  Sou- 
kanyâ  se  divertirent  comme  des  Dieux.  10,374. 

» On  porta  à Çaryâti  la  nouvelle  que  la  jeunesse  était 
rendue  à Thyavana,  et,  joyeux,  il  vint  avec  une  armée  à 
l’ hennit  âge  du  rejeton  de  Bhrigou.  10,375. 

» Quand  il  vit  Tchyavana  et  Soukanyâ  tels  que  deux 
Divinités,  il  s'en  réjouit  avec  son  épouse  autant  que  s’il 
eût  conquis  toute  la  terre.  10,370. 

» Le  monarque,  accompagné  de  son  épouse,  fut  bien 
traité  du  saint  anachorète  : l’éminente  dame  prit  place 
au-dessous  d'eux,  et  l'on  commença  à raconter  différentes 
histoires.  10,377. 

» Ensuite  le  rishi  lui  dit,  sire,  en  le  flattant  : « Je  veux 
célébrer  pour  toi  un  sacrifice;  occupe-toi,  sire,  des  pré- 
paratifs!» 10,378. 

» Alors  dans  une  joie  suprême  le  puissant  Çaryâti  d’ap- 
prouver, grand  roi,  cette  parole  de  Tchyavana.  10,379. 

» Dans  un  jour  distingué,  propre  aux  cérémonies  reli- 
gieuses, Çaryâti  fit  donc  célébrer  un  sacrifice  grand,  su- 
périeur, riche  de  toutes  les  choses,  que  l’on  peut  désirer. 

» Li,  sire,  ce  fut  Tchyavana,  le  Bhargavain,  qui  officia; 
là  se  trouvait  tout  ce  qui  existe  de  merveilleux  : écoute- 
moi!  10,380—10,381. 

» Tchyavana  prit  le  soma  ; mais  Indra  de  l’arrêter 
dans  cet  acte,  au  moment  qu’il  le  donnait  aux  Dieux  Aç- 
wins.  10,382. 


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VANA-PARVA. 


533 


u Ces  deux  Nâsatyas  ne  sont  pas  dignes  du  soma,  lui 
dit  Indra  : tel  est  mon  sentiment  ! Ils  sont  dans  le  ciel  les 
médecins  des  Dieux  : ils  ne  mériteot  pas  cet  honneur.  » 

» Tchyavana  lui  répondit  : 

# Ce  sont  deux  êtres  magnanimes,  capables  d’un  grand 
effort,  plus  riches  que  nul  autre  de  formes  et  de  puis- 
sance, Maghavat,  ceux,  qui  ont  pu  me  rendre  aussi  beau 
qu’un  Immortel,  sans  toi  et  sans  les  autres  Dieux  ! Com- 
ment ne  méritent-ils  pas  l’oblation?  Sache,  Pourandara, 
souverain  des  Dieux,  que  les  Açwins  sont  eux-mêmes  des 
Dieux.  » 10,383 — 10,38A. 

« Ce  sont  des  médecins,  des  artisans,  reprit  Indra,  des 
gens,  qui  vontet  viennent,  revêtus  des  formes,  qu’il3  veu- 
lent, dans  le  monde  des  mortels  : comment  seraient-ils  di- 
gnes ici  du  soma  ? » 10,385. 

» Bien  que  le  roi  des  Dieux  répétât  encore  une  fois  ces 
paroles,  le  petit-fils  de  Bhrigou,  sans  considérer  ce  qu’é- 
tait Çakra,  avança  de  nouveau  sa  main  vers  la  coupe. 

» Alors  le  Dieu,  qui  détruit  les  armées,  voyant  qu’il  al- 
lait saisir  le  soma  suprême  et  le  donner  aux  Açivins,  arti- 
cula ces  mots  : 10,386 — 10,387. 

n Si  tu  prends  de  ta  main  le  soma  pour  eux,  je  déco- 
cherai sur  toi  mon  tonnerre  suprême,  aux  formes  épou- 
vantables. » 10,388. 

» A ces  mots,  le  Bhrigouide,  ayant  tourné,  en  riant, 
les  yeux  sur  Indra,  saisit  la  coupe,  suivant  le  rite,  libation 
fortunée  pour  les  Açwins.  10,889. 

» L'époux  de  Çatchl  lança  sur  lui  sa  foudre  aux  formes 
terribles;  mais  le  brahme  rendit  immobile  son  bras  au 
moment  qu’il  allait  décocher  son  tonnerre.  10,390. 

» Désirant  parvenir  à son  but  et  s'efforçant  de  nuire 


634  LE  MAHA-BHARATA. 

au  Dieu,  Tchyavana,  à la  bien  grande  splendeur,  sacrifia 
au  feu,  suivant  les  mantras,  dès  qu’il  eut  frappé  Çakra 
d'immobilité.  10,391. 

» Il  naquit  au  rishi,  par  la  vertu  du  sacrifice  et  par  la 
force  de  la  pénitence,  un  grand  Asoura  au  vaste  corps,  à 
la  vigueur  immense,  appelé  Mada.  10,392. 

» Ni  les  Démons  ni  les  Dieux  ne  pouvaient  définir  sa 
personne  : sa  bouche  était  grande,  épouvantable  ; ses 
dents,  longues  et  acérées.  10,393. 

o L'une  de  ses  mâchoires  se  tenait  sur  la  terre,  l’autre 
allait  jusqu’au  ciel  : il  avait  quatre  dents  proéminentes, 
qui  s’étendaient  chacune  à deux  cents  yodjanas.  10,394. 

» Les  autres  dents  n’avaient  que  dix  yodjanas  en  lon- 
gueur. Elles  ressemblaient  aux  cimes  des  palais;  elles 
offraient  l'aspect  des  pointes  d’une  pique.  10,396. 

» Ses  deux  bras  étaient  pareils  à deux  montagnes, 
longs,  égaux  à dix  mille  bras;  ses  yeux  apparaissaient 
comme  le  soleil  et  la  lune  ; sa  bouche  était  semblable  au 
feu  de  la  mort.  10,396. 

» Cette  bouche  dardait,  telle  que  l’éclair,  une  langue 
mobile,  tremblante,  avec  les  formes  du  ver  solitaire;  tou- 
jours ouverte  et  d’un  aspect  épouvantable,  on  aurait  dit 
quelle  voulait,  malgré  lui,  dévorer  le  monde.  10,397. 

» La  faim  aiguillonnant  sa  colère,  il  fondit  sur  le  Dieu, 
honoré  par  des  centaines  de  sacrifices,  et  remplit  tous  les 
mondes  d’une  grande  clameur  aux  accents  effroyables. 

» Quand  le  Dieu  Çatakratou  vit  accourir,  pressé  par  la 
faim,  le  monstre  à l'horrible  vue,  ce  Mada,  la  gueule  ou- 
verte, comme  la  mort,  10,398—10,399. 

Alors,  ses  deux  bras  liés,  léchant  mainte  et  mainte  fois 
de  terreur  les  coins  de  sa  bouche,  le  roi  des  Dieux,  sous 


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VANA-PARVA. 


535 


l'oppression  de  la  crainte,  dit  ces  paroles  à Tchyavana  : 

« Désormais,  à compter  de  ce  jour,  les  deux  Açwins  se- 
ront jugés  dignes  du  soma,  (ils  de  Bhrigou  : cette  parole 
est  une  vérité,  brahme  ! sois-moi  favorable  ! 

10,400—10,401. 

» Que  ton  entreprise  ne  soit  pas  vaine  : c’est  une  des- 
tinée supérieure.  Je  sais,  brahmarshi,  que  tu  ne  feras  ja- 
mais rien  en  vain  ! 10,402. 

» Que  ces  deux  Açwins  soient  dignes  du  soma,  comme 
tu  les  as  faits 'aujourd’hui  ; et  que  ta  puissance,  fils  de 
Bhrigou,  se  manifeste  encore  une  fois  ! 10,403. 

» Que  la  gloire  de  Soukanyâ  et  de  son  père  s’étende  au 
milieu  du  monde  : c’était  pour  cela  même  que  j’avais  dis- 
posé ce  moyen  d’illuminer  ta  puissance.  10,404. 

» Rends-moi  donc  ta  bienveillance  et  qu’il  en  soit  ainsi 
que  tu  le  désires:  » A ces  mots  de  Çakra,  le  magnanime 
fils  de  Bhrigou  10,405. 

b Dépouilla  son  ressentiment,  se  hâta  de  délivrer  Pou- 
randara,  et  le  vigoureux  anachorète  partagea  en  maintes 
portions  le  fantôme  de  Mada,  c’est-à-dire,  de  l’ivresse, 
entre  la  boisson  et  les  femmes,  le  jeu  et  la  chasse.  Alors 
qu’il  eut  dissipé  Mada,  sa  création,  qu’il  eut  rassasié  In- 
dra avec  la  lune,  10,406 — 10,407. 

» Qu’il  eut  célébré  un  sacrifice  en  l’honneur  des  deux 
Açwins  réunis,  et  qu’il  eut  rendu  fameuse  dans  tous  les 
mondes  l’énergie  du  roi,  le  meilleur  des  êtres,  qui  sont 
doués  de  la  parole,  se  divertit  dans  la  forêt  avec  Souka- 
nyâ, qui  partageait  son  amour.  Ce  lac,  qui  brille  à tes 
yeux,  sire,  et  qui  résonne  du  murmure  des  brahmes,  est 
celui  de  Tchyavana.  10,408 — 10,409. 

» Lorsque  tu  auras  vu,  puissant  Bharatide,  ces.  yeux  de 


686 


LE  MAHA-BHARATA. 


sable,  que  tu  seras  parvenu  aux  forêts  des  rivages  de  la 
mer,  rassasie-là  avec  tes  frères  utérins  les  Mânes  et  les 
Dieux.  Fais  ta  visite  aux  fleuves  et  touche  l'eau,  grand  roi, 
dans  toutes  les  piscines.  10,410 — 10,411. 

» Tu  obtiendras  la  perfection,  Bharatide,  en  murmu- 
rant les  prières  en  l’honneur  de  Sthânou  : telle  est  la  paix 
de  l’âge  Trétà  et  du  cycle  Dwâpara.  10,412. 

» Tu  aperçois  d’ici,  fils  de  Prithâ,  la  Purification-de- 
tous-les-péchés....  Touche  l’eau  maintenant  : te  voici  ar- 
rivé à la  Purification-de-tous-les-péchés!  10,413. 

» Voici  la  montagne  Ritchîka,  habitation  des  brahmes 
intelligents  : là,  il  y a toujours  du  fruit;  là,  il  y a toujours 
des  fleuves;  c’est  un  lieu  chéri  des  vents.  10,414. 

» Ces  tchaîtyas  de  mainte  espèce  sont  ceux  des  Trida- 
ças  : les  rishis  eux-mêmes,  Youddhishthira,  servent  ce 
tirtha  de  Lunus.  10,415. 

» 11  y a ici  des  Vaîkhânasas,  des  Bâlikhilyas,  des  feux, 
des  hommes,  qui  vivent  de  l’air,  trois  saintes  cimes  et 
trois  limpides  étangs.  10,416. 

» Après  que  tu  les  auras  tous  visités,  touche  l’eau  à ton 
gré,  Indra  des  rois.  Ici,  Çântanou  et  Çomaka,  le  mo- 
narque des  hommes,  Nara  et  Nârâyana  ont  mérité  une 
habitation  éternelle  : ici,  les  Dieux,  les  Pltris  et  les  ma- 
harsis  ont  mis  à jamais  leur  couche.  10,417 — 10,418. 

» Ils  ont  pratiqué  la  pénitence  sur  le  mont  Ritchîka  : 
honore-les,  Youddhishthira,  par  des  sacrifices.  Ici,  les 
rishis  mangent,  maître  de  la  terre,  les  mets  du  sacri- 
fice 10,419. 

» Avecl’Yamounà,  et  les  fleuves  immortels,  et  Krishna, 
qui  met  ici-bas  son  plaisir  dans  la  pénitence.  Les  deux  ju- 
meaux, et  Bhtmaséna,  et  Draâupadt,  nous  viendrons  tous 


VANA-PARVA.  687 

ici  avec  toi,  héroïque  fils  de  Pândou.  Voici  le  lac  saint 
d’Indra,  souverain  des  enfant3  de  Manou,  10,420. 

» Où  Dhàtri,  et  Vidhâtri,  etVarouna  ont  monté  au  ciel, 
ki,  ont  habité  eux-mêmes,  sire,  des  êtres  patients  et  très- 
vertueux.  10,421. 

» Cette  belle  et  sourcilleuse  montagne  est  celle  des 
hommes  bienveillants  aux  pensées  droites.  Voici  l'Yamou- 
nâ,  sire,  habitée  par  des  troupes  de  maharshis  ; 10,422. 

» Elle  est  sainte,  elle  est  couverte  de  sacrifices  variés, 
elle  ôte  la  crainte  des  péchés  : c'est  là  que  le  roi  héroïque 
Mândhâtri  sacrifia  lui-même,  et  Somaka,  le  filsde  Sahadéva, 
ô le  plus  vertueux  des  êtres  à la  voix  articulée.  » 10,423. 

Youddhishthira  dit  : 

n Mândhâtri  est  un  monarque  suzerain,  célèbre  dans 
les  trois  mondes  ; comment  est  né,  grand  brahme,  ce 
puissant  monarque,  fils  d'Youvanâçvaî  10,424. 

» Et  comment  parvint-il  à ce  degré  le  plus  élevé,  cet 
homme  à la  splendeur  sans  mesure,  auquel,  comme  à 
Vishnou  le  magnanime,  les  trois  mondes  étaient  soumis  ? 

» Je  désire  entendre  l’histoire  de  ce  sage,  attendu  que 
le  nom  de  Mândhâtri  luit  d’un  éclat  égal  à celui  de  Çakra; 
et  tu  es  habile  à raconter  la  naissance  de  ce  prince  à la 
vigueur  irrésistible.  » — « Écoute,  sire,  avec  attention, 
répondit  Lomaça,  l'histoire  de  ce  roi  magnanime  ; 

10,425—10,426—10,427. 

» Car  le  nom  de  Mândhâtri  est  chanté  dans  tous  les 
mondes  à la  ronde.  Le  souverain  de  la  terre,  Youvanâçva, 
tirait  sa  naissance  de  la  race  d’Iskshwâkou.  10,423, 

» Ce  monarque  célébra  des  sacrifices,  opulents  de  pré- 
sents honorifiques  ; et,  le  plus  vertueux  des  hommes  ver- 
tueux, il  compléta  mille  açva-médhas.  10,429. 


588 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Il  offrit  d’autres  principaux  sacrifices  avec  de  très- 
convenables  dons;  mais  ce  roi  saint  à la  grande  âme,  aux 
grands  vœux,  était  privé  d’enfants.  10,430. 

» Après  qu’il  eut  déposé  son  royaume  sur  les  épaules 
de  ses  ministres,  il  se  tint  constamment  dans  les  bois,  et, 
maître  de  soi-môme,  il  se  rangea  lui-même  'sous  la  règle 
enseignée  par  les  Çâslras.  10,431. 

» Un  jour,  sire,  ce  roi  tourmenté  par  le  jeûne,  le  cœur 
desséché  par  la  soif,  entra  dans  l’hermitage  de  Bhrigou. 

» Cette  nuit  même,  Indra  des  rois,  le  maharshi,  ma- 
gnanime rejeton  de  Bhrigou,  célébra  un  sacrifice  pour 
faire  obtenir  un  fils  au  Soudyoumnide.  10,432 — 10,433. 

» Là,  était  dressée,  auguste  roi,  une  grande  aiguière 
d'eau,  puisée  avant  et  purifiée  par  les  formules  des 
prières.  10,434. 

» Dès  que  son  épouse  en  eut  goûté,  elle  conçut  un  fds 
égal  à Çakra.  Les  maharshis,  ayant  déposé  la  cruche  au 
pied  de  l’autel,  s’endormirent.  10,435. 

n Dans  une  veille  de  la  nuit,  le  monarque,  fils  de  Sou- 
dyoumna,  en  proie  à la  souffrance  de  la  soif,  le  gosier 
desséché,  éveillé  par  un  cruel  besoin  d'eau,  échappa  à la 
surveillance  de  ces  prêtres  fatigués.  10,436. 

» 11  entra  épuisé  dans  l’hermitage  et  demanda  à boire  ; 
mais  personne  n’entendit,  comme  on  n’entend  pas  la  plainte 
d’un  oiseau,  ce  malheureux,  qui  criait,  la  gorge  desséchée. 
Le  prince  vit  alors  cette  cruche  pleine  d'eau. 

10,437—10,438. 

» Il  s’élança  vite  sur  elle,  but  et  remit  l’eau  à sa  place. 
Quand  le  sage  roi,  tourmenté  par  la  soif,  se  fut  désaltéré 
dans  l’eau  fraîche,  il  fut  parfaitement  heureux  et  goûta, 
pour  ainsi  dire,  une  béatitude  céleste.  Les  solitaires. 


VANA-PARVA. 


689 


riches  de  pénitences,  s’aperçurent  du  larcin  ; tous  virent 
que  l’aiguière  manquait  d’eau  et,  s’étant  réunis,  ils  s’in- 
terrogeaient l'un  l'autre  et  se  disaient  : » Qui  est-ce  qui  a 
fait  cela?  » 10,439—10,640—10,641. 

<i  C’est  moi  1 «répondit  Youvanâçva,  rendant  hommage 
à la  vérité.  — « C'est  inconvenant  ! reprit  le  révérend, 
fils  de  Bhrigou.  10,442. 

» Cette  eau,  composée  de  pénitences,  était  enchantée 
pour  te  donner  un  fils  : j’avais  employé  là  une  pénitence 
brahmique,  sentie  d’une  manière  épouvantable. 

10,443—10,446. 

» J'ai  dépensé,  monarque  saint  à la  grande  force,  à la 
grande  vaillance,  j’ai  dépensé  pour  ton  fils  une  grande 
vigueur,  une  grande  énergie,  augmentée  par  la  puissance 
de  mes  pénitences.  10,663. 

» 11  aurait  pu  jeter  par  son  héroïsme  Indra  lui-même 
dans  les  demeures  d’ Varna  ! C’est  de  cette  manière,  sire, 
que  j’avais  su  faire  les  choses.  10,440. 

« Ën  détruisant  l'eau,  tu  as  commis  aujourd’hui  une 
chose  indécente,  et  maintenant  il  nous  est  impossible  de 
recommencer  le  charme.  10,447. 

» Pour  sûr,  ce  que  tu  as  fait  est  l’ouvrage  du  Destin  : 
c’est  par  la  disposition  même  du  sort,  grand  roi,  que 
furent  placées  devant  toi  ces  eaux,  composées  de  la  force 
de  ma  pénitence,  que  lu  as  bues  dans  ta  soif.  Grâce  à 
cette  onde,  tu  engendreras  un  lils,  mais  égal  à toi. 

10,448—10,449. 

» Célébrons  ici  ton  sacrifice,  qui  sera  encore  bien  mer- 
veilleux ; car,  plein  de  vigueur,  tu  donneras  la  vie  à un 
fils,  qui  sera  l’égal  de  Çakra!  » 10,450. 

« Malheur  à l'homme,  qui  dans  ce  monde  n’a  qu'un  fils 


640 


LE  MAHA-BHABATA. 


unique  ! s’écria  Somaka  : mieux  il  vaudrait  n’avoir  pas 
d’enfant.  N'avoir  qu’un  seul  fils  est  un  chagrin  pour  les 
êtres  ; car  l'inquiétude  vous  met  dans  une  maladie  conti- 
nuelle. 10,451 — 10,452. 

» Vois,  auguste  brahme!  Le  désir  d’un  fils  m’a  fait 
épouser  cent  femmes  telles  et  je  n’ai  obtenu  de  lignée  dans 
aucune  d’elles.  10,453. 

» A peine  un  fils  unique  m’est-il  né  dans  ce  Djantou, 
et  voilà  toutes  mes  femmes,  qui  prodiguent  leurs  efforts 
autour  de  lui  : est-il  une  peine  plus  grande  que  cela? 

» L’âge  de  la  paternité  est  passé,  fl  le  plus  grand  des 
brahmes,  pour  moi  et  mon  épouse  : les  existences  de  mes 
femmes  et  la  mienne  reposent  donc  sur  ce  fils  unique. 

» Plût  à Dieu  qu'il  existât  un  sacrifice  convenable,  par 
lequel,  ou  grand,  ou  petit,  ou  même  difficile,  je  pusse  ob- 
tenir une  centaine  de  fils  ! » 10,454 — 10,455 — 10,456. 

« Il  existe  un  sacrifice  tel  qu’il  peut  te  procurer  cent 
fils,  répondit  le  ritouidj.  Si  tu  peux  l’offrir,  je  te  le  dirai, 
Somaka.  » 10,457. 

« S'il  est  une  chose  à faire  ou  non,  qui  puisse  me 
donner  cent  fils,  reprit  Somaka,  regarde-la  comme  déjà 
faite.  Que  ta  sainteté  me  la  dise  ! » 10,468. 

» Le  ritouidj  lui  dit  alors  : 

» Immole  sous  mon  couteau,  sire,  Djantou  dans  un 
grand  sacrifice,  et  tu  auras  bientôt  une  centaine  fortunée 
de  fils.  10,459. 

» Que  les  mères  viennent  respirer  la  fumée  de  son  corps 
brûlé  comme  victime,  et  elles  le  mettront  au  jour  des  fils, 
doués  d’une  bien  grande  force.  10,460. 

« Djantou  renaîtra  ton  fils  dans  l’une  d’elles;  tu  le  re- 
connaîtras à une  marque  d’orsur  le  flanc  gauche.  *10,461. 


Çnogk 


VANA-PARVA. 


541 


« Brahme,  fais  tout  ce  qui  est  à faire  et  de  la  manière 
qu'il  faut,  reprit  Somaka.  J’exécuterai  entièrement  ton 
conseil  par  le  désir,  que  j’ai  de  ces  fils.  » 10,462. 

» Le  brahme  fit  donc  le  sacrifice  de  Somaka  avec  Djan- 
tou  pour  hostie,  et  l’on  arracha  de  force  l'enfant  aux 
mères,  pleines  de  compassion.  10,463. 

« Rélas  ! nous  sommes  mortes  ! » criaient-elles,  frap- 
pées d’une  cuisante  douleur;  et,  pleurant  d’une  manière 
lamentable,  elles  tenaient  l’enfani  par  la  main  droite;  le 
sacrificateur  avait  pris  le  fils  du  roi  par  la  main  gauche  et 
le  tirait  vert  l'autel , tandis  que  ces  reines,  éplorées 
commedespygargues,  tiraient  de  leur  côté  ce  royal  enfant. 

» Le  prêtre  immola  ce  jeune  prince  suivant  les  rites,  il 
en  oflrit  la  moelle  aux  Dieux,  et,  tandis  que  le  corps  brûlait, 
les  mères  en  respiraient  l'odeur.  10,464  -10,465-10,466. 

» Ces  nobles  dames  tombèrent  tout  à coup  désolées  sur 
la  terre,  descendant  de  Kourou;  mais  elles  conçurent 
toutes  un  enfant.  10,467. 

» Ensuite,  au  dixième  mois,  puissant  Bharatide,  elles 
donnèrent  toutes  à Somaka  un  cent  complet  de  fils. 

» Djautou  naquit  l’ainé  au  sein  de  sa  mère  elle-même, 
seigneur  ; il  était  chéri  de  toutes,  et  aucune  n’aimait  au- 
tant que  lui  son  propre  enfant.  10,468 — 10,469. 

» 11  portait  un  signe  d’or  à son  flanc  gauche;  et  il 
était  supérieur  en  vertus  à tous  les  cent  frères.  10,470. 

» Enfin,  le  gourou  de  Soinaka  passa  dans  l'autre  monde, 
où,  quelque  temps  après,  Somaka  lui-même  alla  se  réunir 
à lui.  10,471. 

» Là,  voyant  le  brahme,  qui  brûlait  dans  l’épouvan- 
table Naraka,  le  roi  de  lui  demander  : « Pourquoi,  deux 
fois  né,  brûles-tu  dans  ce  Naraka?  n‘  10,472. 


542 


LE  MAHA-BHARATÀ. 


* Je  brûle  dans  ce  feu  cruellement,  lui  répondit  l’ins- 
tituteur spirituel,  parce  que  j'ai  célébré  ton  sacrifice  : 
voilà  quel  est  le  fruit  de  cette  œuvre  ! » 10,473. 

» A ces  mots  le  saint  monarque  dit  au  roi  des  morts  : 
« J’entrerai  ici;  qu’on  délivre  mon  sacrificateur  ! 10,474. 

» En  effet,  c’est  à cause  de  moi  que  cette  éminente  per- 
sonne brûle  dans  le  feu  du  Naraka.  » Yama  lui  répondit  : 
« Jamais,  sire,  quelqu’un  ue  mange  ici  le  fruit  d’une 
action,  dont  un  autre  fut  coupable.  10,475. 

» Voici  les  fruits,  qui  sont  vus  pour  toi,  ô le  plus  ver- 
tueux des  êtres  à la  voix  articulée  ! >>  — « Je  ne  puis 
aimer  les  mondes  saints,  reprit  Somaka,  si  mon  brahme 
ne  les  partage  avec  moi.  10,476. 

» Que  ce  fruit  pur  ou  non  pur,  Dieu,  soit  commun  à 
nous  deux  !»  — « Si  c’est  là  ton  désir,  lui  dit  Yama; 
mange  donc,  sire,  ce  fruit  de  compagnie  avec  lui  un 
temps  égal  au  sien.  Ensuite,  tu  entreras  dans  la  voix  for- 
tunée ! » Le  roi  aux  yeux  de  lotus  bleu  fit  tout  de  cette 
manière.  10,477 — 10,478. 

» Quand  le  crime  fut  expié,  il  fut  donc  relâché  avec 
son  gourou,  et  ce  roi,  si  tendre  ami  de  son  instituteur, 
goûta,  sire,  avec  le  brahme  son  instituteur,  l’accomplisse- 
ment de  ses  désirs  purs,  qu’il  avait  conquis  par  ses 
propres  œuvres.  Son  hermitage  saint  est  celui-là  même, 
qui  brille  devant  tes  yeux.  10,479 — 10,480. 

» L’homme  patient,  qui  habite  six  jours  ici,  entre  dans 
la  voie  heureuse.  Demeurons  également  six  jours  en  ces 
lieux  mêmes,  Indra  des  rois,  exempts  de  la  fièvre  des  pas- 
sions et  nos  âmes  comprimées.  Tiens-toi  prêt,  continua- 
teur de  la  race  de  Kourou.  » 10,481 — 10,482. 

Lomaça,  continuant  à parler  : 


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VANA-PARVA. 


543 


« C’est  ici,  dit-il,  que  jadis  le  Pradjâpati  a célébré  lui- 
même,  sire,  le  sacrifice,  qui  dure  douze  ans  et  qu’on  ap- 
pelle Ishtâkrita,  c'est-à-dire,  qui  accomplit  les  désirs. 

» Là,  Ambarisha  le  Nàbhàgide  sacrifia  sur  les  bords  de 
l’Yaunounâ,  et,  la  cérémonie  terminée,  il  distribua  aux 
assistants  dix  padmas.  10,â83 — 10,484 — 10,485. 

» Il  parvint  à une  éminente  perfection,  grâce  à ses  sa- 
crifices et  à sa  pénitence.  Ce  lieu  est  celui  du  sacrifice  de 
Nâhousba  aux  œuvres  saintes.  10,486. 

» Voici  l’endroit,  fils  de  Kountt,  où  Yayàti,  l'empereur 
universel  à la  force  sans  mesure  et  l’émule  de  Çakra 
même,  célébrait  ses  sacrifices.  10,487. 

» Vois  la  terre  couverte  de  feux  aux  cent  formes  di- 
verses : elle  est  remplie  et  comme  submergée  par  les 
choses,  nécessaires  aux  sacrifices  d’Yayâti  ! 10,488. 

» Voici  le  vase  à une  seule  anse  du  sacrifice;  ceci  est  la 
grande  coupe  à boire!...  Voici  les  lacs  de  Râma!...  voilà 
l’herinitage  de  Nàràyana!  10,480. 

a Voici  maintenant  la  route,  qu’a  suivie  le  fils  de  Ri- 
tchlka,  à la  vigueur  infinie,  qui,  dans  ses  extases,  maître 
de  la  terre,  a parcouru  le  globe  entier  aux  mines  d’argent. 

» Écoute  ici  de  ma  bouche,  rejeton  de  Kourou,  ces  vers 
généalogiques,  chantés  par  une  Piçâtchi,  qui  portait  en 
parure  des  mortiers  à purifier  le  riz  ; 10,490 — 10,491. 

« Quand  tu  auras  mangé  le  beurre  clarifié  sur  le  mont 
Yougandhara  et  demeuré  dans  l’habitation  d’Atchyouta, 
baigne-toi  ainsi  dans  le  Séjour-de-la-puissance  et  veuille 
bien  y demeurer  avec  ta  fille.  Si,  ayant  habité  ici  un  jour, 
tu  en  ajoutes  un  second,  alors  ce  qui  a lieu  pour  toi  dans 
le  jour  aura  lieu  autrement  dans  la  nuit  (?).  » 

10,492—10,493. 


m 


LE  MAHA-BHABATA. 


» Habitons  ici  une  nuit,  6 le  plus  vertueux  des  Bhara- 
tides  : c'est,  fils  de  Kountl,  la  porte  du  Kouroukshétra. 

» C’est  là  que  le  roi  Yayâti,  fils  de  Nahousha,  célébra 
ses  sacrilices  ; c’est  là  que  des  multitudes  de  pierreries 
ont  inspiré  la  joie  à Indra.  10,494 — 10,495. 

a Voici  la  Descente-du-figuier-religieux,  le  plus  grand 
tirtha  de  l’Yamounà,  que  les  sages  out  nommé  la  Porte 
de  la  voûte  du  ciel.  10,496. 

a Là,  des  rishis  du  plus  haut  rang  ont  offert  des  sacrifices 
à la  Déesse  Sarasvatl,  et,  purifiés  par  les  colonnes  victi- 
maires,  ils  sont  allés,  auguste  roi,  se  plonger  dans  l’ava- 
britha.  10,497. 

a Voici  l’endroit,  sire,  où  le  roi  Bharata  célébrait  des 
sacrilices  : c’est  ici  qu’il  mit  en  liberté  le  cheval  consacré 
pour  un  sacrifice  açva-médha.  10,498. 

a Ici  même,  plus  d’une  fois,  tigre  des  hommes,  Ma- 
routta,  ayant  obtenu  la  terre  par  la  justice,  offrit,  défendu 
par  Sambartta,  le  plus  grand  des  rishis,  le  suprême  sa- 
crifice d’une  gazelle  noire.  Là,  après  qu’il  eut  touché  l’eau, 
il  vit  devant  lui  tous  les  mondes  10,499 — 10,500. 

u Et  fut  purifié  de  ses  mauvaises  œuvres.  Touche  donc 
ici  l’eau  toi-même  1 » Quand  il  se  fut  baigné  là  avec  ses 
frères,  l’alné  des  Pàndouides,  loué  par  les  maharshis, 
adressa  ces  paroles  à Lomaça  : a Grâce  à ma  pénitence,  ô 
toi,  qui  as  la  force  de  la  vérité,  je  vois  se  déployer  tous  les 
mondes.  10,501 — 10,502. 

» D’ici  même,  où  je  suis,  mes  yeux  voient  Arjouna,  le 
plus  vaillant  des  fils  de  Pândou!  » — C'est  ainsi,  héros 
aux  longs  bras,  lui  répondit  Lomaça.  Baigne-toi,  ô le 
plus  vertueux  des  hommes,  au  lieu  où  les  plus  grands 
des  rishis  voient  cette  Sarasvatl  sainte,  environnée  d’une 


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VANA-PARVA.  645 

suprême  et  d’une  sainte  protection,  et  tu  auras  secoué  tes 
péchés.  10,582 — 10,583. 

# Ici,  les  rishis  des  Dieux,  les  rishis  de « fiormnet  et  les 
rishis  des  rois  ont  célébré,  fils  de  Kountl,  des  sacrifices 
en  l'honneur  de' la  Déesse  Sarasvatl.  10,534. 

» De  tous  les  côtés,  j usqu’à  cinq  yodjanas  s'étend  l'autel 
du  Pradjâpati  : ce  sont  les  champs  du  magnanime  Kou- 
rou,  adonné  aux  sacrifices.  10,535. 

» Les  hommes,  qui  renoncent  ici  à leurs  corps,  sujets  à 
la  mort,  vont  au  Swarga  : les  hommes,  sire,  qui  veulent 
mourir,  viennent  ici  par  milliers.  10,536. 

« les  hommes,  qui  meurent  ici,  outconquisleSwarga!  » 
Telles  sont  les  bénédictions,  que  prononça  jadis  Daksha 
sacrifiant.  10,537. 

» Voilà  la  charmante,  la  céleste,  l'ondoyante  rivière  de 
la  Sarasvatl...  Voilà  maintenant,  monarque  des  hommes, 
ce  qu’on  nomme  la  Perte-de-la-Sarasvatl.  10,538. 

» L'endroit,  où  se  perd  la  Sarasvatl,  marque  la  porte 
du  royaume  des  Nishâdains,  elle  semble  dire,  héros,  quand 
elle  entre  dans  leur  terre  : « Je  ne  veux  pas  que  les  Nishâ- 
dains me  connaissent  I » 10,639. 

» Ceci  est  l'éruption  du  Tchamasa,  où  reparaltla  Saras- 
vatt  ; c’est  là  quelle  fut  visitée  par  tous  les  fleuves  saints. 

» Voilà  maintenant  le  grand  tîrtha  de  la  mer,  où  Lopa- 
moudrâ,  dompteur  des  ennemis,  se  réunit  avec  Agastya 
et  le  choisit  pour  son  époux.  10,540 — 10,541. 

» Ce  tlrtha,  qui  brille  à tes  yeux,  prince,  qui  as  la 
splendeur  du  soleil,  c’est  le  Prabhâsa  limpide,  purifica- 
teur, destructeur  du  péché,  et  cher  à Indra.  10,642. 

» Le  tirtha,  que  nous  voyons  maintenant,  est  ce  bain 
sublime,  qu’on  appelle  le  Pas-de-Vishnou....  Cette  char- 
iii  35 


LE  MAHA-BBARATA. 


640 

mante  rivière  est  la  Vipàçà  d’une  pureté  suprême.  10,643. 

» Ici,  s'étant  lié  soi-même,  Vaçishtha,  le  rishi  véné- 
rable, se  précipita,  désespéré  de  la  mort  de  son  fils,  et 
(ut  rejeté  sur  la  rive,  délié  de  ses  cordes.  10,644. 

» Vois  avec  tes  frères,  dompteur  des  ennemis,  ce  cercle 
du  Kâsmire,  qui  est  saint  dans  toute  son  étendue  et  habité 
par  des  maharshis.  10,645. 

» C’est  là,  qu'eut  lieu,  Bharatide,  l’entretien  du  Karya- 
pide,  d’Agni,  d’ Yayâti,  le  fils  de  Nahousba,etde  tous  les 
risbis  du  septentrion.  10,546. 

u Voici  la  porte  du  lac  Mànasn,  qui  brille  à nos  yeux, 
grand  roi.  C'est  ici  que  le  fortuné  Rama  fit  tomber  la 
pluie  au  milieu  de  cette  montagne.  10,547. 

» Voilà  celui,  qu’on  appelle  Vàtikakhanda,  qui  est  une 
portion  du  vent,  qui  a la  force  de  la  vérité,  mais  qui  n’a 
point  franchi  la  porte  du  septentrion,  parce  qu'il  mauque 
de  corps.  10,548. 

» Dans  ce  lieu,  noble  fils  de  Kountt,  il  y a cette  autre 
merveille  : à la  fin  d’un  vouga,  on  obtient  la  vue  de  Çarva 
aux  formes  charmantes  etd'Oumà,  son  ipousc,  environnés 
de  leur  suite.  Dans  ce  lac,  au  mois  de  Tchattra,  les  sacri- 
ficateurs, qui  ont  besoin  de  splendides  cortèges,  sur- 
montent convenablement  par  des  sacrifices  le  Dieu,  qui 
tient  l’arc  Pinàka.  Le  croyant,  qui,  les  sens  vaincus,  a 
touché  l’eau  ici,  obtient,  lavé  de  ses  péchés,  les  mondes 
resplendissants  : il  n’y  a là  aucun  doute  !...  Voici  le  tirtha, 
nommé  OudjdjâJaka,  où  s’est  lavé  le  fils  du  Feu,  le  véné- 
rable saint  Agastya,  accompagné  d’Aroundhatl...  Voici 
maintenant  le  lac  Kouçavat,  dans  les  eaux  duquel  croissent 
les  nyuiphées,  {De  10,549  à 10,554.) 

» Voilà  ensuite  l’hermitage  de  Roukmini,  où  dans  sa 


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VAflA-PARVA.  ' 


sâ? 

colère  elle  doima.  la  mort  au  contemplateur  ; maïs  l’abrégé 
de  cette  aventure  fat  déjà  porté  à tes  oreilles,  fils  de 
Pàndou.  10, 6M. 

» Cette  grande  montagne,  que  tu  vas  voir,  puissant  roi, 
c'est  le  Rbrigou-lounga...  Voici  la  Vitastâ,  Indra  dei 
rois,  qui  efface  tous  les  péchés.  10,565. 

» Voilà  près  du  fleuve  Yamounà  les  bien  limpides  ri- 
vières, la  Djalà  et  l'Oupadjalâ  aux  ondes  fraîches,  dont  les 
rives  sont  habitées  par  des  maharshis.  10,556. 

» C’est  là  qu’Ouçlnara,  dans  un  sacrifice,  excella  sur 
Indra.  Pour  connaître  ce  meilleur  des  rois,  le  fils  de 
Vasou  se  rendit  avec  Agni,  souverain  des  hommes,  à 
l’assemblée,  où  il  avait  invité  les  Dieux.  Ces  deux  dis- 
tributeurs des  grâces  voulaient  sonder  la  magnanimité 
d'Ouçinara.  10,557 — 10,558. 

» Ils  se  rendirent  à son  sacrifice,  Indra  sous  la  méta- 
morphose d’un  faucon,  Agni  sous  la  forme  d’un  pigeon. 
Celui-ci  s’abattit  sur  la  cuisse  du  roi,  comme  par  la 
crainte  du  vautour;  et,  dans  les  transes  de  la  peur,  il  s’y 
applatit  comme  pour  demander  secours.  10,659-10,560, 
» Le  faucon  dit  alors  : 

« Tous  les  maîtres  de  la  terre,  sire,  disent  que  toi  seul 
tu  mérites  le  nom  de  juste;  pourquoi  donc  veux-tu  faire 
une  chose,  qui  e9t  l’opposé  de  toute  justice  ? 10,661.  - 

«C'est  pour  moi,  dans  les  angoisses  de  la  faim,  que 
fut  disposée  celte  nourriture  ; dans  ton  amour  du  juste, 
tu  n’observes  point  la  justice,  et  tu  es  le  violateur  de  la 
loi!  » 10,562.  i 

« Épouvanté  par  toi,  grand  oiseau,  ses  formes  trem- 
blantes, implorant  du  secours,  lui  réponditle  roi, ce  volatile, 
qui  désire  la  vie,  est  venu  se  réfugier  sous  ma  protection. 


m 


LE  MAHA-BHARaTA. 


» Comment,  faucon,  ne  vois-tu  pas  que  ma  première 
loi  est  de  ne  pas  te  livrer  ce  pigeon,  qui  est  venu  de  cette 
manière  et  qui  implore  mon  appui  ? 10,563 — 10,561. 

« Un  pigeon  voltige,  errant  çà  et  là,  un  faucon  l'aper- 
çoit : on  me  blâmerait  de  l’abandonner,  quand  il  vient  en 
ma  présence  demander  la  vie  I 10,605. 

» En  effet,  quiconque,  ou  tuerait  des  oiseaux,  ou  dé- 
laisserait une  vache,  mère  du  monde  et  réfugiée  sous  sa 
protection,  commettrait  une  faute  égale  de  l'un  ou  de 
l’autre  côté.  » 10,566. 

» Le  faucon  répliqua  : 

« C'est  par  la  nourriture,  que  subsistent  tous  les  êtres, 
sire;  c’est  par  la  nourriture,  que  vivent  et  croissent  les 
animaux  1 10,567, 

» Il  est  possible  de  vivre  même  long-temps  avec  un 
aliment  qu'il  est  difficile  de  partager  avec  un  autre  ; mais, 
si  l’on  abandonne  la  nourriture,  uue  longue  vie  n'est  plus 
possible.  10,568. 

» Privé  d'aliments,  le  souffle  de  ma  vie,  abandonnant 
mon  corps,  ira,  monarque  des  hommes,  dans  la  route,  où 
nulle  part  n'existe  plus  la  crainte  ! 10,569. 

» Si  je  meurs,  avec  moi  périssent  mon  épouse,  mon  fils 
et  les  autres;  mais,  en  sauvant  ce  pigeon,  vertueux 
prince,  tu  ne  sauves  pas  ainsi  une  foule  d’existences. 

n La  vertu,  qui  détruit  la  vertu,  n’est  pas  de  la  vertu  : 
c’est  une  fausse  vertu;  mais  la  vertu,  où  il  n’y  a pas  de 
contradiction,  ô toi,  qui  as  la  force  de  la  vérité,  c’est  vrai- 
ment celle-là,  qui  est  la  vertu  1 10,570 — 10,571. 

s Quand  des  choses  sont  opposées,  maître  de  la  terre, 
il  faut  peser  le  fort  et  le  faible,  et  prendre  pour  loi  la  chose, 
où  n’existe  pas  de  contradiction.  10,572. 


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VANA-PARVA. 


540 


» Ayant  contrebalancé  le  fort  et  le  faible  dans  la  déci- 
sion de  ce  qui  est  juste  ou  injuste,  décide  que  le  juste  est 
du  côté,  sire,  où  tu  vois  le  poids  l’emporter.  » 10,573. 

» L’auguste,  roi  de  lui  répondre  : 

« Ce  que  tu  dis,  ô le  plus  grand  des  volatiles,  est  rempli 
de  beaucoup  de  sens  : serais-tu  donc  Soupama,  le  roi  des 
oiseaux  ? On  peut  le  penser,  car  tu  sais  le  devoir.  10,574. 

» Telles  en  effet  les  choses,  que  tu  dis  concernant  le 
devoir,  sont  nombreuses  et  variées.  Il  n’est  rien,  qui  soit 
ignoré  de  toi  ; c’est  ainsi  que  je  te  considère.  10,575. 

» Comment  l'abandon  d’un  être,  qui  a besoin  de  se- 
cours, peut-il  sembler  une  chose  bonne  à tes  yeux?  Ce 
que  tu  tentes,  habitant  des  airs,  est  pour  manger.  10,676. 

» Mais  il  t'est  possible  de  faire  ta  nourriture  d’une  autre 
espèce  et  même  d’une  manière  supérieure  : fais  ton  lot 
d’un  taureau,  ou  d'un  sanglier,  ou  d'une  gazelle,  ou  d’un 
buffle,  ou  de  tout  autre  animal,  que  tu  voudras!  » 

10,577—10,578. 

U Je  ne  mange,  puissant  roi,  ni  sangliers,  reprit  le  fau- 
con, ni  taureaux,  ni  gazelles  et  autres  animaux  divers. 
Qu’ai-je  à faire  de  toute  autre  bête?  10,679. 

» Abandonne-moi,  sire,  ce  pigeon,  que  les  Dieux,  héros 
des  kshatryas,  m’ont  assigné  pour  nourriture.  10,580. 

» Le  faucon  mange  les  pigeons  : c’est  la  loi  solennelle. 
Ne  t’appuie  pas  sur  la  tige  du  bananier,  quand  tu  n’y 
reconnais  pas  de  force.  » 10,581. 

* Je  te  donne,  hôte  des  airs,  le  royaume  opulent  des 
Çivis,  dit  le  roi;  ou  je  te  donne,  faucon,  tout  ce  qui  peut 
caresser  tes  désirs-,  10,582. 

» Mais  non  cet  oiseau,  qui  est  venu  demander  ma  pro- 
tection. Excepte-le,  ô le  plus  excellent  des  volatiles  ; de- 


LE  M AHA-BHARATA. 


650 

maode-moj  uno  autre  action,  et  je  la  ferai  s mais  je  ne  don- 
nerai pas  le  pigeon!  » — «Ouç  inara,  ai  tu  as  un  tel  amour 
pource  pigeon,  répondit  le  faucon,  10,583— 10,. WA. 

» Coupe  de  ta  chair  et  mets  ce  lambeau  dans  une  ba- 
lance avec  le  pigeon.  Quand  le  poids,  6 le  plus  grand  des 
rois,  en  aéra  égal  à celui  du  pigeon,  donne-le-moi  alors  et 
je  serai  content!  » — « Je  regarde  comme  une  faveur  ce 
que  tu  me  demandes,  faucon,  dit  le  roi.  10,585 — 10,586. 

a devais  donc  te  donner  àj’ instant  ma  chair,  pesée 
dans  la  balance  I » Instruit  des  plus  grands  devoirs,  le  re- 
coupe sa  chair,  10,587. 

i>  Et  la  met  dans  la  balance  avec  le  pigeon,  auguste 
fils  de  Rountî;  mais  le  poids  élevé  du  pigeon  surpasse  en- 
core le  poids  de  la  chair.  10,588. 

» Le  roi  Ouçipara  coupe  de  nouveau  sa  chair  et  la  jette 
dans  la  balance;  mais  il  ne  peut  arriver  au  moment  où  le 
poids  de  sa  chair  sera  porté  en  équilibre  avec  le  pigeon. 

» Enfin,  quand  il  se  fut  coupé  tout  ce  qu’il  avait  de 
chair,  il  monta  lui-même  dans  la  balance. 

s Alors,  le  faucon  dit  : 

« Je  suis  Indra,  héros,  qui  sais  le  devoir,  et  ce  pigeon 
estAgni.  10,689 — 10,590. 

» C'est  le  désir  de  connaître  ta  vertu,  qui  nous  a fait 
venir  dans  l’enceinte  de  ton  sacrifice  ! Parce  que  tu  as  dis- 
séqué ta  chair  sur  tes  membres,  la  gloire  éclatante,  mo- 
narque des  hommes,  en  surpassera  les  mondes.  Aussi 
Ipng-temps  qu'il  y aura  des  hommes  dans  le  monde  pour 
raconter  ton  action , aussi  long-temps  ta  gloire  subsistera, 
éternelle  comme  les  mondes!  » 

» Après  qu’il  eut  adressé  au  roi  ces  paroles,  il  remonta 
dans  les  deux.  10,591 — 10,592 — 10,598. 


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VANA-PARVÀ. 


661 


» Quand  le  vertueux  Ouçînara  eut  rempli  de  sa  vertu 
le  ciel  et  la  terre,  il  s’éleva,  tout  rayonnant  de  son  corps, 
dans  le  Trivishtapa.  10,59A. 

» Voilà,  sire,  le  palais  de  ce  roi  magnanime  : contemple 
avec  moi  cette  demeure  sainte,  qui  efface  les  péchés. 

» Ici,  on  voit  toujours,  sire,  les  Dieux  et  les  anacho- 
rètes, fermes  dans  leurs  vœux,  mêlés  avec  les  brahmes 
saints  et  magnanimes!  10,595 — 10,596. 

» Vojlà  maintenant  l’hennitage  pur,  sire,  toujours  ap- 
provisionné des  fruits,  enfants  de  la  terre,  qui  abrita  sur 
le  globe  le  fils  d'Ouddâlaka,  Swétakétou,  de  qui  l’esprit 
fut,  dit-on,  versé  dans  les  incantations  magiques.  10,597. 

» Ici,  Swétakétou  vit  de  ses  yeux  Sarasvatt,  revêtue 
d’un  corps  humain  : « Je  voudrais  connaître  ta  voix  I » 
dit-il  à la  Déesse  présente,  la  création  de  Brahma.  Dans 
cet  youga,  vécurent  sur  la  terre  deux  excellents  anacho- 
rètes, l’oncle  et  le  neveu  : Ashtàvakra,  le  fils  de  Kahopa,  et 
Swétakétou,  né  d’Ouddâlaka.  10,598 — 10,699. 

n Cet  oncle  et  ce  neveu  furent  les  brahmes  du  roi  de 
Vidéha,  le  monarque  de  la  terre.  Entrés  dans  le  parvis  du 
sacrifice,  ces  deux  hommes  incomparables  vainquirent  lé 
poète  sacré  dans  un  combat  poétique.  10,600. 

n Entre,  fils  de  Kountî,  dans  l'hermitage  très-saint  de 
Swétakétou,  et  honore  avec  tes  frères  cet  Ast&vakra,  son 
neveu,  le  poète  du  sacrifice  de  Djanaka.  10,601. 

» Ce  sage,  brahme  éminent,  était  venu  dans  ces  lieux  en- 
fant; et,  vaincu  dans  cette  lutte,  le  barde  se  précipita  dans 
la  rivière.  » — « De  quelle  puissance,  dit  Youddhish- 
thira, était  ce  brahme,  qui  triompha  d’un  poète  ainsi  doués 
» Ou  dis- moi  de  qui  Ashtàvakra  fut  le  vainqueur.  Raconte- 


562 


LE  MAHA-BHARATA. 


moi  dans  la  vérité,  Loinaça,  toute  cette  histoire.  » — 
n Ouddâlaka,  répondit  Lomaça,  avait  un  disciple  à l'Ame 
domptée  et  nommé  Kahoda,  ainsi  que  nous  l'avons  ouï 
dire.  10,002 — 10,603. 

» 11  était  obéissant  et  soumis  à la  volonté  de  son  insti- 
tuteur spirituel  ; il  vaqua  long-temps  à la  lecture;  il  ser- 
vait aasiduement  son  gourou,  qui,  reconnaissant  de  son 
service,  10,604. 

» Lui  donna  au  même  instant  la  science  des  Yédas  et 
sa  fille  Soudjàtà  (1)  pour  épouse.  Elle  conçut  un  fils, 
semblable  au  Feu  ; et  celui-ci,  dès  le  ventre  de  sa  mère,  dit 
à son  père,  toujours  occupé  de  sa  lecture  ; 10,605. 

« Tu  fais  la  lecture  toute  la  journée  : cela  de  semble 
pas,  mon  père,  une  chose  convenable.  Je  sais,  grâce  à toi, 
les  Védas  et  les  Védângas,  joints  à tous  les  Çâstras.  10,606. 

» Je  te  le  répète,  mon  père,  ici,  dans  les  entrailles  de 
ma  mère,  cela  ne  te  convient  pas  ! » Ainsi  blâmé  au  milieu 
de  ses  disciples,  le  grand  rishi,  dans  sa  colère,  de  mau- 
dire son  fils  encore  au  sein  de  sa  mère  : 10,607. 

« Parce  que  tu  oses  me  parler  de  celte  manière,  étant 
dans  le  sein  de  ta  mère,  tu  es  dès  cet  instant  même  huit 
fois  tordu  1 » Ce  maharshi  naquit  donc  avec  des  membres 
tout  flexueux,  et  c’est  pour  cela  qu’il  fut  appelé  Ashtâva- 
kra  (2).  10,608. 

» Swétakétou,  son  égal  d’âge,  était  son  oncle  maternel. 
Alors  Soudjâtâ,  pressée  par  les  douleurs  de  cet  enfant, 
qui  croissait  dans  son  sein,  10,609. 

» Prit  son  époux  à part  et  lui  tint  ce  langage,  en  le  sup- 
pliant, lui,  indigent,  elle,  qui  avait  besoin  de  richesses  ; 

(t)  C'est  le  mot,  qui  répond  juste  au  nom  français  : Eugénie. 

(3)  Ocliit  curvus. 


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VANA-PARVA. 


66S 


« Comment  vais-je  faire,  pauvre,  que  je  suis,  car  me  voici, 
grand  rishi,  dans  mon  dixième  mois?  10,610. 

» Et  tu  n’as  aucune  richesse,  grâce  à laquelle,  jeune 
mère,  je  puisse  traverser  ce  malheur!  » 10,611. 

» A ces  mots  de  son  épouse,  kahoda  se  rendit  vers  le 
roi  Djanaka  pour  obtenir  des  richesses  ; mais,  vaincu  par 
le  poète  de  cour , habile  dans  les  subtilités,  C infortuné 
brahme  se  précipita  là  dans  les  eaux.  10,612. 

» Quand  Ouddàlaka  eut  appris  que,  dans  une  lutte  poé- 
tique, le  barde  avait  forcé  Kahoda  à chercher  la  mort  au 
sein  des  ondes,  il  dit  à Soudjâtà  : « 11  faut  cacher  cet  évé- 
nement à son  fils  Ashtâvakra.  » 10,613. 

» Elle  conserva  ce  mystère  en  elle-même,  et  l’enfant  né 
n’entendit  jamais  parler  de  son  père.  Ashtâvakra  pensait 
que  Ouddàlaka  était  son  père  et  regardait  Swétakétou 
comme  son  frère.  10,61i. 

» lin  jour,  dans  sa  douzième  année,  il  était  assis  dans 
l’anka  de  son  père  adoptif  ; Ç wétakétou  le  prit  par  la  main 
et  l’en  lit  sortir  : « Ce  n’est  pas  le  sein  de  ton  père!  » dit- 
il  à l'enfant,  qui  pleurait.  10,615. 

» Cette  parole  dure  s'enfonça  dans  son  cœur  ; sa  dou- 
leur fut  profonde.  11  retourne  à la  maison,  il  s’approche 
de  sa  mère,  et  lui  demande  : « Où  est  mon  père?  » 10,616. 

» Alors,  ses  formes  bouleversées  par  un  extrême  cha- 
grin, Soudjâtà,  craignant  sa  malédiction,  de  lui  tout  ra- 
conter. Connaissant  donc  l’événement  avec  certitude,  le 
jeune  brahme  dit  un  jour  à Çwétakétou  : 10,617. 

« Allons  au  sacrifice  du  roi  Djanaka;  ce  sacrifice  est, 
dit-on,  infiniment  admirable  ! Nous  y entendrons  les  dis- 
cussions des  brahmes  et  nous  y mangerons  des  choses 
exquises.  10,618. 


664 


Lü  MAHA -BHARATA. 


, » Nous  y acquerrons  de  la  science  ; car  la  renommée  de 
brahmes  nous  entoure  de  ses  auspices  bons  et  fortunés!  * 
L’oncle  et  le  neveu  s'en  allèrent  donc  au  riche  sacrifice 
du  roi  Djanaka.  10,610. 

» Ashtàvakra,  s'étant  rencontré  dans  la  route  avec  le  roi, 
lui  disputa  le  chemin  et  lui  adressa  ce  langage  : 10,620. 

« U faat  céder  la  voie  à l'aveugle,  la  céder  au  mort,  la 
céder  à la  femme,  la  céder  à l'homme,  chargé  d’un  far- 
deau, la  céder  au  roi,  quand  il  ne  se  rencontre  pas  avec 
un  brahme^  mais  rencontre-t-il  un  brahnae,  il  doit  lui  cé- 
der le  chemin.  » 10,621. 

» Le  roi  lui  répondit  : 

« Je  t'accorde  maintenant  cette  route,  que  tu  veux 
suivre  : marcbe-s-y  à ta  volonté;  il  n'existe  pas  en  moi 
Je  plus  léger  ressentiment.  Indra  même  s’incline  toujours 
devant  les  brahmes.  » 10,622. 

« Une  vive  curiosité,  sire,  nous  a conduits  à ton  sacrifice, 
que  nous  désirons  voir,  lui  répondit  Ashtàvakra.  Nous 
sommes  venus  ici,  comme  tes  hôtes.  Nous  désirons  l'en- 
trée de  ton  sacrifice  et  que  tu  en  donnes  l’ordre  au  gar- 
dien des  portes  ! » 10,623. 

» Ils  arrivent  et  disent  : 

a Fils  (Tlndradyounina,  tu  vois  ici  en  nous  deux  assis- 
tants au  sacrifice.  Nous  désirons  voir  le  roi  Djanaka,  nous 
désirons  lui  parler. ...  Hais  quoi\  Ce  portier  nous  empêche, 
nous,  que  brûle  déjà  la  fièvre  de  la  colère  1 n 10,624. 

» Le  portier  reprit  s 

« Sachez  que  nous  sommes  ici  pour  exécuter  les  ordres 
du  barde  encomiaste  : c’est  sa  voix,  qui  parle  en  moi.  Lee 
enfants  brahmes  n’entrent  peint  ici  : l’entrée  n’est  accor- 
dée qu'aux  brahmes  vieux  et  savants  ! 10,626. 


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V VNA-PARVA. 


bbb 


« Si  rentrée  est  permise  aux  vieillards,  il  me  sied  d'en- 
trer, lui  répondit  Ashtàvakra ; car,  nous  sommes  vieux, 
portier,  nous,  qui  suivons  des  vœux  et  qui  sommes  doués  de  la 
puissance  des  Védas.  10,626. 

» Nous  sommes  dociles,  nous  avons  dompté  nos  sens, 
nous  avons  atteint  l'excellence  dans  l’arrivée  de  la  science. 
11  ne  faut  pas  mépriser  quelqu'un,  dit-on,  parce  que  c'est 
un  enfant  : un  feu,  tout  enfant  qu’il  soit,  brûle,  si  on  le 
touche  ! » 10,627. 

« Quand  tu  évoquerais  l'éloquence  même  aux  formes 
multiples,  reprit  le  portier,  aussi  sainte  que  la  syllabe 
Aum,  adorée  comme  les  Védas,  un  Viràdj  (1)  enfin,  ne 
vois-tu  pas  que  tu  es  un  enfant  par  le  corps?  Pourquoi  te 
vanter?  La  sagesse  n’est  pas  facile  à acquérir!  » 10,628. 

« Ce  n'est  pas  au  développement  du  corps,  dit  Ashtâ- 
vakra,  que  l'on  reconnaît  le  progrès  de  l'esprit,  comme 
sur  les  cotonniers,  quand  leurs  cosses  sont  accrues.  Court 
avec  un  petit  corps,  on  est  grand,  si  l’on  porte  du  fruit. 
Celui,  qui  ne  produit  rien,  n'est  pas  dans  la  condition  du 
vieillard.  » 10,620. 

a Dans  ce  inonde,  observa  le  portier,  les  enfants  tiennent 
la  sagesse  des  vieillards  : on  devient  vieux  avec  le  temps. 
Il  est  impossible  d’acquérir  la  science  en  peu  de  temps. 
Pourquoi,  enfant  que  tu  es,  parles-tu  comme  un  vieillard?» 

» On  n’est  pas  vieillard,  reprit  Ashtàvakra,  parce  qu’on 
dresse  une  tête  à cheveux  blancs.  Les  Dieux  appellent  un 
vieillard  celui,  fût-il  un  enfant,  qui  a de  la  prévoyance. 

10,680—10,681. 

» Ce  n’est  ni  par  les  années,  ni  par  les  cheveux  blancs, 


(1}  Brahma  lui-même  sous  Ici  forme  du  grand  hermaphrodite  ! 


556 


LE  MAHA-BHARATA. 


ni  prr  les  richesses,  ni  par  les  parents  que  les  rishis  font 
le  devoir  : l’homme,  qui  se  conduit  bien,  est  grand  à nos 
yeux.  10,632. 

» Je  viens,  amené  par  le  désir  de  voir  le  bardeàlacour 
du  roi  : annonce-moi,  gardien  des  portes,  au  souverain, 
qui  porte  en  parure  des  guirlandes  de  nélutnbos.  10,633. 

» Dans  un  instant,  portier,  tu  nous  verras  parler  avec 
les  sages  ; mais,  le  combat  poétique  une  fois  engagé,  tu 
verras  bientôt  le  barde  vaincu  ! 10,63ü. 

» Que  les  brahmes  à la  science  accomplie  contemplent 
avec  le  roi,  accompagné  de  ses  principaux  archi-brahmes, 
ou  la  grandeur  ou  la  petitesse  dans  tous  ceux,  qui  gardent 
maintenant  le  silence  ! » 10,635. 
b Le  portier  lui  répondit  : 

« Comment,  Agé  de  douze  ans,  ainsi  que  tu  es,  entre- 
rais-tu dans  un  sacrifice,  dont  l'entrée  n’est  permise  qu’à 
des  savants  fort  instruits?  Efforce-toi  d’entrer,  comme  tu 
le  veux,  je  saurai  bien  t’empêcher  d'avancer!  b 10,636. 
b S’approchant  de  la  porte , Ashtâvakra  dit  : 

«Oh!  oh!  sire,  le  plus  grand  des  père;,  lu  es  vraiment 
un  monarque  universel  ; tout  est  grand  dans  toi  ! Ou  tu  es 
l'auteur  des  choses  propres  au  sacrifice,  ou  il  n'y  a devant 
toi  que  le  roi  Yayàti  seul.  10,637. 

b Tu  as  un  barde  savant,  habile  dans  les  subtilités,  qui, 
sans  balancer,  avons-nous  ouï  dire,  fait  précipiter  dans 
les  eaux  par  des  hommes  affidés,  que  tu  lui  as  donnés, 
tous  ceux,  qu'il  est  parvenu  à embarrasser  et  à briser 
dans  une  lutte  poétique.  10,638. 

b J’ai  entendu  un  deux  fois  né  parler  de  cet  homme 
dans  une  réunion  de  brahmes,  et  je  suis  venu  ! Où  est- 
il,  ce  barde?  Que  je  l'anéantisse  dans  une  lutte  avec 


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VANA-PARVA. 


657 


foi,  comme  le  soleil  efface  les  constellations!»  10,680. 

« Tu  espères  vaincre  mon  barde,  répondit  le  roi,  parce 
que  tu  ne  sais  pas  quelle  puissance  de  parole  il  y a dans 
ce  rival.  11  est  possible  que  l’on  parle  ainsi  ; mais  il  a été 
vu  par  des  brahmes,  adonnés  aux  Védas  et  d’une  force 
éprouvée.  10,640. 

» Tu  espères  vaincre  mon  barde,  parce  que  tu  ne  sais 
pas  quelle  est  la  force  de  ce  poète!  Des  brahmes,  qui  ont 
affronté  un  combat  avec  lui,  n'y  ont  pas  brillé,  comme  les 
étoiles  en  face  du  soleil  ! 10,641. 

» Des  hommes  sortis  enivrés  de  leur  science,  désireux 
de  vaincre  et  demandant  mon  barde,  mis  en  présence  de 
lui,  ont  perdu  la  splendeur  : comment  auraient-ils  pu, 
mon  enfant,  se  répandre  en  longs  discours  au  milieu  des 
assistants?  » 10,642. 

» Ashtâvakra  lui  répliqua  : 

« 11  n’eut  point  à lutter  contre  des  rivaux  semblables  à 
moi  ; et  c’est  pour  cela  que,  devenu  un  lion,  il  parle  sans 
crainte;  mais,  frappé  dans  une  rencontre  avec  moi,  il  res- 
tera sur  la  place,  comme  un  char  brisé  aux  roues  immo- 
biles! » 10,643. 

» Le  roi  lui  fit  cette  demande  : 

« Celui-là  est  un  poète  éminent,  s’il  connaît  une  chose, 
qui  a douze  portions  sur  trente  et  vingt-quatre  divisions, 
qui  valent  soixante-trois  tonnerres  (1).  10,644. 

» Ashtâvakra  répondit  : 

« Sois  défendu  par  ton  disque  de  guerre  toujours  en 
mouvement,  qui  a six  ombilics,  douze  circonférences  et 


(!)  Nous  ne  sommes  pas  bien  sûrs  ici  et  là  de  toutes  les  parties  de  notre 
sens  et  nous  regrettons  de  n'avoir  pas  on  commentaire  à notre  disposition. 


568 


LE  M AHA-BHAR  AT  A. 


vingt-quatre  divisions  : voilà  ce  qui  est  les  soixante-trois 
tonnerres.  » 10,645. 

» Le  roi  demanda  : 

« 11  est  comme  deux  cavales  attelées,  aussi  rapides  que 
le  vol  du  faucon.  Quel  est  celui  des  habitants  du  ciel,  qui 
dépose  un  germe  en  elles,  et  quel  est  le  fils,  auquel  ils 
donnent  la  naissance?  » 10,646. 

« Qu’ elles  n’entrent  pas  dans  ton  palais  ! reprit  Asbtâ** 
vakra  ; mais,  certainement,  sire,  le  Dieu  qui  a le  vent 
pour  son  cocher,  circulera  dans  les  habitations  de  tes  en- 
nemis eux-mêmes,  où  le  feu  et  le  vent  ont  donné  l’être 
à l’ Incendie,  leur  fils.  » 10,647. 

» Le  roi  de  lui  poser  enfin  ces  questions  : 

« Qui  est-ce  qui  dort,  sans  fermer  les  yeux  ? Qui  est-ce 
qui,  étant  né,  ne  remue  pas?  Qui  est-ce  qui  n’a  pas  un 
cœur?  Qui  est -ce  qui  croit  avec  rapidité?  » 10,648. 

» Ashtâvakra  de  lui  répondre  aussitôt  : 

« Le  poisson  dort,  sans  fermer  les  yeux;  l’œuf  ne 
remue  pas,  après  qu’il  est  né;  la  pierre  n’a  pas  un  cœur; 
la  crue  d’un  fleuve  est  rapide  ! » 10,640. 

« Je  ne  te  regarde  pas  comme  un  homme,  toi,  qui  a 
l'esprit  d’un  Dieu,  lui  dit  le  roi  : tu  ne  me  parais  pas  un 
enfant,  mais  je  t' ostime  un  vieillard  ; il  n'existe  pas  ton 
égal  pour  deviner  des  énigmes;  ainsi,  je  t’accorde  feu- 
trée. Voici  le  harde  ! » 10,650. 

« Ici,  au  milieu  de  ces  monarques  rassemblés,  qui  sont 
venus  se  joindre  à Ougraséna,  reprit  Ashtâvakra,  je  ne 
connais  pas,  sire,  un  plus  habile  flatteur  : il  me  semble 
ici  que  j’aie  pris  le  cygne  des  sages  au  milieu  d’un  grand 
bassin  d’eau.  10,651. 

» Barde,  tu  ne  tue  parleras  point  à cette  heure  avec  f or- 


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VÀNÀ-PARVÀ. 


668 


gueil  d’un  sage  présomptueux,  venu  au  combat,  tel  que 
la  crue  des  fleuves  : tiens  ferme  à l’instant  même  devant 
moi,  qui  suis  comme  un  feu,  dont  la  flamme  est  allumée, 

» Réveille  le  tigre  endormi  à mon  côté,  réveille  le  ser- 
pent, qui  lèche  avec  le  coin  de  sa  bouche  ! Ne  pense  pas 
que  tu  échapperas  d'ici  sans  morsure  en  m'écartant  d’un 
coup  de  pied  sur  la  tête  ! 10,652 — 10,653. 

» L’homme  d’une  bien  grande  faiblesse,  que  l’ orgueil 
pousse  à la  violence,  s’il  veut  écarter  une  montagne,  ses 
ongles  et  ses  mains  sont  déchirés  avant  qu’on  ne  voie  en- 
core sur  le  mont  aucune  blessure  1 10,654. 

» Tous  les  rois  sont  devenus  pour  le  souverain,  qui  règne 
5 Mithila,  des  objets  de  mépris,  comme  les  montagnes 
sont  méprisées  du  Mainaka,  comme  les  veaux  sont  dédai- 
gnés par  le  taureau.  10,655. 

» Tel  que  Mahéndra  est  le  plus  grand  des  Dieux,  telle 
que  la  Gangâ  est  la  plus  grande  des  rivières,  toi  seul,  tu 
es  le  plus  grand  parmi  les  rois  : fais  venir  ton  barde  en 
ma  présence  ! » 10,656. 

» Ashtàvakra,  de  qui  la  colère  était  allumée,  vociférait 
ainsi  dans  l'assemblée  : « Sire,  appelle  ton  barde  !...  A la 
parole,  que  j’aurai  dite,  rends-moi  une  réponse  et  je  don- 
nerai une  réponse  à la  parole,  que  tu  vas  me  proposer  ! » 

» Le  barde  alors  dit  : 

« Il  n’y  a qu'un  seul  feu  allumé  nombre  de  fois  ; il  n’y 
a qu’un  soleil  pour  éclairer  tout  cet  univers  ; il  n’y  a qu’  un 
héroïque  souverain  des  Dieux,  immolateur  des  ennemis; 
il  n’y  a qu'un  Yama,  souverain  des  Mânes  ! » 

10,057—10,658. 

» Ashtàvakra  lui  répondit  : 

« Indra  et  Agni  sont  deux,  qui  marchent  associés  ; il  y 


560 


LE  MAHA-BHARATA. 


a deux  Dévarshis,  Nàrada  et  Parvata;  il  y a les  deux 
Açwins  ; il  y a deux  roues  à un  char,  et  le  créateur  a fait 
deux  lui-même  l'époux  et  l’épouse.  » 10,659. 

» Le  harde  reprit  : 

« L’homme  reçoit  trois  fois  la  vie  des  cérémonies  re- 
ligieuses ; trois  Adhwarious  réunis  portent  le  vâdja- 
péya  (1)  ; on  fait  trois  ablutions;  il  y a trois  mondes  ; il 
y a,  dit-on,  trois  espèces  d'astres.  » 10,660. 

» Ashtàvakra  lui  répliqua  : 

« L'habitation  des  brahmes  est  de  quatre  espèces; 
quatre  prêtres  accomplissent  le  sacrifice;  il  y a quatre 
plages  dans  le  ciel  ; il  existe  quatre  castes  dam  la  société  ; 
la  vache,  qui  est  dite  immortelle,  a quatre  pieds.  » 10,661. 

» Le  barde  dit  : 

« U y a cinq  feux,  le  vers  a cinq  pieds,  les  sacrifices 
sont  eux-mêmes  au  nombre  de  cinq,  il  y a cinq  organes 
des  sens  : on  voit  dans  les  Védas  la  nymphe  Pantcha- 
tchoûda  (2)  et  une  sainte  contrée  dans  le  monde  est  ap- 
pelée Pantchanada  (3).  » 10,662. 

b Ashtàvakra  lui  répondit  : 

« Quelques-uns  disent  qu'il  y a six  manières  de  rece- 
voir des  présents  ; la  révolution  du  temps  est  composée  de 
six  saisons  : il  y a six  organes  ; on  compte  six  Pléiades  et, 
dans  tous  les  Védas,  on  voit  les  Sâdyaskas  au  nombre  de 
six.  » 10,663. 

» Le  barde  reprit 

b 11  y a sept  animaux  privés  et  sept  à l'état  sauvage; 


(1)  Breuvage  acide  de  farine  fermentée  et  d'eau,  en  usage  dans  certains 
sacrifices. 

(2 >3)  Les  cinq-aigrettes  et  le*  einq-rivières. 


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VANA-PARVA. 


561 


un  sacrifice  marche  avec  sept  mètres;  il  y a sept  rishis  et 
sept  adorations  : on  dit  que  la  vlnâ  est  montée  avec  sept 
cordes.  » 10,664. 

» Ashtâvakra  de  répliquer  aussitôt  : 

o Huit  çânas  (1)  forment  un  çatamàna  (2)  ; le  çarabha, 
meurtrier  des  lions,  a huit  pieds  ; il  y a parmi  les  Dieux 
huit  Vasous,  avons-nous  ouï  dire,  et,  dans  tous  les  sacri- 
fices, on  dispose  une  colonne  à huit  angles.  » 10,666. 

» Le  barde  ajouta  : 

o On  dit  qu'il  y a neuf  prières  en  l'honneur  des  Mânes; 
l’émancipation  finale  est,  dit-on,  précédée  par  neuf  con- 
templations ; il  y a neuf  grandes  lettres  enseignées  dans 
l'alphabet;  neuf,  comme  on  a toujours  dit,  est  la  réunion 
de  tous  les  nombres.  » 10,666. 

» Ashtâvakra  repartit  : 

« Dans  le  monde  de  l'homme,  il  y a dix  points  cardi- 
naux; dix  remplit,  dit-on,  les  centaines  et  le  millier;  la 
femme  enceinte  porte  dix  mois;  onze  serviteurs  Daçâ- 
rhains,  suivant  l'adage,  en  valent  dix  1 » 10,667. 

» Le  barde  reprit  : 

« 11  y a onze  réunions  de  onze  animaux  ; il  y a ici  onze 
colonnes  victimaires  ; il  y a onze  sentiments  chez  les  êtres 
animés,  il  y dans  le  ciel  onze  Roudras  parmi  les  Dieux  ! » 

» Ashtâvakra  dit  aussitôt  : 

« Douze  mois,  dit-on,  composent  l’année;  le  pied  de  la 
djagatî  (3)  consiste  en  douze  lettres;  le  sacrifice  naturel 
est  dit  embrasser  douze  jours;  les  sages  disent  ici-bas  qu'il 
y a douze  Adityas  1 » 10,668 — 10,660. 


(1 — 2)  Mesures  de  poids. 

(3)  Sorle  de  mètre. 

III  35 


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562 


LE  4IAHA-BHARATA. 


» Le  brahme  recommença  : 

« On  dit  qu'une  moitié  de  lune  est  composée  de  treize 
jours;  la  noble  terre  contient  treize  îles...  » Quand  il  eut 
parlé  ainsi,  le  barde  s'arrêta  au  milieu  de  son  çloka, 
qu' Ashtàvakra  finit  de  cette  manière  : « Vishnou  a marché 
treize  jours;  on  dit  que  les  principaux  rythmes  des  Védas 
sont  au  nombre  de  treize  et  au-dessus  ! » 10,670. 

» Alors,  il  s'éleva  un  grand  bruit,  dès  qu’on  \ it  le  fils 
du  poète  garder  le  silence  et,  baissant  la  tête,  demeurer 
plongé  dans  la  rêverie,  tandis  qu’Ashtâvakra  complétait 
sa  stance.  10,671. 

» Pendant  que  le  trouble  régnait  ainsi  dans  l’opulent 
sacrifice  du  roi  Djanaka,  les  brahtues  célèbres,  joignant 
leurs  mains  au  front,  s’approchèrent  du  jeune  Ashtàvakra 
pour  lui  rendre  leurs  hommages.  10,672. 

« Brahtues,  dit-il,  vous  avez  entendu,  vous,  qui  na- 
guère, vaincus  par  lui  dans  un  combat  poétique,  avez  été 
plongés  dans  l’eaul  Accomplissons  nos  devoirs  et  que  cet 
homme  obtienne  ce  qu’il  mérite!  Saisissez-le  et  plongez- 
le  sans  retard  1 » 10,073. 

» Le  barde  dit  : 

« Moi,  le  fils  de  Varouna,  j’ai  siégé  ici  dans  le  sacrifice 
de  douze  ans  offert  par  le  roi  Djanaka.  A cause  de  cela, 
on  a envoyé  vers  moi  les  principaux  des  brahmes  un 
temps  égal  au  sacrifice  de  Djanaka.  10,074. 

» Ceux,  qui  sont  venus  voir  le  sacrifice  de  Varouna, 
reviendront  tous  de  nouveau  à la  vie.  J’honore  Ashtâva- 
kra,  qui  mérite  des  honneurs,  lui,  par  qui  je  vais  aller 
voir  mon  père  ! » 10,675. 

« Prononce  avec  intelligence  ta  parole,  lui  répondit 
Ashtàvakra,  afin  qu’ils  comprennent  ta  voix,  ces  brahmes 


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VANA-PARVA. 


56B 


vertueux,  qui,  vaincus  par  ton  langage  on  dépourvus  des 
dons  de  l'intelligence,  furent  plongés  dans  les  eaux  de  la 
mer  1 10,676. 

» Que  le  feu  brûlant,  père  des  Védas,  épargne  de  sa 
flamme  et  n’incendie  pas  les  maisons  des  gens  de  bien  ! 
Les  hommes  bons  comprennent  ce  que  veut  dire  la  voix 
de  leurs  fils  enfants,  qui  parlent  d’une  manière  éplorée. 

» (>u  tu  prêtes  aux  discours,  sire,  une  oreille  indifférente 
et  l'intelligence  éteinte,  ou  les  éloges  t'enivrent,  et  tel 
qu’un  éléphant  chassé,  Djanaka,  tu  n’écoutes  pas  cette 
mienne  parole  ! » 10,677 — 10,678. 

» Djanaka  lui  fit  cette  réponse  : 

a J’écoute  ta  parole,  qui  n'est  pas  humaine  et  qui  a des 
formes  célestes  ; tu  es  un  Dieu  visible  ici-bas.  Parce  que 
tu  as  vaincu  le  barde  dans  ce  combat  poétique,  je  te  l’a- 
bandonne ; fais  de  lui  ce  qu’il  te  plaira.  » 10,679. 

« Je  n’ai  que  faire,  sire,  de  sa  vie,  reprit  Ashtâvakra; 
mais  si  ce  barde  est  le  fils  de  Varouna,  fais-le  plonger  dans 
le  réceptacle  des  eaux.  » 10,680. 

« Je  suis  le  fils  du  roi  Varouna,  dit  le  poète,  et  je  n’ai 
aucune  peur  d'être  noyé.  Dans  cet  instant  même  Ashtâ- 
vakra, ici  présent,  verra  son  père  Kahoda,  mort  depuis 
long-temps.  » 10,681. 

» Rendus  à la  vie  par  le  magnanime  Varouna,  tous  les 
brahmes  de  s’élever  sous  les  yeux  de  Djanaka.  10,682. 

» Kahoda  tint  ce  langage  : 

aMon  fils  a fait  l'acte  de  destruction,  qui  était  l’objet  de 
mon  désir,  et  c’est  pour  cette  raison  que  les  hommes  ont 
envie  d'obtenir  des  fils  dans  l’œuvre  de  la  généra- 
tion, 10,683. 

» lin  fils  vigoureux  naît  d’un  faible  père,  Djanaka;  un  fils 


564 


LE  MAHÀ-BHARATA. 


intelligent  naît  d’un  sot  et  un  savant  d’un  ignorant.  10,684. 

» La  main  elle-même  de  la  mort  fait  tomber  sous  sa 
hache  acérée  les  têtes  des  ennemis  sur  le  champ  de  ba- 
taille : la  félicité  descende  sur  toi  ! » 10,686. 

» On  chante  ici  à propos  une  grande  et  sublime  stance, 
extraite  de  la  portion  Akthha  du  Sâma-Véda;  la  voici  : 
« On  boit  le  soma  dans  ce  sacrifice-là  ; et  les  Dieux  satisfaits 
ont  reçu  en  personne  les  brillantes  parts  du  roi  Djanaka.  » 

» Au  milieu  de  tous  les  brahmes,  sire,  qui,  brillants 
d’un  éclat  supérieur,  étaient  sortis  des  flots,  le  poète, 
ayant  reçu  la  permission  du  roi  Djanaka,  se  plongea  dans 
les  ondes  de  la  mer.  10,680 — 10,687. 

» Après  que,  honoré  lui-même  par  les  brahmes,  sui- 
vant la  convenance,  Ashtâvakra  eut  honoré  son  père,  il  re- 
tourna, accompagné  de  son  oncle,  il  sou  hermitage,  vic- 
torieux de  l’éminent  fds  du  poète.  10,688. 

» Ensuite,  en  présence  de  sa  mère,  son  père  lui  dit  : 
« Entre  vite  dans  cette  rivière  Samangà  ! » L’enfant  y 
entra  et  tous  ses  membres  se  redressèrent  à l’instant  même. 

» Cette  rivière  Samangà  devint  sainte  : quiconque  s’y 
baigne  est  délivré  de  ses  péchés.  Plonge-toi  avec  tes 
frères,  accompagné  de  ton  épouse  dans  ce  bain  au  breu- 
vage pur,  aux  ondes  limpides.  10,689 — 10,690. 

» Ici,  fils  célèbre  de  Rountl,  ayant  fait  un  séjour  aima- 
ble avec  les  brahmes,  appuyant  sur  des  œuvres  pures  ta 
croyance  à un  seul  Die\i,  tu  iras  avec  moi,  Adjamitha, 
accompagné  de  tes  frères,  dans  les.  autres  lieux  saints. 

» Ce  qui  brille  à nos  yeux  maintenant,  sire,  c'est  la  Sa- 
îuangà  aux  grottes  de  miel...  Ce  lieu  est  celui  des  ablu- 
tions de  Bharata  : il  se  nomme  Rardamila. 

10,691—10,602. 


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VANA-PARVA. 


566 


» Dans  une  circonstance,  jointe  à l’infortune,  l’époux 
de  Çatcht,  ayant  immolé  Vritra,  se  plongea  dans  la  Sa- 
mangà  et  fut  lavé  de  toutes  ses  impuretés.  10,693. 

» Voici  la  Destruction,  sire,  qui  est  placée  au  sein  du 
Matnâka  : c’est  là  que  jadis  Aditi  a fait  cuire  des  aliments 
pour  un  fils.  10,69A. 

» Montés,  éminents  Bharatides,  sur  cette  montagne 
sourcilleuse,  vous  écarterez  une  infortune  ignominieuse, 
inénarrable.  10,695. 

» Voici  les  Kanakhalas,  sire,  montagnes  cbères  aux 
risiiis  : voilà  ce  grand  fleuve  du  Gange,  Youddhishthira, 
qui  brille  à tes  yeux.  10,696. 

» C’est  ici  que  le  vénérable  Sanatkoumâra  parvint  à la 
perfection.  Quand  tu  t’y  seras  plongé,  Adjamltha,  tous 
tes  péchés  seront  effacés.  10,697. 

» Voici  le  lac  d’eau,  nommé  Pur,  et  la  montagne  du 
Bhrigou-tounga.  Touche  l’eau  avec  tes  ministres,  fils  de 
Kountl,  dans  les  flots  tièdes  de  la  Gangà.  10,698. 

» Ce  qui  brille  devant  toi,  c'est  le  délicieux  hennitage 
de  SthoOdaçiras  ! Ici,  il  faut  déposer,  fils  de  Kountl,  ton 
orgueil  et  ta  colère.  10,699. 

» Cet  hennitage  charmant  est  celui  de  Raibhya,  où 
périt  le  poète  Yavakrlta,  fils  de  Bharadwàdja.  10,700. 

Youddhishthira  l'interrompant  : 

« Comment  le  rishi,  auguste  fils  de  Bharadwàdja,  fut- 
il  enveloppé  dans  cette  affaire  ? Et  comment  périt  Yava- 
krlta, le  fils  de  l’anachorète  ? 10,701. 

» Je  désire  entendre  toute  cette  histoire  dans  la  vérité  : 
je  me  plais  beaucoup  à ce  récit  des  actions  accomplies 
dans  l’àge  des  Dieux.  » 10,702. 

Lomaça  répondit  : 


LE  MAHA-BHARATA. 


660 

« Bharadwàdja  et  Ratbhya  étaient  deux  grands  aniis  : 
ils  habitaient  ici  continuellement  avec  un  plaisir  infini. 

» Raibhva  avait  deux  fils  : Arvâvasou  et  Paràvasou; 
Yavakrîs  était,  Bharatide,  le  fils  de  Bharadwàdja. 

10,703—10,704. 

» Ratbhya  avec  ses  enfants  et  l'autre  ascète  étaient  sa- 
vants : dès  l’enfance,  ils  avaient  une  gloire  incomparable. 

» Le  resplendissant  Yavakris,  voyant  le  pénitent  son 
père  sans  honneur,  mortel  sans  péché,  et  voyant  au  con- 
traire Ratbhya  avec  ses  fils  honoré  par  les  brahmes,  en 
fut  consumé  de  douleur  et  inondé  de  ressentiment.  11  en- 
dura une  effroyable  pénitence  pour  obtenir  la  science  des 
Védas.  10,706—10,706—10,707. 

» Macérant  son  corps  devant  un  grand  feu  allumé,  il 
excita  par  ses  vastes  pénitences  l'inquiétude  d'Indra. 

» Celui-ci  donc,  s’approchant  d’Yavakrita,  lui  dit  : 
« Pourquoi  as-tu  pris  cette  pénitence  suprême  ? » 

10,708—10,709. 

« Que  les  Védas,  répondit  Yavakrita,  viennent  en  la 
possession  des  brahmes,  sans  qu’ils  soient  obligés  de  les 
lire.  C'est  pour  cela,  ô toi,  qui  es  honoré  par  les  chœurs 
des  Dieux,  que  j’ai  embrassé  cette  pénitence  du  plus  haut 
degré.  10,710. 

» C’e3t  pour  la  lecture,  Pâkaçâsana,  que  j’ai  entrepris 
toutes  ces  macérations  : je  veux  conquérir,  grâce  à ma 
pénitence , Kaâuçika,  toute  l'universalité  des  sciences. 

« 11  est  possible  d'acquérir,  mais  avec  beaucoup  de 
temps,  les  Védas,  seigneur,  de  la  bouche  d’un  instituteur 
spirituel:  voilà  pourquoi  je  me  suis  astreint  à cet  effort  su- 
prême. » 10,711 — 10,712. 

« Cette  voie,  par  où  tu  veux  aller,  brahmarshi,  est  une 


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VANA-PARVA. 


567 

impasse,  reprit  Indra.  Pourquoi  te  créer  cet  embarras? 
Marche  ! obtiens  la  science  par  la  bouche  d’un  gourou  l » 

» A ces  mots,  Indra  s’en  alla,  et  Yavakrls  lui-même 
d'une  vigueur  sans  mesure  continua  de  nouveau,  Bhara- 
tide,  ses  efforts  dans  sa  pénitence.  10,713 — 10,714. 

» Cet  homme  aux  grandes  mortifications,  se  macérant 
d'une  effroyable  pénitence,  consuma  de  soucis  le  roi  des 
Dieux,  avons-nous  ouï  dire.  10,715. 

» Étant  donc  venu  trouver  le  grand  solitaire,  qui  sup- 
portait une  pénitence  cruelle,  le  Dieu,  qui  brise  les  ar- 
mées, essaya  encore  de  l’empêcher.  10,716. 

« Cette  entreprise  est  une  chose  impossible,  lui  dit-U; 
ce  n’est  point  agir  sensément.  Les  Védas  peuvent-ils  arri- 
ver en  ta  possession  et  dans  celle  de  ton  père?  » 10,717. 

» Yavakrîta  lui  répondit  : 

« Si  l’on  ne  peut  atteindre  de  cette  manière,  souverain 
des  Dieux,  ce  que  je  désire,  je  supporterai  avec  un  grand 
vœu  une  pénitence  plus  effroyable  même.  10,718. 

» Livrant  mon  corps  au  feu  allumé,  je  ferai  un  sacri- 
fice de  mon  corps,  sache-le,  Maghavat,  si  tu  n’exécutes 
pas  ici,  roi  des  Dieux,  tout  ce  que  je  désire,  à mon  gré.  » 

» Quand  il  eut  connu  de  cette  manière  fa  résolution  du 
magnanime  anachorète,  l’intelligent  Indra,  ayant  cherché 
dans  son  esprit  les  moyens  de  l’empêcher,  so  donna  la 
forme  d’un  brahme  pénitent  d’une  bien  grande  faiblesse, 
affecté  d’une  consomption  pulmonaire,  âgé  de  plusieurs 
centaines  d’années.  10,719 — 10,720 — 10,721. 

» Il  fit  avec  du  sable  un  pont  dans  le  Gange  à l’endroit, 
où  était  le  tlrtha  accoutumé  d’Yavakrlta  pour  ses  œuvre» 
de  purification.  40,722. 

» Indra,  sous  les  formes  du  brahme  éminent,  ne  répon- 


568 


LE  MAHA-BHARATÀ. 


dit  pas  une  seule  parole  aux  questions  du  jeune  homme, 
et  continua  à remplir  le  Gange  avec  du  sable.  10,723. 

» Il  jetait  continuellement  une  poignée  de  sable  dans  la 
Bhâgiralht;  Çakra  de  commencer  le  pont,  qui  apparut  aux 
yeux  d'Yavakrlta,  10,724. 

» L’excellent  hermite  vit  la  peine,  qu'il  se  donnait  pour 
construire  ce  pont  et  lui  tint  en  riant  ce  laugage  : 10,725. 

« Qu’est-ce  que  cela,  brahme?  Que  désires-tu  faire? 
Tu  dépenses  là  beaucoup  de  peine  fort  inutilement?  » 

« J'unirai  les  deux  rives  du  Gange  avec  un  pont,  lui 
répondit  Çakra  : le  chemin  deviendra  facile  ; car  les 
hommes  se  latiguent,  mon  enfant,  à le  traverser  mainte  et 
mainte  fois.  » 10,726 — 10,727. 

« 11  est  impossible,  homme  riche  en  pénitences,  de 
joindre  avec  un  pont  les  deux  rives  de  ce  grand  fleuve. 
Abstiens-toi  d'une  chose  impossible  et  reporte  tés  efforts 
sur  une  chose,  qui  peut  se  faire!  » 10,728. 

» Indra  lui  dit  : 

« Telle  que  cetteaffaire,  à laquelle  j’applique  mon  esprit, 
est  une  chose  impossible,  telle  sera  cette  pénitence,  que 
tu  subis  pour  les  Védas.  n 10,729. 

u Si  tu  penses,  reprit  Yavakrlta,  que  mon  entreprise 
elle-même,  Pàkaçâsana,  souverain  des  Tridaças,  est  aussi 
inutile  que  la  tienne,  fais  du  moins  ce  qui  sera  possible, 
monarque  des  troupes  de  Souras;  accorde-moi  d’autres 
grâces,  par  lesquelles  je  surpasse  les  autres  hommes.  » 

10,730—10,781. 

» Indra  lui  accorda  les  grâces,  que  demandait  l’ana- 
chorète aux  grandes  pénitences  : « Les  Védas  arriveront 
de  la  manière,  que  tu  le  désires,  lui  dil-il,  en  ta  posses- 
sion et  celle  de  ton  père.  » 10,732. 


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VANA-PARVA. 


569 


» Monte  de  plus,  Yavakrt,  en  tout  autre  objet  de  tes 
vœux,  où  ton  cœur  aspire!  » Quand  il  eut  obtenu  la  réali- 
sation de  ses  désirs,  le  jeune  homme  s'approcha  de  son 
père  et  lui  tint  ce  langage  : 10,733. 

« Nous  possédons,  mou  père,  toi  et  moi,  les  Védas; 
maintenant  que  j’ai  obtenu  d’autres  grâces  avec  cette  fa- 
veur, nous  ne  sommes  plus  ce  que  nous  étions!  » 10,734. 

u Bharadwâdja  lui  dit  : 

« L'orgueil  naîtra  en  toi,  mon  fils,  des  grâces,  objet  de 
tes  désirs,  que  tu  as  obtenues,  et,  rempli  de  cet  orgueil, 
tu  périras  bientôt  misérablement!  » 10,735. 

» A cette  occasion,  voici  des  vers,  qui  furent  chantés, 
dit- on,  par  les  Dieux  : « Jadis  vivait,  mon  (ils,  un  puis- 
sant anachorète,  nommé  Bàladhi.  10,730. 

» Troublé  du  chagrin,  que  lui  causait  l'amour  de  son 
fils,  il  se  soumit  pour  lui  à une  intolérable  pénitence  : 
«Que  mon  fils  soit  immortel  ! » disait-il  ; et  il  obtint  presque 
ce  vœu.  10,737. 

» Les  Dieux  l’environnèrent  de  leur  bienveillance,  mais 
non  jusqu’à  en  faire  un  être  égal  aux  Immortels  : « 11  n’y 
a pas  d'homme,  qui  soit  exempt  de  la  mort  ! mortel,  sa  vie 
sera  donc  attachée  à une  cause!  s 10,738. 

» Bâladhi  répondit  aux  Dieux  : 

« De  même  que  ces  montagnes  se  dressent  à jamais  du- 
rables, ainsi  tienne  à cette  cause  la  vie  de  mon  fils  ! » 

» Cette  grâce  vint  aux  oreilles  de  son  fils,  qui  devint 
présomptueux  et  colère;  il  conçut  de  l’orgueil  et  méprisa 
jusqu’aux  saints  eux-mêmes.  10,739 — 10,740. 

» 11  parcourut  ce  globe  entier,  attaquant  les  anacho- 
rètes ; il  s’approcha  d’un  sage  à la  grande  énergie,  nommé 
Dhanoushàksha.  10,741. 


570 


LE  MAHA-BHARATA. 


» 11  offensa  le  puissant  henffite,  qui  le  maudit  : a Sois 
de  la  cendre  ! » A peine  eut-il  parlé  que  l’offenseur  devint 
une  cendre.  10,742. 

-i  Le  vigoureux  anachorète,  ayant  vu  le  présomptueux 
jeune  homme  plein  de  santé  dans  son  malheur , fit  mettre 
en  pièces  par  des  buffles  la  cause,  à laquelle  était  liée  sa 
vie;  10,743. 

» Et  la  cause  n’existant  plus,  l'enfant  mourut  aussitôt. 
Le  père  alors  prit  son  lils  mort  et  se  répandit  en  gémisse- 
ments. 10,744. 

» A la  vue  de  son  violent  désespoir,  tous  les  solitaires, 
instruits  dans  les  Védas,  de  lui  chanter  ces  vers;  écoute- 
les  : 10,745. 

u Le  mortel  n’est  jamais  capable  de  se  dérober  au  sort 
fixé  par  le  Destin.  Ainsi  Dhanoushâksha  fit  diviser  par 
des  buffles  ces  montagnes.  » 10,746. 

» Voilà  comment  des  enfauts  d’anachorètes,  pleins 
d’orgueil,  ne  tarderont  pas  à périr,  malgré  les  faveurs, 
qu’ils  ont  obtenues,  comme  péiira  ta  sainteté  même. 

» Ce  Ralbhya  est  d’une  grande  énergie,  ses  fils  sont  tels 
que  leur  père.  Efforce-toi,  mon  fils,  sans  paresse,  de  ne 
pas  aller  te  heurter  contre  eux.  10,747 — 10,748. 

» En  effet,  ce  Ralbhya  irrité,  mon  fils,  est  capable  de 
t’accabler  dans  sa  colère;  c’est  un  ascète,  c’est  un  grand 
rishi  ; mais  il  est  irascible.  » 10,740. 

» Yavakrita  lui  répondit  : 

« C’est  ainsi  que  j'agirai,  mon  père;  neconçois  aucune- 
ment d’inquiétudes  ; en  effet,  telle  que  ta  révérence  est 
mon  père,  tel  je  regarde  aussi  Ralbhya  comme  mon 
père.»  10,750. 

» Quand  il  eut  dit  ces  mots  d’une  voix  tendre  à son 


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VANA-PARVA. 


571 


père,  Vavakri  eu  toute  sécurité  goûtait  un  plaisir  infini  à 
vexer  les  autres  rishis.  10,751. 

» Errant  çà  et  là  sans  crainte,  le  jeune  anachorète  s’en 
vint  au  mois  de  Madhana  au  lieu,  où  s'élevaient  les  her- 
mitages  de  Raibhya.  10,752. 

» 11  vit  dans  cette  solitude  charmante,  ornée  d'arbres 
en  fleurs,  sa  bru,  qui  se  promenait,  fils  de  Bharata,  sem- 
blable à une  Kinnarl.  10,753. 

» Yavakri,  abandonné  par  la  pudeur,  l’àme  ravie  par 
l’amour,  adressa  ces  mots  à cette  femme  remplie  de  pu- 
deur : « Fais  l’amour,  avec  moi!  » 10,754. 

» Elle,  qui  connaissait  son  caractère  et  redoutait  sa 
malédiction,  elle  dit:  « Oui!  » Puis,  elle  se  réfugia  en 
esprit  sous  l’énergie  de  Raibhya  ; et,  s’éiant  relevée,  elle  se 
plongea  dans  l’eau  entièrement,  llaibhya,  dompteur  des 
ennemis,  revint  alors  dans  son  hermitage.  10,755-10,756. 

n 11  vit  sa  bru  pleurer,  il  vit  l’épouse  de  Parâvasou 
dans  une  vive  affliction  ; et,  l’ayant  consolée  d'une  voix 
douce,  Youddhishthira,  il  l'interrogea.  10,757. 

» La  belle  de  lui  narrer  tout  ce  qu’avait  dit  Yava- 
krita,  et  qu'elle  avait  répondu  : u Oui  ! » ayant  considéré 
d’abord  ton  caractère  et  sa  puissance.  10,758. 

» Tandis  qu’il  entendait  raconter  la  conduite  d’Yava- 
kri,  l’âme  de  Raibhya  semblait  jeter  des  flammes,  et  il  fut 
saisi  d’une  grande  colère.  10,759. 

» Alors,  pénétré  de  ressentiment,  l'ascète,  dans  une  ar- 
dente fureur,  ayant  arraché  un  djatâ,  le  . sacrifia  au  feu 
avec  des  prières  en  bon  sanscrit.  10,760. 

Aussitôt  sortit  du  feu  une  femme  semblable  en  beauté 
à l’épouse  outragée  : il  arracha  un  second  djatâ  et  de  nou- 
veau le  sacrifia  au  feu.  10,761.. 


572 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Un  Rhakshasa  horrible,  h l’aspect  effroyable,  s’élança 
hors  des  flammes;  et  ces  deux  spectres  dirent  à Ratbhya  : 
« Quelle  chose  devons-nous  faire  ? » 10,702. 

o Donnez  la  mort  à Yavakrl!  » fit  le  rishi  en  colère. 
« Oui!  u répondirent-ils;  et  ceux-ci  de  s'en  aller  pour 
immoler  Yavakrîta.  10,703. 

u Ensuite  les  deux  spectres,  formés  par  la  magie  du 
magnanime,  s’étant  approchés  d’Yavakrlta,  lui  enle- 
vèrent son  aiguière,  fils  de  Bharata,  comme  pour  la  fas- 
ciner. 10,76A. 

» Le  Rakshasa,  tenant  son  trident  levé,  de  courir  sur  le 
jeune  homme,  à qui  l’on  avait  ravi  son  aiguière  aban- 
donnée. 10,705. 

» A la  vue  du  Démon,  qui  fondait  sur  lui,  son  arme  à 
la  main  pour  le  tuer,  Yavakrl,  se  levant  tout  à coup,  de 
s’enfuir  vers  un  lac.  10,760. 

» Voyant  que  ce  lac  est  dénué  d’eau,  il  s’en  va  d’un 
pied  rapide  vers  les  fleuves  ; mais  tous,  il  les  trouve  à sec. 

» Poursuivi,  le  trident  à la  main,  par  l’épouvantable 
Rakshasa,  il  se  réfugie  soudain,  tout  tremblant,  dans  la 
chapelle  du  feu  perpétuel  de  son  père.  10,707 — 10,76?. 

» A peine  entré,  il  fut  arrêté  par  un  çoùdra  aveugle,  le 
gardien  de  [oratoire  ; et,  malgré  lui,  prince,  il  resta  à la 
porte.  10,769. 

» Le  Démon  frappa  de  son  trident  Yavakrîta  ; empê- 
ché par  le  Coudra  aveugle  ; et  le  brahme  tomba,  le  cœur 
fendu. 

» Quand  le  Rakshasa  eut  tué  Yavakrîta,  il  se  rendit 
chez  Ratbhya,  prit  congé  de  lui  et  habita  avec  la  femme. 

10,770—10,771. 

u Dès  que  Bharadvvâdja  eut  achevé  sa  lecture  quoti- 


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VANA-PARVA. 


573 


dienne,  il  prit  uo  faix  de  bois  et  rentra  dans  son  her- 
mitage.  10,772 

» A sa  vue  naguère,  tous  les  feux  se  levaient  en  sa  pré- 
sence; mais  alors,  son  fils  étant  mort,  les  feux  ne  s'avan- 
cèrent point  à sa  rencontre.  10,773. 

» Loisqu’il  vit  ce  changement  arrivé  dans  sa  chapelle 
du  feu  perpétuel,  l’anachorète  aux  grandes  pénitences  dit 
au  coudra  aveugle,  gardien  assis  de  son  oratoire  : 

« Pourquoi,  Çoûdra,  ces  leux  ne  se  réjouissent-ils  pas 
de  ma  vue?  Toi-même  tu  n’es  pas  ce  que  tu  étais  aupara- 
vant ! Est-il  arrivé  un  malheur  ici  dans  l'hermitage. 

10,77â— 10,775. 

» Mon  fils,  qui  a peu  de  jugement,  ne  serait-il  point 
allé  chez  Raibhya?  llâte-toi  de  me  raconter  cela  : mon 
âme  est  pleine  de  trouble.  » 10,776. 

» L’aveugle  répondit  : 

« Ton  fils  peu  judicieux  est  allé  sans  doute  chez  Raî- 
bhya;  car  le  voici  étendu,  dépouillé  de  la  vie  par  un  Rak- 
shasa  plus  fort  que  lui  ! 10,777. 

i>  Poursuivi  jusqu’ici  par  ce  Démon , le  trident  â la 
main,  je  l’ai  arrêté,  à la  force  de  mes  bras,  sur  le  seuil  de 
la  porte,  devaut  la  chapelle  du  feu  ! 10,778. 

# Souillé  nécessairement  d’impuretés,  haletant  de  soif, 
repoussé  ici  de  ses  dernières  espérances,  il  fut  tué  par  ce 
Rakshasa  d'une  agilité  supérieure,  son  tridentà  la  main,  b 

b Quand  il  eut  appris  de  l'artisan  cette  nouvelle  d’une 
cruelle  amertume,  Rharadwàdja  prit  le  corps  inanimé  de 
son  lils  et  gémit  dans  une  profonde  affliction  : 

10,779—10,780. 

« Ce  n’était,  certes!  pas,  dit-il,  pour  les  brahmes,  que 
tu  supportais  la  pénitence,  quand  tu  demandas  que  les 


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LE  MAHA-BHARATA. 


574 

brahmes,  sans  les  avoir  lus,  fussent  en  possession  des 
Védas!  10,781. 

«Ainsi,  malgré  ton  caractère  noble  au  milieu  des  brahmes 
magnanimes,  malgré  que  tu  sois  sans  péché  au  milieu  de 
tous  les  êtres,  tu  es  en  proie  aux  rigueurs  de  la  Des- 
tinée! 10,782. 

» Cependant  je  t’avais  interdit,  mon  fils,  de  voir  la  mai- 
son de  Raîbhya  ; mais  tu  n'en  es  pas  moins  allé  chez  cet 
homme,  semblable  à Yama,  le  destructeur  du  temps! 

» Toi,  rempli  de  splendeur  et  sachant  que  tu  es  mon  fils 
unique,  as-tu  pu,  dans  ta  démence  extrême,  aller  te 
mettre  sous  le  pouvoir  de  ce  vieillard  sujet  à la  colère. 

10,783—10,784. 

» Livré  au  chagrin  de  mon  fils,  enlevé  par  cette  action 
de  Raîbhya,  j'abandonnerai,  privé  de  toi,  mon  lils,  les 
souilles  de  l’existence,  ce  qu’il  y a de  plus  aimé  sur  la 
terre!  10,785. 

» Tel  que,  voué  au  péché,  le  lils  aîné  de  Raîbhya  tuera 
bientôt  son  père,  exempt  de  péché,  tel  je  ne  tarderai  pas  & 
déserter  mon  corps  sous  la  douleur,  que  j’éprouve  d’avoir 
perdu  mon  lils  ! 10,780. 

» Heureux  les  hommes,  dans  la  famille  desquels  un  fils 
n’existe  pas  et  qui  se  promènent  à leur  fantaisie,  affran- 
chis du  chagrin,  que  donne  la  perte  d’un  (ils!  10,787. 

» Mais  y a-t-il  rien  de  plus  misérable  que  ces  hommes, 
qui,  l’esprit  égaré  dans  la  douleur  causée  par  la  mort  d'un 
fils,  maudissent  affligés  leurs  plus  chers  amis?  10,788. 

» F.n  maudissant  Parâvasou,  un  fils  vicieux,  j’ai  enve- 
loppé dans  sa  malédiction  mon  ami  le  plus  cher  ! Est-il  un 
autre  homme,  qui  éprouve  une  infortune  égale  à la 
mienne?  » 10,789. 


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VANA-PARVA. 


675 


» Quand  il  eut  ainsi  exhalé  ces  plaintes,  en  variant  les 
manières,  Bharadwâdja  de  brûler  son  fds;...  ensuite,  il 
entra  lui-même  dans  le  feu  bien  allumé  1 10,790. 

» En  ce  même  temps,  Vrihadyoumna,  l’auguste  et 
vertueux  seigneur  de  la  terre,  célébra  un  sacrifice  et 
choisi  Raibhya  pour  le  sacrificateur.  10,791. 

» Le  sage  monarque  associa  pour  compagnons  à leur 
père  dans  cette  cérémonie  les  deux  fils  de  Raibhya  : Arvâ- 
vasou  et  Paràvasou.  10,792. 

a Ceux-ci,  ayant  pris  congé  de  leur  père,  fils  de  Kountl, 
se  mirent  donc  en  marche  ; mais  Raibhya  et  l’épouse  de 
Paràvasou  restèrent  à l’hermitage.  10,793. 

a Poussé  par  la  curiosité,  Paràvasou  revint  seul  à l’ha- 
bitation et  vit  dans  le  bois  son  père  couvert  de  la  peau 
d’une  gazelle  noire.  10,794. 

a On  était  dans  la  dernière  partie  de  la  nuit  et,  les 
yeux  fermés  par  le  sommeil,  il  dormait  en  marchant  au 
milieu  des  ténèbres  : il  pensa  que  son  père  était  une  ga- 
zelle, qui  errait  dans  la  forêt  épaisse.  10,795. 

a S’imaginant  donc  frapper  une  antilope,  il  tua  invo- 
lontairement ce  père,  dont  il  eût  désiré  défendre  la 
vie.  10,796.  • 

a Quand  il  eut  célébré  pour  lui  toutes  les  cérémonies 
des  morts,  il  revint  au  sacrifice  et  tint  ce  langage  à son 
frère.  10,797. 

« Ne  peux-tu  pas  de  quelque  manière  porter  seul  le 
poids  de  cette  action  : j’ai  tué  mon  père,  croyant  que  c’é- 
tait une  gazelle  ! 10,798. 

a Accomplis  un  vœu  pour  moi,  mon  enfant,  qui  expie 
cette  mort,  que  j’ai  donnée  à un  brahme  : que  ne  suis-je 
capable,  anachorète,  de  faire  seul  cette  expiation  ! » 10,799. 


576 


LE  MAHA-BHARATA. 


» Arvâvasou  lui  répondit  : 

» Que  ta  sainteté  vaque  au  sacrifice  du  sage  Vriha- 
dyoumna  : moi,  tenant  mes  sens  domptés,  j’accomplirai 
pour  toi  ce  qui  est  dû  à cette  mort  d'un  brahrae!  » 

» Et,  quand  il  fut  parvenu  à la  rive  ultérieure  des  péni- 
tences pour  le  meurtre  de  ce  brahrne,  l'hermite  Arvà- 
vasou,  Youddhishthira,  s’en  revint  au  sacrifice. 

10,800—10,801. 

» Quand  Paràvasou  vit  revenu  son  frère , il  dit  à 
Vrihadyoumna,  ces  mots  d'une  voix,  que  sa  joie  rendait 
balbutiante  : 10,802. 

« Ce  meurtrier  d’un  brahme  doit-il  entrer  dans  ton  sa- 
crifice pour  me  voir?  S'il  jette  un  seul  regard  sur  moi,  ce 
meurtrier  d’un  brahme  étouffera  la  vertu  de  ton  sacrifice: 
il  n’y  a là  aucun  doute  ! » 10,803. 

» Le  monarque  à ces  mots,  roi  des  hommes,  donna  ses 
ordres  à des  serviteurs  ; et  ceux-ci  alors,  seigneur,  firent 
sortir  Arvâvasou.  10,804. 

« Ce  meurtre  d’un  brahme  n’a  pas  été  commis  par 
moi!  » répéta-t-il  aux  serviteurs  mainte  et  mainte  fois  sel 
les  serviteurs  de  lui  jeter  à la  face  plus  d’une  fois,  Bhara- 
tidc,  l’épithèse  de  « Rhramanicide  ! » 10,805. 

» 11  ne  convint  pas  qu’il  fût  l’auteur  même  de  ce 
meurtre  d’un  brahme:  « C’est  une  action  de  mon  frère, 
dit-il,  qui  fut  rachetée  par  moi  ! » 10,806. 

» Quand  il  eut  ainsi  parlé  aux  serviteurs,  qui  répli- 
quaient, saisis  de  colère,  le  brahmarshi  aux  grandes  péni- 
tences se  retira  en  silence  dans  la  forêt  même,  10,807. 

a Le  plus  vertueux  des  brahmes  embrassa  une  terrible 
macération  et,  se  tournant  vers  l'auteur  du  jour,  il  apprit 
la  science  mystérieuse  du  soleil.  10,808. 


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VANA-PARVA. 


677 


» L’astre,  dont  la  vertu  agit  sur  les  troupeaux  et  la  sur* 
face  de  la  terre,  se  montra  à ses  yeux,  revôtu  d’un  corps. 
Cette  conduite  d’Arvâvasou,  sire,  fit  plaisir  à tous  les 
Dieux.  10,800. 

» Ils  déposèrent,  ils  chassèrent  Paravàsou.  Ces  Dieux, 
ayant  Agni  à leur  tête,  d'accorder  une  grâce  à son  frère 
puiné.  10,810. 

» Celle,  que  choisit  le  plus  vertueux  des  brahmes,  ce 
fut  la  résurrection  de  son  père,  l'innocence  de  son  frère, 
l'oubli  pour  sou  père  de  la  mort,  qu’il  avait  reçue,  la 
résurrection  de  Bharadwàdja  et  de  son  fils  Yavakrlta, 
enfin  la  gloire  de  la  science  même  du  soleil. 

10,811—10,812. 

» Qu’il  en  soit  ainsi!  » répondent  les  Dieux,  qui  lui 
accordent  ces  grâces.  Ensuite,  se  manifestèrent,  Youd- 
dhisthira,  tous  les  morts  de  cette  histoire.  10,813. 

» Alors  Yavakrlta  dit  aux  Dieux,  que  précédait  Agni  : 
u Je  n'ai  pas  été  sans  lire  les  Védas  et  j'ai  observé  tous 
mes  vœux.  Pourquoi,  ô les  plus  grands  des  Immortels, 
Raibhya  a-t-il  pu  me  donner  une  mort,  accompagnée  de 
telles  circonstances,  â moi,  pénitent  et  lecteur  assidu  des 
Védas?»  10,814—10,815. 

» Les  Dieux  lui  répondirent  : 

<■  Ne  fais  plus  ainsi  que  tu  le  dis,  hermite  Yavakrlta! 
Tu  as  lu  jadis  les  Védas,  mais  à ton  gré,  sans  l’assistance 
d’un  gourou.  10,818. 

» 11  faut  aborder  les  suprêmes  Védas  avec  peine,  en 
beaucoup  de  temps,  après  qu'un  s'est  diflicilement  con- 
cilié la  bienveillance  de  ses  instituteurs  spirituels  par  des 
services  rendus  soi-même.  » 10,817. 

» Lorsqu'ils  eurent  ainsi  parlé  à Yavakrlta  et  rendu  la 

37 


ni 


678 


LE  MAHA-BHARATA. 


vie  aux  trois  morts,  les  Dieux,  Indra  à leur  tête,  reprirent 
le  chemin  du  Trivishtapa.  10,818. 

» Voici  le  saint  hermitage  de  l'anachorète , dont  les 
arbres  sont  chargés  de  fruits  et  de  fleurs  en  toutes  les  sai- 
sons. Quand  tu  auras  habité  là,  tigre  des  rois,  tu  seras 
délivré  de  tous  tes  péchés.  10,819. 

» Tu  as  dépassé,  illustre  fils  de  Bharata  et  de  Kountt, 
le  Mainàka,  riche  enracines  d'ouçira  \i),  le  mont  Çwéta 
et  la  Montagne-de-la-mort.  10,820. 

» Voici  la  Gangà  aux  sept  bras,  qui  reluit  de  nouveau 
à nos  regards,  éminent  Bharatide  : c’est  an  lieu  pur,  sans 
poussière,  où  le  feu  est  continuellement  allumé.  10,821. 

u 11  est  impossible  à l'homme  de  jeter  maintenant  les 
yeux  sur  cette  merveille  : faites  sans  trouble  votre  médi- 
tation ; vous  verrez  plus  tard  ces  tirthas.  10,822. 

» Voici  le  jardin,  où  les  Dieux  impriment  les  vestiges 
de  leurs  pas...  Tu  as  dépassé,  iils  de  kount!,  la  Montagne- 
de-la-mort.  10,823. 

» Nous  verrons  le  mont  Swéta  et  le  sourcilleux  Man- 
data, où  habitent  l’Yaksha  Mànivara  et  Rouvéra,  le  roi 
des  Yakshas,  10,826. 

» Quatre-vingt  mille  Gaudharvas  à la  marche  rapide,  et 
des  Rimpouroushas,  sire,  et  des  Yakshas  de  quatre  espèces. 

» Revêtus  de  formes  diverses  et  portant  des  armes  va- 
riées, 6 le  meilleur  des  enfants  de  Manou,  ils  servent 
Mânibhadra,  le  roi  des  Yakshas.  10,825—10,820. 

u Immense  est  ici  la  prospérité  de  ces  héros  à la  marche 
rapide  comme  le  vent,  et  qui,  certes  ! renverseraient  de 
son  trône  le  roi  des  Dieux  lui-même.  10,827. 

(I)  Ândropogon  muricatum. 


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VANA-PARVA. 


679 


» Ces  inaccessibles  montagnes  sont  protégées,  seigneur, 
sont  défendues  par  ces  vigoureux  Yâtoudbânas.  Plonge- 
toi,  fils  de  Kountt,  dans  une  profonde  méditation  ! 

» D’autres,  ou  Raâudras  ou  bons  Rakshasas,  sont  les 
conseillers  de  Kouvéra.  Réprimant  notre  valeur,  fils  de 
Prithâ,  nous  nous  joindrons  avec  eux.  10,828—10,829. 

» Le  mont  Kailâsa,  où  les  Dieux,  fils  de  Bharata,  où 
les  grands  Dieux  se  rassemblent,  est  élevé,  sire,  de  six 
yodjanas.  10,830. 

» Innombrables  sont,  fils  de  kounti,  les  Yakshas,  les 
Raksbasas  et  les  Kinnaras,  les  Nàgas,  les  Souparnas  et 
les  Gandharvas,  qui  environnent  le  palais  de  Kouvéra. 

» Va  maintenant  vers  eux,  royal  fils  de  Prithâ,  défendu 
par  la  pénitence  et  la  répression  des  sens,  par  le  vigou- 
reux Bhlmaséna  et  par  moi  ! 10,831 — 10,832. 

» Que  le  roi  Varouna  et  le  victorieux  Yama,  que  la 
Gangâ,  l’Yamounâ  et  la  montagne  te  donnent  d’aller  en 
paix  1 10,883. 

» Que  Maroute,  accompagné  des  Açwins,  que  les  fleuves 
et  les  lacs,  que  les  Dieux  avec  les  Asouras  et  les  Vasous 
te  donnent,  prince  à la  grande  lumière,  d’aller  en  paix  ! 

» J’entends  un  bruit  sur  toi,  souverain  de  la  terre, 
sortir  de  la  montagne  Djâmboûnada  !...  Gangâ,  vertueuse 
Déesse,  protège  ce  monarque,  honoré  par  toutes  les  mon- 
tagnes. 10,834 — 10,835. 

» Donne,  fille  de  la  montagne,  donne  la  satisfaction  à 
ce  monarque  des  hommes,  qui  désire  pénétrer  dans  ces 
montagnes  ! » Après  ces  paroles  au  fleuve,  le  brahme  dit 
au  fils  de  Prithâ  : « Redouble  tes  efforts  ! » 10,836. 

Youddhishthira  de  parler  ainsi  : 

« Cette  crainte  en  Lomaça  est  sans  précédent  ! Proté- 


680 


LE  MAHA-BHARATA. 


gez  tous  Krishnâ  : pas  de  négligence  ! Ce  lieu  est  dans  la 
pensée  de  Lomaça  infiniment  le  plus  infranchissable  de 
tous.  Faites  donc  ici  une  purification  suprême!  » 10,837. 

Il  dit  à Bhtma  au  vaste  courage  : « Bhîinaséna,  dé- 
fends Krishnâ  de  tous  tes  efforts  ; car,  en  l’absence  ou  en 
la  présence  d'Arjouna,  c’est  toujours  â ton  bras,  mon 
enfant,  qu’elle  en  appelle  dans  tous  les  dangers  ! » 

Ensuite,  le  magnanime  roi,  s’approchant  des  jumeaux, 
les  baisa  sur  la  tête,  caressa  leurs  membres  et  dit  : 
« Voici  le  temps  des  larmes  ! Ne  craigne*  pas  ! Marche* 
sur  vos  gardes  ! » 10,838—10,839. 


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Dû  TROISIÈME  VOLUME. 


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ERRATUM. 


Dans  la  page  27),  il  a été  oublié  une  note  ; la  voici  : 

« Supprimer  dans  la  lecture,  par  la  pensée,  les  stances  2276, 
2277,  2278,  2279,  2280,  et  supprimez  les  mots  de  rechef  dans  la 
stance  2281.  Ces  versets  nous  semblent  venir  d’une  autre  rédac- 
tion, n'entrer  Ici  que  mutilés  et  n’offrir  par  conséquent  à l’esprit 
qu’une  chose  vague,  obscure,  indéterminée,  incomplète. 

Je  voudrais  aussi  retrancher  les  stances  3025,  3026  et  3027, 
où  il  s'agit,  pour  la  seconde  fois,  du  mutuel  don  de  la  science 
des  dés  et  de  la  science  des  chevaux  ; mais  cet  échange  n’est 
plus  à faire  ; il  a déjà  été  fait  en  venant  au  pays  de  Koundina, 
et  ce  fut  un  des  épisodes  du  voyage.  Ces  stances  n'appartiennent 
donc  pas  à notre  conception  du  sujet,  mais  à une  rédaction  dif- 
férente. » 

Lisez: 

Page  36,  stance  23  : au  temps,  où  tes  fleurs  lui  prêtaient  une 
habitation. 

— 49,  — 138  : sorti  de  ta  terre. 

— 74,  — 368  : couraient  ici 

— 106,  — 672  : envoya  lui-même  à Çdmbha. 

— 123,  — 851  : il  avait  disparu. 

— 139,  — 992  : sans  qu'il  en  éprouve  du  regret. 

— 204,  — 1624  : supplia  ainsi  H ara. 

— 247,  dans  la  note  : au  verbe  naç. 

— 267,  — 2235  : comme  Yaydti,  fils  de  Nahousha. 

— 31 1,  — 2681  et  2686  : le  cher  ami  de  tes  f rires. 

— 323,  ligne  3*  : les  qualités,  ajoutez  : du  corps. 

— 387,  — 7075  : ayant  la  Drishadvatt  au  septentrion  et  la 

Sarasvalt  au  midi. 

— 407,  — 8172  : qui,  d’une  naissatue  dégradée. 


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TABLE  DES  MATIÈRES 


Chapitres  : Paires  : 

Trois  mots  avant  de  commencer i 

SABHA-PARVA. 

Les  choses,  qui  survinrent  à la  suite  du  jeu  ...  1 

VANA-PARVA. 

mort  de  Kirmira 77 

voyage  d’Arjouna 85 

Le  chasseur  montagnard 194 

Le  voyage  d'Arjouna  au  monde  d’Indra  ....  214 

L’épisode  de  Nala 245 

Le  pèlerinage  aux  tirthas 349 

Fia  DE  LA  TABLE  DES  MATIÈRES. 


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